La Tétrarchie : de Dioclétien à Constantin (284 - 324) Une nouvelle organisation du pouvoir dans l’Empire romain

Voir « En deux mots » :
LISTE DES EMPEREURS ROMAINS

Et quoniam bellorum moles acrius urgebat, quadripartito imperio cuncta

 

Comme le poids des guerres devenait plus écrasant, les chefs firent entre eux une sorte de répartition de tout l’empire en quatre.
 

Des Césars, XXXIX, 30, « Dioclétien », attribué à Aurélius Victor (env. 327 - 390)

La tétrarchie, du grec τετραρχία (tetrarkhía, quatre commandements), désigne un système de gouvernement où le pouvoir est partagé en quatre : il fut mis en place par Dioclétien à la fin du IIIe siècle après J.-C., au moment où l’Empire romain en crise devait faire face à l’anarchie militaire et à la pression barbare.

Une nouvelle organisation du pouvoir

Désigné Augustus ("Auguste") par ses troupes le 20 novembre 284, Dioclétien élimine ses concurrents, puis décide d’instaurer une nouvelle organisation politique : l’imperium (le pouvoir absolu détenu par l’empereur) sera en partie délégué à un associé, désigné Caesar ("César"). Celui-ci devra défendre la partie occidentale de l’Empire, qui utilise le latin comme langue officielle (l’Italie, les Gaules, l’Espagne, le Nord de l’Afrique et la région du Danube), tandis que Dioclétien se chargera de la partie orientale, qui utilise le grec (les Balkans, la Grèce, le Proche-Orient et l’Égypte).
Le 1er avril 286, Dioclétien désigne comme César un ancien compagnon d’armes originaire de Pannonie, Marcus Aurelius Valerius Maximianus, dit Maximien, qu’il a déjà élevé au rang de préfet du prétoire (officier commandant la garde impériale).
Cependant, Maximien est bientôt élevé au rang d’Auguste. Comme de nombreux empereurs avant eux, les deux Augustes se choisissent un dieu protecteur : Jupiter pour Dioclétien (surnommé Jovius), qui gouverne l’univers et assure sa continuité ; Hercule pour Maximien (surnommé Herculius), qui combat les ennemis et rétablit l’ordre du monde. En conséquence, les deux empereurs sont honorés comme des dieux.
Le 1er mars 293, Dioclétien décide de développer le duumvirat : chacun des deux Augustes (A) choisit un "assistant", qui aura le rang de César (C) et qui prendra la place de son Auguste, au moment de la succession. Des règles sévères sont fixées pour définir l’expérience et la qualification de la personne choisie, avec interdiction de choisir un fils pour le poste.
Chacun des empereurs choisit alors son préfet du prétoire : pour Dioclétien, Caius Galerius Valerius Maximianus, dit Galère, originaire de Dacie ; pour Maximien, Caius Flavius Julius Constantius, dit Constance Chlore (du grec χλωϱὀς, chlôros, pâle), d’origine illyrienne.

La première tétrarchie : un équilibre difficile

Dominée par Dioclétien, fondée sur une approche pragmatique du pouvoir (une fonction et non un don personnel à vie), la première tétrarchie est un succès, mais les suivantes sont minées par les rivalités et par les péripéties d’une véritable course pour le trône.

La première tétrarchie

L’Empire est organisé en "secteurs d’opérations" : quatre grandes "préfectures" (du latin praefectura, gouvernement, district) comptant 96 provinces, lesquelles sont regroupées en douze "diocèses" (du grec διοίκησις, dioikèsis, administration, province), sept pour l’Occident et cinq pour l’Orient (en 305). L'Empire n’est donc pas divisé, au sens premier du terme, car Dioclétien conserve toute son autorité sur ses "associés", ainsi que sur l’ensemble des territoires et des légions, Maximien ne bénéficiant que d’une délégation de l’imperium.
Doté du pouvoir législatif, Dioclétien porte le titre de Primus Augustus ("Premier Auguste") pour marquer sa supériorité. À la tête de chaque diocèse se trouve un "vice-préfet du prétoire" (vice praefectus praetorio), plus couramment nommé "vicaire" (vicarius), qui sert d’intermédiaire entre le gouverneur de province et l’empereur. Cette réforme permet ainsi une répartition des tâches et des compétences ; elle renforce le pouvoir impérial en développant sa bureaucratie.

Carte de la tétrarchie

L’organisation de l’Empire romain sous la tétrarchie : les quatre préfectures et les capitales administratives (carte présentée au musée des Thermes impériaux de Trèves, photo A. Collognat).

De nouvelles capitales, du "tu" au "vous"

Avec l’instauration de la tétrarchie, Rome commence à perdre de son importance comme les quatre "empereurs" ne résident plus dans l’Urbs (mis à part les épisodes des usurpateurs) ; la capitale historique reste cependant un modèle pour les villes qu’ils ont choisies. La cour est itinérante et suit les déplacements des Augustes. En général, Dioclétien réside à Nicomédie (en Bithynie, aujourd’hui Izmit en Turquie) ; Maximien à Milan (Italie) ; Constance Chlore à Trèves (Allemagne) ou Eboracum (York), en (Grande) Bretagne, Galère à Sirmium (Sremska Mitrovica en Serbie) ou Thessalonique - voir la carte. Quant à l’Italie, elle finit par être traitée comme une simple province de l’Empire.
C’est aussi de ce moment que date le vouvoiement comme signe de respect : symboliquement, lorsque l’on s’adresse à l’un des tétrarques, il convient de le faire comme si on parlait aux quatre en même temps.

