CONTINUATION DU DISCOURS DES MISÈRES DE CE TEMPS - Explication des vers 372-392 Ronsard : Les oeuvres engagées.

Dans la dernière partie de son discours Ronsard donne la parole à la France, puisque finalement le dialogue avec les  protestants (et avec De Bèze surtout) n’a pu être instauré. Il reprend la personnification déjà ébauchée au début du discours (cette France dévêtue par ses propres enfants) en la menant à son terme puisque non seulement il lui donne la parole, mais qu’il lui fait décliner, comme dans un blason, toutes les parties de son corps violentées par « les peuples mutins ».

Ce passage est une attaque frontale des protestants. Ronsard fait un tableau réaliste de toutes leurs exactions, tableau d’autant plus pathétique qu’il est fait par la victime elle-même. C’est donc ce mélange de réalisme et d’invention allégorique qui caractérise le texte.

Plan :

  • Vers 372 – 380 : Le corps mis à mal (équivalence symbolique avec les violences réelles)
  • Vers 380 – 390 : Les sacrilèges commis dans les églises et les tombeaux
  • Vers 390 – 393 : La conclusion sur la cruauté des protestants

Première partie

Nous avons ici un blason du corps féminin, énuméré par la France elle-même personnifiée, que les protestants s’acharnent à détruire : le bras droit, la robe, et les cheveux, avec les équivalences bras // sénateurs, robe // cités, et cheveux // Eglises, établie quasiment sur le même schéma syntaxique : le verbe avec le code concret, puis un participe présent reprenant le verbe accompagné  du code réel : ils m’ont rompu ma robe/ rompant les cités, cassé le bras/ chassant les sénateurs, pillé mes cheveux/ pillant mes Eglises ; ce qui est toujours répété, c’est le possessif, qui souligne le scandale de l’action : Mes peuples, M’ont cassé, Mes sénateurs etc. : ce n’est que seulement soit démoli ce qui lui appartient, mais c’est son peuple qui le démolit :

« Or mes peuples mutins, arrogants et menteurs… »

Les trois adjectifs sont de pures invectives, même si « mutins » peut-être est plus juste, car c’était contre les Rois de France que, depuis l’étranger, les protestants incitaient à la révolte. L’adjectif « arrogants » (être sûr de sa vérité) ne pouvait s’appliquer aux seuls protestants, car les troupes de Guise à Vassy l’étaient aussi, et l’accusation de « menteurs » constamment répétée n’avait aucun fondement. On entend pourtant toujours dans les allitérations en « M » (mes, mutins, menteurs) ce même scandale : que ces gens appartiennent à la France. Quant aux sénateurs (allégorisés en « bras droit ») ce sont les conseillers des Parlements parfois chassés des villes contrôlées par les Réformés.

Les deux vers suivants en expliquent la cause :

Car de peur que la loi ne corrigeât leur vice,
De mes palais royaux ont banni la justice

(Il s’agit des palais de justice) : ce renvoi des sénateurs (par peur, comme le dit le premier de ces deux vers, d’être hors la loi, ce qui est une accusation implicite) instaure le règne de la Discorde : dans la Remontrance, on apprend comment le Prince de Condé avait fait prendre le conseiller Sapin. Et les deux vers qui suivent désignent peut-être cette discorde introduite par la Réforme, avec ces cités « rompues » (au sens de « détruites » probablement), ces citoyens « dépités » contre leur propre pays , comme s’ils n’avaient plus confiance en lui (le pays devient peu sûr, la guerre est partout).

L’énumération se poursuit, avec un ton encore plus plaintif qui tourne à l’élégie à cause de la reprise du dernier mot « mes Eglises » dans le vers suivant « Mes Eglises hélas… » d’autant que la rime (prises) fait encore entendre le mot, tandis que le complément de manière « par force » modalise le verbe « prendre » de façon encore plus grave, pointant sur une violence que restitue le nombre d’occlusives labiales (« pillé, pillant, par force, prises, en poudre…), tandis que les multiples accents prosodiques intensifient la plainte.

Quant à la « poudre » («  En poudre foudroyant images et autels ») c’est un motif récurrent : tantôt « poudre aux yeux », tantôt « poudre aveuglante » (cf. précédent discours) ici, le motif signifie l’action destructrice des protestants dont on sait qu’ils s’insurgeaient contre le luxe des Eglises, et les représentations des Saints ou du Christ : pour eux tout ce qui dans la tradition chrétienne tendait à montrer la force de Dieu sur terre(et donc tout ce décorum des églises) était à rejeter, comme un luxe non seulement inutile mais trompeur car ce monde-ci n’est qu’un monde déchu. L’absence d’immanence prive toute image de son sens. Au contraire pour Ronsard l’image (et le mot, qui est aussi image) peut être divine : Dieu peut être sur terre. Le sacrilège l’est donc pour Ronsard, mais non pour les protestants qui veulent une foi intérieure sans la pompe habituelle et extérieure de l’Eglise. Et d’ailleurs Ronsard montre bien où est le sacrilège : c’est le « vénérable séjour de nos Saints immortels » : le pillage est d’autant plus grave qu’il s’attaque à un « vénérable » (digne de respect) séjour des Saints « immortels » (ce qui veut dire que cette attaque ne sert à rien, ils ne seront jamais brisés) , qui sont « les nôtres » l’adjectif possessif « nos » implique une communauté, rejetée donc par ce « peuple mutin ». Pour Ronsard d’autre part, l’Eglise n’est pas un lieu anodin, puisque elle est « le séjour » des Saints, et ce dernier vers est sous une forme exclamative, le discours se charge donc de beaucoup d’affectivité cf. le « hélas »).

