Théodora, impératrice d'Orient

• Comme Cléopâtre, Théodora fascine et suscite les pires critiques : ce sont des femmes de pouvoir que les auteurs - tous des hommes - s’accordent à décrire comme intelligentes, volontaires, sortant du rang pour mener une vie libre, mais qui attirent inévitablement les commentaires négatifs sur leur vie.
Procope de Césarée (env. 500-565), le secrétaire du général Bélisaire, a accordé toute son attention à l’impératrice Théodora dans ses œuvres : le Discours sur les guerres la présente comme une femme courageuse et très influente qui a des ressources culturelles et morales ; Sur les monuments contient un panégyrique où est louée sa beauté ; Théodora et Justinien sont présentés comme un couple pieux. Dans son Histoire secrète, enfin, qui est sans doute une publication posthume, Procope, peut-être déçu dans ses attentes, dépeint Justinien comme cruel, vénal, prodigue et incompétent, et Théodora comme une prostituée arrogante et une parvenue ruineuse. Les auteurs syriaques de tendance monophysite (tendance que Théodora a adoptée et soutenue), Zacharie le Scholastique, l’évêque Jean d’Antioche, le Patriarche d’Antioche Michel le Syrien, la présentent comme une impératrice "pieuse", "sainte", "dévote"…  
C’est principalement l’Histoire secrète de Procope qui a alimenté les fantasmes et nourri la littérature et les films.

• Les monophysites ne reconnaissent qu’une seule nature (de monos et phusis, en grec) divine dans la personne du Christ, en opposition à la définition donnée par le concile de Chalcédoine (451), selon laquelle la nature humaine et la nature divine coexistent dans la même personne.

Née vers 500, probablement à Constantinople, Théodora devient vite orpheline : son père, Acacius, meurt brutalement et laisse la famille sans ressources. Le nouveau compagnon de sa mère reprend la fonction de gardien des ours pour la faction des Verts dans l’hippodrome de la ville. Dès leur plus jeune âge, Théodora et sa sœur Comito apprennent à dompter des ours, des chevaux, des perroquets colorés importés d’Orient. Théodora apprend à maîtriser sa posture, ses gestes ou encore à montrer son autorité, des qualités qui lui serviront par la suite. Mais le responsable des Verts démet la famille de cette charge et l’humilie en public. Pour l’historien Paolo Cesaretti, c’est le début d'une profonde aversion de Théodora pour cette faction. Les décisions politiques que Théodora allait prendre envers eux, une fois au pouvoir, seraient le fruit d'une vengeance obstinée de l’affront subi dans l'hippodrome.

Les jeunes filles se tournent vers le monde du théâtre, la danse, le mime, un monde honni par la société de l’époque. Pendant cette période, Théodora rencontre Antonina qui deviendra la femme de Bélisaire et se lie d’amitié avec elle.
À 16 ans, elle devient la maîtresse d'un haut fonctionnaire syrien, Hecebolus, et part avec lui en Afrique du Nord. Maltraitée et abandonnée, elle décide de repartir pour la capitale byzantine. Elle est alors dans un dénuement total et s’adresse à l’Église en invoquant le droit d’asile. Elle est interrogée par un prélat qui l’invite à se rendre au siège du patriarcat, à Alexandrie, afin d’approfondir ses connaissances religieuses. Elle y apprend à lire, à écrire et acquiert une culture philosophique avant de retourner à Constantinople. Grâce à des réseaux religieux et ecclésiastiques, elle approche le patriarche Timothée III, un monophysite, qui restera son père spirituel. C’est à l’occasion de cette rencontre qu’elle se serait convertie à l'Église monophysite.