La deuxième tétrarchie

Le 1er mai 305, affaibli par la maladie, Dioclétien prend la décision de se retirer du pouvoir et fait proclamer la démission conjointe des deux Augustes au profit des deux Césars ; Maximien est contraint de céder sa place à Constance Chlore. Dioclétien décerne le titre de Primus Augustus à Galère.

Tétrarchie 2

Jaloux, Constance Chlore regrette de ne pas avoir pu nommer César son fils Constantin, né de sa première femme Hélène, et se méfie des liens de Galère avec les deux Césars.
De fait, Galère est le principal dirigeant de l’Empire, mais la situation se dégrade rapidement. À la mort de Constance Chlore à Eboracum (York en Angleterre) en 306, son fils Constantin s’autoproclame "César d’Occident" en Bretagne, revenant ainsi au principe de la transmission familiale.

La troisième tétrarchie

Cependant, Maximien, qui supporte très mal d’avoir dû abandonner le pouvoir comme le lui avait demandé Dioclétien, décide de se révolter avec son fils Maxence.
Profitant du mécontentement des habitants de Rome contre Galère, Maxence se fait nommer empereur à Rome, secondé par son père Maximien.
Sévère tente d’arrêter les usurpateurs, mais ses troupes, constituées en grande partie d’anciens soldats de Maximien, rallient Maxence. Sévère se réfugie alors à Ravenne, où il est assiégé par Maximien. Finalement, au début de 307, Sévère se rend contre la promesse d’avoir la vie sauve. Selon les sources antiques, soit il aurait été mis à mort par son rival, soit il se serait suicidé.

Tétrarchie 3

La quatrième tétrarchie

Après la mort de Sévère, la confusion reprend de plus belle : Galère décide d’intervenir militairement en Italie, mais il ne parvient pas à vaincre les deux usurpateurs, qui se sont assuré la neutralité de Constantin en s’alliant avec lui (Constantin épouse Fausta, fille de Maximien). Profitant de la situation, Constantin décide de se proclamer Auguste.
Galère demande alors l’aide de Dioclétien, qui s’était retiré dans son palais de Dalmatie (Split en Croatie). Le 11 novembre 308, une importante réunion a lieu à Carnutum, capitale de la Pannonie, sur les bords du Danube (près de Vienne). Dioclétien tente de convaincre Maximien d’abdiquer une nouvelle fois et Licinius, un ami de Galère, est choisi comme Auguste d’Occident, à la place de Sévère ; Constantin, quant à lui, reprend sa place de César d’Occident.

Tétrarchie 4

Cependant, non seulement les usurpateurs n’abdiquent pas, mais encore les Césars désignés finissent par se proclamer Augustes : en fin de compte, en 310, on ne compte pas moins de sept "empereurs" dans l’Empire !
La mort de Galère, dernier défenseur de la tétrarchie, consacre la fin du système. Les tétrarques Maximin Daïa, Licinius et Constantin décident de s’entendre pour se partager l’Empire ; Constantin est officiellement reconnu comme Auguste d’Occident. Avec l’aide de Licinius, il pénètre en Italie, s’empare de nombreuses villes et finit par affronter Maxence à la célèbre bataille du pont Milvius en octobre 312.
En 313, Constantin et Licinius sont les véritables maîtres de l’Empire romain. Mais en 324, Constantin vient à bout de Licinius. Désormais seul Auguste, Constantin perpétue à son avantage le système collégial et divin de la tétrarchie en le combinant au principe dynastique : il élève ses trois fils Constant Ier, Constantin II et Constance II au rang de César.

La reconnaissance de la religion chrétienne en deux édits

Le 5 mai 311, Galère, qui fut un grand persécuteur des chrétiens, fait publier, le jour même de sa mort à Sardica (nom antique de la ville de Sofia en Bulgarie), un édit de tolérance reconnaissant l’existence de la religion chrétienne. Cet édit, appelé "édit de Sardique", met fin à toutes les mesures antichrétiennes encore en vigueur sur le territoire de l'Empire. Accablé par la maladie, craignant une vengeance du Dieu des chrétiens, Galère reconnaît l’échec des mesures de persécution contre cette religion depuis Néron ; habitué des coups de force, il promulgue son édit sans consulter ses collègues tétrarques. Cet édit reconnaît la religion chrétienne comme religion admise dans l’Empire. En juin 313, l’édit de Milan officialise l’agrément apporté par Licinius et Constantin (qui n’avaient pas été consultés en 311) à l’édit de Galère et ajoute une disposition essentielle : les citoyens de l’Empire sont dorénavant dispensés de vénérer l’empereur comme un dieu.

Les Tétrarques de Venise

 

Les tétrarques de Venise 2

Un haut-relief en porphyre enchâssé dans un angle extérieur de la basilique Saint-Marc à Venise représenterait les tétrarques par couples : l’accolade symboliserait l’association entre l’Auguste (le barbu, plus âgé) et son César ; la main sur l’épée leur union pour la défense de l’Empire. Un doute demeure cependant car il pourrait aussi s’agir de princes constantiniens.
Le groupe, qui aurait été sculpté vers 300 par des Syriens ou par des Égyptiens, décorait probablement le porche dit Philadelphion à Constantinople : il a été pillé lors du sac de la ville en 1204 et ramené par les croisés vénitiens (aujourd’hui l’original est dans la basilique, à l’étage). Dans les années 1960, la partie du talon du pied manquant a été découverte par des archéologues à Istanbul près de la Mosquée Bodrum et se trouve aujourd’hui au Musée archéologique d’Istanbul.

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