Stabiliser la conquête et asseoir le pouvoir du conquérant

NOTES

  1. Arrien ne parle pas de ces tortures.
  2. Arrien tenait l’œuvre de Ptolémée en grande estime.
  3. Aristobule est désigné par Arrien comme l’une des sources principales. Il aurait fait partie de l’expédition en tant qu’architecte ou ingénieur. Ainsi il a été chargé par le roi de la restauration de la tombe de Cyrus. À la différence d’Onésicrite il aurait évité dans son récit les effets de rhétorique et les exagérations, s’attachant beaucoup plus aux faits et à la vérité historique. Il mérite beaucoup plus d’intérêt que Douris de Samos qui vivait au début du IIIe siècle avant J.-C. Voir aussi Quinte-Curce, VI, 7, 2-35 ; Diodore, XVII, 79-80 et Plutarque, Alexandre, 49, 3-13.
  4. Frère de Nicomaque, un des conjurés. Craignant une dénonciation, il décida de tout révéler lui-même.
  5. L’Hindou-Kouch.
  6. Charès de Mytilène est une des sources importantes de Plutarque qui le cite six fois dans sa biographie. Témoin de l’expédition du roi il semble être aussi digne d’intérêt qu’Aristobule.
  7. Voir Arrien, Anabase, IV, 14, 3.
  8. Ératosthène de Cyrène (IIIe siècle av. J.-C.) est un savant pluridisciplinaire. Il est célèbre pour avoir fondé la géographie mathématique dans sa Géographie où la terre est décrite comme sphérique. Il a établi une chronologie scientifique sur l’histoire politique et littéraire de la Grèce : la Chronographie. Il ne reste que peu de choses de son œuvre. On a conservé des fragments poétiques.
  9. Voir infra.

330-323 av. J.-C. La fin de la conquête d'Alexandre et le retour de l'armée macédonienne

Carte 10 - La fin de la conquête d'Alexandre et le retour de l'armée macédonienne

 

La fragilisation militaire et économique d’Alexandre

 

Par ailleurs, et de façon plus pragmatique, sa politique de domination de l’Europe et de l’Asie demande des ressources que ne peut fournir la Macédoine. Il fait appel à des contingents iraniens de plus en plus nombreux, et il incorpore des mercenaires et des techniciens grecs qui l’obligent à maintenir de bonnes relations avec les cités grecques dont l’attitude est particulièrement ambiguë.

La faiblesse numérique des troupes d’Alexandre faillit être lourde de conséquences. Satibarzanès, satrape d’Arie et complice de Bessus, faillit en profiter. Alexandre est, en effet, loin de Parménion. Ce dernier, avec le reste de l’ar­mée, est stationnée à Ecbatane pour assurer la garde du trésor placé dans la citadelle. Par ailleurs, les tensions entre Alexandre et son lieutenant sont graves. Elles portent sur la politique de conquête et sur les formes de gouvernement. Parménion mise sur le mécontentement de l’aristocratie macédonienne qui se sent évincée par le conquérant au profit des Iraniens et des Perses. Le retard dans l’arrivée des renforts est, pour Alexandre, lié à des manœuvres séditieuses de la part de Parménion. Le pseudo-procès de Philotas – le fils du vieux général – à qui on arrache des aveux par la torture1, et l’assassinat de Parménion, à Ecbatane, révèlent l’étendue de la crise et à quel point cette période est délicate pour le conquérant. La culpabilité de Philotas dans la conjuration formée par Dimnos, un des Amis du roi, est admise par Arrien qui suit la version de Ptolémée2 et d’Aristobule3.

[5] ὁ δὲ τὸν μὲν Κεβαλῖνον εἰς τὴν ὁπλοθήκην εἰσαγαγὼν ἀπέκρυψεν, αὐτὸς δὲ τῷ βασιλεῖ μεταξὺ λουομένῳ προσελθὼν ἀπήγγειλε τὰ ῥηθέντα καὶ διότι τὸν Κεβαλῖνον παρ᾽ ἑαυτῷ φυλάττει. ὁ δὲ βασιλεὺς καταπλαγεὶς εὐθὺς τόν τε Δίμνον συνέλαβε καὶ μαθὼν ἅπαντα μετεπέμψατο τόν τε Κεβαλῖνον καὶ τὸν Φιλώταν. [6] ἀνακρινομένων δ᾽ ἁπάντων καὶ τῆς πράξεως ἐξεταζομένης ὁ μὲν Δίμνος ἑαυτὸν κατέσφαξε, τοῦ δὲ Φιλώτου ῥᾳθυμίαν μὲν ἑαυτοῦ προσομολογήσαντος, τὴν δ᾽ ἐπιβουλὴν ἀπαρνουμένου τὴν κρίσιν ὑπὲρ τούτου τοῖς Μακεδόσιν ἐπέτρεψεν. [80] πολλῶν δὲ ῥηθέντων λόγων οἱ Μακεδόνες κατέγνωσαν τοῦ Φιλώτου καὶ τῶν συγκαταιτιαθέντων θάνατον : ἐν οἷς ὑπῆρχε Παρμενίων ὁ πρῶτος εἶναι δοκῶν τῶν Ἀλεξάνδρου φίλων, τότε δὲ οὐ παρών, ἀλλὰ δόξας διὰ τοῦ ἰδίου υἱοῦ Φιλώτου πεποιῆσθαι τὴν ἐπιβουλήν. [2] ὁ μὲν οὖν Φιλώτας, βασανισθεὶς πρότερον καὶ ὁμολογήσας τὴν ἐπιβουλήν, κατὰ τὸ τῶν Μακεδόνων ἔθος μετὰ τῶν συγκαταγνωσθέντων ἐθανατώθη. ὁμοίως δὲ τούτῳ καὶ ὁ Λυγκιστὴς Ἀλέξανδρος, αἰτίαν ἔχων ἐπιβεβουλευκέναι τῷ βασιλεῖ, τριετῆ μὲν χρόνον ἐν φυλακῇ τηρούμενος διετέλεσε, διὰ τὴν πρὸς Ἀντίγονον οἰκειότητα τετευχὼς ἀναβολῆς, τότε δ᾽ εἰς τὴν τῶν Μακεδόνων κρίσιν παραχθεὶς καὶ κατὰ τὴν ἀπολογίαν ἀπορηθεὶς λόγων ἐθανατώθη. [3] ὁ δ᾽ Ἀλέξανδρος ἐκπέμψας τινὰς ἐπὶ δρομάδων καμήλων καὶ φθάσας τὴν φήμην τῆς περὶ τὸν Φιλώταν τιμωρίας τὸν πατέρα τοῦ Φιλώτου Παρμενίωνα ἐδολοφόνησε, τεταγμένον μὲν τῆς Μηδείας ἄρχοντα, πεπιστευμένον δὲ τοὺς βασιλικοὺς θησαυροὺς ἐν Ἐκβατάνοις, ἔχοντας ταλάντων ὀκτωκαίδεκα μυριάδας. [4] ὁ δ᾽ Ἀλέξανδρος ἐπιλεξάμενος ἐκ τῶν Μακεδόνων τοὺς ἀλλοτρίας κατ᾽ αὐτοῦ προϊεμένους φωνὰς καὶ τοὺς ἠγανακτηκότας ἐπὶ τῷ τοῦ Παρμενίωνος θανάτῳ, πρὸς δὲ τούτοις τοὺς ἐν ταῖς ἀποσταλείσας εἰς Μακεδονίαν ἐπιστολαῖς ἀλλότριόν τι γεγραφότας τοῖς οἰκείοις περὶ τῶν τῷ βασιλεῖ συμφερόντων εἰς ἓν κατέλεξε σύστημα καὶ προσηγόρευσεν ἀτάκτων τάγμα, ὅπως μὴ διὰ τὰς τούτων ἀκαίρους φωνὰς καὶ παρρησίας τὸ λοιπὸν πλῆθος τῶν Μακεδόνων συνδιαφθείρηται.

