Virgile, Géorgiques, I, v. 463-488 Interrogations scientifiques. – L’interprétation des phénomènes célestes

N. B. : Ce cours a été réalisé avec l’aide de l’ouvrage suivant ; certains passages lui ont été empruntés : Virgile, Les Géorgiques, traduction d’H. Goelzer, Paris, Les Belles Lettres, 1947.

Texte à traduire :

En juillet 44 av. J.-C., soit quatre mois après l’assassinat de Jules César, une comète brillante et visible de jour apparut soudainement dans le ciel, lors des Ludi Victoriae Caesaris (Jeux pour la Victoire de César). Cette comète fut ensuite appelée par les auteurs antiques Sidus Iulium (étoile julienne) ou Caesaris astrum (étoile de César). À l’heure actuelle, les opinions des chercheurs diffèrent encore concernant la véracité des témoignages antiques sur l’apparition, à cette date, d’une comète. Quoi qu’il en soit, elle inspira à Virgile ce passage des Géorgiques :

Solem quis dicere falsum
audeat ? Ille etiam caecos instare tumultus
saepe monet fraudemque et operta tumescere bella ;
ille etiam exstincto miseratus Caesare Romam,
cum caput obscura nitidum ferrugine texit
impiaque aeternam timuerunt saecula noctem.
Tempore quamquam illo tellus quoque et aequora ponti,
obscenaeque canes importunaeque volucres
signa dabant. Quotiens Cyclopum effervere in agros
vidimus undantem ruptis fornacibus Aetnam,
flammarumque globos liquefactaque volvere saxa !
Armorum sonitum toto Germania caelo
audiit, insolitis tremuerunt motibus Alpes.
Vox quoque per lucos vulgo exaudita silentes
ingens, et simulacra modis pallentia miris
visa sub obscurum noctis, pecudesque locutae
(infandum !) ; sistunt amnes terraeque dehiscunt,
et maestum inlacrimat templis ebur aeraque sudant.
Proluit insano contorquens vertice silvas
fluviorum rex Eridanus, camposque per omnes
cum stabulis armenta tulit. Nec tempore eodem
tristibus aut extis fibrae apparere minaces
aut puteis manare cruor cessavit, et altae
per noctem resonare lupis ululantibus urbes.
Non alias caelo ceciderunt plura sereno
fulgura nec diri totiens arsere cometae.

 

Publius Vergilius Maro, Georgicon libri, Liber primus, v. 463-488

Exemple d'introduction :

  • Présentation de l'auteur, du contexte et de l’œuvre
  • Situation de l'extrait et résumé ; mise en perspective par rapport au thème du chapitre («Interrogations scientifiques – L'interprétation des phénomènes célestes »)
  • Annonce du plan qui sera suivi dans le développement

Virgile est l’un des plus célèbres poètes latins de la seconde moitié du Ier siècle avant J.-C., auteur de trois œuvres majeures : les Bucoliques, les Géorgiques et l’Énéide. Les Géorgiques – « poème de la terre » –, composées probablement entre 36 et 29 avant J.-C., appartiennent au genre didactique ; elles s’inspirent de l’ouvrage d’Hésiode intitulé Les Travaux et les Jours, et célèbrent l’Italie, la nature et le travail des paysans, thèmes chers à Virgile. Mais cette œuvre s’inscrit également dans le contexte politique de l’époque, car le poète y chante l’espoir de voir la fin des guerres et le retour de la paix grâce à l’arrivée au pouvoir d’Octavien. Le livre I des Géorgiques traite de la culture des champs, qui doit s’effectuer en accord avec les astres et la météorologie, et ce thème des phénomènes célestes fournit au poète l’occasion d’achever ce premier chant sur l’un des rôles de la nature dans la vie des hommes : selon les conceptions antiques, les différents éléments peuvent prédire des catastrophes ou révéler les réactions divines face aux actions humaines. L’intérêt du texte réside, tout d’abord, dans la liste des phénomènes, naturels ou surnaturels, qui interpelaient les Anciens, mais également dans le fait qu’il s’agit d’un poème dont la portée est à la fois épique, philosophique et politique.

Exemple de développement :

I. Une liste de prodiges :

Le texte apparaît, au premier abord, comme une liste de phénomènes traditionnellement interprétés par les Anciens comme étant des prodiges (prodigium, « prodige », désigne dans le vocabulaire latin un phénomène auquel on attribue une cause surnaturelle, voire comme un signe révélant une réaction divine à un événement humain).

