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Nîmes, le temple romain dit "la Maison carrée"

Nîmes Maison Carrée

Reconstitution virtuelle d'un temple romain

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Temple Reconstitution virtuelle

Romanum imperium nempe auctorem exulem respicit, quem profugum capta patria, exiguas reliquias trahentem necessitas et victoris metus lonquinqua quaerentem in Italiam detulit. Hic deinde populus quot colonias in omnem provinciam misit ! Ubicumque vicit Romanus, habitat.

 

L’empire de Rome ne doit-il pas sa naissance à un exilé, à un fugitif traînant avec lui quelques pauvres reliques, après la ruine de sa patrie ; la nécessité et la peur du vainqueur le forcèrent à chercher un asile loin de chez lui et le portèrent en Italie. Que de colonies ensuite ce peuple n’a-t-il pas envoyées dans toutes les provinces ! Partout où le Romain a vaincu, c’est là qu’il habite.

 

Sénèque (4 av. J.-C. - 65 ap. J.-C.), Consolation à Helvia, VII, 7 (traduction A. C.)

Les Romains aiment trouver dans leurs mythes de fondation l’origine de leur remarquable capacité d’intégration, en commençant par leur « père fondateur », Énée, le réfugié troyen devenu roi des Latins. De gré ou de force, « les fils de la Louve » ont assimilé des peuples de plus en plus nombreux, des Sabins « absorbés » par Romulus, après l’enlèvement de leurs femmes, aux populations de l’empire accédant à la citoyenneté romaine grâce à Caracalla. Cette capacité d’intégration est le principal facteur qui a permis la domination de Rome dans son efficacité et dans sa durée.

Deux modèles : Athènes et Rome

À Athènes, la citoyenneté est fondée sur le principe d’égalité ; à Rome, elle est déterminée par la naissance et le niveau de richesse. D’un côté, une vision restreinte et fermée dans le cadre étroit de la cité : pour être citoyen athénien, à partir de la loi de Périclès (451 avant J.-C.), il faut être né de père ET de mère athéniens unis par un mariage légitime (le nombre de citoyens ne dépasse pas 40 000 au Ve siècle, soit environ 10 % des habitants de la cité). De l’autre, une volonté intégratrice dans le cadre d’un vaste empire : plus de 5 millions de Km2 (70 millions d’habitants) lorsque Rome est à son apogée, au début du IIIe siècle après J.-C.

De fait, alors qu’il est quasi impossible d’acquérir la citoyenneté athénienne (il faut un vote de l'ecclésia), Rome est la seule cité antique à avoir répandu aussi largement son droit de cité (ou citoyenneté) ; l’afflux permanent de nouveaux citoyens a été un grand atout pour elle, y compris dans les guerres, comme le fait remarquer l’empereur Claude (41 - 54 après J.-C.) :
« Pourquoi Lacédémone et Athènes, si puissantes par les armes, ont-elles péri, si ce n’est pour avoir repoussé les vaincus comme des étrangers ? Honneur à la sagesse de Romulus notre fondateur, qui tant de fois vit ses voisins en un seul jour ennemis et citoyens ! Des étrangers ont régné sur nous. Des fils d’affranchis obtiennent les magistratures : et ce n’est point une innovation, comme on le croit faussement ; l’ancienne république en a vu de nombreux exemples. » (Tacite, Annales, XI, 24, traduction J. L. Burnouf, 1859)

Intégration et droit de citoyenneté

Les Romains sont fiers d’être des citoyens (cives) dans un système régi par le droit (jus), mis en place sous la République. Jusqu’au Ier siècle avant J.-C., seul le Romain libre, né et vivant à Rome ou dans certaines cités du Latium, bénéficiait de la civitas Romana optimo jure (droit de citoyenneté romaine complet) lui accordant des droits privés (faire des affaires, se marier, transmettre ses biens par testament, se défendre en justice) ainsi que des droits et devoirs publics (se faire recenser, voter, être enrôlé dans l’armée). Pour les plus riches, c’est aussi le droit de se présenter aux élections et d’accéder aux magistratures (jus honorum).

Par la suite, des étrangers, des communautés, voire des cités entières dans les provinces peuvent recevoir la civitas Romana pour services rendus à Rome, mais celle-ci est sine suffragio : ils ne peuvent voter ni être élus.