[5] Le page enferma aussitôt dans le cabinet d’armes Cébalinos4 de son propre contentement ; et parlant au roi qui sortait du bain, il lui énonça le complot et ajouta qu’il tenait Cébalinos sous sa clé. Le roi frappé de cette nouvelle fit d’abord saisir Dimnos et confronta lui-même ensuite Cébalinos et Philotas. [6] Le fait ayant été bien établi par les réponses des uns et des autres, Dimnos se tua lui-même et Philotas avoua qu’il y avait eu de sa part un délai imprudent mais il nia constamment d’avoir eu aucune part à la conjuration de sorte qu’Alexandre renvoya l’examen et le jugement de l’affaire aux Macédoniens. [80] Après bien des interrogations et des réponses faites de part et d’autre, les Macédoniens jugèrent les accusés et Philotas lui-même dignes de mort. On impliqua dans cette affaire Parménion, père de Philotas, et qui avait été le premier favori du roi ; il était alors absent : mais il fut soupçonné d’avoir machiné sa trahison par le ministère de son fils. [2] Philotas mis à la question avoua le fait dans les tourments et fut condamné au supplice usité chez les Macédoniens. On joignit à lui Alexandre de Lynceste détenu depuis trois ans dans les prisons et qu’on avait épargné jusqu’alors à cause de la liaison de parenté qu’il avait avec Antigone. Amené alors devant le tribunal macédonien et s’étant mal défendu, il fut mis à mort avec les autres. [3] Alexandre fit partir sur le champ des courriers sur des dromadaires, avec un ordre secret de prévenir par leur diligence toute nouvelle qui pourrait arriver d’ailleurs à Parménion de la mort de son fils et de le tuer lui-même : ce qui fut exécuté. Parménion était alors gouverneur de la Médie et il faisait sa résidence à Ecbatane où le Roi lui avait confié la garde d’un trésor qui montait à cent quatre-vingts mille talents. [4] Après ces exécutions le roi fit un corps à part de tous les Macédoniens qu’il savait avoir mal parlé de lui, et surtout de ceux qui le désapprouvaient au sujet de la mort de Parménion. Il mettait dans le même ordre ceux qu’il savait avoir écrit en Macédoine des lettres où sa conduite était censurée de peur que ces gens-là ne semassent parmi ses troupes des discours désavantageux à sa personne et nuisibles à ses projets. Il donna à ce nouveau corps le surnom d’extraordinaire.

Diodore de Sicile, Bibliothèque historique, XVII, 79, 5 – 80, 4, trad., abbé Jean Terrasson

 

Le renouvellement du commandement grec et l’avancée jusqu’au Caucase 

 

Les troupes sont finalement ramenées par Cratère qui va succéder à Parménion, auxquels s’ajoutent des renforts venus de Grèce. Les officiers restés fidèles sont promus. C’est le cas de Ptolémée et de Perdiccas. Rassuré sur la fidé­lité de son commandement la campagne peut continuer. Il prend Kandahar la capitale de l’Arachosie où il fonde Alexandrie d’Arachosie. Après avoir soumis les Indiens voisins de l’Arachosie, il remonte, par des routes couvertes d’une neige épaisse et aux prix de grandes difficultés, ensuite vers le site de l’actuelle Kaboul au pied de l’Hindou-Kouch que les géographes de l’expédition prennent pour un prolongement du Caucase. Alexandrie du Caucase, une nouvelle colonie militaire, est fondée à son tour.

