L'esclavage à Athènes à l'époque classique

Origines des esclaves

Si l'étranger, le barbaros, est par nature considéré comme un esclave en puissance, de nombreux Grecs aussi étaient esclaves.

• La cause première est la guerre, mais elle n'est pas la seule.

Lors de la guerre qui oppose les Méliens aux Athéniens, les Méliens sont finalement exécutés. Les femmes et les enfants sont réduits en esclavage. »
Thucydide, Histoire de la Guerre du Péloponnèse, V, 116

• Les attaques de pirates conduisent également les victimes à être vendues comme esclaves.
• Avant Solon, à Athènes, on pouvait aussi être réduit en esclavage pour dettes. Solon interdit également aux pères de vendre  leurs enfants - sauf une fille qui se serait laissée séduire.

« Les pauvres accablés par les dettes qu'ils avaient contractées envers les «riches, étaient contraints de leur céder le sixième du produit de leurs terres; ce qui leur faisait donner le nom de sixenaires et de mercenaires; ou bien, réduits à engager leurs propres personnes, ils se livraient au pouvoir de leurs créanciers, qui les retenaient comme esclaves ou les envoyaient vendre en pays étranger ; plusieurs même étaient forcés de vendre leurs propres enfants, ce qu'aucune loi ne défendait, ou ils fuyaient leur patrie pour se dérober à la cruauté des usuriers. »
Plutarque, Vie des hommes illustres, Solon (traduction de P. Ricard 1844).

• une des sources les plus importantes demeure l'exposition  des enfants : en effet l'enfant exposé pouvait être recueilli et devenait esclave. Certains en faisaient le commerce.

Par ailleurs un certain nombre d'enfants naissaient dans la famille où leurs parents étaient esclaves : ils étaient naturellement esclaves. Il arrivait bien souvent que les enfants d'esclaves fussent exposés. Dans quelques cas, le maître pouvait accepter un enfant né dans la famille, notamment lors de la naissance d'un enfant légitime : ainsi la mère esclave pouvait servir de nourrice et le jeune enfant de compagnon pour le jeune maître.

Comment vendre et acheter un esclave ?

Un texte tardif de Lucien de Samosate donne une idée assez claire des conditions de vente :

• installation de la "marchandise"
• criée
• discussion sur les qualités propres de l'esclave
• discussion sur le prix.

Zeus : Nous allons vendre à la criée des sectes philosophiques de tout genre et de toute espèce. Ceux qui ne pourront pas payer comptant, payeront l’année prochaine, en donnant caution.
Hermès :  La foule arrive : il ne faut pas tarder, ni les faire attendre davantage. 
Zeus : Eh bien, vendons !
Hermès : Qui veux-tu que nous mettions le premier en vente ?
Zeus : Cet Ionien aux longs cheveux ; il m’a l’air d’un homme respectable. 
Hermès : Hé ! le Pythagoricien, descends et fais-toi voir par ceux qui sont ici réunis.
Lucien de Samosate, Les sectes à l'encan

Il y eut dans l'antiquité de grands marchés d'esclaves. Le plus célèbre entre le IVe et le IIe siècle est celui de Délos. Mais il y avait aussi des marchés à Chios, Chypre et Athènes. Les Athéniens tiennent un marché aux esclaves tous les mois au renouvellement de la lune ; un autre marché se tient au cap Sounion pour les esclaves destinés aux mines.

Le prix des esclaves

Le prix moyen de l'esclave adulte est de 178 drachmes en 414. Certains esclaves spécialisés pouvaient valoir beaucoup plus, notamment les courtisanes dont le prix pouvait dépasser 1000 drachmes. L'ouvrier qualifié à la même époque gagne une drachme par jour. Au Ve siècle on trouve les prix suivants :

• esclave syrien : 300 / 240 drachmes
• esclave thrace : 195/ 115 drachmes
• servante pour la maison : 220 / 135 drachmes.

Mais les esclaves "qualifiés" pouvaient coûter beaucoup plus cher, comme le surveillant des mines d'argent que Nicias paie un talent.

