Le passage de la satire à la tragédie ?

1- La satire

Or le texte est tellement violent qu’il semble impossible que la satire ait une visée morale de rétablissement du bien et qu’elle puisse déboucher sur une tragédie de style plus élevé

Ce qui apparaît est moins une satire qu’un réquisitoire violent contre des rois dégénérés : ce n’est pas par rapport à une norme à rétablir que parle le poète mais pour assassiner en paroles les rois, ses ennemis ; ce qui explique toutes les outrances qui transforment la satire en pamphlet (une vox in deserto qui ne parle plus au nom de valeurs reconnues) « Mise en scène de l’excès dans un discours excessif » (Fanlo, cahiers textuels) : l’outrance de la satire comme des vices moqués aboutit à un éclatement du discours (cf. Préface vers 359 sq. : « on ne peut reprendre toutes ces fureurs sans fureur »). Les armes pour combattre sont des moins glorieuses cf. le glissement de sens qui s’opère sur le mot fureur : alors que le furor comme enthousiasme fonde en vérité  régénère un ordre politique, la fureur comme colère met le discours en dehors de toute norme : le poète furieux se retrouve en dehors des lois, de la vérité, avec les monstres et les vices qu’il a contribué à faire voir plus clairement et donc à répandre sur le lieu public : un Orphée dévastateur, dont l’action est plus destructrice que constructive. La médiation n’est plus possible entre le poète et les hommes. Ainsi c’est parce que la satire ne débouche pas sur le rétablissement de la vérité que e livre va finir sur une attente apocalyptique : sur terre il est impossible de rien faire (II, 175 sq) Seule la mort peut apporter l’accomplissement, et le poète apostrophe la cité en la quittant (et non en y demeurant pour la réformer par des voies humaines).

Ainsi la tenue « tragique » de style élevé, ou même moyen, est contaminée par l’obscénité de ce qui est raconté, et qui est si énorme que le ton, toujours mesuré de la satire, même s’il est ironique ne peut pas être conservé, et il y a risque que la grossièreté et l’obscénité rejaillissent sur le locuteur - cf. 1059 et 1100 : ce sont là les limites de son discours, contraint de s’arrêter pour éviter des expressions trop choquantes.

Commentaire 4 : Les honteuses vérités 1026 – 1060

Situation et problème :

Après la satire des flatteurs et des mauvais rois, d’Aubigné s’en prend directement aux Valois et fait le portrait des trois fils de Catherine, et revient sur les bruits infamants concernant les princesses et les rois. Et cette fin de la galerie des portraits est accablante. D’Aubigné atteint ici les limites de la satire : la dénonciation sérieuse risque d’être contaminée par l’obscénité de ce qu’il raconte, et la licence dénoncée risque de rejaillir sur le langage. Ce passage est un sommet de l’invective ; c’est le point où doit s’arrêter le poète s’il ne veut pas que son poème franchisse les bornes de la décence.

Ce passage est capital car il explique la difficulté de l’entreprise : le rétablissement de la vérité n’est pas à la portée du poète, ce qui justifie la fin de II : l’attente apocalyptique puisque sur terre on ne peut rien faire : le poète va quitter la cité (en III remontée vers le Ciel)

Ce passage est aussi un témoignage scandaleux des débordements des princes : mais d’Aubigné ici rapporte tous les bruits qui ont couru, sans s’inquiéter de leur bien-fondé : il n’hésite pas à parler ouvertement une langue obscène qui fait passer de la satire au propos ordurier.

Composition

  • 1026 – 1042 : premier « conte »
  • 1043 – 1056 : deuxième « bruit » : peur et superstition
  • 1057 – 1060 : obligation de s’arrêter

Première partie

Composée de deux mouvements : les femmes puis les hommes.

Il évoque d’abord l’infanticide la reine Margot, avec toujours la mise en scène de sa propre indignation (« tressaute de fureur et de honte ») non pas devant le crime mais devant l’audition du récit même de ces crimes : ce qui lui donne honte, c’est l’absence de retenue du « fol vulgaire » qui les raconte : le respect pour la royauté a complètement disparu (c’est la fin des Valois ) - cf. le « sans crainte » sur lequel renchérit le « tout haut ».

Nous avons donc le récit d’un récit. Infanticide ? En tout cas il y a accusation d’accouchement clandestin (histoire de la reine Margot…) l’anecdote est racontée de façon imagée,  non pas le crime lui-même mais tout ce qui est fait pour le commettre en secret (thème du voile, du mensonge qui est dans tout ce livre).

Remarquer la longueur de la phrase : plus de huit vers, avec l’énumération de tous les actes criminels : en pleine nuit, rapt d’une sage-femme, à qui on bande les yeux (pour aller jusqu’au Louvres) ; on va lui faire prendre et tuer l’enfant d’une reine masquée (toujours le secret, le déguisement) qui est d’une « brutalité jamais remarquée » (une brute, une bête) ; la phrase se poursuit en s’augmentant d’une relative (que je ne puisse conter, croyant + complétive) dont le lien relâché avec ce qui précède est justifié par le contenu même « que je ne puis conter » : le poète est incapable d’imiter le récit entendu : le bon français doit du respect à la cour, et ne peut pas redire ce qu’il met sur le compte de la malignité populaire (cf. ces « monstres inconnus » (aux deux sens  de non connus et d’inouïs) qui « enveniment » les voix du peuple abusé). Trop horrible pour le croire ! D’Aubigné préfère mettre ces choses sur le compte des inventions populaires.