[3,9,6] […] Ἐν τούτῳ δὲ Ἀλέξανδρος πρὸς τὸν Καύκασον τὸ ὄρος ἦγεν, ἵνα καὶ πόλιν ἔκτισε καὶ ὠνόμασεν Ἀλεξάνδρειαν. καὶ θύσας ἐνταῦθα τοῖς θεοῖς ὅσοις νόμος αὐτῷ ὑπερέβαλε τὸ ὄρος τὸν Καύκασον, σατράπην μὲν τῇ χώρᾳ ἐπιτάξας Προέξην, ἄνδρα Πέρσην, τῶν δὲ ἑταίρων Νειλόξενον τὸν Σατύρου ἐπίσκοπον ξὺν στρατιᾷ ἀπολιπών. [3,9,7] Τὸ δὲ ὄρος ὁ Καύκασος ὑψηλὸν μέν ἐστιν ὥσπερ τι ἄλλο τῆς Ἀσίας, ὡς λέγει Ἀριστόβουλος, ψιλὸν δὲ τὸ πολὺ αὐτοῦ τό γε ταύτῃ. μακρὸν γὰρ ὄρος παρατέταται ὁ Καύκασος, ὥστε καὶ τὸν Ταῦρον τὸ ὄρος, ὃς δὴ τὴν Κιλικίαν τε καὶ Παμφυλίαν ἀπείργει, ἀπὸ τοῦ Καυκάσου εἶναι λέγουσι καὶ ἄλλα ὄρη μεγάλα, ἀπὸ τοῦ Καυκάσου διακεκριμένα ἄλλῃ καὶ ἄλλῃ ἐπωνυμίᾳ κατὰ ἤθη τὰ ἑκάστων. ἀλλὰ ἔν γε τούτῳ τῷ Καυκάσῳ οὐδὲν ἄλλο ὅτι μὴ τέρμινθοι πεφύκασι καὶ σίλφιον, ὡς λέγει Ἀριστόβουλος. ἀλλὰ καὶ ὣς ἐπῳκεῖτο πολλοῖς ἀνθρώποις καὶ πρόβατα πολλὰ καὶ κτήνη ἐνέμοντο, ὅτι καὶ χαίρουσι τῷ σιλφίῳ τὰ πρόβατα, καὶ εἰ ἐκ πολλοῦ πρόβατον σιλφίου αἴσθοιτο, καὶ θεῖ ἐπ’ αὐτὸ καὶ τό τε ἄνθος ἐπινέμεται καὶ τὴν ῥίζαν ἀνορύττον καὶ ταύτην κατεσθίει.

[3,9,6] […] Cependant Alexandre arrivé au pied du Caucase5, y bâtit une ville qui porte son nom ; sacrifie à la manière accoutumée, et franchit les sommets de cette montagne. Il nomme le persan Proexès satrape de la contrée, sous la surveillance de Niloxénos, fils de Styros, qu’il y laisse avec des troupes. [3,9,7] Le Caucase est, au rapport d’Aristobule, la montagne la plus élevée de l’Asie. En effet, il s’étend dans une longueur immense, et l’on regarde comme en faisant partie cette longue chaîne de montagnes dont le nom varie avec celui des nations qui les habitent, et qui se prolonge jusqu’au Taurus, frontière de la Cilicie et de la Pamphylie ; sa cime paraissait à l’ordinaire aride et dépouillée ; il ne croit sur cette partie éloignée du Caucase que le térébinthe et le silphium. Il ne laisse cependant pas d’être habité, et couvert de nombreux troupeaux qui se nourrissent de ces plantes, attirés par l’odeur du silphium dont ils broutent la fleur et la tige jusque dans ses racines.

 

La soumission de la Bactriane

 

329. Trompant l’ennemi sur ses intentions, l’Hindou-Kouch est franchi par la haute vallée du Panshir pour ar­river par l’est dans la plaine de Bactres, alors que Bessus l’attendait par la route habituelle, celle du sud.

[3,10,1] Βῆσσος δὲ ἔχων ἀμφ’ αὑτὸν Περσῶν τε τοὺς μετασχόντας αὐτῷ τῆς Δαρείου συλλήψεως καὶ αὐτῶν Βακτρίων ἐς ἑπτακισχιλίους καὶ Δάας τοὺς ἐπὶ τάδε τοῦ Τανάϊδος ποταμοῦ ἐποικοῦντας ἔφθειρε τὴν ὑπὸ τῷ ὄρει τῷ Καυκάσῳ, ὡς ἐρημίᾳ τε τῆς χώρας τῆς ἐν μέσῳ αὑτοῦ τε καὶ Ἀλεξάνδρου καὶ ἀπορίᾳ τῶν ἐπιτηδείων ἀπείρξων Ἀλέξανδρον τοῦ μὴ ἐλαύνειν πρόσω. ἀλλὰ Ἀλέξανδρος ἤλαυνεν οὐδὲν μεῖον, χαλεπῶς μὲν διά τε χιόνος πολλῆς καὶ ἐνδείᾳ τῶν ἀναγκαίων, ἤει δὲ ὅμως. Βῆσσος δέ, ἐπεὶ ἐξηγγέλλετο αὐτῷ οὐ πόρρω ἤδη ὢν Ἀλέξανδρος, διαβὰς τὸν Ὄξον ποταμὸν τὰ μὲν πλοῖα ἐφ’ ὧν διέβη κατέκαυσεν, αὐτὸς δὲ ἐς Ναύτακα τῆς Σογδιανῆς χώρας ἀπεχώρει. εἵποντο δὲ αὐτῷ οἵ τε ἀμφὶ Σπιταμένην καὶ Ὀξυάρτην, ἔχοντες τοὺς ἐκ τῆς Σογδιανῆς ἱππέας, καὶ Δάαι οἱ ἀπὸ τοῦ Τανάϊδος. οἱ δὲ τῶν Βακτρίων ἱππεῖς ὡς φεύγειν ἐγνωκότα ἔμαθον Βῆσσον, ἄλλος ἄλλῃ ἐπὶ τὰ σφῶν ἕκαστοι ἀπηλλάγησαν.