Sous son principat (27 avant J.-C. - 14 après J.-C.), Auguste, le fondateur du régime que nous nommons « Empire », a accordé le droit de citoyenneté avec parcimonie : « Persuadé qu’il était important de conserver le peuple romain pur de tout mélange de sang étranger ou servile, il [Auguste] fut très avare du droit de cité, et restreignit les affranchissements. Il écrivit à Tibère, qui le priait d’admettre un Grec, son client, au nombre des citoyens, qu’il n'y consentirait que lorsque Tibère l’aurait convaincu de vive voix que sa demande était fondée sur des motifs légitimes. Livie sollicitait la même faveur pour un Gaulois tributaire. Il la refusa ; mais il lui accorda l'exemption de tribut, aimant mieux, disait-il, ôter quelque chose au trésor public, que de voir profaner la dignité de citoyen romain. » (Suétone, Vie d’Auguste, XL, 5-6, trad. Cabaret-Dupaty, 1893)

Cependant, avec l’extension de l’empire, de plus en plus de notables « romanisés » dans les cités soumises veulent obtenir le jus honorum pour accéder au cursus honorum (la carrière des magistratures), car il représente « le sommet » de l’ascension sociale en ouvrant l’accès au prestigieux Sénat romain. Pour Rome, offrir le droit de citoyenneté est un moyen d’intégration très efficace : les « provinciaux » font carrière dans l’administration ou dans l’armée, participant ainsi directement à la pax Romana (la paix romaine). Leur intégration civile est marquée par leur identité, « calquée » sur le modèle romain.

Citoyenneté romaine tableau


En 48 après J.-C., sous le règne de Claude, les notables de la Gallia comata (« la Gaule chevelue ») réclament le droit de pleine citoyenneté dont disposaient déjà les Gaulois de Narbonnaise.
Tacite (58 - env. 120) rapporte l’événement :

« Sous le consulat d’Aulus Vitellius et de L. Vipstanus, il fut question de compléter le Sénat. Les principaux habitants de la Gaule chevelue, qui depuis longtemps avaient obtenu des traités et le titre de citoyens, désiraient avoir dans Rome le droit de parvenir aux honneurs. Cette demande excita de vives discussions et fut débattue avec chaleur devant le prince. On soutenait "que l’Italie n'était pas assez épuisée pour ne pouvoir fournir un sénat à sa capitale. Les seuls enfants de Rome, avec les peuples de son sang, y suffisaient jadis ; et certes on n'avait pas à rougir de l'ancienne république : on citait encore les prodiges de gloire et de vertu qui, sous ces mœurs antiques, avaient illustré le caractère romain. Était-ce donc peu que des Vénètes et des Insubriens eussent fait irruption dans le sénat ; et fallait-il y faire entrer en quelque sorte la captivité elle-même avec cette foule d’étrangers ? À quels honneurs pourraient désormais prétendre ce qui restait de nobles et les sénateurs pauvres du Latium ? Ils allaient tout envahir, ces riches dont les aïeuls et les bisaïeuls, à la tête des nations ennemies, avaient massacré nos légions, assiégé le grand César près d’Alésia. Voilà des faits récents : que serait-ce si on se rappelait ceux qui périrent au pied de la citadelle du Capitole sous les coups de ces mêmes Gaulois ? Qu’ils jouissent du titre de citoyens, soit ! mais qu’on ne prostitue pas les honneurs insignes des sénateurs et des magistrats."
Le prince ne fut pas touché par ces arguments et il répondit sur le champ :

"Se plaint-on que des hommes remarquables soient venus d’Hispanie, de Gaule narbonnaise ? Leurs descendants sont parmi nous et leur amour pour notre patrie n’est pas moins grand que le nôtre. [...] Aucune guerre n’a été plus rapidement terminée que celle contre les Gaulois. Déjà les coutumes, les arts, les alliances les confondent avec nous : qu’ils nous apportent aussi leurs richesses et leur or, plutôt que d'en jouir seuls ! Pères conscrits [= sénateurs], les plus anciennes institutions furent nouvelles autrefois. Le peuple fut admis aux magistratures après les patriciens, les Latins après le peuple, les autres nations d'Italie après les Latins. Notre décret vieillira comme le reste, et ce que nous justifions aujourd'hui par des exemples servira d'exemple à son tour."
Un sénatus-consulte fut rendu sur le discours du prince, et les Éduens reçurent les premiers le droit de siéger dans le Sénat. Cette distinction fut accordée à l'ancienneté de leur alliance, et au nom de "frères des Romains", qu'ils prennent seuls parmi tous les Gaulois. [...] Il fit la clôture du lustre, où furent recensés cinq millions neuf cent quatre-vingt-quatre mille soixante-douze citoyens. »
(Annales, livre XI, 23-25, traduction J. L. Burnouf, revue A. C.)

