Cicéron, Tusculanes, II, 12-13 et De finibus, V, 39-40 : pistes d'études

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I. Présentation de l’auteur1 :

Cicéron naît à Arpinum (Latium) en 106 avant notre ère, d’une famille équestre.

Élève brillant, il aime fréquenter le Forum pour écouter les orateurs et se former à l’éloquence. À 25 ans, il prononce son premier plaidoyer, Pro Quinctio, et l’année suivante, il plaide une cause plus importante, Pro Roscio, où il fait preuve d’un certain courage, puisqu’à l’époque même des proscriptions, il attaque un favori de Sylla, puissant dictateur, et gagne son procès. Dès lors, il compte parmi les principaux avocats de Rome.

Un voyage en Grèce et en Asie lui permet de rencontrer les meilleurs maîtres d’éloquence de ces pays, notamment Molon qui enseignait à Rhodes. De retour à Rome en 77, il épouse Terentia.

De 76 à 63, Cicéron se lance dans une carrière politique. Nommé questeur (charge qu’il exerce en partie en Sicile) puis désigné édile en 70, il plaide contre Verrès à la demande des Siciliens : gouverneur pillard à Syracuse, ce dernier est alors condamné. Pour prolonger l’effet de cette condamnation dans l’opinion, Cicéron publie les Verrines, discours qui forment un tableau complet des exactions commises par Verrès en Sicile.

Édile curule en 69 et préteur en 66, il se rapproche de la noblesse et tente de réaliser un parti du centre, unissant les chevaliers et la noblesse (les « boni »).

Consul en 63, il déjoue la conjuration de Catilina, faisant exécuter les complices de ce dernier, salué pour cela du titre de père de la patrie. Mais il est violemment attaqué par le parti populaire et en particulier par Clodius qui l’accuse, en 58, d’avoir mis à mort les conjurés de Catilina sans jugement. Il est alors contraint à l’exil durant dix-huit mois, en proie à une amère tristesse et à un grand découragement.

Il revient enfin à Rome en 57, mais il n’a ni puissance dans l’État, ni même indépendance. C’est l’époque du premier triumvirat (César/Pompée/Crassus). En 52, il défend Milon, responsable de la mort de Clodius.

En 51, il quitte Rome de nouveau mais cette fois avec un commandement officiel : nommé proconsul, il va gouverner en Cilicie (de juillet 51 à juillet 50), remporte quelques succès militaires sur une petite armée de brigands. Proclamé imperator par ses soldats, il espère obtenir le triomphe mais à son retour à Rome, la guerre civile éclate entre César et Pompée. Après une longue hésitation, il se décide en faveur de Pompée, qui, peu après, en 48, est vaincu à Pharsale. Réservé envers César qui cherche à gagner son amitié, il consent à se rapprocher de lui et obtient la grâce de plusieurs Pompéiens. Il conseille alors à César de rendre à Rome la liberté mais sans succès.

En 45, sa carrière politique est interrompue par un événement personnel douloureux : il perd sa fille Tullia. Il compose alors plusieurs ouvrages philosophiques pour calmer son chagrin.

Aux Ides de mars 44, César est assassiné. Cicéron, qui finissait par désespérer de voir le dictateur rétablir la liberté, se réjouit politiquement de cette disparition et prend la tête du parti républicain. Il s’oppose violemment à Antoine, qui prétend à la succession de César, en prononçant les Philippiques et en se faisant le chef de cette opposition, et il favorise le jeune Octave. Mais Antoine traite avec Octave, abandonnant Cicéron. En décembre 43, les soldats d’Antoine attendent alors ce dernier à Formies où il est décapité. Sa tête et sa main droite sont exposées au Forum, au-dessus de la tribune aux harangues.

 

II. Présentation des œuvres et situation des extraits :

A. Les Tusculanes :

Cicéron compose les Tusculanae disputationes en 45 av. J.-C. Il les présente comme le compte rendu en cinq livres d’une série de conférences tenues pendant cinq jours auprès d’amis dans sa uilla de Tusculum (d’où le titre des Tusculanes). Il abandonne la forme du dialogue philosophique (fictif) adoptée dans ses ouvrages les plus célèbres, comme De l’orateur, De la république ou Des lois. Dans les faits, ce dialogue n’existe qu’au début de chacun des cinq livres des Tusculanes, pour donner de la vie à l’introduction. Certes, des interlocuteurs anonymes et fictifs interrogent Cicéron, pour lancer la discussion. Mais rapidement, Cicéron s’empare de la parole, à leur détriment, pour composer un véritable exposé philosophique.

Contrairement à ses dialogues philosophiques, beaucoup plus techniques (comme, à la même époque, les Académiques ou Des termes extrêmes des biens et des maux – œuvre présentée dans le paragraphe suivant), les Tusculanes constituent une œuvre de vulgarisation, destinée à justifier auprès des lecteurs l’intérêt de la philosophie. Elles abordent successivement cinq points : la mort, la souffrance, le chagrin, les passions, le bonheur du sage, supérieur à tous ces maux.

