Lecture d'une oeuvre : Charon traversant le Styx, Joachim Patinir. Programme 2de

Lecture d'une oeuvre 

 

Le tableau

El paso de la laguna Estigia, en espagnol, connu en français sous le titre Charon traversant le Styx,
huile sur toile (64 cm x 103 cm), 1519 – 1524, Madrid, Musée du Prado

Le peintre

Né à Dinant (Belgique) vers 1480 et mort à Anvers (Belgique) en 1524, Joachim Patinir (ou Patenier) appartient à ce que l’on nomme “l’École flamande” dans l’histoire de l’art.

L’artiste conjugue la tradition mythologique gréco-romaine, rendue célèbre par Virgile, avec l’interprétation chrétienne de l’Enfer au Moyen Âge et à la Renaissance (Dante, la Divine comédie, 1321). Il est très influencé par l’œuvre de Jérôme Bosch (le triptyque du Jardin des délices, 1500 - 1510).

Le tableau est construit sur un effet de symétrie et de contraste saisissant autour d’un axe vertical : le cours d’un fleuve (le Styx) sur lequel navigue un batelier (Charon) et d’où partent deux bras en forme de canaux latéraux. De part et d’autre : les Champs Élysées (le Paradis) et le Tartare (l’Enfer).

C’est une extraordinaire vision “panoramique” qui offre un point de vue en hauteur sur le paysage, comme si on pouvait voir la scène du haut d’une tour ou en la survolant en hélicoptère.

Patinir est un peintre “paysagiste” : la végétation luxuriante (arbres, fleurs, oiseaux, animaux) est soigneusement représentée, la palette des couleurs (les bleus et les verts en particulier) est chatoyante.

Au centre : Charon sur sa barque

Charon Patinir 1

Le fameux “nocher” rappelle la description de Virgile (la barque, l’allure de Charon, son geste, etc.) :

« Un batelier effrayant surveille ces eaux et ces fleuves, couvert d’une saleté terrible à voir : c’est Charon ; une masse de poils blancs mal entretenus couvrent son menton, des flammes brillent dans ses yeux au regard fixe, un manteau crasseux, attaché par un nœud, lui tombe des épaules. Il pousse lui-même sa barque avec une perche, il manœuvre les voiles et il fait traverser les corps dans son embarcation couleur de rouille ; il est bien vieux déjà, mais c’est un vieux toujours vert, avec la vigueur d’un dieu. » (Énéide, livre VI, vers 298-304, traduction A. C.)

À l’avant, un personnage miniature, nu, maigrelet et pâlot : une âme, la tête tournée vers la partie droite du tableau. Charon l’emmène au point où elle doit choisir entre les deux rives ; on remarque que l’eau du Styx devient beaucoup plus sombre.

À gauche pour le spectateur / à droite pour Charon et son passager

 

Charon Patinir 2 bis

C’est la vision inspirée du Paradis terrestre avec un paysage luxuriant et la Fontaine de Vie sous la forme d’un grand dôme de cristal : les anges, les âmes et les animaux (on distingue une licorne) se promènent dans ce “jardin d’Éden” biblique. La ville que l’on devine au fond est la Jérusalem céleste, destination finale des heureux élus. La ligne d’horizon diffuse une lumière “céleste”, les nuages disparaissant progressivement.

Sur une butte, un ange tend le bras droit pour montrer la voie vers le Paradis.

À droite pour le spectateur / à gauche pour Charon et son passager

On retrouve en avant-plan un paysage toujours luxuriant (arbres, fleurs, oiseaux, animaux), mais la présence d’un animal à face simiesque au pied d’un arbre introduit une forme de dissonance (dans le bestiaire médiéval, le singe est associé au vice et à la tentation).

Charon Patinir 3

Le canal d’eau conduit vite à un second plan très inquiétant : on reconnaît la tour qui ouvre sa porte noire sur l’Enfer (c’est la tour de fer du Tartare qu'évoque Virgile, Énéide, livre VI, vers 552 - 554). Cette fois c’est un chien monstrueux (Cerbère, facilement identifiable avec ses trois têtes), couché dans sa niche, qui, symétriquement à l’ange qui montre la voie du Paradis, montre ici celle de l’Enfer.

Charon Patinir 4

La scène devient sinistre : à la lueur rougeoyante des flammes, sous un ciel plombé de gros nuages noirs, on devine les âmes torturées, dans le style “fantastique” de Bosch.

Charon Patinir 5

Le tableau de Patinir offre un mélange de réel et de symbolique qu’il faut savoir décoder : le paysage invite à une méditation sur le sens de la vie et sur la mort ainsi que sur la notion de choix entre deux voies (bivium), celle du Mal qui conduit en Enfer et celle du Bien qui mène au salut.
Comme le dit Matthieu dans son Évangile (7, 13 - 14), la voie du Bien est toujours difficile (dans le tableau, la rive du Paradis est rocheuse et escarpée), celle du Mal facile et agréable (la rive de l’Enfer est d’abord plane et ombragée), mais, après la mort, l’une est récompensée et l’autre punie : « Entrez par la porte étroite. Car large est la porte, spacieux est le chemin qui mène à la perdition, et il y en a beaucoup qui entrent par là. Mais étroite est la porte, resserré le chemin qui mène à la vie, et il y en a peu qui les trouvent. »

Sur la barque de Charon, avez-vous remarqué de quel côté regarde la petite âme ?

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