Un document capital dans l’histoire de la romanisation de l’empire : la table dite « Claudienne »

Table claudienne avec extrait

Le discours de l’empereur Claude, prononcé au Sénat à Rome le 15 août 48, a été gravé sur une très grande plaque de bronze retrouvée à Lyon en 1528 (brisée en 4 morceaux, dont 2 seulement nous sont parvenus, aujourd’hui conservés au Musée gallo-romain de Fourvière à Lyon). © Wikimedia Commons, montage A. C.

Romanisation, acculturation

Le nombre des étrangers obtenant le statut de citoyen romain ne cesse d’augmenter tout au long de la période impériale, ce qui explique la diffusion de la culture gréco-romaine dans tous ses territoires, voire au-delà. Cette capacité d’intégration suscitait l’étonnement, voire les critiques des Grecs, qui étaient pourtant les principaux bénéficiaires de ce processus. Denys d’Halicarnasse (fin du Ier siècle av. J.-C.) se demandait déjà comment, à force d’admettre des apports étrangers, Rome ne s’était pas « entièrement barbarisée » (ἅπασα ἐξεβαρβαρώθη, Antiquités romaines, I, 89, 3). Quant à Mithridate, roi gréco-oriental soulevé contre Rome au Ier siècle avant J.-C., il fait du caractère composite et pluriethnique de son adversaire l’un des principaux thèmes de sa propagande destinée aux Grecs : pour lui, Rome n’est qu’un « dépotoir d’immigrants » (conluvies convenarum, cité par Justin, Histoire universelle, XXXVIII, 7, 1). Cependant, Aelius Aristide glorifie l’ordre romain et ses bienfaits dans son Éloge de Rome (144 après J.-C.).

Dans toutes les provinces de l’empire, les peuples soumis à l’autorité de Rome imitent ce qu’on pourrait appeler aujourd’hui « the Roman way of life ». De nombreux signes manifestent ce processus d’acculturation - le fait d’aller « vers » (ad) une autre culture – qui consiste pour un individu à apprendre les modes de comportements, les modèles et les normes d’un groupe dominant de façon à être accepté par ce groupe.

L’historien Tacite donne ainsi un aperçu de la manière dont les Bretons adoptèrent le modus vivendi à la romaine, lors de la pacification de la (Grande) Bretagne par son beau-père Gnaeus Julius Agricola (77 – 85) : « Agricola voulait habituer les Bretons, incultes et belliqueux, à vivre en paix et à découvrir les charmes du loisir. Il les aidait au nom de l’État à construire des temples, des places publiques, des maisons. Il félicitait les plus entreprenants et critiquait les récalcitrants : ainsi s’imposa l’émulation avec le désir de se faire mieux voir. De plus, il faisait donner une solide éducation aux fils des notables, de sorte que ceux qui naguère refusaient notre langue, voulaient désormais la parler couramment. Par la suite, ce fut même un honneur de s’habiller comme nous et beaucoup adoptèrent la toge. Peu à peu, les Bretons découvrirent les portiques, les thermes, le raffinement des festins. Par manque d’expérience, ils appelaient civilisation (humanitas) ce qui était une forme de servitude (pars servitutis). » (Tacite, Vie d’Agricola, XXI, 1-3, traduction A. C.)

Provincial et Romain

Le fait d’être citoyen dans l’empire romain est un symbole de réussite sociale et d’intégration culturelle, comme en témoigne le phénomène de romanisation des élites : ce statut s’obtient généralement à la suite d’un long processus et recouvre évidemment des situations bien différentes suivant la naissance, la fortune ou les relations. De nombreux témoignages archéologiques (inscriptions sur des monuments, stèles,...) permettent d’observer la promotion individuelle des provinciaux dans l’ordre sénatorial, à l’exemple de Marcus Antonius Primus, sénateur et général de Vespasien, citoyen de Tolosa (Toulouse).

