Tipasa de Maurétanie - La cité habitée par les dieux

Tipasa se situe au bord de la mer Méditerranée, à une soixantaine de kilomètres d’Alger, à l’Ouest des collines du Sahel. Le site se déploie face au massif du Chenoua. C’est d’abord un ancien comptoir sur la route maritime vers l’Extrême-Occident et les colonnes d’Hercule. Puis Tipasa appartient à la Numidia et enfin à la Maurétanie césarienne. L’Afrique romaine comptait quatre provinces antiques : l’Afrique proconsulaire, la Numidie, la Maurétanie césarienne et la Maurétanie tingitane. C’est sous Hadrien (117-138) que la cité atteint sa plus grande extension avec près de 15 000 habitants.

En 1982, le site, reconnu comme un « ensemble unique de vestiges phéniciens, romains, paléochrétiens et byzantins, voisinant avec des monuments autochtones » a été inscrit au Patrimoine Mondial de l’UNESCO. 

Histoire de la cité

D’un comptoir occupé par les Phéniciens à une cité punique

Tipasa, escale côtière, est  occupée par les navigateurs phéniciens qui s’y ravitaillaient en eau douce et s’y arrêtaient pour la nuit. Bien située, au débouché de la riche plaine de la Mitidja, une cité punique s’y développe d’autant qu’elle dispose d’un arrière-pays apte à l’agriculture. L’ampleur des nécropoles antérieures à l’époque romaine atteste l’importance de la ville, entourée de Iol (Cherchell) à l’ouest et d’Ikosim/Icosium (Alger) à l’est.

Une discrète cité de Numidie 

On sait peu de choses de l’époque où, après la domination carthaginoise, la cité dépend de princes indigènes. Tipasa se trouve au centre du royaume de Maurétanie dont le roi Bocchus (contemporain de Jules César), choisit Iol comme capitale. Les souverains alliés de Rome s’ouvrent aux influences hellénistiques. Juba II, encore enfant, fils du roi de Numidie vaincu par les Pompéiens et qui s’était suicidé pour ne pas survivre à son malheur, est mené au triomphe de César. Il reçoit alors une éducation gréco-romaine et renomme Iol, Caesarea (« ville de César », c’est-à-dire d’Auguste).

Une colonie romaine dans l’ombre de Césarée 

Quand, au milieu du Ier siècle, le géographe Pomponius Mela décrit le littoral, il ne dit rien de Tipasa. Lorsque le royaume de Maurétanie est annexé par l’empereur Claude (41- 54) et scindé en deux provinces, c’est Césarée qui devient capitale de la Maurétanie césarienne. Tipasa quant à elle reçoit de ce prince le statut de municipe de droit latin. C’est un privilège important qui donne tous les droits de la citoyenneté romaine aux magistrats municipaux et à leurs descendants. Puis, elle acquiert le rang de colonie honoraire par décision de l’empereur Hadrien (117-138), ainsi tous les habitants de condition libre reçoivent les droits et prérogatives dont jouissent les citoyens romains.

Entre-temps, une ville romaine s’est développée, vraisemblablement grâce à ses activités commerciales. Une enceinte de 2 300 mètres, construite au milieu du IIè siècle, la protège côté terrestre, en s’appuyant sur les deux collines qui encadrent le site. Comme presque toutes les autres colonies d’Afrique, au IIè siècle et au début du IIIè siècle sous les derniers Antonins et sous les Sévères, Tipasa connaît une ère de prospérité. Aux principaux édifices fondateurs d’une cité romaine s’ajoutent progressivement des édifices chrétiens. 

Une cité qui résiste un temps aux attaques successives

Mieux que Césarée et qu’Icosium, elle résiste en 372 à l’attaque du prince maure Firmus, qui a enflammé contre le pouvoir romain les tribus montagnardes. Repoussé par les habitants, Firmus est obligé de se retirer après avoir imploré en vain l’aide de sainte Salsa. Tipasa préserve encore pendant quelques décennies sa prospérité, elle continue de construire ou embellir ses édifices chrétiens. 