[3,10,1] Bessus, soutenu des Perses de sa faction, d’environ sept mille Bactrianes et des Dahées qui habitent en deçà du Tanaïs ravage tout le pays au-dessous du Caucase pour arrêter par le défaut de subsistances, le vainqueur dont il apprend la marche. Alexandre, malgré la hauteur des neiges et la difficulté des convois, poursuit sa route, Bessus pressé, traverse l’Oxus, brûle ses bâtiments de transport, et se retire à Nautaca, dans la Sogdiane, suivi des Dahées, de la cavalerie Sogdiane, sous la conduite de Spitaménès et d’Oxyartès. Les cavaliers Bactriens abandonnent Bessus au moment où ils le voient chercher son salut dans la fuite.

Arrien, Anabase, III, 28, 8-9.

Alexandre traverse l’Oxus.

[3,10,2] Ἀλέξανδρος δὲ ἐς Δράψακα ἀφικόμενος καὶ ἀναπαύσας τὴν στρατιὰν ἐς Ἄορνόν τε ἦγε καὶ Βάκτρα, αἳ δὴ μέγισταί εἰσι πόλεις ἐν τῇ Βακτρίων χώρᾳ. καὶ ταύτας τε ἐξ ἐφόδου ἔλαβε καὶ φυλακὴν ἐν τῇ ἄκρᾳ τῆς Ἀόρνου ἀπέλιπε καὶ ἐπὶ ταύτης Ἀρχέλαον τὸν Ἀνδρόκλου τῶν ἑταίρων. τοῖς δὲ ἄλλοις Βακτρίοις οὐ χαλεπῶς προσχωρήσασιν ἐπέταξε σατράπην Ἀρτάβαζον τὸν Πέρσην. [3,10,3] Αὐτὸς δὲ ἦγεν ὡς ἐπὶ τὸν Ὄξον ποταμόν. ὁ δὲ Ὄξος ῥέει μὲν ἐκ τοῦ ὄρους τοῦ Καυκάσου, ἔστι δὲ ποταμῶν μέγιστος τῶν ἐν τῇ Ἀσίᾳ, ὅσους γε δὴ Ἀλέξανδρος καὶ οἱ ξὺν Ἀλεξάνδρῳ ἐπῆλθον, πλὴν τῶν Ἰνδῶν ποταμῶν. οἱ δὲ Ἰνδοὶ πάντων ποταμῶν μέγιστοί εἰσιν. ἐξίησι δὲ ὁ Ὄξος ἐς τὴν μεγάλην θάλασσαν τὴν κατὰ Ὑρκανίαν. διαβάλλειν δὲ ἐπιχειροῦντι αὐτῷ τὸν ποταμὸν πάντῃ ἄπορον ἐφαίνετο. τὸ μὲν γὰρ εὖρος ἦν ἐς ἓξ μάλιστα σταδίους, βάθος δὲ οὐ πρὸς λόγον τοῦ εὔρους, ἀλλὰ πολὺ δή τι βαθύτερος καὶ ψαμμώδης καὶ ῥεῦμα ὀξύ<ς>, ὡς τὰ καταπηγνύμενα πρὸς αὐτοῦ τοῦ ῥοῦ ἐκστρέφεσθαι ἐκ τῆς γῆς οὐ χαλεπῶς, οἷα δὴ οὐδὲ βεβαίως κατὰ τῆς ψάμμου ἱδρυμένα. ἄλλως τε καὶ ἀπορία ὕλης ἐν τοῖς πόνοις ἦν καὶ τριβὴ πολλὴ ἐφαίνετο, εἰ μακρόθεν μετίοιεν ὅσα ἐς γεφύρωσιν τοῦ πόρου. ξυναγαγὼν οὖν τὰς διφθέρας, ὑφ’ αἷς ἐσκήνουν οἱ στρατιῶται, φορυτοῦ ἐμπλῆσαι ἐκέλευσεν ὡς ξηροτάτου καὶ καταδῆσαί τε καὶ ξυρράψαι ἀκριβῶς, τοῦ μὴ ἐσδύεσθαι ἐς αὐτὰς τοῦ ὕδατος. ἐμπλησθεῖσαι δὲ καὶ ξυρραφεῖσαι ἱκαναὶ ἐγένοντο διαβιβάσαι τὴν στρατιὰν ἐν πέντε ἡμέραις.

[3,10,2] Alexandre, après avoir fait rafraîchir son armée à Drapsaque, prend le chemin de Bactres et d’Aornos, villes principales de la Bactriane, les emporte du premier assaut, jette une garnison dans Aornos, commandée par Archélaos, fils d’Androclès, l’un des Hétaires. Le reste de la Bactriane cède bientôt ; le persan Artabaze en obtient le gouvernement. [3,10,3] On s’avance vers l’Oxus. Ce fleuve prend sa source dans le Caucase ; c’est le plus considérable qu’Alexandre ait eu à traverser dans l’Asie, après ceux des Indes les plus grands des fleuves connus : il se jette dans la mer Caspienne, près de l’Hyrcanie. Nul moyen de le traverser alors : sa largeur est de six stades ; son lit est encore plus profond et plein de sable ; son cours extrêmement rapide ; il est également difficile d’y fixer ou d’y retenir des pilotis. On manquait de bois pour y jeter des ponts : tirer de plus loin ces matériaux, les rassembler aurait perdu un temps précieux ; on a recours à l’expédient suivant. On remplit de paille et de sarments secs les peaux qui formaient les tentes des soldats, on les coud de manière à les rendre imperméables, on les attache entre elles, on s’aide de ce moyen, et l’armée traverse le fleuve en cinq jours.

Arrien, Anabase, III.

 

La conquête difficile de la Sogdiane

 

L’Oxus franchi, Alexandre se dirige en toute hâte vers le territoire où se trouve Bessus avec son armée. Ce dernier est arrêté par Ptolémée. Livré par Spitaménès ou fait prisonnier par Ptolémée, l’exécution de Bessus, qui s’était pro­clamé roi sous le nom d’Artaxerxès IV, est une mise en garde adressée aux Perses. Le centre de la Sogdiane est main­tenant sous le contrôle d’Alexandre.