La nature de la citoyenneté s’est profondément modifiée entre le début du Ier siècle et la fin du IIIe siècle : les citoyens participent de moins en moins à la « res publica » (la chose publique) avec l’évolution du rôle de l’empereur, dont les pouvoirs sont de plus en plus monarchiques. Ils sont devenus des sujets, mais ils bénéficient d’un statut juridique et social privilégié. Le principe de la citoyenneté reste très « inégalitaire », fondé sur une hiérarchie entre simples citoyens, chevaliers et sénateurs dans une société qui s’organise en réseaux par le phénomène du clientélisme.

Le modèle politique romain, « ce n’est pas une personne juridique, mais un individu qui fait profiter la cité de toutes les ressources qu’il possède. […] C’est un civisme concret, improvisé, informel, individuel, un mélange d’inégalités économiques et de solidarisme civique où, à aucun moment, on ne passe dans le même moule le riche et le pauvre pour en tirer le citoyen pur, modèle 1793, avec des droits et des devoirs définis par le code. » (Paul Veyne, in « Politique et corruption : nous avons tout à apprendre des Romains », article paru dans L’Histoire n° 193, novembre 1995)

Colonie et province

Une fois leur service dans l’armée romaine terminé les soldats, qui pour une bonne part étaient recrutés parmi les populations indigènes, recevaient automatiquement la citoyenneté romaine et s'installaient souvent dans l'agglomération civile qui avait grandi autour du fort militaire où ils avaient servi. Le statut de vétéran (veteranus) était suffisamment prestigieux aux yeux de la famille d'un ancien soldat pour justifier sa mention sur l'épitaphe du défunt, comme on le voit dans de nombreuses inscriptions.

À la fin de la République, les généraux comme César ont beaucoup promis aux soldats : de l’argent (stipendium, solde) et des terres pour s’établir. Ces terres, on les prend aux populations locales et on les divise en lots pour les donner aux nouveaux « colons » (coloni, du verbe colere, cultiver). C’est ainsi que de nombreuses colonies sont créées en Gaule Narbonnaise (Béziers, Fréjus, Arles, Orange,...). Auguste développe ensuite le processus de colonisation dans les provinces favorisant ainsi leur romanisation.

On distingue le statut de « colonie » de celui de « municipe » : moins prestigieuses que les colonies, les municipes (municipia) sont des cités indigènes qui gardent leurs coutumes locales tout en adoptant une forme d’administration romaine (les magistrats « municipaux »).

Le terme cives désigne tous les citoyens, qu’ils soient de droit romain ou de droit latin ; le terme incolae s’applique aux habitants qui ne sont pas considérés comme des citoyens.

Le nom provincia est un terme technique de droit public : le gouverneur lève les impôts et rend la justice au nom de Rome. Dans la plupart des cas, les gouverneurs romains (de « hauts fonctionnaires » relativement honnêtes) se contentent de jouer le rôle d’arbitres dans les litiges qui opposent les différentes cités ou leurs citoyens et ils veillent à maintenir la paix. À la mort de César, l'empire romain comptait déjà quatorze provinces, dont la Gallia Narbonensis.

Le vêtement, marqueur d’identité

Dans la prophétie de Jupiter, mise en scène par Virgile, le souverain des dieux insiste sur la faveur qu’il accorde aux Romains en les qualifiant de « maîtres du monde, peuple de citoyens en toge » (Romanos rerum dominos gentemque togatam, Énéide, livre I, vers 282).

Comment porter la toge

Toge et texte

André Corneille Lens, Le Costume ou Essai sur les habillements et les usages de plusieurs peuples de l’Antiquité, prouvé par les monuments, publié à Liège en 1776. © Wikimedia Commons.

La toge est le marqueur de romanité par excellence : un véritable « uniforme » qui définit le citoyen romain et qui est indispensable à l’exercice de sa citoyenneté. Élément visible de la culture, le costume est de fait une manière commode de distinguer et de désigner différents groupes ethniques.

Les Grecs sont des palliati, parce qu’ils portent le pallium (nommé himation en grec) : une pièce d’étoffe rectangulaire sans couture qui se portait comme un manteau et pouvait aussi servir de couverture (le pallium est souvent associé à la figure du philosophe grec).

