L'enfance et les enfants

L’enfance : une catégorie juridique en vue de l’héritage familial

Les enfants sont à la fois l’enjeu et l’objectif de la famille. Sur eux reposent :

  • la pérennité du groupe familial au sens large, de génération en génération. La peur de voir sa famille s’éteindre faute d’enfant vivant est une véritable angoisse de la famille grecque comme de la famille romaine, que le grec exprime au travers de l’expression oikos érèmos qui signifie « foyer désertifié » et qui désigne une lignée sans héritier,
  • la transmission du patrimoine matériel (maison, terres, mobilier, capitaux, objets de valeur) et symbolique (noms, mémoire, cultes, valeurs, qualités morales) de la famille,
  • par extension, la pérennité de la société tout entière puisque ce sont eux qui sont destinés à devenir les futurs citoyens pour la faire vivre politiquement, matériellement et symboliquement.

Ils sont essentiels en tant qu’héritiers de la famille, en particulier du père.

Il existe deux types différents d’enfants selon les juridictions antiques :

  • L’enfant légitime. Il est l’enfant reconnu officiellement par son père et enregistré dans les listes de citoyens par les phratères et les démotes (Athènes) ou les censeurs (Rome) comme étant fils reconnu de citoyen et de fille de citoyen. C’est cette double reconnaissance par le père et la sphère publique qui lui confère son droit de citoyenneté et les droits politiques et sociaux qui y sont attachés. L’enfant légitime peut-être soit l’enfant naturel (gnesios en grec) de son père et de son épouse légitime, c’est-à-dire deux citoyens liés par le mariage, soit un enfant de citoyens adopté par un autre citoyen (poietos en grec, ou « enfant fabriqué »). Juridiquement et socialement,  ils possèdent exactement le même statut et la même place au sein de la famille. Leur rôle est d’être les héritiers de leur père adoptif. L’enfant adopté est complètement intégré à la famille de son père adoptif, il perd tout droit civique par rapport à son père biologique (droit d’héritage notamment) mais pas par rapport à sa mère biologique, avec qui il conserve une relation symbolique très forte.  
  • L’enfant non légitime ou bâtard (nothos en grec). Il est enfant d’un parent seulement citoyen, soit né hors mariage (relation adultère ou prénuptiale par exemple), soit non reconnu par son père. En Grèce classique, il est la plupart du temps complètement exclu de la vie politique et civique comme du foyer paternel tandis qu’à Rome il peut bénéficier d’une certaine reconnaissance paternelle et civique.

Les enfants d’étrangers sont considérés comme des étrangers et les enfants d’esclaves sont des esclaves : ils reproduisent la situation sociale de leurs parents.

L’enfance : une catégorie affective au sein de la famille

Les historiens ont longtemps pensé que l’enfant avait un rôle essentiellement fonctionnel dans la famille. Les recherches actuelles ont eu tendance au contraire à démontrer l’attachement effectif et réciproque existant entre parents et enfants au sein de la famille. Cet attachement est à la fois perçu comme une nécessité naturelle issue du partage du sang et comme un construit social. 
Le système de droits et devoirs scelle par contrat tacite la solidarité familiale entre parents et enfants. Si le père a en théorie une puissance absolue sur l’ensemble des membres de la famille et en particulier sur ses enfants qui sont comme sa propriété, lui et la mère doivent néanmoins à leurs enfants soins, éducation et assistance matérielle et sociale. Ils sont notamment responsables de la bonne intégration civique des enfants. En contrepartie, les enfants leur doivent obéissance, assistance sur leurs vieux jours, prise en charge des rites funéraires et de la mémoire et acceptation de l’héritage. Cet échange réciproque se nomme philia en grec et pietas en latin : elles sont un mélange de sentiments affectueux et de respect familial.

S’il est un devoir social et familial, l’enfant n’en est pas pour autant une charge subie par ses parents. Les soins qui lui sont témoignés depuis la gestation (attention à la nourriture de la mère, prière aux divinités) jusqu’à l’âge adulte (soins, cadeaux, prières aux dieux) ainsi que le chagrin qui touche la famille à la mort prématurée d’un enfant sont autant de témoignages de l’attachement profond et sincère de la famille à ses enfants au-delà du seul statut d’héritier. L’enfant possède notamment un lien affectif fort et particulier avec sa mère, lié à la relation biologique développée dans l’utérus.

La dimension affective de la relation avec les enfants intégrés à la famille est d’autant plus importante que des solutions existent et sont socialement, implicitement ou explicitement, acceptées soit pour ne pas avoir d’enfants (contraception), soit pour se soulager des enfants indésirables (exposition ou infanticide des enfants non désirés ou mal formés). Plus qu’on ne se le représente parfois, avoir un enfant ou non est un choix qui relève d’un désir ou d’une stratégie de la famille.

L’enfance : un parcours d’intégration familiale et civique

La  naissance

Il s’agit de la première phase d’intégration de l’enfant dans sa famille. Soulevé par  la sage-femme pour vérifier sa viabilité physique puis par son père, ce qui constitue sa reconnaissance légitime, l’enfant est ensuite intégré à la famille par une série de banquets d’abord au sein de sa famille nucléaire, puis en présence des proches (famille élargie, amis, voisins). La naissance est célébrée au sein du foyer annuellement, au travers des anniversaires, qui sont l’occasion de rendre grâce aux divinités protectrices et d’offrir aux enfants des cadeaux, comme des amulettes destinées à les protéger du mauvais sort ou des maladies. 

L’éducation

Celle-ci est prise en charge par divers acteurs au sein et à l’extérieur de la famille. La nourrice, le pédagogue ou précepteur voire l’école publique (pour Rome uniquement, appelée ludus) contribuent à l’éducation de l’enfant depuis sa toute petite enfance. Les acteurs majeurs de l’éducation de l’enfant restent cependant les parents. Ils transmettent par conseil et par mimétisme un ensemble de principes moraux et de règles comportementales dans tous les domaines et sont en première ligne de l’éducation scolaire.

L’intégration civique

Celle-ci est plus importante pour les garçons que pour les filles puisqu’il s’agit de les préparer à leur futur rôle de citoyen et de les intégrer aux différentes sphères de la vie politique et sociale. En Grèce, elle commence dès l’année de la naissance, lors de la fête des Apatouries, avec la présentation des enfants à la phratrie pour les enregistrer et les faire reconnaître comme légitimes et se poursuit avec la participation, à trois ans, des filles comme des garçons à la fête des Anthestéries, toujours au sein de la phratrie. En Grèce comme à Rome, le père emmène ses fils de sept ans et plus avec lui lors de certaines manifestations publiques, comme les jeux, pour l’intégrer progressivement à la vie civique. L’intégration civique s’achève vers 12 ans pour les filles, par le mariage, 17-18 ans pour les garçons. En Grèce, ils sont inscrits sur les registres civiques des phratries et des dèmes et accomplissent leur service militaire (éphébie). À Rome, la fête des Liberalia qui se déroule dans un cadre privé (banquets, sacrifices aux Lares) et dans un cadre public (sacrifice collectif au capitole) marque l’abandon de la toge prétexte pour la toge virile et le passage ) à l’âge adulte.

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