[3,10,6] […] καὶ Πτολεμαῖος ξυλλαβὼν Βῆσσον ὀπίσω ἐπανῄει. προπέμψας δὲ ἤρετο Ἀλέξανδρον, ὅπως χρὴ ἐς ὄψιν ἄγειν Ἀλεξάνδρου Βῆσσον. καὶ Ἀλέξανδρος γυμνὸν ἐν κλοιῷ δήσαντα οὕτως ἄγειν ἐκέλευσε καὶ καταστήσαντα ἐν δεξιᾷ τῆς ὁδοῦ, ἧ αὐτός τε καὶ ἡ στρατιὰ παρελεύσεσθαι ἔμελλε. καὶ Πτολεμαῖος οὕτως ἐποίησεν. [3,10,7] Ἀλέξανδρος δὲ ἰδὼν τὸν Βῆσσον ἐπιστήσας τὸ ἅρμα ἤρετο ἀνθ’ ὅτου τὸν βασιλέα τὸν αὑτοῦ καὶ ἅμα καὶ οἰκεῖον καὶ εὐεργέτην γενόμενον Δαρεῖον τὰ μὲν πρῶτα ξυνέλαβε καὶ δήσας ἦγεν, ἔπειτα ἀπέκτεινε. καὶ ὁ Βῆσσος οὐ μόνῳ οἷ ταῦτα δόξαντα πρᾶξαι ἔφη, ἀλλὰ ξὺν τοῖς τότε ἀμφὶ Δαρεῖον οὖσιν, ὡς σωτηρίαν σφίσιν εὑρέσθαι παρ’ Ἀλεξάνδρου. Ἀλέξανδρος δὲ ἐπὶ τοῖσδε μαστιγοῦν ἐκέλευεν αὐτὸν καὶ ἐπιλέγειν τὸν κήρυκα ταὐτὰ ἐκεῖνα ὅσα αὐτὸς τῷ Βήσσῳ ἐν τῇ πύστει ὠνείδισε. Βῆσσος μὲν δὴ οὕτως αἰκισθεὶς ἀποπέμπεται ἐς Βάκτρα ἀποθανούμενος. καὶ ταῦτα Πτολεμαῖος ὑπὲρ Βήσσου ἀνέγραψεν. Ἀριστόβουλος δὲ τοὺς ἀμφὶ Σπιταμένην τε καὶ Δαταφέρνην Πτολεμαίῳ ἀγαγεῖν Βῆσσον καὶ παραδοῦναι Ἀλεξάνδρῳ γυμνὸν ἐν κλοιῷ δήσαντας.

[3,10,6] […] Ptolémée et ses troupes sont introduits dans les murs ; Bessus est pris. On députe vers Alexandre pour l’en informer, et prendre ses ordres sur la manière dont Bessus doit lui être présenté. Il sera exposé nu, attaché avec une corde à droite de la route que tiendra l’armée. Ptolémée exécute l’ordre. [3,10,7] Alexandre venant à passer sur son char, s’arrête, et interrogeant Bessus : « Pourquoi as-tu trahi, chargé de fers et massacré ton roi, ton ami, ton bienfaiteur ? » Et Bessus : « Ce ne fut point de mon propre mouvement, mais de l’avis de tous ceux qui accompagnaient alors Darius et qui croyaient à ce prix trouver grâce devant vous. » Alexandre le fait frapper de verges : Un héraut répète à haute voix les reproches que le roi vient de lui adresser. Après ce premier supplice, Bessus est traîné à Bactres, où il doit subir la peine capitale. Tel est le récit de Ptolémée. Celui d’Aristobule varie ; il prétend que ce fut dans cet état d’humiliation que les persans Spitaménès et Dataphernès livrèrent Bessus à Ptolémée et le conduisirent devant Alexandre.

Arrien, Anabase, III.

[…] Καὶ Βῆσσον μὲν ὕστερον εὑρὼν διεσφενδόνησεν, ὀρθίων δένδρων εἰς ταὐτὸ καμφθέντων ἑκατέρῳ μέρος προσαρτήσας τοῦ σώματος, εἶτα μεθεὶς ἑκάτερον, ὡς ὥρμητο ῥύμῃ φερόμενον, τὸ προσῆκον αὐτῷ μέρος νείμασθαι.

« […] Depuis ayant trouvé moyen d’avoir Bessus entre ses mains, il le fit démem­brer avec deux arbres hauts et droits, qu’il fit courber l’un devers l’autre, et at­tacher à chacun une partie du corps, puis les laisser retourner en leur naturel par telle impétuosité, que chacun en emporta sa pièce. »

Plutarque, Vie d’Alexandre-le-Grand, LXXVI, trad. J. Amyot.

La version de Diodore est autre.

[7] Βῆσσος δ᾽ ἑαυτὸν ἀναδεδειχὼς βασιλέα τοῖς θεοῖς ἔθυσε καὶ τοὺς φίλους παραλαβὼν εἰς τὴν εὐωχίαν κατὰ τὸν πότον διηνέχθη πρός τινα τῶν ἑταίρων, ὄνομα Βαγωδάραν. τῆς δὲ φιλοτιμίας ἐπὶ πλέον προελθούσης ὁ μὲν Βῆσσος παροξυνθεὶς ἐπεβάλετο τὸν Βαγωδάραν ἀνελεῖν καὶ ὑπὸ τῶν φίλων πεισθεὶς μετενόησεν. [8] ὁ δὲ τὸν κίνδυνον ἐκφυγὼν νυκτὸς ἔφυγε πρὸς τὸν Ἀλέξανδρον. τῇ δὲ τούτου σωτηρίᾳ καὶ ταῖς δοθησομέναις ὑπ᾽ Ἀλεξάνδρου δωρεαῖς προκληθέντες οἱ μέγιστοι τῶν ἡγεμόνων συνεφρόνησαν καὶ συλλαβόντες τὸν Βῆσσον ἀπήγαγον πρὸς τὸν Ἀλέξανδρον. [9] ὁ δὲ βασιλεὺς τούτους μὲν ἐτίμησεν ἀξιολόγοις δωρεαῖς, τὸν δὲ Βῆσσον παρέδωκε τῷ ἀδελφῷ τοῦ Δαρείου καὶ τοῖς ἄλλοις συγγενέσιν εἰς τιμωρίαν. οἱ δὲ πᾶσαν ὕβριν καὶ αἰκίαν προσενεγκάμενοι καὶ τὸ σῶμα κατὰ λεπτὸν συγκόψαντες τὰ μέλη διεσφενδόνησαν.