1) Un catalogue :

Le texte prend l’aspect d’un catalogue répertoriant un grand nombre de phénomènes impliquant tous les domaines de la nature et de la vie humaine.

- En effet, Virgile évoque tous les éléments, dont on peut relever les différents champs lexicaux :

* celui du ciel (caelo, v. 12, v. 25), des astres (le soleil, solem, v. 1 ; les comètes, cometae, v. 26) et des phénomènes célestes (la nuit, noctem, v. 6 et noctis, v. 16 ; la foudre, fulgura, v. 26) ;

* celui de la terre (tellus, v. 7 ; agros, v. 9 ; terrae, v. 17 ; campos, v. 20), des montagnes et les volcans (Aetna, v. 10 ; Alpes, v. 13), de la pierre ou des métaux (saxa, v. 11 ; aera, v. 18) ;

* celui de l’eau : mers (aequora ponti, v. 7), fleuves et rivières (amnes, v. 17 ; fluviorum rex Eridanus, v. 20), puits (puteis, v. 23) ;

* celui du feu (fornacibus, v. 10 ; flammarumque globos, v. 11 ; fulgura, arsere cometae, v. 26).

- D’autres champs lexicaux sont également présents : ceux de la végétation (les bois sacrés, lucos, v. 14 ; les forêts, silvas, v. 19) et des animaux (canes, volucres, v. 8 ; pecudes, v. 16 ; armenta, v. 21 ; lupis, v. 24).

- Les êtres humains sont présents eux aussi, à travers l’emploi de la 1ère pers. du pluriel désignant les Romains, voire l’humanité tout entière (vidimus, v. 10), ou de termes évoquant des constructions humaines (urbes, v. 24 ; templis, v. 18, etc.).

 

2) Des prodiges effrayants :

Tous ces éléments constituent la base d’un catalogue des prodiges effrayants ayant pu être observés après la mort de Jules César.

- En effet, les prodiges étaient interprétés par les Anciens comme des phénomènes annonçant des catastrophes ou manifestant les réactions de colère des divinités après une mauvaise action des hommes. Ces deux aspects apparaissent dans le passage :

* Virgile affirme que le soleil avertit les hommes de l’arrivée de catastrophes, comme le montre l’emploi du verbe monet, accompagné de l’adverbe saepe (v. 3) et de termes ou expressions évoquant des malheurs encore cachés (caecos tumultus, v. 2 ; fraudem, operta bella, v. 3).

* Les prodiges, d’autre part, révèlent la colère des dieux, notamment lorsqu’un nefas a été accompli par les hommes (nefas désigne un acte contraire aux volontés divines, aux lois religieuses ou naturelles). Ici, le nefas est le meurtre de César, comme l’indique l’ablatif absolu exstincto Caesare du v. 4. On note que le soleil est sujet de la proposition miseratus <est> Romam.

- Virgile, à partir du v. 4, se livre à une énumération de tous les prodiges, de tous les signes (signa, v. 9) qui ont pu être recensés après la mort de César (illo tempore, v. 7 ; tempore eodem, v. 21), et par lesquels les dieux ont manifesté aux hommes leur tristesse et leur colère :

* une éclipse solaire (v. 5-6) : le soleil semble se couvrir d’une couleur rouge ;

* des signa (v. 9) – ici de mauvais présages –, donnés par la terre, les mers, les chiens et les oiseaux (l’observation du vol des oiseaux dans le ciel était l’une des manières d’interroger l’avenir et les dieux ; les autres sources de signa sont évoquées dans la suite du texte) ;

* des éruptions volcaniques (référence aux éruptions de l’Etna), v. 9-11 ;

* un bruit d’armes (armorum sonitus) entendu dans le ciel de Germanie (v. 12) ;

* des tremblements de terre (insolitis tremuerunt motibus Alpes) dans les Alpes (v. 13) ;

* une voix (vox ingens) entendue dans des bois sacrés (v. 14-15) ;

* l’apparition de fantômes (simulacra), v. 15 ;

* des bêtes qui parlent (pecudes locutae <sunt>), v. 16-17 ;

* l’assèchement de cours d’eau (sistunt amnes) et l’apparition de gouffres (terrae dehiscunt), v. 17 ;

* l’apparition de liquides (interprétés comme étant des larmes, ou de la sueur) sur les statues d’ivoire ou de bronze (ebur, aera) représentant les divinités (v. 18) ;