Noter le rythme qui montre comment s’enfle la renommée sans qu’on puisse l’arrêter : débordement du vers, et les deux points du vers 1035 en donnent l’explication : le discrédit d’une vie « entamée » (= non intacte, souillée) est proportionnel à sa célébrité (« comme » = à la mesure de) ; remarquer le vocabulaire concret aussi.

La deuxième partie est encore pire, car tout en reconnaissant l’enflure des bruits rapportés, le poète va insinuer quelque chose de bien pire, et qui ne peut être vraiment raconté : donc après le bruit le silence ou simplement le geste (la nota, marque d’infamie) avec une noirceur omniprésente (Noirs forfaits, en ténèbres : thème du secret et de la dissimulation) et des sonorités qui écorchent déjà la langue. Et porté par son indignation, le poète fait plus qu’il ne disait, puisqu’il va dire ce qu’on ne fait que montrer. C’est une anecdote racontée par Apulée puis Boccace ; elle vise Henri III qui était l’amant de la Princesse de Condé ; (Brantôme en parle aussi) : à la fois adultère et double homosexualité…

Deuxième partie

Reprend la même situation qu’au début : redit ce qu’il entend dire, sauf qu’ici la longueur du paragraphe, le nombre de crimes énumérés dans autant de temporelles montrent qu’il n’arrive pas à taire ce qu’il entend : il perd la maîtrise de la langue : il y a du reste une rupture de construction (les principales ne sont pas claires).

Il s’en prend d’abord à la lâcheté d’Henri III qu’il accuse d’être effrayé par le tonnerre (peinture concrète d’un roi froussard qui « transi » (de peur) disparaît sous les voûtes souterraines : disparition symptomatique d’un roi qui ne tient pas la place qu’il devrait tenir ; même chose pour « d’embusque de lauriers » il se cache sous les lauriers censés détourner la foudre) Et les verbes d’après sont rattachés librement à ce qui précède, on attendrait un tirer, ils dépendent en réalité du verbe ouïr (quand j’ois…) mais le sujet n’est plus le même « son péché poursuivi poursuit de l’étonner » ici « étonner » = frapper de terreur (cf. par la foudre) : le roi a si peur d’être puni parce qu’il est un pécheur ; et ainsi d’Aubigné va se moquer de toutes les pratiques superstitieuses  d’Henri III et de la religion catholique, de façon violente et grossière : l’eau lustrale est bue et consommée « en clystères infects » ! (pour se purifier le ventre !) et allusion à toutes les « indulgences » qui viennent de Rome  (les grains bénits valent indulgence et remettent tout péché)  (et il accuse le pape (qui fournit « cierges et agnus » (c’est ainsi que du Perron obtint l’absolution d’Henri IV) : en filigrane il prend à parti Henri IV pour  ridiculiser ce catholicisme de pacotille qu’il pratique. (et sens obscène de la suite « bouche ses conduits..) (agnus = petits agneaux en cire).

Mais cette parole devient elle-même sacrilège par ce contact sacrilège entre ce qu’il y a de plus sacré (messe, eau lustrale, agnus, grains bénits) et les choses ou les mots les plus obscènes (clystères, conduits (anus)

Mais cette parole semble ne pas pouvoir s’arrêter : reprise du tour initial : « quand je vois » (avec variation du verbe : j’ois // je vois. Et le sujet en est toujours la superstition d’Henri III : la messe pour « repousser le ciel » et les signes de la croix et les reliques contre la peur (que toutes ces pratiques ne font pas cesser (de même d’ailleurs que le « brayer de massé » (sa ceinture) ou le froc de François d’Assise (les deux mots sont sur le même plan syntaxique que « par les signes de croix ») c’est que la peur est moins provoquée par quelque chose d’extérieur que la crainte d’être châtié pour ses péchés.

Donc attaque virulente d’Henri III et d’Henri IV, attaque du catholicisme pour son côté superstitieux (les reliques etc.) attaque du pape (pour les indulgences) dans une langue vigoureuse, une syntaxe mal maîtrisée et un vocabulaire frisant le sacrilège. (cf. les deux saints présents par le brayer et le froc)

Enfin l’apodose de trois vers « tels spectres inconnus font confesser le reste » : la peur de ces « spectres inconnus » (la foudre ou des choses qui en principe n’inspirent pas la peur) montre qu’il y a bien d’autres choses  à avouer qui motivent la peur ; et ce reste apparaît sans commune mesure avec les crimes déjà cités qui ne sont plus que « reproches joyeux » : il faut souligner l’antithèse : « le péché de Sodome le sanglant inceste » ne sont que « reproches joyeux » au regard de ce qui est tu : le péché de Sodome se double d’un inceste : Joyeuse (d’où l’adjectif bien choisi) mignon du roi  et sanglant inceste parce que les trois rois étaient accusés d’inceste avec leur sœur Marguerite (sanglant parce que le sang est pollué)

Derniers vers

Noter la place et l’accent de « Triste » (coupe lyrique, et redoublement en « tr » dans le vers où apparaît « le tragique discours », à prendre ici dans le sen de l’œuvre  elle-même : ce qui devrait être un tragique discours, cette tragédie de la France, cette élévation même de la tragédie  rencontre la bassesse des pamphlets de seconde zone : les « pasquils » (écrits satiriques particulièrement diffamatoires spécialisés dans ces « effroyables contes » dont le poète vient de nous donner quelques échantillons).