Dis-moi, Antisthène, lui demanda-t-il, y a-t-il un tarif pour les amis, comme pour les esclaves? Parmi les esclaves, l'un vaut deux mines, l'autre pas même la moitié d'une ; celui-ci en vaut cinq, celui-là six. Nicias ; même, fils de Nicératus, paya, dit-on, un talent l'intendant de ses mines d'argent.
Xénophon, Mémorables II, 5, 2

Nombre des esclaves

Yvon Garlan présente le relevé suivant pour les pièces du poète comique Aristophane :

Pièce	Date	Maître	Classe sociale	Nbre total	Hommes	Femmes
Acharniens	427	Dicéopolis	paysan moyen	4	2	2
Cavaliers	426	Démos	paysan moyen	4	4	?
Nuées	425	Strepsiade	paysan moyen	2	1	?
Guêpes	422	Bdélycléon	riche	7-8	6	1-2
Paix	421	Tryglée	paysan	2	2	?
Paix	421	Choristes	paysan	3	1	2
Grenouilles	405	Pluton	riche	5-8	4-7	1
Assemblée	392	Chrémès	paysan	3	2	1
Ploutos	388	Chrémyle	paysan	3	1	2

Comme on le voit, pour les esclaves domestiques, le nombre tourne autour d' un maximum de huit esclaves et d'un minimum d'un esclave. On sait que Socrate lui-même avait un esclave. Mais les plus pauvres ne pouvaient pas même en acquérir : ainsi l'Invalide de Lysias rappelle qu'il n'a "pas même pu acquérir un esclave" qui puisse subvenir à ses besoins. Les esclaves employés dans les fabriques ou loués pour les mines pouvaient être très nombreux. On sait que Stéphanos, le père de Lysias possédait une fabrique qui employait 120 esclaves. Et l'on connaît un propriétaire qui avait loué 1000 esclaves pour les mines. C'est pourquoi les chiffres proposés par V. Erhemberg paraissent très raisonnables. Démétrius de Phalères (IVe s.) parle de 400 000 esclaves en face de 21 000 citoyens...

Comment traiter les esclaves ?

Le travail

Par définition l'esclave peut être utilisé pour n'importe quel emploi, les travaux domestiques, les travaux aux champs, la voirie, les mines ; il peut aussi être acheté ou formé pour devenir banquier. L'esclave entre bien souvent en concurrence avec l'homme libre pauvre pour de nombreux emplois dans l'artisanat : il peut ainsi être potier, forgeron, tailleur de pierre, etc. Le maître loue alors son travail et reçoit la rémunération.

La violence

S'il était permis au maître de châtier son esclave, notamment avec le fouet, au IVe siècle, il était interdit de le tuer. Dans le dialogue Eutyphron, Platon donne la parole à un fils qui poursuit en justice son père. Celui-ci a châtié l’un des ouvriers de son domaine lequel, ivre et éméché, avait tué un esclave. Oublié dans une fosse, à son tour, le meurtrier meurt de faim et de froid.

Un de nos fermiers tenait une de nos terres quand nous demeurions à Naxos. Un jour, qu’il avait trop bu, il s’emporta si violemment contre un esclave, qu’il le tua. Mon père le fit mettre dans une basse-fosse, pieds et poings lies, et sur l’heure même il envoya ici consulter l’exégète pour savoir ce qu’il devait faire, et pendant ce temps-là, négligea le prisonnier, comme un assassin dont la vie n’était d’aucune conséquence ; aussi en mourut-il ; la faim, le froid et la pesanteur de ses chaînes le tuèrent avant que l’homme que mon père avait envoyé fût de retour.
Platon, Eutyphron 4c-d

Les Lois montrent combien est variable la condition de l’esclave selon que le maître le traite « en bête sauvage » ou avec douceur et justice.

Certains n'ont aucune espèce de confiance dans la race des esclaves ; ils les mènent à coups d'aiguillons et de fouets comme des bêtes féroces, et rendent leur âme non pas seulement trois fois, mais dix fois plus esclave ; les autres font tout le contraire
Platon, Lois, livre VI, 777a

Toutefois, la domination sur l’esclave reste la règle générale. 
Les esclaves fugitifs ou indociles pouvaient être marqués au fer rouge. Lorsque le maître devenait trop dur, l'esclave avait quelques recours : il pouvait se réfugier dans certains temples et demander à être vendu à un autre maître.

