Les premiers pas de la conquête : délivrer les cités grecques d’Asie mineure du joug perse

NOTES

  1. Les rois de Chypre qui avaient abandonner Darius lui avaient envoyé une flotte lors du siège de Tyr.
  2. L’expédition d’Agésilas, en 396, était en effet d’un autre ordre. Voir supra.
  3. Les solutions de l’Athénien Charidème, qui sert les Perses depuis la prise de Thèbes (il avait été exilé sur l’ordre d’Alexandre), n’ont pas convaincu les Perses. Darius prend le commandement des opérations : « Pour Darius, la nouvelle de la mort de Memnon l’ébranla comme il se devait ; renonçant à tout autre espoir, il décida de combattre lui-même » (Quinte-Curce, Histoires, III, 2).
  4. Voir supra l’interprétation de Polybe des causes de l’expédition macédonienne en Perse. On pense aussi au Panégyrique d’Isocrate.
  5. Pour Aristote, Politique, I, 2 commentant la parole d’Euripide (Iphigénie à Aulis, v. 1400, trad. M. Delcourt-Curvers) : « C’est au Barbare à obéir au Grec, ma mère, et non l’inverse. / Car eux sont des esclaves et nous, nous sommes des hommes libres », il y a identité de nature entre Barbare et esclave. Or, on sait que, pour le philosophe, l’État n’est pas une construction artificielle mais au contraire un fait de nature et de nécessité comme c’était le cas pour les premières com­mu­nautés (l’homme étant un être politique dans le sens où il appar­tient naturellement à une polis). Les Grecs qui vivent dans la cité-État ne peuvent donc que s’opposer aux Barbares dont la nature ne les a pas conduits jusqu’à cette expression parfaite de la commu­nauté politique qui permet l’exercice de la liberté en relation étroite avec le logos.
  6. Voir les Poliorcétiques d’Énée le Tacticien, in O. Battistini, La Guerre, op. cit., pp. 51-81. La poliorcétique, c’est-à-dire l’art et la technique des sièges, suit les progrès des forti­fications. Les ingénieurs sy­racusains sont à l’origine de machines de plus en plus efficaces. Denys l’Ancien fit construire les premières catapultes. Philippe fut le premier à donner à ces machines un rôle essentiel : le siège de Périnthe, en 340, est révélateur. Les pétro­boles auraient fait leur apparition au siège de Tyr. Pour Pline (7, 201) elles auraient été inventées par les Phéniciens. L’hélépole, sorte de tour montée sur roues, machine « qui prend ou détruit les villes » aurait été inventée par Poseidonios pour Alexandre. Démétrios le Poliorcète, fils d’Anti­gone le Borgne, en utilisa une pour le siège de Rhodes en 304 (voir Ammien Marcellin, XXIII, 4, 10).
  7. Voir infra le texte d’Arrien (I, 17, 10-12) mettant en valeur l’attitude d’Alexandre face aux massacres d’Éphèse.

336-330 av. J.-C. De la Grèce à la Perse : la conquête d'Alexandre 

Carte 9 - De la Grèce à la Perse

 

Gagner la guerre sur la terre : une nécessité stratégique

 

Alexandre est sur le territoire perse. Memnon de Rhodes n’a pu imposer sa stratégie de la terre brûlée qui aurait été dangereuse pour le Macédonien : il se serait trouvé totalement privé de ravitaillement, les Perses étant encore, en effet, les maîtres sur mer. Selon Diodore (XVII, 18, 2) Memnon aurait ajouté qu’il « fallait faire passer en Macédoine une armée na­vale et de l’infanterie, et transporter entièrement en Europe le théâtre de la guerre. » D’après Justin (11, 6) Darius est hostile à cette solution, préférant la bataille aux stratagèmes jugés comme indignes des Perses.

[1,12] βουλευομένοις δὲ αὐτοῖς ὑπὲρ τῶν παρόντων, ἐπειδὴ Ἀλέξανδρος διαβεβηκὼς ἠγγέλλετο, Μέμνων ὁ Ῥόδιος παρῄνει μὴ διὰ κινδύνου ἰέναι πρὸς τοὺς Μακεδόνας, τῷ τε πεζῷ πολὺ περιόντας σφῶν καὶ αὐτοῦ Ἀλεξάνδρου παρόντος, αὐτοῖς δὲ ἀπόντος Δαρείου. προϊόντας δὲ τόν τε χιλὸν ἀφανίζειν καταπατοῦντας τῇ ἵππῳ καὶ τὸν ἐν τῇ γῇ καρπὸν ἐμπιπράναι, μηδὲ τῶν πόλεων αὐτῶν φειδομένους. οὐ γὰρ μενεῖν ἐν τῇ χώρᾳ Ἀλέξανδρον ἀπορίᾳ τῶν ἐπιτηδείων.

[1,12] Ils tiennent conseil à la nouvelle du passage d’Alexandre. Memnon, de Rhodes, opina pour ne point hasarder la bataille contre les Macédoniens, supérieurs en infanterie, et soutenus des regards de leur prince, tandis que celui des Perses était absent. Il fut d’avis de faire fouler aux pieds de la cavalerie et de détruire tous les fourrages, d’incendier toutes les moissons ; de ne pas même épargner les villes de la côte, de manière à priver Alexandre de tout moyen de subsistance, et à le forcer à la retraite.

Arrien, Anabase, I, 12,

334. Alexandre est maintenant condamné à la victoire sur terre. La bataille du Granique. Prise de Milet. Alexandre congédie la flotte. Alexandre a préféré ainsi malgré l’avis contraire de Parménion, prendre le risque de se couper de ses bases, se condamnant ainsi à la victoire sur terre : il se mé­fiait, sans doute, d’une flotte dont les vais­seaux et les équipages étaient principa­lement grecs. Ne pouvant dominer la flotte ennemie – quatre cents navires perses croisent au large – il entend les neutraliser, depuis la terre, en prenant possession de toutes les bases navales de la Méditerranée orientale. Alexandre conserve cependant certains bâtiments pour le soutien et la logistique. Ce rôle fut non négligeable. Après la marche qui le conduira de Memphis jusqu’à Tyr, en mai 331, au début de l’invasion de la Mésopotamie et de la Babylonie, Alexandre y retrouvera sa flotte venant d’Égypte1. La plus grande partie de cette dernière appareillera ensuite pour croiser dans les eaux grecques et surveiller les Lacédémoniens, pour prévenir toute possibilité de sédition sur ses arrières. La constitution, plus tard, d’une flotte fluviale sur l’Indus, dans la même logique tactique et stratégique, permettra le transport des troupes jusqu’au golfe Persique, maintiendra, à partir d’une base navale fortifiée, le commerce et les communications avec l’Inde. Alexandre rêvera aussi la construction d’une grande flotte pour contourner l’Arabie, cingler vers la côte orientale de l’Égypte. Ou encore explorer la mer Caspienne et vérifier si elle offrait des passages vers le nord et l’océan Indien.