Ainsi le style moyen de la satire qui s’incorpore au discours d’ensemble « tragique » de l’œuvre déborde de son cadre pour tomber dans l’ordure. Encore une fois la parole s’arrête (cf. pour une raison un peu différente dans le livre I et la mère Cannibale) : décidément le point de vue de la terre est impossible à tenir.

Quant au dernier vers, il accrédite le « conte » par l’expression redoublée de la « honte » associée à la vérité, dans une formule symétrique où l’adjectif et le nom (honteuses/honte) encadrent le vers. Aussi à partir du vers 1100 va-t-il passer à l’allégorie.

Conclusion : Un texte très virulent, propos orduriers : le témoignage du scandale devient lui-même scandaleux. Nous sommes à un tournant de l’œuvre : la tragédie n’était pas tenable, (I) mais la satire non plus : deux paroles arrêtées l’une par l’étendue de l’horreur et l’autre par l’étendue des crimes.

Les valeurs portées par le discours satirique sont donc elles aussi caduques : il n’y a pas de rappel à l’ordre possible sur terre. Il vaut mieux s’arrêter pour que le sérieux de la dénonciation ne se transforme en licence bouffonne.

2- La tragédie

Pourtant la tragédie est bien présente, et à plusieurs titres : c’est précisément la satire en tant que dévoilement d’un travestissement qui permet de la faire apparaître :

 Le meurtre permanent (cf. Tournon) la mort est la vérité secrète de tous les vices dénoncés, cf. vers 139 sq. (tragique horreur, massacre…), cf. le tyran vers 328 sq. (désirs, dis-je, sanglants), et même dans l’image des débauches  (« ivres d’ire et de sang » 689) ou des maladies symboliques « de feu et de flammes » 752). De même pour les Valois (sanglant inceste 1056, ou en épilogue « aux couteaux et au feu » 1093) ; l’assassinat est donc l’envers des ignominies courtisanes : le pouvoir tyrannique est essentiellement meurtrier et accessoirement dépravé. Donc la satire sert à montrer l’écart entre l’être et le paraître : ayant écarté les masques, jeux et ris, elle montre le sang répandu, « les horribles charognes / des sépulcres blanchis ».

Ainsi la tragédie révélée par la satire s’inscrit dans la thématique du renversement : la « catastrophe » aboutit à faire tomber le méchant qui triomphait. La satire non seulement révèle la véritable tragédie mais en montrant l’impossibilité terrestre de rétablir le Bien ou le Vrai, elle annonce le jugement divin, c’est-à-dire le renversement de la tragédie en comédie du point de vue du ciel (cf. le sort de Coligny).

Donc un jeu constant de renversements :

Les souverains s’amusent : une comédie qui masque la tragédie révélée par la satire.

Mais cette tragédie où les bons sont opprimés par les méchants est, du point de vue du ciel, une fausse tragédie parce qu’elle doit s’achever par le triomphe céleste des victimes d’ici-bas : en d’autres termes, l’apparence se renverse une première fois en une réalité qui elle devient une apparence au regard de la réalité céleste, et la satire est l’opérateur qui opère ce renversement, une première fois sur terre, et ensuite de la terre au ciel.

La dégénérescence irrémédiable de la royauté

La satire déjà apparue contre Catherine (une femme au pouvoir) au livre I a été utilisée au livre II pour se moquer de son fils homme-femme et de sa fille qui se prostitue par divertissement ; mais c’est aussi un moyen de s’en prendre à la monarchie elle-même pour laquelle le constat est catastrophique : une déchéance irréversible. Il y a donc toute une réflexion sur le bon Roi par rapport au tyran. Cet aspect politique explique pourquoi d’Aubigné, attaché à la réception de son œuvre dit dans sa préface qu’on pourrait lui prêter une pensée dangereuse sur la nature du pouvoir à savoir que ses préférences allaient plus « au gouvernement aristocratique que monarchique », « de quoi il fut accusé par le roi Henri IV étant alors roi de Navarre », ajoute-t-il.

Le livre, rédigé principalement entre 77 et 79 a connu plusieurs ajouts et remaniements (puisqu’il parle tantôt des Valois, tantôt de Henri IV) : dans le contexte de 1580, l’objectif était de dénoncer le prince comme tyran et de poser la question politique de la tyrannie (d’autant que les Valois ont été responsables des guerres de religion — Charles IX pour la Saint Barthélemy) et que le règne de Catherine est en réalité une violation de la loi salique (I, 735) (qui aboutit avec les rois-enfants mâles qui arrivent au trône d’établir une régence  de femmes…) et il fait l’apologie (avec la relation de l’arrivée des polonais  venus à Paris demander un roi à la France en 1573) d’une institution élective du pouvoir (vers 713 – 717), cf. l’avis « Aux lecteurs » où il dit que la meilleure forme de gouvernement est « la monarchique selon son institution entre les français et qu’après elle il estimait le mieux celle de Pologne ».

D’Aubigné reprend aussi un vieux débat sur les responsables d’un mauvais gouvernement et dénonce l’influence de l’Espagne sur les affaires françaises et les trahisons des conseillers princiers.