Au tribunal

Les esclaves pouvaient dénoncer leur maître lorsqu'ils se rendaient coupables d'impiété ou de complot contre l'État. Ils pouvaient ainsi obtenir leur liberté... Rappelons aussi que les esclaves qui participèrent à la dénonciation dans l'affaire des Mystères furent protégés : on leur accorda l'impunité s'ils dénonçaient leurs maîtres !

C'était donc le jour où dans l'assemblée comparaissaient les stratèges de l'armée de Sicile, Nicias, Lamachos, Alcibiade, et le vaisseau amiral de Lamachos mouillait déjà hors de la rade. Pythonicos s'étant levé devant le peuple dit: « Athéniens, vous faites partir une armée et une expédition considérables et vous allez vous engager dans une dangereuse affaire. Eh bien, je vais vous prouver que le stratège Alcibiade célèbre les mystères dans une maison avec d'autres; et si vous décrétez l'impunité, comme je le demande, un esclave appartenant à quelqu'un qui est ici, quoique non initié, vous révélera les mystères; si non, faites de moi ce que vous voudrez, puisque j'aurai menti. »
Alcibiade ayant longuement protesté et nié, les prytanes décidèrent de faire retirer ceux qui n'étaient point initiés et de se rendre auprès de l'esclave que désignait Pythonicos; et ils partirent et ramenèrent un esclave de Polémarchos, nommé Andromachos. Après qu'ils lui eurent assuré par décret l'impunité, l'esclave dit que les cérémonies se faisaient dans la maison de Poulytion
Andocide, Sur les Mystères, 11-12, traduction A. Leconte, 1893

Sur le contexte historique, voir sur Odysseum : Alcibiade le magnifique, stratège et homme d'état.

Mais on pouvait aussi, dans tout procès, proposer ses esclaves comme témoins : leur témoignage n'était alors recevable que sous la torture car les Athéniens pensaient que c'était le moyen d'obtenir la vérité.

L'affaire, en ce qui nous concerne, présente de grandes difficultés. Aucune personne, soit libre, soit esclave, n'était auprès de Nicias lorsqu'il a déposé ou lorsqu'il a retiré ses fonds, de sorte qu'il est impossible de rien constater par la torture, non plus que par des témoins, et qu'il y a nécessité pour nous de montrer, et pour vous de décider, d'après des probabilités, quels sont ceux qui disent la vérité.
Isocrate, Contre Euthynus 4

Cela  favorisait  toutes sortes de manoeuvres et le procédé finit par faire partie de la stratégie judiciaire. Cependant les faux témoignages ne sont pas pour autant écartés.

Il est pourtant bien clair, j'imagine, que, si je ne livrais pas mes esclaves sur une sommation de Nicomaque, cela paraîtrait équivaloir à un aveu ; donc, puisqu'il les a refusés quand je les lui offrais, il est juste que vous ayez de lui la même opinion — d'autant que le danger n'est pas égal pour tous les deux car s'ils avaient parlé sur mon compte comme il le désirait, il ne m'était même plus possible de me défendre; au lieu que, s'ils ne confirmaient pas ses dires, il n'était passible d'aucune peine; il lui était donc bien plus naturel d'accepter l'offre qu'il n'était dans mes intérêts de la faire. J'ai poussé jusque-là la bonne volonté parce que je trouvais avantageux pour moi que vous eussiez tous les moyens d'information : torture, témoignages, indices.
Lysias, Sur l'olivier, 16 et 34-37.

Les esclaves et la religion familiale

"Un curieux usage, qui subsista longtemps dans les maisons athéniennes, nous montre comment l'esclave entrait dans la famille. On le faisait approcher du foyer ; on le mettait en présence des dieux domestiques ; on lui versait sur la tête de l'eau lustrale, et il partageait avec la famille quelques gâteaux et quelques fruits. Cette cérémonie était un peu analogue à celle du mariage ou celle de l'adoption. Elle signifiait sans doute que le nouvel arrivant, étranger la veille, serait désormais membre de la famille et en aurait la religion. Aussi l'esclave assistait-il aux prières et partageait-il les fêtes..."
Fustel de Coulanges, La cité antique, 1864

Les règles de Platon

Pour Platon, dans Les Lois, livres VI, IX, XI, l'esclavage est une affaire délicate.