* les débordements de l’éridan (identifié habituellement avec le Pô, fleuve du nord de l’Italie), dont les eaux arrachent les arbres et entraînent les troupeaux (v. 19-21) ;

* des présages de mauvais augure lus dans les entrailles des animaux sacrifiés aux dieux, v. 22 (fibrae désigne ici les lobes du foie des animaux, que l’on faisait examiner par des devins appelés haruspices) ;

* du sang (cruor) apparaissant dans l’eau des puits (puteis), v. 23 ;

* les hurlements des loups (lupis ululantibus), pendant la nuit (per noctem), v. 24 ;

* des phénomènes célestes inexpliqués : foudre (fulgura) tombant d’un ciel serein (= sans nuages) et apparition de comètes (cometae), v. 26.

 

Transition : Virgile prend donc soin d’énumérer longuement tous les prodiges que les Romains purent observer après la mort de César. Mais cette liste n’est pas seulement un catalogue de phénomènes destiné à satisfaire la curiosité du lecteur ou son goût pour l’étrangeté et le surnaturel ; elle possède une portée beaucoup plus profonde.

 

II. Un texte épique, didactique, aux dimensions politique et philosophique :

Ce texte relève à la fois du registre épique et du registre didactique. Il ne faut pas oublier en effet que Virgile s'inscrit dans un genre littéraire déjà illustré précédemment, entre autres, par le De rerum natura (De la nature) du poète Lucrèce (Ière moitié du Ier s. av. J.-C.), dont la caractéristique est de mêler science et poésie.

 

1) Un texte épique :

Ce passage relève du genre épique par plusieurs de ses caractéristiques :

- le type de vers utilisé tout d’abord, l’hexamètre dactylique (vers traditionnellement utilisé dans les épopées, telles que l’énéide par exemple), montre la volonté de Virgile de faire œuvre poétique ;

- la description grandiose des phénomènes, qui sont ici présentés dans une accumulation évoquant un cataclysme universel, un tableau épique de fin du monde où tous les éléments se déchaînent :

* personnification du soleil, assimilé à un héros ou un prophète (pronom laudatif ille, fréquemment utilisé pour les héros épiques, v. 2) et éprouvant un sentiment de pitié à l’égard des hommes (miseratus <est> Romam, v. 4).   Anthropomorphisme : Virgile évoque la tête du soleil (caput, v. 5), et celui-ci est le sujet du verbe d’action texit → le soleil  se voile la tête, en signe d’affliction, de deuil. Personnification aussi de l’éridan, qualifié de fluviorum rex (v. 20), et de l’ivoire ou du bronze des statues, à qui Virgile prête des sentiments (et maestum inlacrimat templis ebur aeraque sudant, v. 18).

* omniprésence des termes évoquant les différents sens : la vue, avec notamment une opposition entre lumière et obscurité (caput nitidum, obscura ferrugine, v. 5 ; noctem, v. 6 ; vidimus, v. 10 ; flammarum globos, v. 11 ; simulacra pallentia visa sub obscurum noctis, v. 15-16) ; l’ouïe, et plus particulièrement les sons effrayants, avec une opposition entre le silence et le bruit (armorum sonitum audiit, v. 12-13 ; vox ingens exaudita <est> per lucos silentes, v. 14-15 ; pecudes locutae <sunt>, v. 16).

* fréquence des adjectifs qualificatifs descriptifs (obscura, nitidum, v. 5 ; ingens, mis en évidence par le rejet du v. 15 ; altae, v. 23, etc.). Certains passages, par la fréquence des adjectifs ou participes descriptifs, relèvent de l’hypotypose (figure de style consistant en une description réaliste, animée et frappante de la scène dont on veut donner une représentation imagée et comme vécue à l'instant de son expression) : description des éruptions de l’Etna (v. 9-11), et description des crues de l’éridan (v. 19-21).

* insistance sur le nombre et la fréquence des prodiges survenus au moment de la mort de César : adverbe quotiens, v. 9 ; nombreux adverbes d’addition et C.C.Temps (tempore quamquam illo… quoque, v. 7 ; -que… -que, v. 8 et v. 11 ; quoque, v. 14 ; tempore eodem, v. 21 ; aut… aut…, v. 22-23, etc.).

