Thétis chez Vulcain Une image, une histoire

Un dieu incarne l’excellence du savoir-faire dans le domaine des arts et métiers : Héphaïstos, que les Romains appellent Vulcain. Fils de Zeus (Jupiter) et d’Héra (Junon), ou d’Héra seule, il est le dieu de la métallurgie et des volcans, dont il maîtrise le feu souterrain. Il passe aussi pour le dieu le plus laid : mal proportionné, trapu et velu, il boite, d’où son surnom d’« illustre Boiteux ».

L’atelier du dieu forgeron

Selon l’Iliade d’Homère, pendant la guerre de Troie, Héphaïstos reçoit la visite de Thétis, la mère d’Achille, sur l’Olympe : elle lui explique que son fils a prêté ses armes à son ami Patrocle et que celui-ci, tué par Hector, les a perdues. La déesse vient donc demander au dieu forgeron de lui en fabriquer de nouvelles. Elle le découvre en plein travail dans son atelier.

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Thétis chez Vulcain

Fresque du Ier siècle après J.-C., provenant d’un mur du triclinium de la maison de Paccius Alexander à Pompéi (IX, 1, 7), conservée au Musée archéologique de Naples, © Wikimedia commons

Fidèle au récit homérique, la scène représente le moment où Héphaïstos offre à Thétis les armes qu’il a forgées pour son fils Achille, et en particulier un grand bouclier.

En partant de la droite, on observe :

  • une femme debout : sans doute Charis (la Grâce en grec) « à l’éclatant bandeau », l’épouse du dieu selon Homère, qui vient d’accueillir Thétis.
  • une femme assise sur une sorte de trône : Thétis « au long péplos », venue chercher des armes pour son fils Achille. La description homérique est soigneusement respectée, jusqu’au détail du repose-pieds : « Charis fit avancer Thétis. Sur un trône orné de clous d’argent, un beau trône habilement ouvré, elle la fit asseoir ; un tabouret pour les pieds se trouvait à sa base. » (Iliade, chant XVIII, vers 388 - 390). Un homme debout soutient un bouclier : un assistant du dieu forgeron.
  • un personnage assis présentant le bouclier à Thétis : le dieu Héphaïstos / Vulcain lui-même. Il est représenté comme un simple artisan, avec des détails vestimentaires caractéristiques : le bonnet conique en feutre (le pilos en grec, pileus en latin) et la tunique en laine (le chitôn), courte et sans manches (celle des esclaves et des ouvriers ne couvre que le bras gauche, l’épaule gauche et la poitrine). Il tient un outil (une sorte de double hache) dans sa main droite ; quelques autres (marteaux, tenailles) sont posés devant lui. On remarque sa peau hâlée et son teint rougeoyant (caractérisant celui qui travaille et transpire), qui tranchent avec la carnation des personnages féminins (teint pâle), selon les conventions de la peinture.
  • un homme assis, vu de dos : un second assistant du dieu, en train de ciseler un casque posé devant lui avec un marteau et un burin.

On observe que le dieu forgeron est aidé dans sa tâche par deux ouvriers. Cependant, dans l’Iliade, Héphaïstos travaille seul. Ce n’est qu’à partir de l’époque hellénistique (IVe siècle avant J.-C.) que la littérature montre le dieu travaillant avec les Cyclopes dans sa forge (située dans l’Etna en Sicile ou dans le volcan de l’île Lipari), thème ensuite repris par les auteurs latins.

Au sol se trouvent les cnémides (jambières) et la cuirasse, décorées et rutilantes, qui constituent l’armement traditionnel du guerrier.

Quant au fameux bouclier en métal (or, étain et bronze), dont Homère décrit longuement le décor, on distingue des figures finement ciselées sur ses bords ; cependant, il apparaît si poli et si brillant qu’il fait l’effet d’un miroir dans lequel Thétis peut voir sa propre image se refléter.

Lire des textes

• Homère

Ἡφαίστου δ᾽ ἵκανε δόμον Θέτις ἀργυρόπεζα
ἄφθιτον ἀστερόεντα μεταπρεπέ᾽ ἀθανάτοισι
χάλκεον, ὅν ῥ᾽ αὐτὸς ποιήσατο κυλλοποδίων.