Les Gaulois – et les Barbares en général – sont des bracati : des « porteurs de braies ». Les braies (bracae) étaient une sorte de pantalon, large et flottant à plis multipliés ou étroit et collant, particulièrement dans la Gaule Narbonnaise. Il descendait en général jusqu’à la cheville, où il était attaché.

Un couple de l’élite gauloise à Nîmes : la stèle de Licinia Flavilla et Sextus Adgennius Macrinus

Stèle de Licinia Flavilla et Sextus Adgennius Macrinus

Nîmes, Musée de la Romanité (© photos Annie Collognat)

Cette stèle funéraire constitue un excellent témoignage de la manière dont les élites gauloises, fières de leurs origines, qu’elles rappellent dans leur nom et dans leur lignage, se sont intégrées progressivement dans le monde romain et furent à leur tour un très puissant vecteur de romanisation.

Découverte en 1823 dans une maison voisine de l’amphithéâtre de Nîmes, la stèle devait se trouver à l’origine dans l’une des nécropoles entourant la cité, le long d’une de ses voies d’accès. Elle représente un couple de notables nîmois qui a fait ériger le monument de son vivant. Selon la coutume romaine, ils l’ont consacrée aux dieux Mânes qui doivent les protéger après leur mort.

En-dessous de cette stèle, leurs enfants ont à leur tour ajouté une inscription, dédiée à leurs parents après leur mort, sur une base plus large.

Les personnages

Les défunts, une femme et un homme, sont représentés à la manière de portraits en bustes, sans bras, rappelant la tradition des imagines, les portraits des ancêtres dans les rites funéraires romains.

Stèle LiciniaStèle Adgennius portrait

Le décor

La conque marine (1) qui forme une sorte de coupole au-dessus des défunts, est un symbole d’apothéose.
Le dauphin (2) dont l’œil est une étoile, est sans doute la reprise d’un thème iconographique traditionnel à mettre en relation avec le culte impérial (voir ci-après le marbre conservé au Musée d’Arles).
L’épi de blé (3) renvoie à la fonction de la défunte (prêtresse attachée au culte de l’impératrice) ; il symbolise l’abondance (l’impératrice divinisée est garante de la prospérité dans l’empire).
Le faisceau de licteur (4), composé de verges liées autour d’une hache par des rubans sacrés, renvoie à la dignité du défunt (tribun militaire, magistrat).

Stèle Adgennius décor avec numéros

Les inscriptions

Stèle Licinia inscription 1

D                     M    [= Diis Manibus]

aux dieux Mânes

LICINIAE L F FLAVILLAE

de Licinia Flavilla, fille de Lucius (Lucii filia)

FLAMINIC AVG

flaminica augustalis (flaminique augustale, prêtresse de l’impératrice divinisée)

Stèle Adgennius inscription 2

D                        M       [= Diis Manibus]

aux dieux Mânes

SEX ADGENNII MACRINI

de Sextus Adgennius Macrinus

TRIB LEG VI VICT

tribun de la VIe légion Victrix (« la Victorieuse »)

IIIIVIR IVR DIC      [= jure dicundo]

quattuorvir (membre d’un collège de quatre hommes, chargés de dire le droit)

PONTIF

pontifex (pontife)

PRAEF FABR

praefectus fabrum (préfet des ouvriers et artisans, commandant du génie militaire)

 

Syèle Adgennius inscription 3

SEX ADGENNIVS SOLVTVS ET

Sextus Adgennius Solutus et

ADGENNIA LICINILLA

Adgennia Licinilla (« la petite Licinia »)

PARENTIBVS

à leurs parents

N. B. Selon la tradition romaine, la fille du défunt porte le nom de famille de son père féminisé (Adgennia), auquel est ici ajouté le diminutif du nom de sa mère Licinia (Licinilla), à valeur hypocoristique.