* abondance des verbes d’action et de mouvement décrivant le déchaînement des éléments : undantem, ruptis fornacibus (v. 10), volvere (v. 11), tremuerunt (v. 13), dehiscunt (v. 17), proluit (v. 19), etc. Passage du parfait au présent de narration aux v. 17 et 18 (sistunt, dehiscunt, inlacrimat, sudant) → la scène est décrite comme si elle se déroulait sous les yeux du lecteur. La syntaxe perturbée de certains vers semble mimer le chaos provoqué par le meurtre de Jules César dans l’ordre de la nature (par ex. v. 5 : caput obscura nitidum ferrugine).

- les références mythologiques et les allusions aux poèmes épiques antérieurs par l’onomastique (utilisation de noms propres) : les Cyclopes sont évoqués à propos des éruptions de l’Etna (en effet, la Sicile est l’une des îles où les Anciens – Homère par ex., dans l’Odyssée – situaient les Cyclopes) ; l’éridan est à l’origine un fleuve légendaire, placé dans le nord par l’historien grec Hérodote, et identifié plus tard avec le Pô.

 

2) Un texte didactique :

Les chants des Géorgiques sont des poèmes didactiques ; les objectifs de Virgile sont ici multiples :

a) Démontrer la véracité des prodiges : le poète semble vouloir démontrer que les phénomènes naturels, et en particulier les astres, possèdent une signification et sont intimement liés aux activités humaines. Le caractère argumentatif du texte apparaît à travers différents procédés :

- la question rhétorique des v. 1-2 : Solem quis… audeat ?, qui introduit la démonstration.

- l’affirmation d’une vérité : utilisation de l’épithète falsum, v. 1 (les 2 premiers vers affirment que le soleil ne peut être qualifié de trompeur = il est toujours porteur d’une vérité), du présent de vérité générale, accompagné de l’adverbe saepe, au v. 3 (saepe monet), répétition anaphorique de ille etiam, v. 2 et 4 (« Oui, c’est lui qui… c’est lui qui... »).

- Virgile affirme en même temps la valeur religieuse et sacrée des présages, comme le montre la mise en évidence du verbe audeat par le rejet du v. 2 → oser dire que le soleil n’est pas porteur de présage est un sacrilège. 

 

b) Délivrer un message à la fois politique et philosophique : une fois la véracité des prodiges affirmée dans les premiers vers du passage, Virgile délivre un message à la fois politique et philosophique s’appuyant sur l’interprétation des différents phénomènes observés :

- le message politique : les allusions à l’actualité récente de Rome font de ce passage un poème de dimension politique.

* Les noms propres employés par Virgile font explicitement référence au meurtre de César, en mars 44 av. J.-C. (v. 4 : exstincto Caesare), au monde romain (Romam, v. 1 ; la Sicile, évoquée à travers la référence à l’Etna, v. 10 ; Alpes, v. 13, etc.) et à la politique étrangère romaine (la Germanie, citée au v. 12, fait allusion aux guerres de conquêtes entreprises par les Romains au nord de l’Europe depuis Jules César).

* Le texte semble dénoncer la violence qui sévit dans l’empire romain depuis le début des guerres civiles, auxquelles l’expression impia saecula fait allusion (v. 6). Il dénonce en particulier le nefas (acte sacrilège) que représente le meurtre de César, ce qui semble montrer la volonté de Virgile de louer Octavien (seul au pouvoir à Rome depuis 31 av. J-C.) à travers son père adoptif Jules César (ce dernier est d’ailleurs implicitement comparé à un astre dans l’ablatif absolu exstincto Caesare du v. 4, le sens premier du verbe exstinguo étant « éteindre »).

* Les prodiges qui suivirent l’assassinat de César sont présentés comme un châtiment divin, comme l’indique bien l’adjectif impia du v. 6, et la concomitance des événements, soulignée par l’ablatif absolu exstincto Caesare et les C.C.Temps tempore illo, v. 7, et tempore eodem, v. 21 ; de même, l’utilisation du parfait, indiquant une action délimitée dans le temps, montre cette concomitance des événements (timuerunt saecula aeternam noctem, v. 6). Aux guerres et aux violences humaines (fraudem, bella, v. 3), les dieux répondent par des prodiges effrayants (champ lexical de la menace, voire de l’horreur et du surnaturel : timuerunt aeternam noctem, v. 6 ; obscenae, importunae, v. 8 ; insolitis, v. 13 ; vox… ingens, l’adjectif étant mis en évidence par le rejet du v. 15 ; infandum !, v. 17 ; tristibus, minaces, v. 22 ; cruor, v. 23, etc.).