[7] De son côté Bessus se portant toujours pour roi y fit un sacrifice aux dieux, à la suite duquel il invita ses amis à un festin : dans la chaleur du vin, il prit querelle avec un de ses convives nommé Bagodaras et la dispute en vint au point que Bessus était sur le point de le tuer ; à quoi pourtant les amis de l’un et de l’autre convive mirent obstacle : [8] cependant celui qui avait couru le risque jugea à propos dès la nuit suivante de se réfugier auprès d’Alexandre. La réception favorable que lui fit le roi, et les présents dont il accompagna son accueil furent un appât dont l’exemple lui gagna l’affection des principaux officiers de Bessus, de sorte que le liant eux-mêmes, ils l’amenèrent de force à Alexandre. [9] Le roi les récompensa amplement de ce service. Il livra Bessus au frère de Darius et aux autres parents du feu Roi pour le punir du meurtre de ce prince et de sa rébellion. Ceux-ci lui firent subir toute sorte d’affronts et de tourments, et ayant enfin coupé son corps en petits morceaux, ils les jetèrent çà et là avec des frondes.

Diodore de Sicile, Bibliothèque historique, XVII, 83, 7-9, trad. abbé Jean Terrasson

Alexandre fait mouvement vers le fleuve Iaxarte, l’ancienne limite de l’empire perse où Cyrus avait construit une ligne de places fortes pour tenir en respect les Scythes nomades. Après la prise et la destruction de Cyropolis, Alexandrie Eschatè (l’» Ultime ») est fondée. Maracanda tombe. Après de longs et difficiles combats dans des pays sauvages, dans le fond de vallées perdues, après l’assaut des « Roches », et des embuscades sanglantes, le dernier foyer de résistance sogdien, un piton tenu par Oxyarthès, capitule en 327. La Bactriane est aussi pacifiée.

En Sogdiane Alexandre organise des chasses dans les « paradis » royaux. Au cours d’une beuverie, Clitus le Noir, à qui venait d’être confiée la satrapie de Bactriane-Sogdiane, est tué par Alexandre.