[6] ἀνῃρέθησαν δὲ τῶν Περσῶν οἱ πάντες πεζοὶ μὲν πλείους τῶν μυρίων, ἱππεῖς δὲ οὐκ ἐλάττους δισχιλίων, ἐζωγρήθησαν δ᾽ ὑπὲρ τοὺς δισμυρίους. μετὰ δὲ τὴν μάχην ὁ βασιλεὺς τοὺς τετελευτηκότας ἔθαψε μεγαλοπρεπῶς, σπεύδων διὰ ταύτης τῆς τιμῆς τοὺς στρατιώτας προθυμοτέρους κατασκευάσαι πρὸς τοὺς ἐν ταῖς μάχαις κινδύνους. [7] αὐτὸς δ᾽ ἀναλαβὼν τὴν δύναμιν προῆγε διὰ τῆς Λυδίας, καὶ τὴν μὲν τῶν Σαρδιανῶν πόλιν καὶ τὰς ἀκροπόλεις, ἔτι δὲ τοὺς ἐν αὐταῖς θησαυρούς, παρέλαβε Μιθρίνους τοῦ σατράπου παραδόντος ἑκουσίως. XXII. εἰς δὲ τὴν Μίλητον συμπεφευγότων τῶν διασωθέντων ἐκ τῆς μάχης Περσῶν μετὰ Μέμνονος τοῦ στρατηγοῦ ὁ μὲν βασιλεὺς πλησίον τῆς πόλεως στρατοπεδεύσας καθ᾽ ἡμέραν συνεχεῖς προσβολὰς τοῖς τείχεσιν ἐκ διαδοχῆς ἐποιεῖτο, [2] οἱ δὲ πολιορκούμενοι τὸ μὲν πρῶτον ῥᾳδίως ἀπὸ τῶν τειχῶν ἠμύνοντο, πολλῶν μὲν στρατιωτῶν ἠθροισμένων εἰς τὴν πόλιν, βελῶν δὲ καὶ τῶν ἄλλων τῶν εἰς τὴν πολιορκίαν χρησίμων δαψιλῆ χορηγίαν ἔχοντες : [3] ἐπεὶ δὲ ὁ βασιλεὺς φιλοτιμότερον ταῖς τε μηχαναῖς ἐσάλευε τὰ τείχη καὶ τὴν πολιορκίαν ἐνεργεστάτην ἐποιεῖτο κατὰ γῆν ἅμα καὶ κατὰ θάλατταν οἵ τε Μακεδόνες διὰ τῶν πιπτόντων τειχῶν εἰσεβιάζοντο, τηνικαῦτα κατισχυόμενοι πρὸς φυγὴν ἐτράποντο. [4] εὐθὺ δ᾽ οἱ Μιλήσιοι μεθ᾽ ἱκετηριῶν τῷ βασιλεῖ προσπίπτοντες παρέδωκαν σφᾶς αὐτοὺς καὶ τὴν πόλιν. τῶν δὲ βαρβάρων οἱ μὲν ὑπὸ τῶν Μακεδόνων ἀνῃρέθησαν, οἱ δὲ τῆς πόλεως ἐκπίπτοντες ἔφευγον, οἱ δ᾽ ἄλλοι πάντες ἥλωσαν. [5] ὁ δ᾽ Ἀλέξανδρος τοῖς μὲν Μιλησίοις φιλανθρώπως προσηνέχθη, τοὺς δ᾽ ἄλλους ἅπαντας ἐξηνδραποδίσατο. τῆς δὲ ναυτικῆς δυνάμεως οὔσης ἀχρήστου καὶ δαπάνας μεγάλας ἐχούσης κατέλυσε τὸ ναυτικὸν πλὴν ὀλίγων νεῶν, αἷς ἐχρῆτο πρὸς τὴν παρακομιδὴν τῶν πολιορκητικῶν ὀργάνων, ἐν αἷς ἦσαν αἱ παρ᾽ Ἀθηναίων νῆες συμμαχίδες εἴκοσιν. XXIII. ἔνιοι δὲ λέγουσι τὸν Ἀλέξανδρον στρατηγικῶς ἐπινοῆσαι τὴν τοῦ στόλου κατάλυσιν : προσδοκίμου γὰρ ὄντος τοῦ Δαρείου καὶ μελλούσης μεγάλης παρατάξεως συντελεῖσθαι νομίσαι τοὺς Μακεδόνας ἐκθυμότερον ἀγωνιεῖσθαι παραιρεθείσης τῆς κατὰ τὴν φυγὴν ἐλπίδος. [2] τὸ δ᾽ αὐτὸ πρᾶξαι κατὰ τὴν ἐπὶ Γρανικῷ μάχην : κατὰ νώτου γὰρ λαβεῖν τὸν ποταμόν, ὅπως μηδεὶς ἐπιβάληται φεύγειν προδήλου τῆς ἀπωλείας οὔσης τῶν διωκομένων ἐν τῷ τοῦ ποταμοῦ ῥείθρῳ.

[6] La perte de l’armée des Perses monta à plus de dix mille hommes d’infanterie et au moins à deux mille cavaliers : mais ils laissèrent jusqu’à vingt mille prisonniers de guerre. Le roi après le combat fit ensevelir honorablement ses morts, dans la pensée que cette attention animerait ses soldats à s’exposer plus volontiers dans les occasions périlleuses. [7] Rassemblant ensuite son armée, il se mit en marche pour traverser la Lydie : il s’empara sur cette route de la ville de Sardes et de toutes ses citadelles, dont le satrape Mithrénès lui livra de lui-même et volontairement tous les trésors. [17, 22] Cependant les Perses échappés de la dernière bataille, s’étaient réfugiés à Milet à la suite de Memnon leur général ; et le roi ayant posé son camp tout auprès, faisait donner des assauts continuels à cette ville par ses soldats qui se relevaient les uns les autres. [2] Les assiégés se défendaient d’abord aisément par le nombre des soldats rassemblés la et qui d’ailleurs ne manquaient ni d’armes, ni de toutes les choses nécessaires pour soutenir un siège. [3] Mais le roi qui de son côté avait une grande envie d’emporter cette place faisait redoubler le jeu des machines et pressait les attaques par mer et par terre ; ainsi les Macédoniens entrant par les brèches, les soldats de la garnison prirent la fuite : [4] mais les habitants de Milet, venant se jeter aux pieds du roi, en posture de suppliants, se livrèrent à lui eux et leur ville. A l’égard des soldats barbares, la fuite en sauva quelques-uns ; plusieurs furent tués par le soldat vainqueur et tout le reste mis en esclavage ; [5] mais Alexandre traita les citoyens avec beaucoup d’humanité. Cependant le roi, voyant que sa flotte ne lui était pas d’un grand usage et lui coûtait beaucoup, il la congédia à l’exception d’un petit nombre de bâtiments qui servaient au transport de ses machines de guerre et entre lesquels il y en avait vingt qui lui avaient été fournis par les Athéniens. [17,23] Quelques-uns néanmoins ont pensé que c’est par une prévoyance de grand capitaine qu’Alexandre rongea à se défaire de sa flotte. Car, sachant que Darius venait à sa rencontre et jugeant qu’il devait se livrer un grand combat entre les deux puissances, il pensa que les Macédoniens se battraient avec plus de résolution quand ils se verraient privés de toute retraite ou de toute ressource ; [2] et il semblait avoir déjà pris cette précaution avant la bataille du Granique, en mettant le fleuve derrière le dos de ses soldats, de sorte qu’ils ne pussent fuir qu’en s’exposant à se noyer. 