Commentaire 5 : les bons rois et les mauvais rois (655-688)

Situation 

Après avoir montré le rôle néfaste des flatteurs d’Aubigné s’en prend aux mauvais rois qui eux aussi ont appris à « machiavéliser » et à déguiser leur âme (les vers qui précèdent directement font allusion à Henri IV qui se sert de la religion pour avoir le pouvoir).

Intérêt le passage oppose les bons rois aux mauvais rois ; mais la différence de lexique dans la description (termes généraux d’un côté, et précis et particularisants de l’autre) montre que par-delà le topos extrêmement fréquent de la définition du bon roi, le poète s’en prend encore sans les nommer aux Valois. On étudiera donc la façon dont la satire précise et véhémente se mêle à la réflexion politique et on se demandera si les deux visées sont compatibles.

Plan

  • Deux vers d’introduction
  • Le bon roi (656 – 666)
  • Les mauvais princes (667-688)

Le passage sur le bon roi est encadré par des vers sur les mauvais rois ; la structure est éloquente : d’Aubigné cherche moins à développer une réflexion abstraite sur les conditions idéales de la monarchie qu’à vitupérer contre la débauche des Valois.

Introduction :

Une exclamation comme une plainte qui reprend un thème déjà présent en I et qui a pour source l’Ecclésiaste (Malheur à la ville dont le prince est un enfant) - cf. I, 192 et 727 : l’exclamation calque donc la phrase biblique. Mais rajoute l’idée de « vengeance du destin »,  idée selon laquelle (cf. I) les mauvais rois sont les instruments de la vengeance divine ; concrètement s’Aubigné fait allusion à la régence : la loi salique interdit à la reine de prendre le pouvoir ; elle devient régente, en attendant que le jeune roi ait la majorité requise. Noter la place côte à côte de « rois » et « enfants ».

Première partie

Les Bons rois, en antithèse avec ce qui précède - cf. symétrie de la formule (Ô quel malheur / Ô quel phénix… ») un malheur / un bienfait (le phénix, oiseau associé à la Royauté signe de continuité et d’éternité). Une très longue exclamative qui se donne comme un développement du premier vers, avec des séries de relatives (de qui/ qui/ qui) puis quatre vers de reprise assertive (une principale et trois relatives), l’ensemble composant une énumération descriptive des vertus du bon roi. Mais la première partie, plus longue, s’oppose à la seconde, elle est négative, et l’autre est affirmative ; le prince « bien sage » est en effet défini  par une première relative (« de qui l’œil gracieux n’a forcené de rage… » les qualités (grâce et sagesse) sont vues comme l’envers de cette fureur  du mauvais prince (cf. la rime sage/rage), puis une deuxième relative où encore une fois le bon prince s’oppose à celui qui a « soif de sang », et la troisième (la cruauté) (avec peut-être une allusion à une mauvaise hérédité (Catherine). Mot de « cruauté » mis en valeur à la rime. La relative suivante est positive : vision conforme à la définition du bon roi selon Platon (philosophe, savant - science comme connaissance et raison -) mais c’est pour aussitôt après enchaîner avec une nouvelle relative négative : « Et n’est point impuissant par sa propre puissance » d’Aubigné a déjà utilisé cette antithèse en I, 193 (« impuissants sur leurs cœurs cruels en leur puissance » à propos des mauvais rois : l’oxymore définit ici en réalité deux domaines différents, le cœur / le pouvoir.

La deuxième partie reprend de façon positive toute cette première définition : « ceux-là règnent vraiment…etc. » : il oppose la fausse puissance à la vraie puissance, et s’il se sert ici du topos du bon roi (qui règne sur ses passions avant de régner sur ses sujets) c’est qu’il veut aussi faire comprendre que ses critiques ne vont pas à la monarchie mais aux tyrans, aux mauvais rois ; Il ne cesse de se laver du reproche d’être anti-monarchiste. Les trois vers qui suivent reprennent ces lieux communs sur ces rois qui règnent d’abord sur eux-mêmes, avec l’équivalence : régner sur soi-même = régner vraiment ; la dernière relative, en une sorte d’apodose est plus longue, elle insiste sur la constance de l’âme (à l’inverse de l’inconstance, toute féminine qui règne dans les décisions). Enfin les deux adjectifs qui qualifient l’ambition en montrent les défauts : elle n’apporte rien (le terme impuissant revient) et elle n’est pas constante (elle est volage) ; et dans une optique stoïcienne, il oppose ce qui dépend de nous à ce qui ne dépend pas de nous

Deuxième partie         

Tous ceux qui ne rentrent pas dans cette catégorie : structure syntaxique particulière : non, non, non pas… Toutes ces négations sonnent comme des griefs faits aux Valois avec rage et fureur. La parole positive est impossible. Dans sa volonté de décrire le bon prince d’Aubigné ne peut que retrouver le ton de la satire et de l’accusation. Ainsi la réflexion sur la monarchie est contaminée par l’affectivité et les sentiments de répulsion qu’il éprouve pour les Valois.
Donc la structure syntaxique de l’ensemble sans construction élaborée, et à l’allure d’une liste jamais terminée reflète, en même temps que le « non » qui montre le rejet violent de ces rois, toute l’indignation qui va présider à un tableau peu édifiant des Valois :

Des monstres qui sont hommes-femmes, des hermaphrodites (confusion des catégories), efféminés, les trois caractérisants et la relative coordonnée qui rallonge l’énumération produisent un effet d’entassement et font monter le ressentiment (bourdeliers = débauché qui hantent les bordels) et la dernière proposition allie l’accusation de débauche à celle de servilité : des valets des putains avec des antithèses très fortes : ces rois servent au lieu de commander, et ils servent des putains, et  même des hommes : double inversion des valeurs.