De retour à Constantinople, en 522, elle se fait inviter au Palais grâce à Macedonia, une danseuse dont elle a fait connaissance et qui est, en fait, un informateur de Justinien. Sa personnalité et son physique attirent l’attention de Justinien dont elle devient la maîtresse. Il l’élève au rang de patricienne et pour l’épouser (en 523) il obtient de son oncle, l'empereur Justin,  l'abrogation d'une loi qui interdisait à un sénateur de se marier avec une courtisane.
Théodora revêt la pourpre en même temps que Justinien en 527 dans la basilique Sainte-Sophie, ce qui l'associe pleinement à l'Empire. Elle exerce une influence considérable sur l'empereur et, bien qu'elle ne soit jamais associée au pouvoir, son intelligence et sa gestion habile des affaires politiques amènent un grand nombre d'historiens à penser que c'est elle et non Justinien qui règne sur l'Empire byzantin. Son nom est en effet mentionné dans presque toutes les lois promulguées à cette période. Elle reçoit par ailleurs les émissaires étrangers et correspond avec les autres souverains, deux fonctions généralement réservées à l'empereur. L'influence qu'elle exerce en politique est décisive, comme l'illustre la sédition de Nika en janvier 532. Les deux factions de Constantinople, les Bleus (issus de l'aristocratie) et les Verts (franges populaires), unissent leurs forces à cette occasion pour s'opposer au gouvernement et imposer l'empereur de leur choix. Les conseillers de Justinien l'enjoignent de fuir, mais Théodora lui conseille de rester, affirmant que « la pourpre est un beau linceul », et de sauver son empire. Le général de Justinien, Bélisaire, fait alors reculer les insurgés dans l'hippodrome où ils sont massacrés.

La vie privée de Théodora, une fois sur le trône, semble avoir été irréprochable quoi qu’en dise Procope. Exécrant la ville, elle vit dans un palais personnel, à l’écart, sur la Propontide (la mer de Marmara), entourée de ses favorites et d’eunuques. Elle pousse Justinien à prendre des mesures énergiques contre les propriétaires de maisons de tolérance, dépense de fortes sommes pour aider les prostituées, rachetant certaines d'entre elles et fonde une maison pour pécheresses repenties. Elle a une influence certaine sur les dispositions concernant les femmes du Code Justinien : mesures de protection à l'égard des comédiennes et des courtisanes, loi contre la « traite des blanches », possibilité pour les épouses de demander le divorce. Elle n’a pas d’enfant avec Justinien, mais avant leur rencontre elle a eu une fille. Celle-ci aura trois enfants, Anastase, Jean et Athanase.

Dans le domaine religieux, alors que Justinien penche pour l'orthodoxie et un rapprochement avec Rome, Théodora reste toute sa vie favorable aux monophysites et réussit à infléchir, du moins jusqu'à sa mort, la politique impériale. Par exemple, elle fait nommer Vigile pape à la place de Silvère qui luttait contre l'hérésie monophysite. Avant de mourir, Théodora pousse Justinien à convoquer le deuxième Concile de Constantinople (553) qui condamne la doctrine d’Origène. Théodora meurt le 28 juin 548, 17 ans avant Justinien. Son corps est enterré dans l'église des Saints-Apôtres à Constantinople.

Ce qu'écrit Procope de Césarée :

 

Οὐ γάρ τινος αἰδοῦς τῇ ἀνθρώπῳ μετῆν, ἢ διατραπεῖσάν τις αὐτὴν πώποτε εἶδεν

 

« Personne ne la vit jamais reculer par pudeur, ni perdre contenance devant aucun homme. »

 

Procope de Césarée, Anekdota (Histoire secrète), IX, 4.

• Comme Cléopâtre, Théodora fascine et suscite les pires critiques : ce sont des femmes de pouvoir que les auteurs - tous des hommes - s’accordent à décrire comme intelligentes, volontaires, sortant du rang pour mener une vie libre, mais qui attirent inévitablement les commentaires négatifs sur leur vie.
Procope de Césarée (env. 500-565), le secrétaire du général Bélisaire, a accordé toute son attention à l’impératrice Théodora dans ses œuvres : le Discours sur les guerres la présente comme une femme courageuse et très influente qui a des ressources culturelles et morales ; Sur les monuments contient un panégyrique où est louée sa beauté ; Théodora et Justinien sont présentés comme un couple pieux. Dans son Histoire secrète, enfin, qui est sans doute une publication posthume, Procope, peut-être déçu dans ses attentes, dépeint Justinien comme cruel, vénal, prodigue et incompétent, et Théodora comme une prostituée arrogante et une parvenue ruineuse. Les auteurs syriaques de tendance monophysite (tendance que Théodora a adoptée et soutenue), Zacharie le Scholastique, l’évêque Jean d’Antioche, le Patriarche d’Antioche Michel le Syrien, la présentent comme une impératrice "pieuse", "sainte", "dévote"…  
C’est principalement l’Histoire secrète de Procope qui a alimenté les fantasmes et nourri la littérature et les films.

• Les monophysites ne reconnaissent qu’une seule nature (de monos et phusis, en grec) divine dans la personne du Christ, en opposition à la définition donnée par le concile de Chalcédoine (451), selon laquelle la nature humaine et la nature divine coexistent dans la même personne.

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