Diodore de Sicile, Bibliothèque historique, XVII, 21, 6 – 23, 2, trad. abbé Jean Terrasson 

Les conséquences de l’arrivée d’Alexandre : la recrudescence des troubles en Asie mineure

 

334. L’arrivée d’Alexandre et les changements politiques qu’elle implique déchaînent de graves troubles politiques à Éphèse.

[1,17] Τετάρτῃ δὲ ἡμέρᾳ ἐς Ἔφεσον ἀφικόμενος τούς τε φυγάδας, ὅσοι δι’ αὐτὸν ἐξέπεσον τῆς πόλεως, κατήγαγε καὶ τὴν ὀλιγαρχίαν καταλύσας δημοκρατίαν κατέστησε. τοὺς δὲ φόρους, ὅσους τοῖς βαρβάροις ἀπέφερον, τῇ Ἀρτέμιδι ξυντελεῖν ἐκέλευσεν. ὁ δὲ δῆμος ὁ τῶν Ἐφεσίων, ὡς ἀφῃρέθη αὐτοῖς ὁ ἀπὸ τῶν ὀλίγων φόβος, τούς τε Μέμνονα ἐπαγομένους καὶ τοὺς τὸ ἱερὸν συλήσαντας τῆς Ἀρτέμιδος καὶ τοὺς τὴν εἰκόνα τὴν Φιλίππου τὴν ἐν τῷ ἱερῷ καταβαλόντας καὶ τὸν τάφον ἐκ τῆς ἀγορᾶς ἀνορύξαντας τὸν Ἡροπύθου τοῦ ἐλευθερώσαντος τὴν πόλιν ὥρμησαν ἀποκτεῖναι. καὶ Σύρφακα μὲν καὶ τὸν παῖδα αὐτοῦ Πελάγοντα καὶ τοὺς τῶν ἀδελφῶν τοῦ Σύρφακος παῖδας ἐκ τοῦ ἱεροῦ ἐξαγαγόντες κατέλευσαν. τοὺς δὲ ἄλλους διεκώλυσεν Ἀλέξανδρος προσωτέρω ἐπιζητεῖν καὶ τιμωρεῖσθαι, γνοὺς ὅτι ὁμοῦ τοῖς αἰτίοις καὶ οὐ ξὺν δίκῃ τινάς, τοὺς μὲν κατ’ ἔχθραν, τοὺς δὲ κατὰ ἁρπαγὴν χρημάτων ἀποκτενεῖ, ξυγχωρηθὲν αὐτῷ, ὁ δῆμος. καὶ εἰ δή τῳ ἄλλῳ, καὶ τοῖς ἐν Ἐφέσῳ πραχθεῖσιν Ἀλέξανδρος ἐν τῷ τότε εὐδοκίμει.

[1,17] Alexandre arriva le quatrième jour à Éphèse, ramenant avec lui ceux de ses partisans qu’on avait bannis ; et ayant aboli l’oligarchie rétablit le gouvernement populaire. Il assigna à Artémis les tributs que l’on payait aux Barbares. Affranchi de la crainte qu’inspiraient les oligarques, le peuple recherche à mort ceux qui ont donné entrée à Memnon, pillé le temple d’Artémis, brisé la statue de Philippe dans son enceinte, et renversé sur la place publique le tombeau d’Hérophythe, qui avait rendu la liberté à Éphèse. Ils arrachent du temple, Syrphax, Pélagon son fils, ses neveux, et les lapident. Alexandre empêcha les recherches et les supplices de s’étendre ; il prévoyait qu’abusant bientôt de son pouvoir, le peuple le tournerait non seulement contre les coupables, mais contre les innocents, pour satisfaire sa vengeance ou son avidité. Et certes, parmi les titres d’Alexandre à la gloire, sa conduite à Éphèse ne fut pas le moindre.

Arrien, Anabase, I, 17, 10-12

334-333. En même temps qu’une grosse somme d’argent, Memnon de Rodhes reçoit de Darius, qui a mesuré l’importance de l’attaque macédonienne2, le commandement de l’ensemble des opérations, sur terre et sur mer. Sa contre-offensive peut se développer. Elle s’organise autour d’Halicarnasse qu’Alexandre n’ar­rive pas à prendre malgré ses machines de siège. Mais la mort soudaine du Rhodien contrarie les projets de Darius de transporter la guerre d’Asie en Europe.

[2] ὁ δὲ μισθοφόρων πλῆθος ἀθροίσας καὶ τριακοσίας ναῦς πληρώσας ἐνεργῶς διῴκει τὰ κατὰ τὸν πόλεμον. Χῖον μὲν οὖν προσηγάγετο : πλεύσας δ᾽ ἐπὶ Λέσβον Ἄντισσαν μὲν καὶ Μήθυμναν καὶ Πύρραν καὶ Ἐρεσσὸν ῥᾳδίως ἐχειρώσατο, τὴν δὲ Μιτυλήνην μεγάλην οὖσαν καὶ παρασκευαῖς μεγάλαις καὶ πλήθει τῶν ἀμυνομένων ἀνδρῶν κεχορηγημένην πολλὰς ἡμέρας πολιορκήσας καὶ πολλοὺς τῶν στρατιωτῶν ἀποβαλὼν μόγις εἷλε κατὰ κράτος. [3] εὐθὺ δὲ τῆς περὶ τὸν στρατηγὸν ἐνεργείας διαβοηθείσης αἱ πλείους τῶν Κυκλάδων νήσων διεπρεσβεύοντο. προσπεσούσης δὲ φήμης εἰς τὴν Ἑλλάδα διότι Μέμνων μετὰ τοῦ στόλου μέλλει πλεῖν ἐπ᾽ Εὐβοίας αἱ μὲν κατὰ τὴν νῆσον ταύτην πόλεις περίφοβοι καθειστήκεισαν, οἱ δὲ τὰ τῶν Περσῶν αἱρούμενοι τῶν Ἑλλήνων, ἐν οἷς ὑπῆρχον καὶ Σπαρτιᾶται, μετέωροι ταῖς ἐλπίσιν ἐγίνοντο πρὸς καινοτομίαν. [4] ὁ δὲ Μέμνων χρήμασι διαφθείρων πολλοὺς τῶν Ἑλλήνων ἔπεισε κοινωνεῖν τῶν Περσικῶν ἐλπίδων. οὐ μὴν ἡ τύχη γ᾽ εἴασεν ἐπὶ πλέον προελθεῖν τὴν τἀνδρὸς ἀρετήν : ὁ γὰρ Μέμνων περιπεσὼν ἀρρωστίᾳ καὶ πάθει παραβόλῳ συσχεθεὶς μετήλλαξε καὶ τῇ τούτου τελευτῇ συνετρίβη καὶ τὰ τοῦ Δαρείου πράγματα.