Quelques explications

  • Les dieux Mânes sont les âmes des morts divinisées. L'inscription DM (diis Manibus, "aux dieux Mânes) est gravée sur la quasi totalité des stèles funéraires.
  • L’identité du défunt : Sextus Adgennius Macrinus est un citoyen romain car il possède les tria nomina, les trois noms que porte un homme libre à Rome : un praenomen (prénom), Sextus ; un nomen (nom), Adgennius ; un cognomen (surnom), Macrinus. Mais il est visiblement d’origine gauloise : Adgennius est en effet un nom gaulois romanisé dans lequel on retrouve le préfixe celte à valeur de superlatif *ad- et la racine *gen- (naissance, famille, clan, lignée, comme en latin) ; il signifierait « celui qui est de très haute naissance » (on trouve aussi de nombreuses variantes, comme Adgennis, Adgonna, Adginnius).
    L’épitaphe rappelle la carrière du défunt présentée dans un ordre chronologique descendant, allant du poste le plus récent au plus ancien, comme un CV aujourd’hui : après avoir géré la préfecture des ouvriers auprès d’un magistrat ou d’un officier important en dehors de la ville, Sextus Adgennius Macrinus est revenu à Nîmes où il a été pontife (la fonction sacerdotale la plus élevée), puis quattuorvir (membre du collège le plus éminent de l’administration de la colonie). Enfin il est entré dans l’armée romaine en qualité de tribun militaire de la légion VI Victrix.
    Un tribun militaire partage le commandement d’une légion, qui compte 6 000 hommes (seul un citoyen romain peut être légionnaire et le service militaire dure vingt ans) ; c’est un officier supérieur très important, directement aux ordres du général en chef.

    On peut donc imaginer que le père du défunt ou le défunt lui-même fut un « pérégrin », c'est-à-dire un homme libre non romain, qui a pu accéder à la citoyenneté romaine. Souvent, les pérégrins devenus citoyens transformaient leur nom en un cognomen et prenaient un nomen latin : ainsi cherchaient-ils à se donner une identité romaine. Si le dénommé Adgennius était un pérégrin, il n’a pas cherché à abandonner son nom, ce qui peut prouver une certaine fierté de ses origines gauloises. Sans doute était-il issu de l’aristocratie des tribus gauloises : cette aristocratie, en Gaule narbonnaise, s’est facilement adaptée aux nouveaux maîtres du pays, qui lui offraient, dans le cadre impérial, de hautes fonctions correspondant à ses anciennes dignités. En intégrant ces classes aisées, Rome s’assurait ainsi une remarquable stabilité politique.
  • L’identité de la défunte : Licinia Flavilla est fille de citoyen romain ; elle porte le nom de famille de son père, Lucius Licinius, féminisé. Son surnom Flavilla est un diminutif de Flavia (« la petite blonde »), faisant sans doute référence au nom de sa mère. Cette information semble indiquer que Sextus Adgennius a fait « un beau mariage » qui lui a permis de s’allier à une gens (famille, lignée) romaine notable.
    d’affranchis, très nombreux à cette époque. L’affranchi se donnait comme cognomen son ancien nom d’esclave, mais le descendant d’un affranchi pouvait emprunter un nom gentilice (un nomen) en lui ajoutant un suffixe : Flavilla viendrait du nomen Flavius, lui-même très répandu.
    Mais on peut faire une autre hypothèse : le père ou un aïeul de la défunte aurait été un affranchi (d’origine gauloise ?). On sait en effet que les esclaves affranchis prenaient le nomen de leur ancien maître, ce qui explique que beaucoup de noms de familles célèbres se retrouvent un peu partout dans l’empire, sans que cela implique un quelconque lien de parenté avec ces familles pour les descendants
  • Le terme flaminica désigne à l’origine l’épouse et assistante d’un flamine (flamen), prêtre romain attaché au culte de certaines divinités. Le culte public était assuré par trois flamines « majeurs » (des patriciens), prêtres de Jupiter, Mars et Quirinus, et douze flamines « mineurs », pris parmi les plébéiens. Sous l’Empire, des flamines furent chargés du culte impérial dans les municipes et les colonies : ce sont les flamines « augustaux » (Augustales). Dès lors, dans les provinces, les « flaminiques » augustales ne sont plus nécessairement les épouses des flamines, mais des femmes sans doute attachées au culte de l’impératrice (ou des femmes de la famille impériale) : elles sont obligatoirement les épouses de citoyens faisant partie de la noblesse, c’est-à-dire d’une famille dont un membre a exercé une magistrature.
  • La Legio VI surnommée Victrix (« la Victorieuse ») fut recrutée par Octave (futur empereur Auguste) en 41 avant J.-C. sur le modèle de la Legio VI Ferrata constituée par César en 52 avant J.-C. (ses vétérans furent installés à Arles, à une trentaine de kilomètres de Nîmes, quand Jules César fit de cette ville gauloise une colonie romaine, en 46 avant J.-C.).
    Elle combattit Sextus Pompée et se trouvait à Actium en 31 avant J.-C. ; ensuite, elle fit partie de l’armée d’Espagne jusqu’en 70, puis de celle de Germanie de 70 à 122, enfin de celle de Bretagne. Ce n’est que dans la première moitié du Ier siècle qu’elle reçut le surnom de Victrix, attesté pour la première fois sous Néron (54 - 68).
  • Les magistratures à Rome et dans les provinces de l’empire étaient collégiales, c’est-à-dire qu’elles étaient exercées par plusieurs hommes réunis en « collège », ces hommes étaient donc « collègues ». À la tête d’une colonie de droit latin se trouvait un collège de quatre hommes, les « quattuorvirs » ; à la tête d’une colonie de droit romain se trouvait un collège de deux hommes, les « duumvirs », tout comme il y a deux consuls à la tête de l’Empire. Quattuorvirs et duumvirs étaient élus à la tête du conseil des décurions, sénat local de la cité, comprenant tous les anciens magistrats, et avoisinant la centaine de membres. Pour être décurion, il fallait justifier d’un revenu d'au moins 100 000 sesterces.
  • L’expression jure dicundo (formule latine archaïque) montre que les hauts magistrats d’une colonie avaient une certaine autonomie de pouvoir politique et judiciaire par rapport au pouvoir central de Rome dans toutes les affaires ne mettant pas en cause l’État romain.
  • Les pontifes (dont le nombre ne dépasse pas cinq à Rome), qui furent à l’origine chargés de l’entretien du pont sacré (le pont Sublicius), surveillent la bonne observance des pratiques religieuses. Leur chef, le « grand Pontife » (Pontifex maximus) porte le titre le plus élevé de la religion romaine. La même charge de pontife existe aussi dans les colonies.
  • Le symbole du dauphin à l’œil étoilé peut se lire comme une référence au culte impérial. Très souvent représenté sur tous les supports (sculptures, mosaïques, fresques), le dauphin évoque la souveraineté d’Auguste sur les mers, assurée par la victoire contre Marc Antoine et Cléopâtre à la bataille navale d’Actium (31 av. J.-C.).
Arles Dauphin comète