La seconde négative reprend en la résumant la première (monstres - les monstres) et opposent le siècle et le temps de l’énonciateur (« où nous sommes) (la satire tourne au pamphlet) à un temps idéal. La troisième s’étend sur quatre vers : au premier effet général d’entassement s’ajoute un effet secondaire car l’ensemble est constitué par quatre cod du verbe « couvent » dont le dernier en signe de point final est développé par une relative : apparaît ici le thème du déguisement et du mensonge : opposition entre le paraître (sous l’or, sous la pourpre royaume) et l’être « ils couvent » : noter la proximité des sonorités : l’intérieur (le « ou » cavité buccale) est tout mauvais et l’antithèse des matières précieuses avec les défauts dénoncés : lâcheté, penser déloyal, trahison des bons, et « un mépris de la charge que sur le dos d’un Roi un bon peuple décharge » ici apparaît une définition de la monarchie où le souverain est « rex per populum » (théorie médiévale) : c’est le peuple qui établit les rois, et la dignité royale est un fardeau pesant, une « vocation et servitude publique ». Donc un roi qui n’est plus au service du peuple (et qui est valet des putains !) ne devrait plus être roi, puisqu’il ne remplit plus la mission que son rôle devait lui faire remplir.

La dernière énumération négative est encore une série de 4 vers ; même effet d’entassement dans les compléments de « avoir l’œil » quatre aussi, et le dernier se prolonge encore avec une relative sur l’inconstance. Le sujet général en est l’influence de Catherine sur ses enfants (ils étaient jeunes et Catherine a été très fine manœuvrière en louvoyant entre catholiques et protestants). Parle des femmes (il ne s’agit que de Catherine !) et il condamne tous ceux qui se laissent gouverner par elles, s’attaquant surtout à l’inconstance féminine. Il accuse Catherine d’inconstance (ce qui en réalité était une preuve de son habileté) et la comparaison avec la « nue changeante » reprend une thématique baroque bien connue.

Dernière partie

Elle reprend l’idée du déguisement, interrompue par l’évocation du rôle des femmes pendant que les princes se déguisent. Noter « nos rois » (le pamphlet se fait entendre) et le « je » qui vitupère. L’ensemble est mieux construit : une temporelle de 4 vers puis une principale avec deux verbes coordonnés puis 4 vers d’une seconde temporelle qui dépend du quatrième vers précédent : une série de tableaux dont la véhémence est sensible dans ces phrases « en escalier » qui ont de la difficulté à s’arrêter. Cet ensemble oppose les frasques des rois à l’humilité et l’abnégation du peuple. D’Aubigné reprend ici un topos qui date des Romains (et des historiens à propos de Néron, Commode, etc.). Les Rois sont « doublement déguisés » hypocrites et masqués (pour le carnaval). Noter assonances et allitérations, l’ensemble compose une belle image : les rois sont des pirates qui écument les mers (les rues) pour prendre les bateaux (crocheter les filles) : des voleurs et des violeurs. Noter le contre-rejet externe (« …attisés / A crocheter… ») : non-respect des limites et montée de l’indignation ; le deuxième infinitif est encore plus injurieux « étalons des bourdeaux de  la ville » même caractère concret, et la principale se donne en une violente antithèse : deux sujets : le peuple ruiné et le pauvre étonné (sens fort) (A ondes = en foule) qui se prosternent devant ces princes pourtant « vicieux » (nombreuses allitérations bourdeaux/peuple/prosterne/pauvres/Plaisant etc., marque de l’affectivité qui multiplie aussi les accents du vers. « coule honteusement » = passe son chemin avec honte (pour le roi) Evocation d’une scène de carnaval (cf. Néron aux Lupercales) où effectivement cf. P. de L’Estoile, Henri III et ses mignons se précipitaient à cheval  dans les rues en renversant  les passants : opposition entre le mot « plaisant » (cf. les jeux, les ris) et le mot « faible à genoux » (derrière le rire, le sang) : images véridiques et symboliques de  ces rois causes des Misères. Noter encore le fort rejet du cod (les faibles à genoux) : non-respect de la norme la plus élémentaire, avec l’absence de pitié devant ces faibles agenouillés.

La relative finale décrit la misère des « faibles » qui pleurent en vain leur malheur (sans profiter = en vain). Nouvelle discordance entre le mètre et la syntaxe : versent/Leurs larmes : l’ordre est perturbé. Les deux derniers vers ne sont pas très clairs : l’affligé est affligé par l’amas (le nombre) de gardes qui défendent l’accès au roi : les gardes étant sans pitié ? Ou alors ils sont torturés par les soldats du roi ?

Conclusion

Texte très violent où l’indignation fait dériver le propos : la définition du bon roi se mue très vite en pamphlet féroce dans lequel le propos général cède la place aux accusations les plus ordurières : nous sommes au cœur de la problématique de II : l’impossible parole de vérité sur terre. Le miroir du prince est désormais une œuvre impossible, et d’Aubigné est débordé par sa passion et donc l’ordure contre quoi il veut combattre.