→ Tous ces procédés tendent à présenter Octavien comme l’héritier légitime de César (il est le fils adoptif de César, qui l’avait choisi pour hériter politique, or les dieux ont désapprouvé l’assassinat de César et l’ont montré à travers de nombreux prodiges effrayants).

 

- la dimension philosophique : au-delà du message politique, il faut peut-être voir dans ce catalogue de prodiges un poème écrit à la gloire de la nature et du divin, et célébrant l’harmonie universelle.

- On peut remarquer la présence du lexique des différents règnes (animal, végétal, minéral, humain) : les animaux sont représentés par les chiens (canes, v. 8), les oiseaux (volucres, v. 8), le bétail (pecudes, v. 16 et armenta, v. 21), les loups (lupis ululantibus, v. 24) ; les végétaux par les forêts (lucos, v. 14 ; silvas, v. 19) ; le règne minéral par les roches et la lave (liquefacta… saxa, v. 11) et le métal (aera, v. 18) ; l’humain par les villes et leurs bâtiments (Romam, v. 4 ; templis, v. 18 ; urbes, v. 24).

- On a noté également la présence des différents éléments : eau, air, terre, feu (cf. I, 1).

- On note enfin l’imbrication du naturel et du surnaturel, de l’humain et du divin ; le monde est animé par l’esprit divin : personnification de l’Etna et du Pô, représentés sous leur forme anthropomorphique et mythologique, cf. II, 1 ; présence d’une voix étrange entendue dans les bois consacrés aux dieux (vox ingens, qui pourrait être celle d’une divinité, v. 14-15), présence de fantômes (simulacra pallentia, v. 15), phénomènes surnaturels (larmes versées par les statues des dieux, v. 18, etc.) → tout cela est étroitement mêlé aux évocations plus concrètes et familières des troupeaux, des villes humaines, de la nature italienne, etc.

→ Tout cela tend à montrer que, pour Virgile, la nature constitue un tout, dont l’harmonie ne doit pas être brisée par la violence et l’impiété des hommes (les guerres civiles, puis l’assassinat de César ont provoqué une rupture dans l’harmonie universelle, d’où l’apparition de prodiges).

Exemple de conclusion :

  • Bilan des idées et procédés principaux
  • Exemples d’ouvertures possibles (sur d’autres œuvres : textes, peintures, films, etc.)

Avec ce poème qui se présente comme un catalogue de prodiges, Virgile n'a donc pas seulement pour objectif de satisfaire le goût de ses lecteurs pour l’étrange et le surnaturel : il développe, à destination de ses contemporains, une vision du monde empreinte de philosophie, affirmant l’existence d’une harmonie universelle. On peut y voir aussi le reflet de sentiments personnels – haine de la violence, lassitude après les longues guerres civiles connues par Rome –, un éloge d’Octavien à travers son père adoptif Jules César, et l’espérance d’un retour à la paix sous l’égide de l’héritier du grand homme assassiné. Cette interprétation à la fois politique et philosophique des phénomènes naturels est une constante dans la civilisation romaine, comme le montrent par exemple les pièces de monnaie représentant la « comète » apparue après la mort de César, interprétée comme étant l’âme du dictateur montée au ciel puis comme le signe de sa déification. Après Virgile, le poète Ovide, dans le livre XV de ses Métamorphoses, fera lui aussi une liste de prodiges, présentés comme les signes annonciateurs de la mort de César, avant de célébrer l’apothéose du dictateur, dont l’âme atteignit le ciel sous la forme d’une comète ou d’une étoile brillante, connue désormais sous le nom d’ « étoile julienne » ou « étoile de César ».

 

 

Prolongements ( documents iconographiques, questionnaires et corrigés ; texte complémentaire, questionnaire et corrigé)

 

A) Numismatique : pièce frappée par Auguste vers -19 :

 

monnaie
Pièce frappée par Auguste : avers, profil de César; revers, comète à huit branches © wikimedia commons
 

 

Que représente, à votre avis, cette pièce frappée par Auguste vers -19 ou -18  ? Pour approfondir, recherchez la signification de l’expression sidus Iulium.