Et c’est la même chose pour les deux vers suivants :

Contre eux puisse torner si malheureuse chose
Et l’or saint dérobé leur soit l’or de Tolose !

Le discours prend une tournure d’imprécation avec ce souhait de châtiment, et même devient diffamatoire, en rabaissant les protestants à de vulgaires bandits cherchant dans les Eglises de l’or à revendre (l’expression « or de Tolose » est proverbiale cf. la note du livre, et veut dire une richesse mal acquis, alors que précisément l’action des protestants visait à rétablir l’Eglise ancienne, devenue trop riche institution, dans ses vœux de pauvreté. Au contraire Ronsard veut inscrire les gestes des Réformés dans la continuité d’une histoire de pillage (cf. l’or de Tolose), dont le principal responsable connaît un sort malheureux. Ainsi l’imprécation sur l’or équivaut à une réelle malédiction, avec ce retournement du sort que rend bien le renversement des deux lettres de « or » (« tOrner, Or, en déRObé »,  la rime chose/Tolose faisant résonner ce « o » ouvert)

Le paragraphe d’après poursuit l’énumération des « sacrilèges » (le terme est utilisé)  « nouveaux », encore plus graves , non plus s’attaquer aux ornements (statues ou images) mais aux lieux eux-mêmes qui, de temples saints sont transformés en « étables à chevaux » : dans quelle mesure cette accusation est-elle juste ? On ne sait trop, mis à part que chez les Réformés il y a toujours cette conviction que le sacré n’est pas de ce monde (il est dans la nature entière, pour Ronsard). Remarquons l’antithèse « temples saints/étables à chevaux » rendue encore plus sensible par la différence de registre : noblesse des « temples saints » et trivialité des « étables à chevaux ».

Les quatre vers suivants se présentent comme une longue période oratoire (une circonstancielle de comparaison, la principale, et une proposition finale à sens plutôt consécutif), qui décrivent les Réformés comme des êtres tourmentés par des démons (« les fureurs stygiales » : les furies qui viennent des Enfers). Les deux mots « stygiales » et « violé » sont à prononcés en diérèse, et sonnent donc d’autant plus longuement, comme pour mieux faire apparaître le sacrilège. La comparaison annonce en même temps le crime : s’ils sont tourmentés par ces furies du Styx, c’est qu’elles les poussent à violer les morts, en violant « l’honneur des tombes sépulchrales » (ce qui est un fait exact : cf. la note du livre : les protestants ont violé des tombeaux à Tours) ; et la consécutive-finale dit le résultat de leur conduite : ils unissent « les vivants et les morts » dans la haine contre eux.

Les deux vers qui suivent prolongent la comparaison mythologique déjà esquissée avec les Furies en évoquant Busiris et Sisyphe, deux personnages mythiques célèbres pour leurs cruautés, et qui pourtant sont surpassés en cela par les protestants, « Busire », lui, ne s’en prenait qu’aux étrangers ; il fut donc « plus doux » que les protestants qui s’attaquent à leurs compatriotes. Et une périphrase désigne Sisyphe « Celui qui promène une roche aux Enfers », et de même que le cruel Busire fut « plus doux », de même Sisyphe eut aussi « l’âme plus humaine » : Sisyphe le premier tyran de Corinthe était très rusé (certains le disent père d’Ulysse) et très menteur. On dit, entre autres, qu’il haïssait son frère et qu’il avait voulu le tuer. Peut-être, est-ce ce crime « fraternel » qui justifie l’allusion à ce personnage. C’est toujours la guerre civile qui est dénoncée.

Le dernier vers conclut l’ensemble : le résultat est que la France se trouve « en extrême langueur », donc sur le point de défaillir.

Conclusion :

Ce passage brosse donc un tableau figuré des exactions des protestants, que présente de façon indignée une France agressée. Ronsard y mêle des allusions très précises, et une figuration allégorique.  Il y dénonce ce qui à ses yeux un véritable scandale : on ne peut ainsi s’en prendre au sacré. Au contraire c’est pour défendre la foi intérieure que les protestants agissent ainsi : les deux partis qui s’affrontent disent donc tous deux que c’est au nom de la religion qu’ils mènent le combat, ce qui a été toujours le propre  de ce genre de guerre.

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