 Comment faire ? Il donne les règles :

• avoir un nombre d'esclaves qui correspondent aux besoins
• avoir des esclaves qui ne soient pas du même pays et qui, autant que possible, ne parlent pas la même langue
• les bien traiter, non seulement pour eux-mêmes, mais plus encore en vue de notre propre intérêt...
• conserver distance et fermeté.

Diversité des conditions

L'esclave familial

Il est extrêmement rare qu'une famille ne possède pas au moins un esclave. Les plus pauvres ont au moins un (ou une) esclave pour les aider dans les taches domestiques les plus ordinaires. Mais en Grèce le personnel "familial" est plutôt réduit. On le voit avec les pièces d'Aristophane qui semble indiquer un maximum de 7-8 esclaves. Voir plus haut Nombre des esclaves chez Aristophane.

Le pédagogue

L'esclave pégagogue est celui qui accompagne l'enfant dans ses activités : il porte ses tablettes ou son matériel de sport, il le protège et veille à ce qu'il rentre à la maison à l'heure prévue.

Mais voilà que, comme des démons, les pédagogues, celui de Ménexène et celui de Lysis, s’approchent, tenant par la main les frères de ces jeunes gens, et ils les appellent et leur disent de rentrer à la maison ; car il était déjà tard. Tout d’abord, les assistants et nous, nous essayâmes de les faire partir ; mais comme ils se fâchaient sans se soucier de nous et continuaient à appeler leurs jeunes maîtres dans leur langage à demi barbare ; comme d’autre part ils avaient un peu bu aux fêtes d’Hermès et paraissaient intraitables, nous cédâmes et rompîmes l’entretien. 
Platon, Lysis, 223 a-b

voir aussi Vallet Odon. Le pédagogue est un esclave. In: Mots, décembre 1999, N°61. pp. 157-159.

L'esclave public

Ils sont assez rares en Grèce continentale. On trouve cependant des employés à la voirie, des bourreaux, les archers de la police, et divers employés administratifs. On faisait aussi des offrandes d'esclaves aux sanctuaires.

Les Mines

L'exploitation des filons de plomb argentifère du Laurion, au sud de l'Attique, commence sur une grande échelle en 483-82, après la découverte du filon de Maronée. L'extraction est alors confiée à des esclaves qui sont le plus souvent loués. De riches Athéniens investissent dans ces exploitations.Certains se spécialisent dans la location d'esclaves aux entrepreneurs. Nicias, personnage important de la guerre du Péloponnèse, qui possède un millier d'esclaves, parvient ainsi à constituer une fortune de plus de 100 talents. À la fin de la guerre du Péloponnèse, 20.000 esclaves s'enfuient des mines du Laurion et ravagent le pays. Au début du IVe siècle, Xénophon propose à l’État d’acheter des esclaves à hauteur de trois esclaves pour un Athénien.

Aujourd’hui encore il y a dans les mines beaucoup d’hommes loués de la même façon. Si l’on adoptait mon projet, la seule innovation serait qu’à l’exemple des particuliers qui, possédant des esclaves, se sont assuré un revenu perpétuel, l’État lui aussi achèterait des esclaves publics, jusqu’à ce qu’il y en eût trois pour chaque Athénien. Que mes propositions soient réalisables, le premier venu peut en juger en les examinant article par article. Pour acheter des hommes, il est évident que l’État est plus à même de se procurer l’argent que les particuliers.
Xénophon, Sur les Revenus, IV, 18

L'artisanat

La part la plus importante du travail des artisans était le fait de la main d'oeuvre servile. Ces esclaves étaient employés par leurs maîtres à toutes sortes de tâche en fonction de leurs compétences. Certains esclaves "vivaient à part" (chôris oikountes) ; ils pouvaient ainsi constituer un pécule leur permettant de racheter ultérieurement leur liberté, dans la mesure où leur maître se contentait de prélever une rente fixe ou un pourcentage sur leurs bénéfices (système de l’apophora, mis en place à partir du IVe siècle av.J.-C. à Athènes). On sait par exemple que dans la fortune de Timarque évoquée par Eschine se trouvait, établie à part, une ouvrière spécialisée dans la confection de « tissus d'Amorgos » (amorgina) qu'elle vendait elle-même.