Cette pièce célèbre Auguste (sur l’avers, on lit : CAESAR AVGVSTVS) et son père adoptif Jules César (DIVVS IVLIVS : « le divin Jules »), dont la déification est symbolisée par une sorte de comète, représentée sur le revers. Cette « comète » fait référence au phénomène céleste qui apparut dans le ciel en juillet 44 av. J.-C., quatre mois après l’assassinat de Jules César, et qui fut ensuite appelé par les auteurs antiques Sidus Iulium (étoile julienne) ou Caesaris astrum (étoile de César).

 

B) Ovide, Métamorphoses, chant XV : l’apothéose de César

à la fin du livre XV des Métamorphoses d’Ovide, Vénus, mère du héros troyen Énée, se lamente sur le sort de son dernier descendant, Jules César (qui se disait issu de la famille d’Iule, le fils d’Énée), sur le point d’être assassiné.

 

Talia nequiquam toto Venus anxia caelo
verba jacit superosque movet, qui rumpere quamquam
ferrea non possunt veterum decreta sororum,
signa tamen luctus dant haut incerta futuri ;
arma ferunt inter nigras crepitantia nubes
terribilesque tubas auditaque cornua caelo
praemonuisse nefas ; solis quoque tristis imago
lurida sollicitis praebebat lumina terris ;
saepe faces visae mediis ardere sub astris,
saepe inter nimbos guttae cecidere cruentae ;
caerulus et vultum ferrugine Lucifer atra
sparsus erat, sparsi lunares sanguine currus ;
tristia mille locis Stygius dedit omina bubo,
mille locis lacrimavit ebur, cantusque feruntur
auditi sanctis et verba minantia lucis.
Victima nulla litat, magnosque instare tumultus
fibra monet, caesumque caput reperitur in extis,
inque foro circumque domos et templa deorum
nocturnos ululasse canes umbrasque silentum
erravisse ferunt motamque tremoribus urbem.
Non tamen insidias venturaque vincere fata
praemonitus potuere deum, strictique feruntur
in templum gladii : neque enim locus ullus in urbe
ad facinus diramque placet nisi curia caedem.

 

Telles sont les plaintes dont Vénus, dans son anxiété, remplit inutilement les espaces célestes, excitant la pitié des dieux ; ils ne peuvent briser les arrêts de fer des vénérables sœurs1 ; mais ils donnent des signes certains du malheur qui s’apprête. Le fracas des armes au milieu de noirs nuages, le bruit terrible des trompettes et des cors, qui faisait retentir le ciel, annoncèrent, dit-on, l’attentat ; un soleil lugubre, qui n’était plus que l’image de lui-même, dispensait une lumière livide à la terre alarmée. Souvent on vit des torches2 s’enflammer au-dessus des astres voisins ; souvent avec la pluie tombèrent des gouttes de sang ; un bleu sombre et la couleur de la rouille couvrirent le visage de Lucifer3 ; le char de la Lune fut souillé de sang ; en mille endroits le hibou, oiseau du Styx, donna des présages sinistres ; en mille endroits on vit pleurer l’ivoire4, on entendit, assure-t-on, dans les bois sacrés, des chants et des paroles menaçants. Aucune victime ne fournit de présages favorables ; les entrailles annoncent que de grands troubles sont proches ; on trouve dans les viscères l’extrémité du foie entamée par le couteau5 ; la tradition rapporte encore que dans le forum, autour des maisons et des temples des dieux, des chiens hurlèrent pendant la nuit ; on vit errer des spectres, ombres des morts silencieux et Rome fut secouée par des tremblements de terre. Cependant les avertissements des dieux n’ont pu triompher de la trahison et du destin : on apporte dans un temple des épées nues ; car aucun lieu dans la ville ne semble plus favorable que la curie à ce crime, à ce meurtre abominable.

 

1. Les trois Parques.

2. Étoiles filantes et météores divers.

3. L’étoile du matin.

4. C’est-à-dire les statues des dieux faites en partie d’ivoire.

5. Présage funeste attribué à la maladresse du sacrificateur.

 

Jupiter, pour rassurer Vénus, lui dévoile ce que le destin réserve à Jules César puis à son fils adoptif, Octave, futur empereur Auguste, jusqu’à sa mort, évoquée dans ces deux vers :

 

« Hic sua complevit, pro quo, Cytherea, laboras,
Tempora perfectis, quos terrae debuit, annis.
Vt deus accedat caelo templisque colatur,
Tu facies natusque suus […].
Nec nisi cum senior Pylios aequaverit annos,
Aetherias sedes cognataque sidera tanget. »

 

« Celui [= Jules César] pour qui tu prends tant de peine, Cythérée1, a fait son temps, il est parvenu au terme des années qu’il devait à la terre. Il deviendra un dieu qui montera au ciel et recevra un culte dans les temples ; ce sera ton œuvre et celle de son fils. […] Enfin, mais, seulement après avoir égalé le grand âge du vieillard de Pylos2, [Auguste] entrera au séjour éthéré, au milieu des astres de sa famille. »

1. Cytherea est le nom donné parfois à la déesse Vénus, adorée sur l’île de Cythère (île de la mer Égée, consacrée à Vénus).

