publié le 17 mar 2016 par Thomas BRIERE
Près de trente ans après, la ville de TCHERNOBYL, en Ukraine, porte toujours les stigmates de l'explosion du réacteur n°4 de sa centrale nucléaire, survenue le 26 avril 1986 : outre les victimes directes des radiations, dont le nombre suscite encore la controverse, le périmètre contaminé est déclaré « zone interdite » à 30 km à la ronde. Toujours dangereux, le réacteur accidenté a été scellé par un sarcophage. Mais l'ouvrage, bien qu'efficace, atteint ses limites : doté d'une structure légère constituée de poutres en acier, il serait vulnérable lors d'une catastrophe naturelle majeure.
Dès 1992, l'Ukraine, fraîchement indépendante, lance un appel à projets pour une nouvelle enceinte de confinement. Le projet « New Safe Confinement » vise un triple objectif : protéger la population ; prémunir le réacteur contre les phénomènes climatiques ; construire une enceinte permettant le démantèlement. Un fonds international est mis en place à l’initiative du G7, auquel participent l’Union européenne (26 %), les États-Unis (19 %), l’Allemagne, le Royaume-Uni, la France, etc. pour financer la réalisation de la solution proposée.
Le concours est remporté par Novarka (« Nouvelle Arche » en russe), joint-venture commune à Vinci Construction Grands Projets et Bouygues Travaux Publics. Après quatre années d'études préliminaires, la future arche de confinement prend forme : elle mesurera 110 m de hauteur et 162 m de longueur pour une portée de 257 m, et sera dotée d'une charpente métallique de quelque 25 000 tonnes qui viendra recouvrir l'ancien sarcophage, tout en scellant le bâtiment du réacteur n°4. Elle pourrait contenir le Stade de France sur la hauteur de la statue de la Liberté pour quatre fois le poids de la Tour Eiffel! La nouvelle arche est conçue pour durer cent ans et résister à des températures comprises entre -43°C et +45°C, à une tornade de classe 3 et à un séisme d'une magnitude 7 sur l’échelle de Richter. Pour protéger le personnel [lire l’encadré ci-dessous], l’enceinte devait être éloignée du réacteur. Le chantier a donc été divisé en trois zones distinctes. La zone d'assemblage de l'arche proprement dite, est à 300 mètres de la centrale. Pour l'établir sur 9 hectares, il aura fallu raser au préalable les bâtiments désaffectés, dégager les rebuts en tout genre (surtout du matériel hors d'usage contaminé à trier spécifiquement). Avec parfois quelques surprises : « On a même retrouvé la carcasse d'un hélicoptère », relate Marc SEGAULT, responsable des travaux préliminaires et structures temporaires chez Novarka. Une fois les excavations terminées, la zone de terrassement, sur 396 pieux de 18 m de profondeur pour 1 m de diamètre, a été réalisée par coulage de béton au-dessus d'une première couche de remblais de 1 m de hauteur, afin de stopper les possibles radiations venant du sous-sol.
La deuxième zone dite d'attente est prévue pour accueillir la première partie de l’arche finalisée, libérant ainsi la zone de montage pour la construction de la seconde partie. Une fois achevées, les deux parties de l’arche y seront jointes par des contreventements métalliques. L'ouvrage monumental sera alors transplanté vers la troisième zone, sa destination finale : le bâtiment du réacteur scellé par le sarcophage originel. Ce dernier secteur a également fait l’objet de travaux de fondations. Son sous-sol a été renforcé par 424 pieux de 19 m de long pour 1 m de diamètre. « Ces pieux n'ont pas été battus, contrairement à ceux de la zone de montage, pour éviter les vibrations à proximité du sarcophage », précise Marc SEGAULT.
Initié en 2010, le chantier en est à son mitan. Les phases de génie civil préparatoires se sont achevées en 2011, le montage de l’arche a démarré dans la foulée. Celle-ci est conçue comme un Meccano géant selon une méthode garantissant le maximum de sécurité.
La première moitié de l’enceinte, dite « arche est » (80 m de longueur), est à présent terminée. Son montage a suivi plusieurs phases par assemblage de « petits » éléments de 300 tonnes pour 25 m de hauteur. Chaque élément de structure est déplacé au moyen de plateformes montées sur pneus. Les premiers constituaient le sommet du dôme, puis l'ensemble de la voûte, pour finir par sa base. Dès qu'une section de l’arche était assemblée, elle était surélevée à l'aide de dix tours de levage (chacune d'une capacité de 900 tonnes), afin de pouvoir y fixer les sections suivantes. Trois manœuvres de levage ont été nécessaires : la première en novembre 2012, la deuxième en juin 2013 (10 500 tonnes levées) et la dernière en septembre de la même année. « Un record mondial de charges levées », souligne Thomas CHAUVEAU (An. 83), président de Bouygues Construction services nucléaires.
Après chaque opération, les sections ont été solidarisées par des contreventements, puis l’ensemble de l’arche Est a été tapissée de bardages intérieurs et extérieurs pour assurer un parfait confinement. Enfin, l’une des façades de cette demi-arche a été découpée de façon à épouser précisément les contours du bâtiment abritant le réacteur ainsi que l’ancien sarcophage. Pour que ce scellement soit optimal, une membrane, conçue sur mesure, sera appliquée aux jointures entre l’ancienne centrale et l’arche. Mais pour en arriver là, il faudra d'abord faire coulisser chaque moitié du gigantesque dôme d'acier et de béton vers le bâtiment. Deux longrines en béton équipées de coussinets en Téflon ont été prévues à cet effet officiant comme des rails sur lesquels reposeront les pieds de l'arche. Celle-ci glissera sous la poussée de vérins hydrauliques : 8 vérins pour chacun des 32 pieds de l'enceinte, tous asservis, associés à 4 vérins pour compenser les déplacements verticaux. C'est déjà le cas de l'arche Est, qui a coulissé durant l'été 2014 sur 112 m de la zone de montage vers celle d'attente. L'autre moitié du dôme est en cours de construction. Elle sera ensuite poussée sur une distance de 25 m poux être fixée à la partie est. Si tout se passe comme prévu, l’arche unifiée atteindra sa destination finale après un ultime déplacement de 330 m, pour être mise en service fin en 2017.
[Article publié dans AMMag n°370, février 2015.]
Cet article fait suite à une conférence organisée par le Groupe professionnel Nucléaire à la Maison des Arts et Métiers à Paris.
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Le nouveau sarcophage de Tchernobyl prend forme (Vidéo AFP) | 4.43 Mo |
L'animation de la construction du sarcophage | 96.92 Mo |