
publié le 17 mar 2016 par Thomas BRIERE
Étienne DUTHEIL - Les trois principaux objectifs du grand carénage sont fixés depuis longtemps déjà : faire fonctionner les centrales au-delà de quarante ans, produire 420 TWh d'électricité par an en toute sûreté et tenir le devis global initial, soit 55 milliards d'euros, maintenance courante comprise, sur une période courant jusqu'en 2025(1). Le programme de maintenance et de modifications dont j'ai la charge concerne les 58 unités de production électronucléaire de l'Hexagone. Concrètement, il s'agit de procéder au remplacement de composants qui arrivent en fin de vie, ou bien dont la durée de vie résiduelle ne permet pas de fonctionner au-delà de quarante ans, et de procéder aux modifications issues des réexamens de sûreté réalisés tous les dix ans et qui visent à améliorer la sûreté des installations en tirant profit du retour d'expérience ou bien des évolutions technologiques. A ces deux dimensions s'ajoutent parfois des modifications visant à l’amélioration de la sûreté, réalisées en dehors de ce cycle de réexamen décennal, comme c'est le cas actuellement avec les modifications issues du retour d'expérience de l’accident de FUKUSHIMA.
É.D. - L'arrêt d'une unité de production est la partie visible d'un projet. Prenons l’exemple de l’unité de production n°2 de la centrale de PALUEL [Seine-Maritime, NDLR], qui a été arrêtée pour cette maintenance décennale en mai 2015. Avant cette date, nous avons déjà passé plusieurs années à planifier toutes les opérations de maintenance, à programmer la présence des personnes aux bonnes compétences le jour J à l’heure H, à élaborer les contrats avec les sous-traitants et entreprises prestataires, que ce soient les bureaux d'études ou les fournisseurs de matériels. Nous avons commandé à ces derniers les pièces à changer, depuis le plus petit boulon jusqu'aux pièces les plus massives. Les plus complexes, comme les générateurs de vapeur, nécessitent de sept à huit ans de fabrication et de trois à quatre ans pour les alternateurs. Tout écart sur le bon de commande ou à la livraison peut entraîner des décalages de planning ; et, mécaniquement, de la facture. Le bon pilotage du projet en amont est donc essentiel à sa réussite. II est même capital pour le bon déroulé des opérations en aval. La gestion du chantier physique n'est pas pour autant une simple formalité. Par exemple, certains jours, quelque 3500 salariés travaillent le même jour sur le site de PALUEL. Rien que la logistique nécessaire à leurs besoins - transport, repas, tenues, procédures de sécurité - devient un véritable challenge.
Parallèlement à l’ensemble de ces opérations, il faut sécuriser les finances par un contrôle de gestion moderne et performant, étalonner en permanence les solutions techniques retenues par rapport à l’état de l’art du moment et accorder une grande importance aux retours d'expérience. Les chantiers étant programmés en série, autant tirer avantage des pratiques les plus pertinentes. En effet, les travaux en cours sur le site de PALUEL sont une tête de série dont les résultats seront d'autant plus utiles que ces opérations vont être reproduites sur les 19 autres tranches de 1300 MW, toutes semblables à PALUEL, dans les dix ans qui viennent.
É.D. - Le grand carénage a déjà débuté, avec les visites décennales numéro 3 des tranches 1300 MW comme celle de PALUEL dont nous parlions à l’instant, ou bien encore la construction de groupes électrogènes de secours supplémentaires à CATTENOM [Moselle] et SAINT-LAURENT-DES-EAUX [Loir-et-Cher] qui va être élargie aux autres sites dans les deux ans qui viennent. Une étape particulièrement importante pour la suite du programme sera la visite décennale numéro 4 de la tranche 1 du TRICASTIN [Drôme] en 2019 puisque ce sera la première fois que nous ferons franchir (échéance des quarante ans à l'une de nos centrales, étape qui, pour le parc nucléaire français, est associée à une très forte exigence en matière d'amélioration de la sûreté. Environ 1800 ingénieurs d'EDF sont exclusivement dédiés au grand carénage, une équipe dont le nombre peut monter jusqu'à 2500 ingénieurs en certaines périodes. Sans parler des milliers d'intervenants mobilisés chez nos partenaires industriels.
É.D. - Elle est au centre de nos préoccupations. Elle est présente tout le temps partout. Le nouveau président d'EDF en a même fait une priorité du nouveau plan stratégique. Aujourd'hui, nous sommes à trois accidents par million d'heures travaillées. L'objectif est de l’abaisser à moins de deux. Pour y parvenir, nous cherchons d'abord à rendre les règles de sécurité plus faciles à suivre, à assurer une présence soutenue du management sur le terrain et, quand c'est nécessaire, nous pouvons aussi employer la coercition, car il s'agit d'abord de protéger la santé des personnes. Afin d'entretenir l’esprit d'émulation, nous avons mis en œuvre un système qui récompense les personnes qui suivent le mieux les règles. Mais nous savons que les résultats seront visibles à long terme, car toutes les démarches relatives à la sécurité nécessitent beaucoup de persévérance.
É.D. - La grande vague de départs est derrière nous. EDF a recruté des centaines de personnes par an ces dernières années. Nous avons mis au point un programme de compétences destiné aux jeunes. Sur chacun des sites, nous les formons à leur métier et nous leur enseignons la sécurité et la sûreté. Parallèlement, chaque recrue est accompagnée par un tuteur. L'apprentissage compagnonnage, qui concerne environ un tiers des nouveaux, dont des techniciens et des ingénieurs, se révèle très positif. Dans tous les cas, c'est un plaisir d'accueillir des jeunes et, pour les collègues expérimentés, de transmettre leur savoir-faire.
É.D. - L’ASN joue pleinement son rôle et c'est tant mieux, car il ne peut y avoir d'industrie nucléaire sans une autorité de contrôle indépendante forte. Pour EDF, le respect strict de la réglementation à laquelle le groupe est soumis crée certes un niveau de complexité élevé, mais les exigences de l’Autorité de sûreté nucléaire ne se discutent pas. En effet, l’ASN peut bouleverser un calendrier si elle estime nécessaires des travaux, complémentaires ou initiaux. Ce pouvoir s'exerce également dès la préparation en amont des chantiers. C'est un élément d'incertitude fort qu'EDF intègre du mieux qu'il peut dans sa planification(2). La meilleure réponse pour satisfaire les exigences de l’Autorité, c'est de bien faire notre métier.
(1) Si on additionne les coûts des 3ème et 4ème visites décennales, le budget prévisionnel atteint 55 milliards d'euros.
(2) L’exemple de la livraison par AREVA du couvercle et des structures internes de la cuve destinés à l’EPR de FLAMANVILLE, jugés non conformes par l’ASN, en est une éclatante illustration. Conséquence : environ un an de retard