2. Nestor, souverain légendaire de la cité de Pylos, en Grèce.

 

Enfin, Jupiter ordonne à Vénus d’emporter l’âme de César assassiné :

« Hanc animam interea caeso de corpore raptam
Fac jubar, ut semper Capitolia nostra forumque
Divus ab excelsa prospectet Julius aede. »
Vix ea fatus erat, media cum sede senatus
Constitit alma Venus, nulli cernenda, suique
Caesaris eripuit membris nec in aera solvi
Passa recentem animam caelestibus intulit astris ;
Dumque tulit, lumen capere atque ignescere sensit
Emisitque sinu ; Juna volat altius illa
Flammiferumque trahens spatioso limite crinem
Stella micat ; natique videns benefacta fatetur
Esse suis majora et vinci gaudet ab illo.

Publius Ovidius Naso, Metamorphoseon libri, XV, 816-851 (extraits)

 

« Cependant emporte avec toi cette âme qui s’échappe de son corps immolé et change-la en étoile, pour que le divin Jules veille à tout jamais  du haut des célestes demeures sur notre Capitole et sur le forum. » Il avait à peine fini de parler que la bonne Vénus s’arrête au milieu du palais du sénat ; invisible pour tous, elle enlève du corps de son cher César l’âme qui vient de s’en séparer et, pour l’empêcher de se dissiper dans les airs, elle la porte au milieu des astres du ciel ; cependant elle s’aperçoit que cette âme s’illumine et s’embrase ; elle la laisse échapper de son sein ; l’âme s’envole au-dessus de la lune et, traînant après soi, à travers l’espace, une chevelure de flamme, elle prend la forme d’une étoile brillante ; lorsqu’elle voit de là-haut les exploits de son fils, elle reconnaît qu’ils surpassent les siens et se réjouit d’être vaincue par lui. 

Ovide (poète romain de la deuxième moitié du Ier siècle av. J.-C. et du début du Ier siècle ap. J.-C.), Les Métamorphoses, Livre XV, vers 779-851 (extraits), traduction et notes de G. Lafaye..

a) Ovide relate l’apothéose de Jules César. Recherchez la définition de ce terme et son étymologie. Quels sens ce terme a-t-il en français ?

L’apothéose est l’admission posthume d’un être humain parmi les dieux, ou déification. Le terme vient du latin apotheosis (« déification »), lui-même issu du grec ancien ἀποθέωσις (apotheosis), dérivé de θεός / theós (« dieu ») et de ἀπό / apo (préfixe qui indique la séparation, la distinction, le changement). En français, le terme « apothéose » a pris, au sens figuré, le sens de beauté, de grandeur surhumaine, d’épanouissement sublime.

b) Résumez ces trois extraits d’Ovide. Que sont les cognata sidera du v. 30 ?

Ovide énumère d’abord tous les signes (signa, v. 4) qui annoncèrent l’assassinat de César, avant d’évoquer brièvement l’événement lui-même, qui se déroule dans la curie.

Ensuite, le poète annonce l’apothéose de Jules César : ut deus accedat caelo templisque colatur (« il accédera au ciel en tant que dieu et sera honoré dans les temples »). Cette déification interviendra après sa mort (v. 25-26). Puis, le poète annonce celle du fils adoptif de Jules César, Octave, qui deviendra empereur sous le nom d’Auguste : aetherias sedes cognataque sidera tanget (« il touchera les demeures célestes et les astres qui lui sont apparentés »). Les cognata sidera (« astres de sa famille ») désignent Jules César divinisé (monté au ciel, après son assassinat, sous la forme d’une étoile brillante), et l’étoile de Vénus (selon la légende, Vénus serait la mère d’Énée, et Jules César se disait descendant du fils d’Énée, Iule).