[2] Memnon faisant aussitôt de grandes levées de soudoyés et équipant trois cents vaisseaux se disposait à une guerre sérieuse. Il conduit d’abord cette flotte et ces soldats à Chios qu’il attira à son parti se rendant de là à Lesbos, il se vit bientôt maître d’Antissa, de Méthymne, de Pyrrha et d’Érésos. Mais pour Mitylène, capitale de l’île, qui était fort grande, qu’on avait munie de beaucoup de fortifications et qui d’ailleurs était défendue par une forte garnison : ce ne fut qu’avec beaucoup de peines et après un long siège qu’il vint à bout de l’emporter. [3] La réputation de ce général s’étant ainsi fort répandue, la plupart des îles Cyclades le prévinrent par des ambassadeurs chargés de leurs soumissions. D’un autre côté le bruit ayant couru dans la Grèce, que Memnon amenait sa flotte contre l’Eubée, toutes les villes de cette île en furent alarmées : cependant ceux d’entre les Grecs, qui dans le fond favorisaient le roi de Perse, au nombre desquels il faut mettre les Spartiates, concevaient l’espérance flatteuse d’un changement universel ; [4] et Memnon corrompant d’autre part, avec de l’argent, quelques républiques, les amenait au parti de son maître. Enfin pourtant la fortune ne permit pas à ce général de porter plus loin ses succès. Il tomba dans une défaillance totale qui se changea en de violentes douleurs qui l’emportèrent bientôt : et sa mort fut aussi le terme de la fortune de Darius.

Diodore de Sicile, Bibliothèque historique, XVII, 17, 29, 2-4, trad. abbé Jean Terrasson

La contre-offensive de Darius déjouée par la prise d’Issos puis de Damas

 

333. Alexandre occupe les défilés qui conduisent de Cilicie en Syrie. Il est pris de revers par Darius3 qui, audacieusement, a contourné les montagnes. Les lettrés4 grecs qui avaient annoncé au prince macédonien une faible résistance, l’Empire des Achéménides étant, selon eux, en pleine décadence5, se sont trompés. L’adversaire est de taille. Darius débouche dans la plaine de Tarse. Il en reprend le contrôle. Mais Alexandre, plutôt que de continuer vers la plaine de Damas, comme l’avait prévu le Perse, fait demi-tour en direction d’Issos et surprend à son tour son adversaire par ses solutions stratégiques et tactiques. Il a choisi son terrain.

[6] Ibi Parmenio regi occurrit : praemiserat ad explorandum iter saltus, per quem ad urbem Isson nomine penetrandum erat. [7] Atque ille angustiis eius occupatis et praesidio modico relicto Isson quoque desertam a barbaris ceperat. Inde progressus deturbatis, qui interiora montium obsidebant, praesidiis cuncta firmavit occupatoque itinere, sicut paulo ante dictum est, idem et auctor et nuntius venit. [8] Isson deinde rex copias admovit. Ubi consilio habito, utrumne ultra progrediendum foret, an ibi opperiendi essent novi milites, quos ex Macedonia adventare constabat, Parmenio non alium locum proelio aptiorem esse censebat. [9] Quippe illic utriusque regis copias numero futuras pares, cum angustiae multitudinem non caperent : planitiem ipsis camposque esse vitandos, ubi circumiri, ubi ancipiti acie opprimi possent. Timere, ne non virtute hostium, sed lassitudine sua vincerentur : [10] Persas recentes subinde successuros. si laxius stare potuissent. Facile ratio tam salubris consilii accepta est. Itaque inter angustias saltus hostem opperiri statuit. […] [VIII] [14] Nec dubitavere Persae, quin Isso relicta, quam ceperant, Macedones fugerent : nam etiam saucii quidam et invalidi, qui agmen non poterant persequi, excepti erant. [15] Quos omnis instinctu purpuratorum barbara feritate saevientium praecisis adustisque manibus circumduci, ut copias suas noscerent, satisque omnibus spectatis nuntiare, quae vidissent, [16] regi suo iussit. Motis ergo castris superat Pinarum amnem in tergis, ut credebat, fugientium haesurus. At illi, quorum amputaverat manus, ad castra Macedonum penetrant Dareum, [17] quanto maximo cursu posset, sequi nuntiantes. Vix fides habebatur : itaque speculatores mari in eas regiones praemissos explorare iubet, ipse adesset, an praefectorum aliquis speciem praebuisset universi venientis exercitus. [18] Sed dum speculatores reverterentur, procul ingens multitudo conspecta est. Ignes deinde totis campis conlucer coeperunt, omniaque velut continenti incendio ardere visa, cum incondita multitudo maxime propter iumenta laxius tenderet. [19] Itaque eo ipso loco metari suos castra iusserat, laetus – quod omni expetierat voto – […] [IX] [7] Alexander phalangem, qua nihil apud Macedonas validius erat, in fronte constituit. Dextrum cornu Nicanor, Parmenionis filius, tuebatur : huic proximi stabant Coenos et Perdiccas et Meleager et Ptolomaeus et Amyntas, sui quisque agminis duces. [8] In laevo, quod ad mare pertinebat, Craterus et Parmenio erant, sed Craterus Parmenioni parere iussus. Equites ab iitroque cornu locati : dextrum Macedones Thessalis adiunctis, laevum Peloponnesii tuebantur. [9] Ante hanc aciem posuerat funditorum manum sagittariis admixtis. Thraces quoque et Cretenses ante agmen ibant, et ipsi leviter armati. [10] At iis, qui praemissi ab Dareo iugum montis insederant, Agrianos opposuit ex Thraecia nuper advectos. Parmenioni autem praeceperat, ut, quantum posset, agmen ad mare extenderet, quo longius abesset acies montibus, quos occupaverant barbari. [11] […] eaque res Alexandro tu tum agminis latus, quod ne superne incesseretur, timuerat, praestitit. [12] XXX et duo armatorum ordines ibant : neque enim latins extendi aciem patiebantur angustiae. Paulatim deinde laxare semet sinus montium et maius spatium aperire coeperant, ita ut non pedes solum pluribus in ordinem incedere, sed etiam lateribus circumfundi posset equitatus. [XI] [27] In acie autem caesa sunt Persarum peditum C milia, decem equitum, at a parte Alexandri ad quattuor milia quingenti saucii fuere, ex peditibus CCC omnino et duo desiderati sunt, equitum centum quinquaginta interfecti. Tantulo inpendio ingens victoria stetit.