Libertés

Les Helléniques de Xénophon qui dénoncent l'excès de liberté des esclaves à Athènes est à regarder avec attention : car il note également que c'est grâce à cette liberté que les maîtres s'enrichissent et ont la vie facile.Tout en regrettant le laxisme athénien, Xénophon doit bien reconnaître que dans une cité comme Athènes qui tire tous ses revenus du commerce, il est nécessaire de laisser une grande liberté aux esclaves.

Quant aux esclaves et aux métèques, ils jouissent à Athènes de la plus grande licence ; on n’y a pas le droit de les frapper et l’esclave ne se rangera pas sur votre passage. (...) Si l’on s’étonne aussi qu’on laisse les esclaves vivre dans le luxe à Athènes, quelques-uns même mener un train magnifique, on peut voir que c’est l’effet d’un calcul. Dans un pays dont la marine fait la puissance, l’intérêt de notre fortune nous oblige à de grands ménagements pour nos esclaves, si nous voulons toucher les redevances qu’ils perçoivent pour nous, nous sommes obligés de leur laisser la liberté. 
Pseudo Xénophon, Constitution des Athéniens, chapitre I-10-11

Femmes esclaves

La servante

Toute maison possédait une ou plusieurs servantes pour aider au travail domestique. Aller chercher l'eau, pétrir le pain, faire la lessive sont les taches les moins nobles accomplies par les esclaves. Mais elles font aussi du tissage, et s'occupent des enfants en bas âge. Tous ces travaux sont aussi ceux des femmes du peuple. Il suffit de parcourir les plaidoyers de Lysias pour se rendre compte de la présence constante des esclaves domestiques.

Je dis à ma femme d'aller donner le sein au petit pour le faire taire. Elle ne voulait pas d'abord : elle était, disait-elle, si contente de me voir revenu, depuis le temps. Mais je me fâchai et lui dis de s'en aller. « Oui, répondit-elle, pour que tu restes à faire la cour à la petite esclave ; déjà, une fois que tu avais bu, tu la serrais de près ».
Lysias, Sur le meurtre d'Eratosthène, 12

La courtisane

Le discours de Démosthène, Contre Nééra, a un intérêt tout spécial ; il met en relief plus d’un trait curieux des moeurs athéniennes. Nééra, d’abord esclave, puis courtisane, avait épousé un certain Stéphanos qui s’était fait de nombreux ennemis par ses dénonciations ; or, les lois athéniennes interdisaient, sous les peines les plus sévères, le mariage entre un citoyen et une étrangère. Quelque temps après que cette union eut été contractée, un ennemi de Stéphanos, nommé Héomnestos, pour se venger des attaques violentes que Stéphanos avait dirigées contre lui-même et contre sa famille, l’accuse, devant le tribunal des thesmothètes, d’avoir contracté un mariage contraire aux lois, à l’honneur national et à la morale publique. Nééra, l’ancienne esclave, l’ancienne courtisane, est naturellement comprise dans la poursuite, et c’est en réalité principalement contre elle que l’action est dirigée. Un détail curieux : Théomnestos, après un assez court préambule, s’excuse de son inexpérience, et passe la parole à Apollodoros, son beau-père, plus versé dans la connaissance des lois, et qui avait encore davantage à se plaindre et à se venger des persécutions de Stéphanos. C’est d’ailleurs Démosthène qui a également composé les deux parties. On ne connaît pas l’issue du procès. Au cas où les deux époux seraient condamnés, Nééra devait, d’après le Code athénien, revenir à l’état servile. (D’après Démosthène, Contre Nééra, traduction Constant Poyard, introduction, 1879)
 

Musiciennes et danseuses

Il semble de de nombreuses esclaves étaient formées dès leur jeunesse pour servir à l'agrément des citoyens. A la fin des banquets, on proposait souvent aux invités des distractions. Ces femmes - musiciennes, danseuses, acrobates - étaient bien entendu à la limite de la prostitution.

Quand on eut emporté les tables, fait les libations et chanté le péan, on fait entrer pour le divertissement un Syracusain suivi d'une excellente joueuse de flûte, d'une danseuse acrobate et d'un jeune garçon d'une beauté parfaite et qui jouait de la cithare et dansait en perfection. 
Xénophon, Le Banquet, II, 1

Femmes grecques à la cour de Cyrus

L'esclavage était tout aussi présent dans les civilisations proches de la Grèce. La cour de Cyrus semble avoir eu un goût particulier pour les "femmes grecques". Lors d'un repas, plusieurs femmes sont présentées au roi. 