[50] Οὐ πολλῷ δ´ ὕστερον συνηνέχθη καὶ τὰ περὶ Κλεῖτον, οὕτω μὲν ἁπλῶς πυθομένοις τῶν κατὰ Φιλώταν ἀγριώτερα· λόγῳ μέντοι συντιθέντες ἅμα καὶ τὴν αἰτίαν καὶ τὸν καιρόν, οὐκ ἀπὸ γνώμης, ἀλλὰ δυστυχίᾳ τινὶ ταῦθ´ εὑρίσκομεν πεπραγμένα τοῦ βασιλέως, ὀργὴν καὶ μέθην πρόφασιν τῷ Κλείτου δαίμονι παρασχόντος. Ἐπράχθη δ´ οὕτως. Ἧκόν τινες ὀπώραν Ἑλληνικὴν ἀπὸ θαλάσσης τῷ βασιλεῖ κομίζοντες. Ὁ δὲ θαυμάσας τὴν ἀκμὴν καὶ τὸ κάλλος, ἐκάλει τὸν Κλεῖτον, ἐπιδεῖξαι καὶ μεταδοῦναι βουλόμενος. Ὁ δὲ θύων μὲν ἐτύγχανεν, ἀφεὶς δὲ τὴν θυσίαν ἐβάδιζε, καὶ τρία τῶν κατεσπεισμένων προβάτων ἐπηκολούθησεν αὐτῷ. Πυθόμενος δ´ ὁ βασιλεὺς ἀνεκοινοῦτο τοῖς μάντεσιν Ἀριστάνδρῳ καὶ Κλεομένει τῷ Λάκωνι· φησάντων δὲ πονηρὸν εἶναι τὸ σημεῖον, ἐκέλευσεν ἐκθύσασθαι κατὰ τάχος ὑπὲρ τοῦ Κλείτου· καὶ γὰρ αὐτὸς ἡμέρᾳ τρίτῃ κατὰ τοὺς ὕπνους ἰδεῖν ὄψιν ἄτοπον· δόξαι γὰρ αὐτῷ τὸν Κλεῖτον μετὰ τῶν Παρμενίωνος υἱῶν ἐν μέλασιν ἱματίοις καθέζεσθαι, τεθνηκότων ἁπάντων. Οὐ μὴν ἔφθασεν ὁ Κλεῖτος ἐκθυσάμενος, ἀλλ´ εὐθὺς ἐπὶ τὸ δεῖπνον ἧκε, τεθυκότος τοῦ βασιλέως Διοσκούροις. Πότου δὲ νεανικοῦ συρραγέντος, ᾔδετο ποιήματα Πρανίχου τινός, ὡς δέ φασιν ἔνιοι Πιερίωνος, εἰς τοὺς στρατηγοὺς πεποιημένα τοὺς ἔναγχος ἡττημένους ὑπὸ τῶν βαρβάρων ἐπ´ αἰσχύνῃ καὶ γέλωτι. Τῶν δὲ πρεσβυτέρων δυσχεραινόντων καὶ λοιδορούντων τόν τε ποιητὴν καὶ τὸν ᾄδοντα, τοῦ δ´ Ἀλεξάνδρου καὶ τῶν περὶ αὐτὸν ἡδέως ἀκροωμένων καὶ λέγειν κελευόντων, ὁ Κλεῖτος ἤδη μεθύων, καὶ φύσει τραχὺς ὢν πρὸς ὀργὴν καὶ αὐθάδης, ἠγανάκτει μάλιστα, φάσκων οὐ καλῶς ἐν βαρβάροις καὶ πολεμίοις ὑβρίζεσθαι Μακεδόνας, πολὺ βελτίονας τῶν γελώντων, εἰ καὶ δυστυχίᾳ κέχρηνται. Φήσαντος δὲ τοῦ Ἀλεξάνδρου τὸν Κλεῖτον αὑτῷ συνηγορεῖν, δυστυχίαν ἀποφαίνοντα τὴν δειλίαν, ἐπαναστὰς ὁ Κλεῖτος « Αὕτη μέντοι σ´ » εἶπεν « ἡ δειλία τὸν ἐκ θεῶν, ἤδη τῷ Σπιθριδάτου ξίφει τὸν νῶτον ἐπιτρέποντα, περιεποίησε, καὶ τῷ Μακεδόνων αἵματι καὶ τοῖς τραύμασι τούτοις ἐγένου τηλικοῦτος, ὥστ´ Ἄμμωνι σαυτὸν εἰσποιεῖν, ἀπειπάμενος Φίλιππον ». [51] Παροξυνθεὶς οὖν ὁ Ἀλέξανδρος « Ἦ ταῦτ´ » εἶπεν « ὦ κακὴ κεφαλὴ σὺ περὶ ἡμῶν ἑκάστοτε λέγων καὶ διαστασιάζων Μακεδόνας χαιρήσειν νομίζεις; » « Ἀλλ´ οὐδὲ νῦν » ἔφη « χαίρομεν Ἀλέξανδρε, τοιαῦτα τέλη τῶν πόνων κομιζόμενοι, μακαρίζομεν δὲ τοὺς ἤδη τεθνηκότας, πρὶν ἐπιδεῖν Μηδικαῖς ῥάβδοις ξαινομένους Μακεδόνας, καὶ Περσῶν δεομένους ἵνα τῷ βασιλεῖ προσέλθωμεν ». Τοιαῦτα τοῦ Κλείτου παρρησιαζομένου, καὶ τῶν περὶ Ἀλέξανδρον ἀντανισταμένων καὶ λοιδορούντων αὐτόν, οἱ πρεσβύτεροι κατέχειν ἐπειρῶντο τὸν θόρυβον. Ὁ δ´ Ἀλέξανδρος ἀποστραφεὶς πρὸς Ξενόδοχον τὸν Καρδιανὸν καὶ τὸν Κολοφώνιον Ἀρτέμιον, « Οὐ δοκοῦσιν » εἶπεν « ὑμῖν οἱ Ἕλληνες ἐν τοῖς Μακεδόσιν ὥσπερ ἐν θηρίοις ἡμίθεοι περιπατεῖν; » τοῦ δὲ Κλείτου μὴ εἴκοντος, ἀλλ´ εἰς μέσον ἐᾶν ἃ βούλεται λέγειν τὸν Ἀλέξανδρον κελεύοντος, ἢ μὴ καλεῖν ἐπὶ δεῖπνον ἄνδρας ἐλευθέρους καὶ παρρησίαν ἔχοντας, ἀλλὰ μετὰ βαρβάρων ζῆν καὶ ἀνδραπόδων, οἳ τὴν Περσικὴν ζώνην καὶ τὸν διάλευκον αὐτοῦ χιτῶνα προσκυνήσουσιν, οὐκέτι φέρων τὴν ὀργὴν Ἀλέξανδρος, μήλων παρακειμένων ἑνὶ βαλὼν ἔπαισεν αὐτὸν καὶ τὸ ἐγχειρίδιον ἐζήτει. Τῶν δὲ σωματοφυλάκων ἑνὸς Ἀριστοφάνους φθάσαντος ὑφελέσθαι, καὶ τῶν ἄλλων περιεχόντων καὶ δεομένων, ἀναπηδήσας ἀνεβόα Μακεδονιστὶ καλῶν τοὺς ὑπασπιστάς· τοῦτο δ´ ἦν σύμβολον θορύβου μεγάλου· καὶ τὸν σαλπιγκτὴν ἐκέλευσε σημαίνειν καὶ πὺξ ἔπαισεν ὡς διατρίβοντα καὶ μὴ βουλόμενον. Οὗτος μὲν οὖν ὕστερον εὐδοκίμησεν, ὡς τοῦ μὴ συνταραχθῆναι τὸ στρατόπεδον αἰτιώτατος γενόμενος. Τὸν δὲ Κλεῖτον οὐχ ὑφιέμενον οἱ φίλοι μόλις ἐξέωσαν τοῦ ἀνδρῶνος· ὁ δὲ κατ´ ἄλλας θύρας αὖθις εἰσῄει, μάλ´ ὀλιγώρως καὶ θρασέως Εὐριπίδου τὰ ἐξ Ἀνδρομάχης ἰαμβεῖα ταῦτα περαίνων·

Οἴμοι, καθ´ Ἑλλάδ´ ὡς κακῶς νομίζεται.