Enfin, Jupiter ordonne à Vénus d’emporter au ciel de l’âme de César, pour la changer en étoile (jubar, jubaris, n., désigne la lumière des corps célestes, v. 32). Il donne à Jules César l’épithète de divus (Divus Julius, « le divin Jules », v. 33). Le poète décrit précisément la montée au ciel de César et son apothéose : l’âme est portée au milieu des astres du ciel (animam caelestibus intulit astris : « elle porta l’âme dans les astres célestes », v. 37) et devient une étoile brillante ou une comète (flammiferum… trahens… crinem : « traînant une chevelure enflammée », v. 40).

c) Comparez le texte d’Ovide à celui de Virgile :

On peut relever, à la lecture de ces deux textes, à la fois des points communs et des différences :

- Points communs :

Le texte d’Ovide se présente sous la forme d’une accumulation de présages sinistres, dont certains sont déjà évoqués par Virgile : bruit d’armes dans le ciel, éclipse solaire et autres phénomènes célestes comme les « torches », apparition de sang dans l’eau, larmes qui coulent sur les statues d’ivoire, voix entendues dans les bois sacrés, présages défavorables observés dans les entrailles des victimes sacrifiées, hurlements des chiens ou des loups, apparition de spectres, tremblements de terre.

- Différences :

Ovide place ces présages avant la mort de César et en fait des avertissements : « signes certains du malheur qui s’apprête » (v. 4). Les autres témoignages antiques, comme Ovide et contrairement à Virgile, parlent aussi de présages antérieurs à la mort de César.

De plus, l’apparition de la comète ou de l’étoile brillante est interprétée non plus comme un simple phénomène étrange parmi d’autres, mais comme un événement beaucoup plus signifiant : ce serait l’âme de César montant au ciel en s’embrasant et en prenant la forme d’une étoile brillante (stella, v. 41) traînant une chevelure de feu derrière elle (flammiferum crinem, v. 40-41), et donc le signe son apothéose.

 

C) Tableau de Füger (1751–1818), L’Assassinat  de Jules César (1815)

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- Les gestes et les personnages :

Au centre de la composition, on reconnaît César, en position de faiblesse, presque à genoux alors que les autres personnages sont debout ; il esquisse un geste défensif de la main droite, dirigé contre un groupe de plusieurs hommes parmi lesquels figurent les assassins, qui portent un couteau et empêchent d’autres hommes d’intervenir par leurs gestes. À droite de César, un personnage paraît saisir son vêtement : c’était le signe choisi par les conjurés pour le passage à l’action. Certains personnages semblent ne pas oser s’approcher (à gauche) tandis que d’autres regardent avec curiosité (par exemple le personnage accroupi à droite).

- La lumière et les couleurs :

La lumière, venue de l’extérieur, éclaire le groupe formé par César et les conjurés. Elle permet de mettre en évidence les gestes et les objets : le couteau brandi au-dessus du cou de César ; le geste de César en direction des conjurés. L’œil est attiré par la couleur pourpre de la cape portée par César, ainsi que par la blancheur de la tunique de son assassin le plus proche, qui peut être Brutus ou Cassius.

- Décor/arrière-plan :

Le décor est somptueux (on distingue des colonnes, une statue) mais austère ; il est censé représenter le Sénat romain. César s’affaisse sous les coups de ses assassins juste au-dessous de la statue qui représente un homme (Pompée, rival de César éliminé par celui-ci) portant dans sa main droite un globe, que l’on peut identifier avec le globe terrestre. Le tableau présente donc une disposition symbolique : sur la même ligne verticale sont représentées la puissance et la faiblesse humaines, la gloire et la déchéance. Il faut rappeler qu’au moment de son assassinat, César venait d’être nommé dictateur à vie, et que César et Pompée étaient deux rivaux politiques,  tous deux morts assassinés. Ainsi, le tableau illustre la vanité, la fragilité des puissances terrestres, à travers deux exemples des vicissitudes de l’histoire, Pompée et César.

Cependant, la lumière qui arrive de l’extérieur forme une diagonale qui relie César à une comète ou étoile brillante apparaissant sur un ciel de couleur sombre, encombré de nuages. Le peintre a sans doute voulu faire allusion à l’ « étoile de César », interprétée parfois, dans l’Antiquité, comme étant l’âme de César montée au ciel et la preuve de sa déification. Pour le spectateur moderne, ce phénomène céleste peut être le symbole de la destinée de César, qui a profondément marqué l’histoire et le monde européen.

Texte + analyse et traduction à compléter (exemplaire destiné à l’élève) + Corrigé :

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