Dans le texte retenu, Cicéron réfute l’échec de la philosophie : si certains philosophes ne mènent pas une vie vertueuse, ce n’est pas la philosophie qui est en cause, mais le tempérament vicieux de la personne. Cicéron explique cette responsabilité par une comparaison agricole, celle de l’individu avec une graine qui ne donne pas, s’appuyant sur une citation d’Accius2 pour la contester.

Il renverse ensuite le parallèle entre animus et ager, suggérant que, si les vices d’un philosophe ne discréditent pas pour autant la philosophie, inversement la philosophie est indispensable au développement de la vertu dans l’âme, comme la culture l’est pour assurer la croissance d’une graine. La philosophie se trouve donc définie comme une condition nécessaire, mais pas suffisante…

L’importance de la culture philosophique dans l’accomplissement de la nature humaine est constante dans l’œuvre de Cicéron : il suffit de lire le préambule du premier ouvrage théorique de Cicéron, De l’invention (I, 2-3), qui met en scène la formation de l’humanité à l’art oratoire par un homme providentiel.

B. De finibus :

Des termes extrêmes des biens et des maux s’inscrit dans la tradition du dialogue philosophique qui eut fréquemment la faveur de Cicéron. Composé peu avant les Tusculanes, il participe du même souci de diffusion des idées philosophiques. Il correspond à une période d’intense activité littéraire pour Cicéron, qui cherche dans le travail une consolation au deuil de sa fille Tullia, morte au début de cette année 45. En cinq livres, il met en scène des personnages historiques, partisans et détracteurs de trois écoles philosophiques majeures, l’épicurisme, le stoïcisme et l’académie, autour d’un sujet commun : la nature du souverain bien, capable de garantir le bonheur au sage.

L’extrait proposé offre une analogie : en étudiant la vie des plantes, et en particulier de la vigne, soutenues par des procédés agricoles, Cicéron suggère que l’âme humaine mérite elle aussi des soins extérieurs garantissant son développement, pour parvenir par la suite à un plein accomplissement par elle-même. L’image végétale vient donc illustrer la nécessité d’une éducation philosophique.

L’interlocuteur de Cicéron dans cet extrait est Torquatus, qui expose la doctrine épicurienne.

Les deux ouvrages, les Tusculanes et le De finibus, sont dédiés à Brutus, en qui il fonde tous les espoirs pour redresser la République mise à mal par César. Il lui dédie également un ouvrage consacré à l’histoire de l’éloquence à Rome, le Brutus, dans lequel il évoque la nécessité de former les jeunes orateurs pour leur permettre d’atteindre leur plein épanouissement.

 

III. Pistes d’étude grammaticale et stylistique :

1. Étude du gérondif et de l’adjectif verbal :

  • dans l’extrait des Tusculanes : verendum est - ad satus accipiendos ;
  • dans l’extrait du De finibus : earum augendarum et alendarum - tractandas tuendasque.

2. L’expression de la comparaison :

  • comparatifs et superlatifs : majus argumentum - segetem deteriorem - fructus uberrimos  - potissimum - optime ;
  • subordonnées de comparaison : ut… sic… (ut comparatif à distinguer du ut final [ut in eodem simili verser - ut ita dicam - ut eo possint ire - ut de vite potissimum loquar] et du ut consécutif [ut ipsae vites … fateantur - ut quam optime se habere possit - ut appetitum quemdam habeat et per se ipsa moveatur]) ;
  • similis (in eodem simili) ≠ dissimilis (non dissimilis animantium) : sem-, racine marquant l’unité, qui n’est plus attestée en latin que comme premier élément de composé.

Faire la distinction dans les deux extraits entre comparaison et métaphore.

3. Les interrogations oratoires :

nonne verendum est igitur… - quod est enim majus argumentum…

IV. Pistes d’étude lexicale :

1. Métaphore de la culture :

  • Substantifs : cultura, ae, f. - ager, agri, m. - fruges, um, f. pl. - fructus, us, m. - satus, us, m. ;
  • Adjectifs : frugifer, era, erum - fructuosus, a, um - fertilis, is, e ;
  • Verbes : colo, is, ere, colui, cultum - sero, is, ere, sevi, satum - adolesco, is, ere, adolevi, adultum ;
  • Adverbe : radicitus.

2. Étude du mot « culture » et de ses composés :

(arboriculture, horticulture, pisciculture, puériculture…) avec les adjectifs correspondants (arboricole, horticole, agricole, viticole…).

3. Le verbe gignere :

Ernout-Meillet, Dictionnaire étymologique de la langue latine, s.v. geno, -is et gigno, -is, genui, genitum, gignere : engendrer, puis, par extension, produire, causer (sens physique et moral). Cf. γίγνομαι en grec.