L’invasion des Vandales venus d’Espagne sème la destruction en Maurétanie ; ils dévastent Tipasa en 431. En 455, à la mort de Valentinien, Genséric s’empare de la région. Après lui, Hunéric engage de violentes persécutions. De nombreux habitants s’enfuient en Espagne emportant avec eux le culte de sainte Salsa. Vraisemblablement, la conquête vandale au début du Vè siècle porte un coup décisif à Tipasa, car elle ne profitera pas pleinement de la reconquête byzantine en 534 et la cité sombrera dans l’oubli après la conquête arabe.

 

La ville antique et ses principaux édifices

Les vestiges de Tipasa se divisent en deux ensembles : à l’est la grande nécropole implantée sur la colline de Salsa et à l’ouest, le parc archéologique où se situent l’essentiel des ruines mises à jour.

Deux axes principaux

Comme la plupart des villes romaines, Tipasa comporte deux rues principales, le decumanus maximus, (orienté Ouest-Est, il constituait un tronçon de la route qui reliait Caesare à Icosium) et le cargo (orienté Nord-Sud, cette voie pavée se prolonge jusqu’à la mer). Les deux axes se coupent à angle droit.

Le cœur de la cité :

À l’intersection des deux axes de la ville se trouvent les restes de deux installations, un édifice anonyme et un temple transformé ensuite en basilique à l’époque chrétienne. On voit également des restes de boutiques, ce qui laisse penser que cet espace a été utilisé comme marché.

Le cardo qui s’incline vers la mer est bordé d’échoppes et de spacieuses demeures. Parmi elles, la villa aux fresques, grandiose, surplombe la mer. Les traces de peintures murales que l’on y a retrouvées lui ont donné son nom. Elle était dotée d’un grand solarium et de thermes privés. À l’Est s’étend le cœur de la cité, au sommet de la Colline des temples. 

Le forum, une place de 50 mètres sur 27, au dallage intact, et encore bordée de son caniveau d’écoulement des eaux, occupe le centre d’un groupe de monuments. 

Précédé d’un perron qui servait de tribune aux harangues, se trouvait la curie, siège du Conseil Municipal. 

Au Nord, il reste le soubassement d’un Capitole à trois chapelles, temple de Jupiter, Junon et Minerve 

En contrebas, au-delà d’une galerie couverte ou cryptoportique, se trouvait une basilique civile qui servait de tribunal et de centre de la vie économique. Une mosaïque (exposée au musée) représentant des Maures captifs, accroupis et prostrés, en ornait l’abside.

Des bâtiments de loisirs 

La ville comptait au moins quatre édifices de thermes notamment en bord de mer ou à l’Ouest de la ville. Conçus selon les techniques romaines d’hypocauste, ils ne proposent pas de structures grandioses et n’ont pas conservé de décorations particulières. C’est peut-être l’indice du rayonnement modeste de la cité.

Construit au IIIè siècle à l’emplacement d’une ancienne nécropole en empiétant sur les bâtiments voisins, l’amphithéâtre, témoigne de la romanisation de la cité. Long de 80 mètres, il a une forme inhabituelle : son contour extérieur est rectangulaire et très irrégulier. L’architecte a pu être influencé par l’amphithéâtre voisin de Caesarea et décider de lui donner une forme allongée. Un mur, percé de six petites portes de service, délimitait l’arène. À l’extrémité du petit axe, au Nord, se trouvait un sacellum, petite  chapelle où les combattants pouvaient honorer leurs dieux avant d’entrer. 

L’amphithéâtre est assez mal conservé, car il a sans doute servi de carrière, tout comme le théâtre construit à une extrémité du decumanus, dont il ne reste que l’orchestra et les trois premières rangées de gradins. Construit à  la fin du IIè ou du début du IIIè siècle, il fait certainement partie des travaux de prestige entrepris par la ville après avoir reçu son titre de colonie. Ses pierres ont été utilisées en 1847  pour construire un hôpital à Marengo. 

Le nymphée, fontaine monumentale semi-circulaire consacrée aux nymphes était reliée à l’aqueduc principal de la ville. Il est considéré comme ayant été le plus beau d’Afrique du Nord. L’eau ruisselait en cascade sur les marches entre les colonnes de marbre bleuté. 

Des fabriques de garum

Des études récentes ont permis d’étudier l’organisation d’ateliers de fabrication de salaison à Tipasa. Le garum était un condiment épicé très prisé. Il résultait de la macération dans du sel de déchets de poissons et d’autres viscères, le sel empêchant la putréfaction. La salaison était effectuée dans des cuves profondes et le condiment était conservé dans des dolia (grandes jarres). Plusieurs ateliers destinés à une consommation locale ont été identifiés dans la ville. 