[6] Ce fut là qu’il [Alexandre] rencontra Parménion, envoyé en avant pour reconnaître le bois par lequel il fallait passer pour arriver à la ville d’Issos. [7] Parménion s’était emparé du défilé, et, après y avoir laissé une faible garnison, avait pris Issos, que les Barbares avaient abandonnée. De là, poursuivant sa marche, il avait débusqué de l’intérieur des montagnes les ennemis qui s’y étaient retranchés, avait mis garnison à toutes les issues ; puis, maître de la route, était venu, comme nous l’avons dit tout à l’heure, messager de ses propres exploits. [8] Le roi marcha alors sur Issos : on mit en délibération si l’on continuerait à avancer, ou si l’on attendrait les recrues que l’on savait arriver de Macédoine. Parménion était d’avis qu’il ne pouvait y avoir un lieu plus convenable pour livrer bataille : [9] en effet, disait-il, les troupes des deux rois y seraient égales en nombre, puisque les défilés ne pouvaient contenir une grande multitude. Ce que les Macédoniens devaient surtout éviter, c’étaient les plaines, c’était la rase campagne où l’on pouvait les envelopper, les écraser entre deux fronts de bataille. Le danger pour eux était de succomber, non sous la valeur de l’ennemi, mais sous leur propre lassitude. Qu’on laissât aux Perses un libre espace pour s’étendre, et des troupes fraîches se présenteraient sans cesse au combat. [10] Les motifs d’un si sage conseil furent aisément agréés, et il fut résolu que l’on attendrait l’ennemi dans les gorges du défilé. […] [VIII] [14] Les Perses ne doutèrent point que les Macédoniens n’eussent abandonné Issos, dont ils étaient maîtres, pour prendre la fuite. Ils le crurent surtout, lorsque tombèrent entre leurs mains quelques soldats blessés et malades qui n’avaient pu suivre le gros de l’armée. [15] Darius, à l’instigation de ses courtisans, chez qui respirait la férocité barbare, fit couper et brûler les mains à tous ces malheureux ; puis, il ordonna de les promener dans son camp, pour qu’ils y prissent connaissance de ses forces, et qu’après avoir tout examiné à loisir, ils allassent rendre compte à leur roi de ce qu’ils avaient vu. [16] Ayant donc levé son camp, il passe le fleuve Pinare, dans le dessein de s’attacher aux pas de l’ennemi, qu’il croyait en fuite. Mais, pendant ce temps, les prisonniers à qui il avait fait couper les mains, arrivent au camp des Macédoniens, et annoncent que Darius s’avance derrière eux avec toute la rapidité possible. [17] À peine pouvait-on les croire. Alexandre envoie alors des éclaireurs le long de la côte, pour s’assurer si c’était Darius lui-même qui arrivait, ou si l’approche de quelqu’un de ses lieutenants n’avait été prise pour celle de l’armée entière. [18] Mais, au moment où revenaient ces éclaireurs, on aperçut au loin une multitude considérable : bientôt des feux commencèrent à briller de tous côtés dans la campagne, et tout l’horizon sembla s’enflammer d’un vaste incendie, tant était grand l’espace qu’occupaient les tentes de cette armée sans ordre, et surtout encombrée de ses bêtes de somme. [19] Alexandre donna l’ordre d’asseoir son camp au lieu même où il était, plein de joie de combattre comme il l’avait ardemment souhaité, au milieu de ces défilés. […] [IX] [7] Alexandre mit à son front de bataille la force la plus redoutable des Macédoniens, la phalange. Nicanor, fils de Parménion, commandait l’aile gauche près de lui, étaient Cénus, Perdiccas, Méléagre, Ptolémée et Amyntas, chacun à la tête de son corps d’armée. [8] À l’aile gauche, qui s’étendait vers la mer, étaient Cratère et Parménion, mais Cratère sous les ordres de Parménion. La cavalerie était distribuée sur les deux ailes : celle de Macédoine, jointe aux Thessaliens, devait soutenir la droite, et les Péloponésiens la gauche. [9] En avant de l’armée Alexandre avait placé une troupe de frondeurs, auxquels se mêlaient quelques archers. Les Thraces et les Crétois, armés aussi à la légère, faisaient partie de cette avant-garde. [10] Quant aux troupes que Darius avait envoyées prendre position sur le haut de la montagne, on leur opposa les Agriens tout récemment arrivés de la Grèce. L’ordre fut de plus donné à Parménion de s’étendre autant qu’il le pourrait du côté de la mer, pour s’éloigner davantage des hauteurs où s’étaient postés les Barbares. [11] […] et cette circonstance mit en sûreté le côté de l’armée macédonienne que le roi avait craint de voir attaquer d’en haut. [12] Les rangs présentaient un front de trente-deux hommes, le défilé ne permettant pas à l’armée un plus large développement. À mesure qu’elle avançait cependant, le col de la montagne s’élargissait et offrait à ses mouvements un plus large espace : de telle sorte, qu’il fut possible, non seulement de faire marcher l’infanterie sur un front plus étendu, mais même de répandre de la cavalerie sur ses côtés. […] [XI] [27] Il périt dans cette bataille, du côté des Perses, cent mille fantassins et dix mille chevaux. Du côté d’Alexandre, les blessés furent au nombre de cinq cent quatre ; l’infanterie ne perdit en tout que trente-deux hommes, et la cavalerie ne compta pas plus de cent cinquante morts : voilà à quel faible prix s’acheta cette grande victoire !

Quinte-Curce, Histoires, III, VII, 6-10, VIII, 14-19, IX, 7-12, XI, 27, trad. A. Trognon, E. Pessonneaux

Darius doit s’enfuir. Parménion s’empare de Damas et du trésor des vaincus.

38. περιέθηκε γὰρ αὐτῇ κόσμον τε βασιλικὸν καὶ τὸ προγεγονὸς ἀξίωμα ταῖς προσηκούσαις τιμαῖς ἀποκατέστησε : τὴν μὲν γὰρ θεραπείαν αὐτῇ πᾶσαν τὴν δοθεῖσαν ὑπὸ Δαρείου παρέδωκεν, ἰδίαν δ᾽ ἄλλην οὐκ ἐλάττονα τῆς προϋπαρχούσης προσεδωρήσατο καὶ τῆς μὲν τῶν παρθένων ἐκδόσεως βέλτιον τῆς Δαρείου κρίσεως ἐπηγγείλατο προνοήσεσθαι, τὸν παῖδα δὲ θρέψειν ὡς υἱὸν ἴδιον καὶ βασιλικῆς τιμῆς ἀξιώσειν. [2] προσκαλεσάμενος δ᾽ αὐτὸν καὶ φιλήσας, ὡς εἶδεν ἀδεῶς βλέψαντα καὶ μηδὲν ὅλως καταπλαγέντα, πρὸς τοὺς περὶ τὸν Ἡφαιστίωνα εἶπεν ὅτι ὁ παῖς ὢν ἓξ ἐτῶν καὶ τὴν ἀρετὴν ὑπὲρ τὴν ἡλικίαν προφαίνων πολλῷ βελτίων ἐστὶ τοῦ πατρός. περὶ δὲ τῆς Δαρείου γυναικὸς καὶ τῆς περὶ αὐτὴν σεμνότητος πρόνοιαν ἕξειν ἔφησεν ὅπως μηδὲν ἀνάξιον πάθῃ τῆς προγεγενημένης εὐδαιμονίας.