Le participe présent neutre pluriel gignentia s’emploie parfois pour désigner « tout ce qui pousse » et en particulier « les plantes ».

in-genium : caractère inné, naturel, se dit des hommes et des choses ; en particulier : « dispositions naturelles de l’esprit, génie ».

4. De doctrina à doctrine :

  • en latin, doctrina signifie « enseignement » (cf. le verbe docere, « enseigner ») ;
  • en français, « doctrine », dans la langue de Molière, signifie « savoir » :

Je vous crois grand latin et grand docteur juré ;
Je m’en rapporte à ceux qui m’en ont assuré :
Mais, dans un entretien qu’avec vous je destine,
N’allez point déployer toute votre doctrine,
Faire le pédagogue, et cent mots me cracher,
Comme si vous étiez en chaire pour prêcher.

(Le Dépit amoureux, II, 6)

 

V. Pistes de commentaire littéraire et philosophique :

1. La question de l’« innéité » :

Il existe par nature des champs fertiles (ager fertilis) et des champs dans lesquels la semence ne peut prospérer (segetem deteriorem) → inégalités de naissance.

L’« innéité » est une notion moderne ; c’est la notion d’hérédité, de transmission familiale, qui prévaut dans l’Antiquité.

2. La mise en culture de l’âme :

Un terrain, même fertile, ne prospère pas sans culture.

C’est une manière de justifier la philosophie.

Il y a deux aspects dans la culture : la connaissance (scientia) et la pratique (ars).

3. Natura naturans :

Les théoriciens du Moyen-âge distinguent l’état de nature, c’est-à-dire la nature en tant que création, et l’activité de la nature, c’est-à-dire la nature en tant que force créative : les deux concepts sont représentés respectivement par les expressions natura naturata et natura naturans.

4. Analogie entre l’homme et la plante :

L’homme fait partie de la nature, son développement n’est pas différent de celui des autres êtres animés (animantium, terme employé dans le prologue du De rerum natura de Lucrèce, qui fait l’éloge de Vénus nourricière : per te […] genus omne animantium / concipitur) comme les plantes.

Rechercher le vocabulaire renvoyant à la sphère végétale qui est utilisé pour évoquer la culture de l’âme ; inversement, rechercher le vocabulaire renvoyant à la sphère humaine qui est utilisé pour évoquer le développement de la plante.

 

VI. Prolongements :

1. L’invention de la culture :

Éloge de Déméter dans le Panégyrique d’Isocrate : la déesse a accordé aux Athéniens « deux sortes de récompenses, qui sont précisément les plus grandes : les récoltes, qui nous ont empêchés de vivre à la façon des bêtes (τούς τε καρποὺς, οἳ τοῦ μὴ θηριωδῶς ζῆν ἡμᾶς αἴτιοι γεγόνασιν), et l’initiation, qui, à ceux qui y participent, donne pour la fin de la vie et pour toute l’éternité de plus douces espérances » (§ 28-29).

Célébration du travail des agriculteurs chez Virgile.

Importance des traités d’agriculture (Caton, Varron, Columelle…).

2. Métaphore de la culture :

Fin du roman de V. Hugo Claude Gueux :

« La tête de l’homme du peuple, voilà la question. Cette tête est pleine de germes utiles ; employez pour la faire mûrir et venir à bien ce qu’il y a de plus lumineux et de mieux tempéré dans la vertu. Tel a assassiné sur les grandes routes qui, mieux dirigé, eût été le plus excellent serviteur de la cité. Cette tête de l’homme du peuple, cultivez-la, défrichez-la, arrosez-la, fécondez-la, éclairez-la, moralisez-la, utilisez-la ; vous n’aurez pas besoin de la couper. »

3. Vie des plantes et vie humaine :

Cf. le célèbre poème de Ronsard : « Mignonne, allons voir si la rose… ».

4. Doctrine philosophique et genre de vie des philosophes :

Dans l’extrait des Tusculanes, l’interlocuteur de Cicéron avance comme preuve de l’inutilité de la philosophie le fait que certains philosophes mènent une vie ignominieuse.

On peut penser à l’ouvrage satirique de Lucien Les Vies des philosophes à l’encan, où l’auteur imagine un marché permettant à chacun de s’acheter un philosophe en fonction du choix de vie souhaité et où sont fustigées les contradictions entre le discours tenu par les philosophes et le type de vie qu’ils mènent réellement.

 

 

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Notes

  1. Cette présentation est reprise de l’ouvrage Regards grecs et latins sur le corps humain, S. David (dir.), Besançon, SCEREN-CRDP, 2013, p. 116. Nous remercions Canopé Besançon de nous avoir autorisés à reproduire cette page dans ce dossier.  
  2. Accius (IIe-Ier s. av. J.-C.) est un poète tragique ; il est aussi l’auteur de travaux érudits. Il vécut assez vieux pour être connu de Cicéron dans sa jeunesse. Son œuvre ne nous est parvenue que sous forme de fragments, édités, traduits et commentés par Jacqueline Dangel dans la CUF (Les Belles Lettres, Paris, 1995).
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