Chacune des trois Grecques s'efforçait d'effacer ses compagnes. Pour Aspasie, elle ne voulait prendre ni la magnifique robe, ni le manteau peint de diverses couleurs, qu'on lui avait préparés; elle refusait même d'entrer dans le bain. Inondée de ses larmes, elle invoquait les dieux de la Grèce, les dieux protecteurs de la liberté : elle répétait sans cesse, à grands cris, le nom de son père dont elle maudissait le sort, ainsi que le sien. "Hélas ! disait-elle, ces habits, ces superbes ornements, auxquels je n'étais point accoutumée, ne m'apprennent que trop que je suis destinée à l'esclavage." Il fallut en venir jusqu'à la frapper, pour la forcer de se revêtir de la robe : elle céda, mais avec la douleur la plus amère de se voir réduite à des complaisances plus dignes d'une courtisane que d'une fille vertueuse.
Elien, Histoire variées, 12, 1
 

Les esclaves et la guerre

Les esclaves pouvaient dans une certaine mesure participer aux guerres incessantes que se livraient les cités grecques.

• parce que les citoyens étaient accompagnés d'un esclave ; le Contre Conon de Démosthène nous montre clairement qu'il y avait auprès des jeunes soldats des esclaves pour accomplir les taches quotidiennes
• l'armée de mer prenait des équipages dans la quatrième catégorie de citoyens, la plus pauvre, celle des thètes et aussi parmi les métèques et même les esclaves.
• enfin, dans des cas d'extrême urgence, les esclaves combattirent aux côtés de leurs maîtres.

D'un autre côté, certains - les plus maltraités - tentèrent de profiter des revers athéniens à la guerre pour reprendre leur liberté quand les citoyens ne tentèrent pas de les utiliser lors des révolutions. C'est ce que rappelle Thucydide.

Les Corcyréens qui détenaient le pouvoir profitèrent de l'arrivée d'une trière corinthienne et d'envoyés lacédémoniens pour attaquer le parti démocratique. Ils en virent aux mains et furent vainqueurs. Mais à la tombée de la nuit, le peuple se retira à l'Acropole et sur les hauteurs de la ville ; une fois rassemblé, il s'y fortifia ; il occupa également le port Hyllaïkos. L'autre parti occupa l'agora, où la plupart de ses membres avaient leurs maisons et le port qui l'avoisine orienté vers le continent.Le lendemain quelques escarmouches se produisirent. Ces deux partis envoyèrent des messagers dans la campagne pour soulever les esclaves en leur promettant la liberté.
Thucydide, Histoire de la guerre du Péloponnèse, III, 72-73 

On trouve dans J. Pouilloux, Choix d'inscriptions grecques, p. 149 une inscription qui donne une liste d'esclaves affranchis pour être enrôlés.

Révoltes d'esclaves

Les esclaves essayaient souvent d'échapper à leur condition par la fuite. L'une des causes du déclenchement de la guerre d'Athènes contre Mégare fut le reproche fait aux Mégariens de donner asile aux esclaves fugitifs. Par ailleurs lors de révolutions démocratiques dans plusieurs  cités, le peuple promit aux esclaves qui les seconderaient d'accéder à la liberté : ils se révoltaient alors  contre leurs maîtres "riches possédants" pour rejoindre le peuple. Mais les grands mouvements de révolte furent rares. Celui qui eut lieu à Chio au IVe siècle n'en a que plus d'intérêt.

L'affranchissement

On peut distinguer deux types d'affranchissement :

• de type religieux : la vente fictive à une divinité ou la consécration à une divinité
• de type civil : la libération par testament ou l’affranchissement du vivant du maître.

À Delphes, la plupart des actes d’affranchissement figurant sur le «mur polygonal» sont des ventes fictives. L’esclave verse une certaine somme d’argent à la divinité qui la remet ensuite au maître censé le lui avoir vendu. L’affranchissement par consécration, sous sa forme la plus élémentaire, se présente ainsi : «Untel a consacré Untel à tel dieu» L’esclave est véritablement “consacré” à un dieu. Dans le formulaire usuel, il était d’usage de faire figurer en tête de l’acte d’affranchissement une datation (mention d'un magistrat éponyme ainsi que le mois où a eu lieu l'affranchissement), ensuite apparaissait la formule habituelle formée des noms du maître et de l’esclave joints par le verbe anatithemi (=consacrer) ou anieroo (=vouer, dédier), puis intervenait la mention de la divinité à laquelle l'esclave était consacré. Différentes clauses pouvaient encore être ajoutées à l'acte, telles des clauses de résidence obligatoire auprès du maître (paramone) ou des clauses de sauvegarde, destinées à protéger les affranchis contre toute atteinte à leur nouveau statut.