[17, 38] Il fit rendre à la reine tous les ornements royaux et rétablit autour d’elle une maison aussi nombreuse que celle que Darius lui avait donnée. Il en ajouta même de sa part une seconde aussi complète que la première : il promit aux princesses filles, de pourvoir à leur établissement d’une manière encore plus avantageuse que n’aurait fait Darius lui-même et il se chargea de faire donner à son fils une éducation digne d’un roi. [2] Ayant fait venir devant lui le jeune prince, il l’embrassa, et remarquant que cet enfant le regardait d’un œil ferme et assuré, il se tourna vers Hephestion et lui dit : voilà un prince de six ans qui est déjà plus brave que son père. Il assura la reine femme de Darius qu’elle ne verrait rien autour d’elle qui fut indigne de la majesté de son ancien rang.

Diodore de Sicile, Bibliothèque historique, XVII, 38, 1-2, trad. abbé Jean Terrasson

Le siège de Tyr : un tour de force de la poliorcétique macédonienne

 

332. La prise de Tyr est décidée. Stratégie et tactique. Il s’agit, pour continuer l’offensive vers le cœur de l’em­pire, d’anéantir la menace perse en Asie mineure et en Méditerranée et surtout d’enlever aux Perses leur ouverture sur la façade méditerranéenne.

[2,7] ὡς δὲ ἐξηγγέλθη Ἀλεξάνδρῳ τὰ ἐκ τῆς Τύρου, τοὺς μὲν πρέσβεις πρὸς ὀργὴν ὀπίσω ἀπέπεμψεν, αὐτὸς δὲ συναγαγὼν τούς τε ἑταίρους καὶ τοὺς ἡγεμόνας τῆς στρατιᾶς καὶ ταξιάρχας καὶ ἰλάρχας ἔλεξεν ὧδε. Ἄνδρες φίλοι καὶ ξύμμαχοι, ἡμῖν οὔτε τὴν ἐπ’ Αἰγύπτου πορείαν ἀσφαλῆ ὁρῶ θαλασσοκρατούντων Περσῶν, Δαρεῖόν τε διώκειν ὑπολειπομένους αὐτήν τε ὀπίσω τὴν τῶν Τυρίων πόλιν ἀμφίβολον καὶ Αἴγυπτον καὶ Κύπρον ἐχομένας πρὸς Περσῶν, οὐδὲ τοῦτο ἀσφα- λὲς ἔς τε τὰ ἄλλα καὶ μάλιστα δὴ ἐς τὰ Ἑλληνικὰ πράγματα, μή ποτε ἄρα ἐπικρατήσαντες αὖθις τῶν ἐπὶ θαλάσσῃ χωρίων οἱ Πέρσαι, προχωρησάντων ἡμῶν ξὺν τῇ δυνάμει ὡς ἐπὶ Βαβυλῶνά τε καὶ Δαρεῖον, αὐτοὶ ξὺν πλείονι στόλῳ μετ{αγ}άγοιεν τὸν πόλεμον ἐς τὴν Ἑλλάδα, Λακεδαιμονίων μὲν ἐκ τοῦ εὐθέος ἡμῖν πολεμούντων, τῆς δὲ Ἀθηναίων πόλεως φόβῳ μᾶλλόν τι ἢ εὐνοίᾳ τῇ πρὸς ἡμᾶς πρὸς τὸ παρὸν κατεχομένης. ἐξαιρεθείσης δὲ Τύρου ἥ τε Φοινίκη ἔχοιτο ἂν πᾶσα καὶ τὸ ναυτικὸν ὅπερ πλεῖστόν τε καὶ κράτιστον τοῦ Περσικοῦ, τὸ Φοινίκων, παρ’ ἡμᾶς μεταχωρήσειν εἰκός. οὐ γὰρ ἀνέξονται οὔτε οἱ ἐρέται οὔθ’ οἱ ἐπιβάται Φοίνικες ἐχομένων σφίσι τῶν πόλεων αὐτοὶ ὑπὲρ ἄλλων πλέοντες κινδυνεύειν. Κύπρος δὲ ἐπὶ τῷδε ἢ οὐ χαλεπῶς ἡμῖν προσχωρήσει ἢ ἐξ ἐπίπλου εὐμαρῶς ληφθήσεται. καὶ ταῖς τε ἐκ Μακεδονίας ναυσὶ καὶ ταῖς Φοινίσσαις πλεόντων ἡμῶν τὴν θάλασσαν καὶ Κύπρου ἅμα προσγενομένης θαλασσοκρατοῖμέν τε ἂν βεβαίως καὶ ὁ ἐς Αἴγυπτον στόλος εὐμαρῶς ἡμῖν ἐν ταὐτῷ γίγνεται. Αἴγυπτον δὲ παραστησαμένοις ὑπέρ τε τῆς Ἑλλάδος καὶ τῆς οἰκείας οὐδὲν ἔτι ὕποπτον ὑπολείπεται, τόν τε ἐπὶ Βαβυλῶνος στόλον μετὰ τοῦ ἐς τὰ οἴκοι ἀσφαλοῦς καὶ ξὺν μείζονι ἅμα ἀξιώσει ποιησόμεθα ἀποτετμημένοι τήν τε θάλασσαν Περσῶν ξύμπασαν καὶ τὴν ἐπὶ τάδε τοῦ Εὐφράτου γῆν. Ταῦτα λέγων οὐ χαλεπῶς ἔπειθεν ἐπιχειρεῖν τῇ Τύρῳ.

[2,7] Alexandre indigné du refus des Tyriens, fait retirer leurs députés, convoque les Hétaires, les généraux de son armée, les Taxiarques, les Ilarques : « Amis, camarades, leur dit-il, nous ne pouvons tenter sûrement une expédition en Égypte, tant que la flotte ennemie tiendra la mer, ni poursuivre Darius, tant que nous ne serons pas assurés de Tyr, et que les Perses seront maîtres de l’Égypte et de Chypre. Plusieurs considérations, mais entre autres, l’état de la Grèce, font craindre que l’ennemi reprenant les villes maritimes, tandis que nous marcherions vers Babylone et contre Darius, ne transporte la guerre dans nos foyers avec une flotte formidable, au moment où les Lacédémoniens se montrent nos ennemis déclarés, et où la fidélité des Athéniens est moins l’ouvrage de l’affection que de la crainte. Au contraire, la prise de Tyr et de toute la Phénicie, enlève aux Persans l’avantage de la marine phénicienne, et nous en rend maîtres ; car il n’est pas à présumer que les Phéniciens nous voyant dans leurs murs, tournent contre nous leurs forces maritimes pour défendre une cause étrangère. Chypre se joindra ensuite à nous, ou peu de forces suffiront pour la conquérir. Notre flotte ainsi réunie à celle des Phéniciens, Chypre soumise, nous tenons l’empire de la mer nous attaquons l’Égypte avec succès : vainqueurs de ces contrées, la Grèce et nos foyers ne nous laissent plus d’inquiétude ; les Perses sont chassés de toutes les mers, et repoussés au-delà des rives de l’Euphrate ; nous marchons vers Babylone avec plus de gloire et d’assurance». Ce discours eut tout son effet. D’ailleurs, un prodige sembla commander le siège de Tyr.

