Poisson d'avril, d'hier et d'aujourd'hui

Comme je le dis toujours à mes élèves : « L’étymologie, c’est ce qui vous fera briller lors d’un repas de famille ! ». Voici donc de quoi empoissonner vos repas à venir, et ne pas rester "muet comme un poisson" comme l’écrit Rabelais (… comme une carpe, dirait-on aujourd’hui) !

ΙΧΘΥΣ

En grec ancien, le terme ἰχθύς (ichtys) désigne de manière générique le poisson. On trouve des noms apparentés en lituanien et en arménien, ce qui prouverait son origine indo-européenne.

Il connaît de nombreux composés et dérivés, dont l’adjectif ἰχθυοφάγος ichtyophage (du radical φαγ-, «manger») pour qualifier une personne ou un animal « qui se nourrit (principalement) de poisson »… autrement dit un piscivore !

Homère, quant à lui, affirme que « la haute mer est poissonneuse » (πόντος ἰχθυόεν), cette mer qui porte Ulysse et ses compagnons vers des contrées inconnues et dangereuse, comme dans ce passage où, tout juste arrivés chez les Lotophages «  qui se nourrissent de fleurs » (οἵ τ’ ἄνθινον εἶδαρ ἔδουσιν), ils partent en reconnaissance après avoir mangé leur pain (σῖτον) et bu leur boisson (Odyssée IX, 83). A chacun son régime alimentaire, révélateur de la culture et du monde auquel il appartient.

En français, le radical icthyo- se rencontre dans des composés de la langue scientifique. En zoologie, l’ichtyologie est la partie qui étudie les poissons. En paléontologie, l’ichtyosaure (de sauros, « lézard ») et l’ichtyornis (de ornis, ornithos, l’oiseau) désignent respectivement les fossiles d’un reptile et d’un oiseau. En médecine, l’ichtyose correspond à une maladie de peau, lorsque cette dernière s’épaissit et se couvre d’écailles.

En grec moderne, le nom ancien a fait place à ψάρι (psari), réduction du nom neutre ὄψαριον (opsarion) désignant un « plat à griller » (du verbe ὀπτάω, « rôtir, griller »). Lorsqu’on prononce ce doux mot de psari, ne salive-t-on pas d’ailleurs, comme à l’idée de savourer un bon poisson grillé ?

Enfin, dès les premiers temps du christianisme, le poisson devient un symbole du Christ. Même si l’origine exacte de ce symbole fait débat, on lit dans le nom ΙΧΘΥΣ l’acronyme du Messie : Ιησούς Χριστός Θεοῦ Ὑιός Σωτήρ, « Jésus Christ, Fils de Dieu, Sauveur ».

PISCIS

Mais d’où vient notre poisson ? Du latin, bien sûr.

Le nom masculin piscis,-is a donné les formes peis et pois en ancien français, très proches de l’italien pesce, l’espagnol pez ou le portugais peixe. Le mot s’est vu ajouter au XIIe siècle un suffixe pour le différencier d’homonymes (le pois, le poids).

Le radical pisci- se retrouvent dans les noms piscine (« bassin », « vivier »), pisciculture et pisciculteur (« élevage / éleveur de poissons »), piscivore (qui se nourrit de poisson »), ou encore dans l’adjectif pisciforme (« de la forme d’un poisson »).

Sur l’étal des expressions françaises, les poissons sont légion ! Être heureux comme un poisson dans l’eau, finir en queue de poisson (Balzac, d’après Horace décrivant la Sirène qui desinit in piscem, « (dont le corps) finit en poisson »), eng****** comme du poisson pourri !  (qui n’est pas sans évoquer le combat chronique d’un couple de commerçants gaulois dans une bande-dessinée que nous connaissons tous : « Il est pas frais mon poisson ? »).

Reste à élucider la question que vous vous posez tous depuis les premières lignes : quelle est l’origine de ce « poisson d’avril », accroché-là en titre comme un appât ? Apparue au XVe siècle, la locution a le sens figuré d’ « entremetteur » : elle désigne un jeune garçon chargé de porter un message d’amour à la belle de la part de son maître. Le mois d’avril est choisi, semble-t-il, parce qu’il correspond au début du printemps, saison de la renaissance des amours ! Du « poisson d’avril », intermédiaire amoureux, au « maquereau », poisson qui se pêche de manière opportune en avril ou « souteneur », « proxénète », il n’y a qu’un pas (franchi au XVIe siècle d’ailleurs).

Quant à la coutume d’accrocher un poisson dans le dos, dont l’origine remonterait à la fin du XVIIe siècle, elle est loin de trouver une explication univoque. Aussi – vous ne m’en voudrez pas – terminerai-je là cette rubrique, en queue de poisson.

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