Nous retrouvons les habituelles accusations qui sont du reste liées à a sensibilité particulière de cette époque baroque : inconstance, déguisement (la farce /le sang) et la condamnation des rois qui au lieu d’alléger le peuple en font leur victime, renversement des valeurs.

À partir de tous ces éléments apparaît donc l’image du bon roi, père pour son peuple mais plus qu’une méditation sur le pouvoir ce livre est la manifestation d’un homme qui vers les années 1580 projette sur sa vision du régime ses angoisses du moment : crise de conscience sur sa propre conduite passée (cf. sa « vie » ou l’Élégie V : il veut s’arracher à une vie placée sous le signe du péché : le goût des combats, les modes trompeuses des courtisans (cf. dès le livre I sur les duels vers 1174-75, ou bien le rejet du Printemps, œuvre née de sa passion pour Diane cf. exorde II 35-36 et surtout 187 – 190 sur lesquels on reviendra). On entend un écho de ce déchirement  dans le débat de Fortune et de vertu (cf. supra).

Donc dans la première étape du livre une réflexion personnelle plus qu’une réflexion politique argumentée ; et il est même en retrait par rapport à la réflexion protestante cf. Bèze et Hotman : ceux-ci n’hésitent pas à dire que la liberté de conscience (pour les Réformés le Seigneur du Cœur est différent du roi temporel) permet de résister au roi félon. Lui, a plutôt une vision féodale de la royauté avec des liens de vassalité très forts au chef (II, 1470). Quant aux mauvais princes, (cf. Misères) ils sont envoyés par Dieu aux peuples comme châtiment (cf. 391-2). Ainsi d’Aubigné s’emploie à dénoncer l’injustice des rois dégénérés mais sans remettre en cause les principes de la royauté (cf. Calvin qui prône l’obéissance – pas évidente – à toute forme d’autorité). Mais, contrairement à Calvin, pour lui, la dégénérescence est d’autant plus grave qu’il persiste à voir dans le souverain un « dieu secondaire ou image de Dieu » (524) sur terre. Il est donc d’autant plus nécessaire et impératif de veiller à l’intégrité du pouvoir royal. D’où une contradiction entre ce respect du pouvoir royal et la tyrannie des rois.

Cependant à la parution du livre les données avaient changé et donc sa réception : d’Aubigné dans son opposition grandissante à Henri IV se vit accusé d’être un « républicain » dangereux pour le pouvoir royal. Il y a donc deux impératifs contradictoires : le devoir d’obéissance au prince légitime et l’impératif religieux de résister à un prince renégat.

L’adresse « Aux lecteurs » exprime sa crainte que ses critiques ne l’assimilent à un opposant de la monarchie : « je gagnerai… le nom de turbulent, de républicain : on confondra ce que je dis des tyrans pour être dit des Rois ». Cette remarque définit bien sa position : devoir tout au roi, et rien au tyran. Or sa description des Valois met en pièces, au-delà des Valois, le type même du roi scélérat – et Henri IV n’échappe pas aux accusations de trahison). Et la satire des Valois pouvait être sentie comme une critique de la politique d’Henri IV (d’autant qu’en 1616 les Princes (Condé) se soulèvent, et que Marie de Médicis, la nouvelle régente (décidément !) fait une politique pro-espagnole). D’Aubigné fut pris dans ces révoltes – épisode peu glorieux dont il sortit désabusé.

Mais la contradiction déjà signalée entre le devoir de résistance et le respect de la monarchie rend la foi inconciliable avec la vie de cour et avec l’éthique noble qui est de servir le Roi. Et ainsi la fonction même de la noblesse va être remise en cause.

La vérité exilée au désert

Dans la dernière partie du texte (l’allégorie et le final) se superposent deux conseils différents, l’un donné par Vertu et l’autre par le poète lui-même. La gloire immortelle proposée par Vertu, la vraie gloire du noble, est commentée par le poète comme la gloire de l’Élu au Ciel ; ce n’est pourtant pas la même chose : d’un côté l’idéal, stoïcien, de maîtrise de soi et de l’autre le conseil de quitter la cour pour se mettre au service de l’Église. En tout cas c’est une double rupture avec la cour, au point de vue éthique comme au point de vue religieux. On va voir comment l’échec de la solution éthique et politique ne rend possible que l’autre solution : combattre uniquement pour l’église.

L’allégorie du jeune homme textes 5 et 6 vers 1281 à 1318 et 1448 à 1486

Résumé : Un jeune homme bien éduqué est envoyé par son père à la cour servir son roi. Candide, il est étonné du spectacle qu’il voit. Mélancolique, il fait un rêve où lui parlent Fortune et Vertu, l’une lui conseille la réussite par la flatterie et l’autre la recherche de la vraie gloire, quitte à ne plus servir le roi-tyran   pour se trouver un autre maître ici le Navarrais.

(voir Lestringant in Unichamp)

La mise en scène comme les paroles des deux fées est intéressante pour définir la mission sont s’est senti investi le poète.