Arrien, Anabase, II, 16, 8-18, 1, trad. François-Charles Liskenne et Jean-Baptiste Sauvan, Anselin, 1835

La prise de la cité-île, jugée inexpugnable – elle a été assiégée sans suc­cès par Salmanazar et Nabuchodonosor –a été racontée par Arrien (II, 15-24), Polyen (IV) et Quinte-Curce (IV, 2). Le récit de sa chute est intéressant à étudier, car il met en valeur les prouesses des attaquants aussi bien que les stratagèmes des défenseurs, la ruse des assiégés et les progrès de la poliorcétique6. D’après Vitruve (10, 13, 3), citant Diadès de Pella, les Macédoniens possédaient un matériel de siège démontable. Alexandre pouvait ainsi transporter facilement par mer ou par terre la logistique nécessaire. Ne possédant pas de flotte, Alexandre décide la construction d’une jetée, pour atteindre les remparts. Tandis que la chaussée de pierre avançait, les défenseurs augmentaient la hauteur des murailles ainsi que leur épaisseur, ou bien accablaient les Macédoniens de flèches et de projectiles lancés du haut des remparts. Et cela malgré la protection des tours en bois, recouvertes de peaux de bêtes, construites à la tête du môle.

Les défenseurs entassèrent ensuite des blocs de pierre – Alexandre avait entre-temps acquis une flotte opérationnelle – pour empêcher les navires ennemis, chargés de machines de sape, d’approcher. À l’intervention des plongeurs macédoniens attachant des cordes à ces blocs pour les faire tirer par les navires, les Tyriens répliquèrent en coupant les câbles des ancres, obligeant ainsi les Macédoniens à forger des chaînes… La lutte devint acharnée : catapultes, sable brûlant, nuées de feu, traits enflammés… Les tentatives des Macédoniens étaient repoussées, les béliers impuissants sur des murailles trop épaisses. Selon Diodore, les Tyriens disposaient de techniciens métallurgistes et de constructeurs de machines de guerre qui mirent au point des procédés ingénieux pour lutter contre les pétroboles et les ca­tapultes d’Alexandre.

[XVII,43] [1] οἱ δὲ Τύριοι χαλκεῖς ἔχοντες τεχνίτας καὶ μηχανοποιοὺς κατεσκεύασαν φιλότεχνα βοηθήματα. πρὸς μὲν γὰρ τὰ καταπελτικὰ βέλη τροχοὺς κατεσκεύασαν διειλημμένους πυκνοῖς διαφράγμασι, τούτους δὲ διά τινος μηχανῆς δινεύοντες τὰ μὲν συνέτριβον, τὰ δὲ παρέσυρον τῶν βελῶν, πάντων δὲ τὴν ἐκ τῆς βίας φορὰν ἐξέλυον : τοὺς δ᾽ ἐκ τῶν πετροβόλων φερομένους λίθους δεχόμενοι μαλακαῖς τισι καὶ συνενδιδούσαις κατασκευαῖς ἐπράυνον τὴν ἐκ τῆς ὀργανικῆς βίας δύναμιν.

[XVII,43] [1] Cependant comme ceux-ci, gens de mer et industrieux, avaient dans leur ville un grand nombre d’hommes pleins d’inventions et de ressources, les défenses n’étaient ni moins singulières, ni moins variées que les attaques. Ils imaginèrent contre les traits des espèces de grandes roues traversées en-dedans de bâtons posés en tout sens : de sorte que les mettant en mouvement par un poids, ou ils brisaient les traits, ou ils en détournaient le coup, ou enfin ils en ôtaient toute la force. À l’égard des pierres, ils les recevaient sur des toiles épaisses, ou doublées, ou matelassées, au bas desquelles elles tombaient sans aucun effet.

Diodore de Sicile, Bibliothèque historique, XVII, 43, 1, trad. abbé Jean Terrasson

Enfin Alexandre divisa sa flotte en quatre escadres, attaquant à tous les endroits à la fois.

[II, 23,1] τρίτῃ δὲ ἀπὸ ταύτης ἡμέρᾳ νηνεμίαν τε φυλάξας καὶ παρακαλέσας τοὺς ἡγεμόνας τῶν τάξεων ἐς τὸ ἔργον ἐπῆγε τῇ πόλει ἐπὶ τῶν νεῶν τὰς μηχανάς. καὶ πρῶτα μὲν κατέσεισε τοῦ τείχους ἐπὶ μέγα, ὡς δὲ ἀποχρῶν εἰς πλάτος ἐφάνη τὸ παρερρηγμένον, τὰς μὲν μηχανοφόρους ναῦς ἐπανάγειν ἐκέλευσεν : [2] ὁ δὲ δύο ἄλλας ἐπῆγεν, αἳ τὰς γεφύρας αὐτῷ ἔφερον, ἃς δὴ ἐπιβάλλειν ἐπενόει τῷ κατερρηγμένῳ τοῦ τείχους. καὶ τὴν μὲν μίαν τῶν νεῶν οἱ ὑπασπισταὶ ἔλαβον, ᾗ ἐπετέτακτο Ἄδμητος, τὴν ἑτέραν δὲ ἡ Κοίνου τάξις οἱ πεζέταιροι καλούμενοι, καὶ αὐτὸς ξὺν τοῖς ὑπασπισταῖς ἐπιβήσεσθαι τοῦ τείχους ᾗ παρείκοι ἔμελλεν.[…] [4] ὡς δὲ αἵ τε νῆες αἱ σὺν Ἀλεξάνδρῳ προσέσχον τῇ πόλει καὶ αἱ γέφυραι ἐπεβλήθησαν τῷ τείχει ἀπ᾽ αὐτῶν, ἐνταῦθα οἱ ὑπασπισταὶ εὐρώστως κατὰ ταύτας ἀνέβαινον ἐπὶ τὸ τεῖχος. [XXIV] [1] οἱ δὲ ἐπὶ τῶν νεῶν, οἵ τε Φοίνικες κατὰ τὸν λιμένα τὸν πρὸς Αἰγύπτου, καθ᾽ ὅνπερ καὶ ἐφορμοῦντες ἐτύγχανον, βιασάμενοι καὶ τὰ κλεῖθρα διασπάσαντες ἔκοπτον τὰς ναῦς ἐν τῷ λιμένι, ταῖς μὲν μετεώροις ἐμβάλλοντες, τὰς δὲ ἐς τὴν γῆν ἐξωθοῦντες, καὶ οἱ Κύπριοι κατὰ τὸν ἄλλον λιμένα τὸν ἐκ Σιδῶνος φέροντα οὐδὲ κλεῖθρον τοῦτόν γε ἔχοντα εἰσπλεύσαντες εἷλον εὐθὺς ταύτῃ τὴν πόλιν.