Nemausus : la naissance de Nîmes

Le court-métrage présenté dans la Maison Carrée à Nîmes (depuis 2014) imagine l’histoire d’une famille sur trois générations, à partir de la stèle de Licinia Flavilla et Sextus Adgennius Macrinus.

Némausus la naissance de NÎmes

© Culturespaces.

Synopsis

En 55 avant J.-C., le proconsul Caïus Julius Caesar demande le soutien des Volques pour lutter contre les tribus du nord. Adgennix, jeune Gaulois d’une trentaine d’années, est désigné pour diriger les guerriers volques accompagnant l’armée romaine dans ses conquêtes. Après trente années de combats menés en bonne intelligence aux côtés de César puis sous le commandement d’Auguste, Adgennix reçoit de l’empereur la citoyenneté romaine tandis que la ville reçoit le titre de Colonia Augusta Nemausus. Si elle assure à la cité une certaine autonomie, cette distinction marque sa place de choix dans l’Empire, à l’apogée de sa gloire.

En 15 avant J.-C., Caius Adgennius Regulus, fils du valeureux Adgennix, est l’artisan de la romanisation de la cité. Le film retrace les grandes étapes de sa construction : son enceinte dominée par la Tour Magne mais aussi le Temple du Forum (mieux connu aujourd’hui sous le nom de Maison Carrée), initialement dédié aux deux petits-fils de l’empereur Auguste.

En 90 après J.-C., Sextus Adgennius Macrinus, descendant d’Adgennix et de Regulus, est un notable respecté de la cité nîmoise. Il est marié à Licinia Flavilla, grande prêtresse du culte impérial, et représente l’intégration réussie de Nemausus au sein de l’empire romain.

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Nîmes, le temple romain dit "la Maison carrée"

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