 

Cependant Thétis aux pieds d’argent parvenait au palais d’Héphaïstos, palais impérissable, éclatant comme un astre, remarquable entre ceux des autres Immortels, palais tout en bronze que le Boiteux s’était construit lui-même. Elle le trouva suant, tournant autour de ses soufflets et activant sa tâche. Il ne fabriquait pas moins de vingt trépieds, qui devaient trouver place autour du mur de la salle de son solide palais. Sous chacune de leurs bases, il avait disposé des roulettes d’or, afin qu’ils pussent à son ordre se rendre d’eux-mêmes à l’assemblée des dieux, et, prodige admirable ! revenir ensuite au sein de sa demeure. Ils étaient presque achevés, et les anses seules, travaillées avec art, n’y étaient point encore adaptées ; il les ajustait et battait leurs attaches. Tandis qu’il peinait à sa tâche avec un art exercé, Thétis aux pieds d’argent arriva près de lui. En la voyant, Charis à l’éclatant bandeau, Charis qu’avait épousée le très illustre Boiteux, s’avança vers elle, lui prit la main, et dit en la nommant :
- Pourquoi, Thétis au long péplos, viens-tu dans notre demeure, auguste et chère Thétis ? Jusqu’à présent, tu ne viens pas souvent. Mais suis-moi plus avant, afin que je te serve les présents d’accueil. Ayant ainsi parlé, la divine déesse fit avancer Thétis. Puis, sur un trône orné de clous d’argent, un beau trône habilement ouvré, elle la fit asseoir ; un tabouret pour les pieds se trouvait à sa base. Allant ensuite appeler Héphaïstos, l’illustre artisan, elle lui dit :
- Héphaïstos, viens comme te voilà. Thétis a besoin de toi. [...]
D’auprès le billot de l’enclume, Héphaïstos, monstre au souffle bruyant, en boitant se leva ; sous lui s’empressaient ses jambes chétives. Il plaça ses soufflets loin du feu, rassembla dans un coffre d’argent tous les outils qui servaient à sa peine. [...]
Héphaïstos revint auprès de ses soufflets. Il les tourna vers le feu, les contraignit au travail. Tous ses soufflets, au nombre de vingt, soufflèrent dans les fourneaux, faisant jaillir un souffle différent qui attisait le feu, tantôt pour seconder Héphaïstos en sa hâte, tantôt pour modérer la flamme, lorsqu’il le voulait et que son labeur arrivait à sa fin. Il jeta dans le feu le bronze indestructible, l’étain, l’or précieux et l’argent. Il mit ensuite sur un billot une énorme enclume, saisit d’une main un solide marteau et de l’autre saisit des tenailles de forge.
Il fabriqua d’abord un bouclier large et fort, qu’il orna de partout. Il l’entoura d’une éclatante bordure à trois lames brillantes, le munit d’un baudrier d’argent. [...]
Puis, quand il eut façonné un bouclier large et fort, il façonna dès lors une cuirasse plus éblouissante que la clarté du feu. Pour Achille encore, il façonna un casque résistant, bien adapté aux tempes, un beau casque ouvragé, qu’il surmonta d’une aigrette d’or. Pour Achille enfin, il façonna des cnémides en airain ductile.
Lorsque l’illustre Boiteux eut par son labeur fini toutes ces armes, il les prit et vint les déposer devant les pieds de la mère d’Achille. Thétis alors, comme un épervier, fondit du haut de l’Olympe neigeux, emportant du palais d’Héphaïstos ces armes éblouissantes.

Homère (VIIIe siècle avant J.-C.), Iliade, chant XVIII, vers 369 - 617 (traduction Mario Meunier, 1943)

• Virgile

Vénus a demandé à son époux Vulcain de forger des armes pour Énée. Le dieu se précipite dans la forge où s’activent les Cyclopes.

Tollite cuncta, inquit, coeptosque auferte labores, Aetnaei Cyclopes, et huc advertite mentem :
arma acri facienda viro
.


Enlevez tout cela, dit-il, rangez les ouvrages commencés, Cyclopes etnéens, et prêtez-moi toute votre attention :
il faut faire des armes pour un héros valeureux.
C’est le moment d’user de vos forces, de l’habileté de vos mains, de toute la maîtrise de votre art. Hâtez-vous, ne tardez pas." Il n’en dit pas plus, et aussitôt
tous s’appliquent, et se répartissent équitablement la tâche.
Le bronze coule en larges sillons, ainsi que le métal d’or,
et l’acier meurtrier fond dans la vaste fournaise. Ils façonnent un immense bouclier [...].

Virgile, Énéide (19 avant J.-C.), livre VIII, vers 439-447 (traduction Anne-Marie Boxus et Jacques Poucet, 2013)

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Thétis et Vulcain, Boston
Amphore attique, env. 470 avant J.-C., Museum of Fine Arts, Boston, © MFA

 

Sur la face A de l’amphore, on voit Héphaïstos en train d’astiquer le bouclier d’Achille devant Thétis qui tend la main droite comme pour se saisir de la pièce. D’autres pièces de l’armement (deux cnémides, casque) ainsi que les outils du forgeron (tenailles, marteau, scie) sont suspendus au-dessus de lui. 

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