Un double songe : La source de ce texte est double : d’une part le songe de Scipion (De Republica de Cicéron) où, de même que le jeune homme voit dans son rêve Coligny contempler la suite de son massacre depuis le Ciel, Scipion accueilli par son grand-père le premier Africain contemple le mécanisme des sphères célestes qui lui est dévoilé et comprend les fins dernières de l’homme : la juste rétribution des citoyens vertueux et amoureux de leur patrie. Le songe est un moyen d’échanger le point de vue terrestre contre le point de vue céleste. Or Scipion apparaît dans le texte, comme un premier Coligny vers 1430-31 : Vertu veut montrer la terre du même point que Scipion ou que Coligny la vit. Si l’on relie ce texte aux extases de Talcy et de Casteljaloux, on constate qu’il y a ici cette présence d’une Révélation (le jeune homme est un élu (cf. 1425) de la vérité : qui montre un renversement de l’histoire avec triomphe final de la Cause, et l’issue tragique devient comique : vision consolatrice de l’histoire (Fortune disant sans le savoir la gloire de Coligny). Donc dans le songe du jeune homme, ce qui vient du songe de Scipion est l’accès à une connaissance supérieure, qui entraîne comme un rétrécissement de la terre : « le monde n’est qu’un pois, un atome », la France est un spectacle humiliant pour la gloire terrestre, et la Vertu (comme le vieux Scipion) en tire un enseignement moral : il faut préférer le véritable honneur dont la récompense est la gloire éternelle (cf. l’autocritique de d’Aubigné à propos des duels en I, 1078).

Mais en même temps le Songe distinguait le chemin pénible de l’honneur de la vie de plaisir soumise aux passions, ce qui était le sujet d’un autre songe aussi tiré d’Italicus :

Deuxième source : L’apologue de Prodicos où l’on voit Hercule à la croisée des chemins est repris dans ses « Punica » par Italicus par l’intermédiaire d’un songe  que fait le premier Scipion, un « juvenis » aussi, quand il est sur le point de partir pour diriger la guerre, mais qu’il est retenu par l’affection pour son entourage : il est visité en songe par deux déesses Volupté et Vertu et à la suite d’un débat contradictoire Vertu l’emporte, Scipion part de chez lui pour se rendre au Sénat où il obtient le commandement des armées. Ce type de songe relève d’une éthique de l’engagement, qu’on retrouve dans les conseils de Vertu au jeune homme « Va-t-en donc imiter ces élevés courages / Qui cherchent les combats au travers des naufrages (1480) Scipion-Coligny, c’est ici le représentant de l’élite militaire et dirigeante, responsable d’un destin collectif dont il a la charge (cf. 1452). Et de même que la destinée du premier Africain se prolonge dans les second, de la même manière d’Aubigné doit poursuivre par l’épée et la plume le combat entrepris par Coligny.

Ce double modèle met en place deux directions opposées, toutes deux présentes dans  Princes  : l’une à parcours vertical : l’ascension de l’âme au ciel, et l’autre horizontale, avec la visite d’êtres surnaturels dans la chambre du rêveur : et d’Aubigné accentuent ces caractères divergents : en 1428 : « Je veux faire voler ton esprit… » envol abrupt de l’âme en ce lieu indicible d’où la terre est insignifiante ; il supprime d’autre part la descente des divinités à travers les airs et Fortune entre simplement dans la chambre, tandis que Vertu attend sagement à la porte jusqu’au vers 1318 où, à bout de patience, d’entendre les paroles de Fortune, elle fait brutalement irruption.

Ce qui renvoie à deux idéologies incompatibles : l’engagement ou l’ironie généralisée. Or on sait (I, 170) que le thème du « suave mari magno » n’a pas la faveur du poète. Et soulignons que l’ironie est double : celle du rire de Coligny qui sépare l’apparence de la réalité : un corps maltraité d’une part, une âme qui s’élève de l’autre ; et l’ironie qui consiste à faire dire à la vérité une antiphrase qui correspond en fait à la vérité : « la fange fut sa voie au triomphe sacrée » (1231) : ce qu’elle considère comme ironie et dérision est vrai : c’est par le martyr qu’il triomphe : c’est l’engagement quotidien de Coligny qui lui permet de connaître un bonheur éternel ; Le fait que le personnage de Coligny apparaisse dans les deux discours successifs de Fortune et de Vertu montre le lien entre les deux ironies, qui explique comme une solution de compromis que sur terre il faut combattre, mais qu’il se produit quelques « trouées » du fait de la grâce seule, intuition du bonheur post mortem.
C’est ce qui explique le style de ce passage en général plus élevé : l’allégorie, c’est aussi la possibilité de transformer le visible en intelligible mais en restant terre à terre.

Il ne reste donc plus au jeune homme qu’à suivre l’exemple glorieux de son prédécesseur ; ce que fit d’Aubigné se mettant corps et âme au service du « Navarrais » à la recherche de la mort glorieuse où la défense de son dieu s’unissait à celle de son souverain. D’où la désillusion quand Henri cherche à tout pacifier, brouille, retraite, jusqu’à l’abjuration en 1593 : ce n’est plus que par la plume que le poète pourra mériter la palme de martyr.

Ainsi la rupture avec l’espace politique va justifier la prise de parole du poète à la fin de princes et le conseil qu’il donne de fuir : « fuyez Loths, de Sodome et Gomorrhe brûlantes ! » Désormais ce n’est plus le poète satiriste des vices de la cour qui parle, mais le prophète inspiré que la parole violente ou la passion de la vérité peuvent mener au martyr. Le témoin de la vérité réclame la mort pour justifier son élection.

Quelques indications pour expliquer le Songe du jeune homme.