Les nécropoles et les bâtiments chrétiens

Comme il est d’usage dans l’Antiquité, les défunts sont inhumés dans des nécropoles extérieures aux cités. Tipasa en possède deux, situées sur des collines surplombant la ville. 

À l’Est, sur la colline de sainte Salsa, se trouvent les restes de sépultures puniques, mais aussi de bâtiments chrétiens dont les vestiges de la basilique à trois nefs, richement décorée et consacrée à la jeune martyre. Tout autour étaient disposées des centaines de tombes dont certaines étaient regroupées dans de petits enclos funéraires. 

Un mausolée circulaire de 20 mètres de diamètre occupe une partie de la colline ouest de Ras Knissia à l’extérieur de l’enceinte qui délimite la ville. Il repose sur un soubassement en pierres de taille décoré de moulures et surmonté de demi-colonnes engagées dans un mur de protection. À l’intérieur, on peut voir 14 arcosolia (niches) abritant chacune d’elle, à l’origine, un sarcophage de pierre. Au centre, dans un enclos particulier, se trouvait la tombe la plus révérée. À une époque ultérieure ont été ajoutés d’autres sarcophages réservés aux fidèles désireux de se faire enterrer au plus près des tombes de martyrs ou de saints.

Sur la colline Ouest se dressent intra muros les vestiges de la grande basilique chrétienne. Édifié au IVè siècle, cet imposant édifice de plus de 50 mètres de long est considéré comme le plus vaste de l’Afrique chrétienne avec ses 9 nefs et son sol revêtu d’une immense mosaïque géométrique. Il subsiste 4 arcades et des chapiteaux corinthiens qui ponctuent le revêtement de la nef centrale.  La basilique était jouxtée par un baptistère et un consignatorium, bâtiment où l’on administrait la confirmation.

Ce qu’en dit  PLINE, Histoire naturelle, V, I, 20

Caesarea, ante vocitatum Jol, Jubae regia a Divo Claudio coloniae jure donata ; ejusdem jussu […] Latio dato Tipasa. 

 

Césarée, appelée auparavant Iol, capitale de Juba, et ayant reçu du divin Claude le droit de colonie ; sur ordre du même empereur [….]  Tipasa, jouissant du droit latin.

Tipasa

Tipasa est un nom d’origine phénicienne qui signifie « passage ». On admet aussi d’autres étymologies, Tipaza (et non Tipasa) tiendrait son nom du mot Tifezza «  grès désagrégés » caractéristiques de cette partie de la côte ou encore le mot ifassed, berbérisation du mot arabe fassed, qui signifie « gâté, ruiné ».  

Salsa, jeune martyre

Bien que sa famille fût païenne, Salsa était une jeune fille de 14 ans convertie au christianisme, sans doute entre 320 et 322 sous le règne de Constantin. Selon La passion de sainte Salsa, texte du Ve siècle, les parents, habitants de Tipasa, conduisent leur fille à une fête où l’on célèbre un serpent à tête dorée. Salsa jette l’idole à la mer. La foule, furieuse de cet acte sacrilège, la lapide puis la précipite à son tour dans la mer. Saturninus, un marin gaulois, recueille son corps et le dépose dans une chapelle consacrée sur la colline à l’est de la ville. L’édifice sera ensuite transformé en basilique et la colline portera le nom de Sainte Salsa. Au milieu du XXe siècle se déroulait encore une procession en son honneur.

Albert Camus à Tipasa

Camus s'y rend fréquemment en 1935 et 1936. Il partage pour ce site l'admiration de son professeur de philosophie Jean Grenier qui, dans Santa Cruz, évoque, lui aussi, la mer à Tipasa, le massif du Chenoua, l'odeur des absinthes, les ruines parmi les fleurs. Premier des quatre essais, « Noces à Tipasa » célèbre « les noces de l’homme avec le monde », inspirées par le spectacle des ruines envahies par la végétation. À l’ouest du site, une stèle érigée en 1961 et gravée par Louis Benisti est dédiée à l’écrivain, on peut y lire cet extrait de « Noces à Tipasa » : « Je comprends ici ce qu'on appelle gloire : le droit d'aimer sans mesure. »

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