[II, 23,1] Trois jours après, la mer étant dans, le plus grand calme, Alexandre exhorte les généraux de son armée, et revient avec ses vaisseaux chargés de machines à l’attaque des murs, les ébranle du premier choc et en abat une grande partie. [2] Il fait alors succéder, aux premiers, deux bâtiments qui portaient des ponts pour passer sur les ruines, montés, l’un par les Hypaspistes sous le commandement d’Admète, l’autre par des hétaires à pied sous celui de Coenus. […] [4] Cependant les vaisseaux commandés par Alexandre, jettent leurs ponts ; les Hypaspistes montent courageusement à la brèche ; […] [XXIV] [1] Cependant sa flotte, réunie à celle des Phéniciens, attaque le port qui regarde l’Égypte, en rompt les barrières ; coule à fond tous les vaisseaux qu’elle y trouve ; chasse les plus éloignés du rivage ; brise les autres contre terre, tandis que les Chypriens, trouvant le port en face de Sidon sans défense, s’en emparent et pénètrent aussitôt dans la ville.

Arrien, Anabase, II, 23, 1-4, 24,1, trad. Henri Chotard

La cité tombe, au bout de sept mois de siège. 8 000 Tyriens furent massacrés, dont 2 000 crucifiés sous les remparts.

Pendant ce temps, Agis III de Sparte a reçu du Grand Roi des navires et d’importants subsides que lui remirent Pharnabaze et Autophradatès. Avec huit mille mercenaires, sortis sains et saufs de la bataille d’Issos, il s’efforce de susciter des troubles. Il se rend maître de la plupart des cités de Crète qu’il force à embrasser la cause perse. Amyntas, un exilé macédonien au service des Perses, avec quatre mille mercenaires se rend maître de Péluse, avant de tomber devant Menphis…

Mais Alexandre marche sur l’Égypte et prend Gaza au passage. Alexandre est maître des ports de Phénicie et d’une puissante flotte. En 332, Amphotéros défait, en mer Égée, la flotte ennemie. Chios et Lesbos sont sous son contrôle.

Maintenir la paix des cités grecques, un enjeu fondamental de la conquête

 

331. Le texte de l’inscription qui suit – texte extrêmement difficile à reconstituer vu l’état de la stèle dont il ne subsiste que deux fragments sur les quatre existant à l’origine – est celui d’une lettre remise à Chios. Il s’agit, pour Alexandre, de limiter les effets de la stasis dans les cités d’Ionie libérées du joug perse, les accusations de collaboration avec les barbares étant souvent un prétexte à la vengeance7.

« […] le peuple […] faire contre lui des choses désagréables ; ceux qui ne fourniront pas de caution pour les amendes que le peuple leur aura imposées, que les magistrats les gardent prisonniers, […] paient les pé­nalités définies […], qu’aucun des Chiotes ne soit plus jugé désormais pour avoir soutenu les barbares, ni [pour des faits de ce type], et que nul n’ait de soupçons à l’égard d’Alchimados. Attendu qu’il a été établi par des témoignages que c’est contraint et forcé qu’il a quitté la ville pour se rendre chez les barbares, il est mon ami et il [n’a cessé de manifester son dévouement] pour votre peuple ; il s’est efforcé de ramener les exilés, de débarrasser votre cité de l’oligarchie établie naguère chez vous, par ses paroles et ses actes, il s’est conduit de façon utile ; je pense donc qu’il serait bon, en échange de ce qu’il a fait pour le peuple, de ce qu’en toute occasion il a fait lorsqu’il préparait avec moi les mesures vous concernant, [d’annuler les décrets] pris contre son père, de lui rendre ce que lui a confisqué la cité, puisqu’il est le premier à être rentré en ville ; de l’honorer lui est ses amis, et de faire confiance à son patriotisme. Ce faisant, vous me ferez plaisir, et si vous avez be­soin de moi, vous me trouverez plus disposé à vous satisfaire. »

Inscription historique grecque.

NOTES

  1. Les rois de Chypre qui avaient abandonner Darius lui avaient envoyé une flotte lors du siège de Tyr.
  2. L’expédition d’Agésilas, en 396, était en effet d’un autre ordre. Voir supra.
  3. Les solutions de l’Athénien Charidème, qui sert les Perses depuis la prise de Thèbes (il avait été exilé sur l’ordre d’Alexandre), n’ont pas convaincu les Perses. Darius prend le commandement des opérations : « Pour Darius, la nouvelle de la mort de Memnon l’ébranla comme il se devait ; renonçant à tout autre espoir, il décida de combattre lui-même » (Quinte-Curce, Histoires, III, 2).
  4. Voir supra l’interprétation de Polybe des causes de l’expédition macédonienne en Perse. On pense aussi au Panégyrique d’Isocrate.
  5. Pour Aristote, Politique, I, 2 commentant la parole d’Euripide (Iphigénie à Aulis, v. 1400, trad. M. Delcourt-Curvers) : « C’est au Barbare à obéir au Grec, ma mère, et non l’inverse. / Car eux sont des esclaves et nous, nous sommes des hommes libres », il y a identité de nature entre Barbare et esclave. Or, on sait que, pour le philosophe, l’État n’est pas une construction artificielle mais au contraire un fait de nature et de nécessité comme c’était le cas pour les premières com­mu­nautés (l’homme étant un être politique dans le sens où il appar­tient naturellement à une polis). Les Grecs qui vivent dans la cité-État ne peuvent donc que s’opposer aux Barbares dont la nature ne les a pas conduits jusqu’à cette expression parfaite de la commu­nauté politique qui permet l’exercice de la liberté en relation étroite avec le logos.
  6. Voir les Poliorcétiques d’Énée le Tacticien, in O. Battistini, La Guerre, op. cit., pp. 51-81. La poliorcétique, c’est-à-dire l’art et la technique des sièges, suit les progrès des forti­fications. Les ingénieurs sy­racusains sont à l’origine de machines de plus en plus efficaces. Denys l’Ancien fit construire les premières catapultes. Philippe fut le premier à donner à ces machines un rôle essentiel : le siège de Périnthe, en 340, est révélateur. Les pétro­boles auraient fait leur apparition au siège de Tyr. Pour Pline (7, 201) elles auraient été inventées par les Phéniciens. L’hélépole, sorte de tour montée sur roues, machine « qui prend ou détruit les villes » aurait été inventée par Poseidonios pour Alexandre. Démétrios le Poliorcète, fils d’Anti­gone le Borgne, en utilisa une pour le siège de Rhodes en 304 (voir Ammien Marcellin, XXIII, 4, 10).
  7. Voir infra le texte d’Arrien (I, 17, 10-12) mettant en valeur l’attitude d’Alexandre face aux massacres d’Éphèse.
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