Eléments culturels (cf. infra) + expérience hallucinatoire de d’Aubigné cf. la lumière qui accompagne l’apparition des deux femmes, l’image de la mère et des enfants, qu’on retrouve dans « sa vie à ses enfants » : il  « …ouït entrer dans la chambre puis en la ruelle de son lit quelque personne de qui les vêtements frottaient contre les rideaux, lesquels il vit tirer aussitôt et une femme fort blanche qui lui ayant donné un baiser froid comme glace disparut »

Ainsi l’épisode du jeune homme est un élément biographique redressé en intention moralisatrice et projeté dans le cadre conventionnel de l’époque, l’allégorie.

Vers 1107 – 1142 : Un naïf à la cour : portrait du père (cf. Horace et Grandgousier aussi pour l’éducation de son fils). Noter le changement de temps v. 1119 du récit à la description de la cour ; enfin le caractère autobiographique (Criton). Les fanfaronnades de ce jeune homme provincial, que d’Aubigné rend cependant sympathique ; les masques du langage : processus de déformation des mots venant des flatteurs mais inverse de celui qu’on a vu : ce n’est plus ici le défaut qui est considéré comme une qualité mais la qualité qui est abaissée par les courtisans envieux du jeune homme. Figure de l’antithèse très présente dans ce passage, et valeur psychologique de l’accélération : le jeune homme est dégoûté.

Vers 1143 – 1175 : Composition (crescendo burlesque : choix des interlocuteurs, montée de l’étonnement, longueur croissante des réponses), art du dialogue (variété stylistique des réponses ; mélange style direct et indirect), et art du satiriste : ironie dans la satire des courtisans.

Vers 1172 – 1207 :  La fortune a les yeux bandés : incertitude de la fortune, et manière de ne pas regarder aux moyens pour atteindre une fin. Éléments fantastiques (justifiés par l’état « mélancolique » du jeune homme : apparition, décor, atmosphère étrange ; et thématique baroque du rêve, avec ses éléments fuyants et ondoyants. Éléments symboliques dans les détails à valeur allégorique ; et l’image de la fortune, mère, marâtre, courtisane : image toujours double de la maternité : ici, l’apparition prend un caractère démoniaque (flatterie, mensonge, déguisement).

Vers 1280 – 1318 : Les exhortations de la Fortune reprennent la satire des mœurs de la Cour ; et art de la caricature.

Vers 1319 – 1344 : Éléments fantastiques ; éléments symboliques, et baroques.

Commentaire 6 : la protestation de vérité vers 162 – 192

(À relier à la préface) interruption de la thématique générale par un récit autobiographique : d’Aubigné n’est pas un flatteur (la thématique du livre II est le règne de l’apparence) et il raconte ses déboires personnels ; recherche du martyr par la plume/couteau pour la vérité : « Mourons… » : les œuvres de d’Aubigné sont comme ses « enfants » le légitime le tue/le bâtard fait sa gloire ; les images concrètes : la vérité, les livres, et les allégories (la main, le corps). Enfin justification de la place à cet endroit de ce fragment d’histoire personnelle (qu’il aurait été normal de trouver dans l’exorde) : pour signer, hors du cadre attendu la protestation de vérité au cœur du tableau de la cour des Valois : ainsi la valeur de témoignage n’en est que plus forte.

Le livre de Princes montre comment, compte tenu de la dégénérescence de la monarchie le poète ne peut plus parler à partir du lieu de la Cour ; seule la vérité religieuse survit à cette tragédie, et s’il y a martyr, ce ne peut plus être que dans une parole au service de sa foi. (il faut noter le mouvement ascensionnel du livre : le III va confier à Dieu le pouvoir de lever les masques et la satire de II c’est ce temps intermédiaire où le poème passe du plan de l’Histoire à l’eschatologie, et donc qui devient un épisode dans la lutte du Bien contre le Mal.

Comment peut alors se fonder une pratique politique qu’ambitionne forcément de définir et de justifier une œuvre qui se veut d’abord mobilisatrice, c’est la suite qui le définira, et ce sera nécessairement une pratique paradoxale, car en tant que défense contre une agression, l’action politique se pense dans l’histoire, mais en tant qu’affirmation d’une foi, elle se pense par la mort en rupture avec l’histoire, et la recherche du martyr devient la seule action possible : agir pour mourir.

Dernier texte : Péroraison 

L’appel à la retraite est la péroraison traditionnelle des satires de la cour. Pourtant il est remarquable que ce qui devrait être l’évocation de la paix des champs est complètement dévié ici. (du reste cette fin est contradictoire avec les conseils de Vertu d’aller combattre pour le Navarrais : elle a dû être écrite après sa rupture avec Henri IV) et au lieu d’une note bucolique, on a au contraire un ton apocalyptique (soutenu par des allusions bibliques) pour dire qu’il faut absolument quitter la cour (car « même pour vous taire/ vous êtes compagnons de méfaits) le poète utilise une comparaison avec la nature : au lieu donc que la nature soit le refuge qu’on attend dans son opposition avec la cour, elle n’est ici qu’un élément de comparaison pour montrer que lorsque la foudre (du Ciel) s‘abat tout est touché, depuis le chêne jusqu’à la moindre petite herbe ! Car « tout ce qui a eu part à l’ombre » (des arbres, comme la protection des Rois) aura sa partie de danger…

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