La mention de témoins était en outre très fréquente à la fin des actes. Les affranchissements à titre gratuit étaient beaucoup moins nombreux que les affranchissements par vente fictive. Comme l’esclave était consacré à une divinité, c’était le devoir du prêtre et des magistrats de protéger la liberté du nouvel affranchi. Bien souvent, l’esclave affranchi demeurait dans l’entourage de son maître. Il pouvait en effet difficilement s’éloigner de son ancienne maisonnée, de l’oikos de son maître, où se trouvait son prostatès, son patron. Celui-ci lui assurait une certaine protection, et était appelé à le représenter dans différentes opérations de la vie courante (achat, vente, …). Ce que l’esclave acquérait par l’affranchissement, c’était le précieux statut d’être humain, et non plus de simple bien mobilier que l’on pouvait vendre ou acheter à souhait.

On raconte à ce propos que, dans un choeur de tragédie dont il faisait les frais, il passa sur le théâtre un de ses esclaves habillé en Bacchus, qui, encore dans la fleur de la jeunesse, était d'une taille et d'une beauté singulières. Les Athéniens, charmés de sa figure, battirent longtemps des mains; et Nicias, s'étant levé, dit au peuple qu'il se croirait coupable d'impiété, s'il retenait dans la servitude un esclave que la voix publique venait de consacrer comme un dieu; et sur-le-champ il le mit en liberté. 
Plutarque, Vie de Nicias, III, 3

Sur l’affranchi (apoleutheros), voir le dictionnaire des antiquités grecque de Darmenberg et Saglio. 

De quelques philosophes qui furent esclaves

Platon fut lui-même vendu comme esclave, après son premier voyage politique en Sicile en -387. Lorsqu'il déplut au «tyran », maître souverain, il fut embarqué de force sur un bateau spartiate, probablement capturé et vendu comme esclave sur l'île d'Égine, alors en guerre contre Athènes. Il fut néanmoins affranchi par Annicéris de Cyrène, philosophe cyrénaïque, qui l'aurait reconnu et acheté « pour vingt mines d'argent », puis libéré.

Phédon d'Élis, selon la tradition, aurait appartenu à une noble famille avant d'être emmené comme esclave à Athènes. Il est né à Elis ; il fut vendu par des pirates ; Socrate, qui aurait remarqué ses qualités, aussi bien physiques que spirituelles, aurait demandé à l'un de ces amis de l'affranchir. Phédon devint un élève régulier et inséparable de Socrate, jusqu'à ses derniers moments en prison. Il a fondé une école philosophique, l'École d'Élis... Mais Ésope aussi, dit-on, fut esclave, Diogène aussi selon certaines traditions ; il fut même un précepteur remarquable.

Ménippe raconte dans le Diogène vendu qu’il fut fait prisonnier et mis en vente, et qu’interrogé alors sur ce qu’il savait faire, il répondit : « Commander aux hommes. » S’adressant ensuite au héraut, il lui dit : « Demande si quelqu’un veut acheter un maître. »
Diogène Laërce, Vie des hommes illustres, VI, 2, 29

Mariages entre esclaves et femmes libres

On eut recours parfois à des unions entre esclaves et femmes libres pour reconstituer une population décimée par la guerre. On en trouve un exemple étonnant dans la Macédoine du IVe siècle.
Justin, Abrégé des histoires philippiques, XVI, 5
P. Vidal-Naquet étudie précisément ces mariages dans le chapitre « Esclavage et gynécocratie dans le tradition, le mythe, l’utopie » in Le chasseur noir p.267-288. Il donne parmi d'autres l'exemple de femmes spartiates s'étant unies à leurs esclaves en l'absence de leurs maris partis en guerre. Les enfants de cette union se nommaient les Parhénies.