Οὕτω δὴ λαβὼν παρά τινος τῶν δορυφόρων Ἀλέξανδρος αἰχμήν, ἀπαντῶντα τὸν Κλεῖτον αὐτῷ καὶ παράγοντα τὸ πρὸ τῆς θύρας παρακάλυμμα διελαύνει. Πεσόντος δὲ μετὰ στεναγμοῦ καὶ βρυχήματος, εὐθὺς ἀφῆκεν ὁ θυμὸς αὐτόν, καὶ γενόμενος παρ´ ἑαυτῷ, καὶ τοὺς φίλους ἰδὼν ἀφώνους ἑστῶτας, ἑλκύσασθαι μὲν ἐκ τοῦ νεκροῦ τὴν αἰχμὴν ἔφθασε, παῖσαι δ´ ἑαυτὸν ὁρμήσας παρὰ τὸν τράχηλον ἐπεσχέθη, τῶν σωματοφυλάκων τὰς χεῖρας αὐτοῦ λαβόντων καὶ τὸ σῶμα βίᾳ παρενεγκόντων εἰς τὸν θάλαμον.

LXVIII. [50] Peu de temps après [l’affaire de Philotas] arriva le meurtre de Clitus, qui, au simple récit, paraît plus barbare que la mort de Philotas, et qui, considéré dans sa cause et dans ses circonstances, n’arriva pas de dessein prémédité, mais fut amené par la colère et l’ivresse du roi, qui donnèrent lieu à la malheureuse destinée de Clitus. Quelques habitants des provinces maritimes avaient apporté au roi des fruits de la Grèce. Alexandre, admirant leur fraîcheur et leur beauté, fit appeler Clitus, pour les lui montrer et lui en donner sa part. Clitus, occupé alors d’un sacrifice, le quitta sur-le-champ pour se rendre aux ordres du roi, et fut suivi par trois des moutons sur lesquels on avait déjà fait les libations d’usage. Quand Alexandre sut cette particularité, il consulta les devins Aristandros et Cléoménès de Laconie, qui déclarèrent que c’était un très mauvais signe. Le roi ordonna aussitôt qu’on fit des sacrifices pour la vie de Clitus, d’autant qu’il avait eu lui-même dans son sommeil, trois jours auparavant, une vision étrange à son sujet. Il avait cru le voir, vêtu d’une robe noire, assis au milieu des enfants de Parménion, qui tous étaient morts. Clitus n’attendit pas la fin de son sacrifice et alla souper chez le roi, qui, ce jour-là, en avait fait un aux Dioscures. LXIX. On avait déjà bu avec excès, lorsqu’un des convives chanta des vers que Pranichos ou Piérion [51] avaient faits contre les capitaines macédoniens qui venaient d’être battus par les Barbares, et dans lesquels on les couvrait de honte et de ridicule. Les plus âgés des convives, indignés d’une pareille insulte, blâmaient également le poète et le musicien ; mais Alexandre et ses favoris, qui prenaient plaisir à les entendre, ordonnèrent au musicien de continuer. Clitus, naturellement âpre et fier, et déjà plein de vin, s’emportant plus que les autres, s’écria que c’était une indignité d’outrager ainsi, en présence de Barbares, et de Barbares ennemis, des capitaines macédoniens qui, à la vérité, avaient été malheureux, mais qui valaient beaucoup mieux que ceux qui les insultaient. Alexandre lui ayant dit qu’il plaidait sa propre cause, en appelant malheur ce qui n’était que lâcheté, Clitus se leva brusquement : « C’est pourtant, répliqua-t-il, cette lâcheté qui vous a sauvé la vie, lorsque, tout fils des dieux que vous êtes, vous tourniez déjà le dos à l’épée de Spithridatès. C’est le sang des Macédoniens, ce sont leurs blessures qui vous ont fait si grand, que, répudiant Philippe pour père, vous prétendez être fils de Jupiter Ammon. » [51] Alexandre vivement piqué de ce reproche : « Scélérat, s’écria-t-il, espères-tu avoir longtemps sujet de te réjouir des propos que tu tiens tous les jours contre moi, pour exciter les Macédoniens à la révolte ? - En effet, Alexandre, repartit Clitus, n’avons-nous pas bien à nous réjouir dès à présent, quand nous recevons, pour tous nos travaux, de pareils salaires, et que nous portons envie à ceux qui ont eu le bonheur de mourir avant que d’avoir vu les Macédoniens déchirés par les verges des Mèdes, et obligés, pour avoir accès auprès de leur roi, d’implorer la protection des Perses ! » LXX. Pendant que Clitus parlait ainsi sans aucun ménagement, et qu’Alexandre, l’accablant d’injures, se levait pour courir sur lui, les plus vieux s’efforçaient d’apaiser le tumulte. Alexandre se tournant vers Xénodochos de Cardia et Artémios de Colophon : « Ne vous semble-t-il pas, leur dit-il, que les Grecs sont au milieu des Macédoniens comme les demi-dieux parmi des bêtes sauvages ? » Clitus, loin de céder, s’écrie qu’Alexandre n’a qu’à parler tout haut, ou qu’il ne doit pas appeler à sa table des hommes libres et pleins de franchise, mais vivre avec des Barbares et des esclaves qui ne feraient pas difficulté d’adorer sa ceinture persienne et sa robe blanche. Alexandre, n’étant plus maître de sa colère, lui jette à la tête une des pommes qui étaient sur la table et cherche son épée ; mais Aristophanès, un de ses gardes, avait eu la précaution de l’ôter. Tous les autres convives l’entourent et le conjurent de se calmer. Mais, s’arrachant de leurs mains, il appelle ses gardes d’une voix forte, en langage macédonien, ce qui était le signe d’un grand mouvement, et il ordonne au trompette de sonner l’alarme. Comme celui-ci différait et refusait même d’obéir, le roi lui donna un coup de poing sur le visage. Ce trompette fut depuis généralement estimé pour avoir seul empêché que tout le camp ne prit l’alarme. Comme Clitus ne diminuait rien de sa fierté, ses amis l’obligèrent, quoique avec peine, à sortir de la salle ; mais il y rentra sur-le-champ par une autre porte, en chantant avec autant de mépris que d’audace ce vers de l’Andromaque d’Euripide : Quel usage pervers les Grecs ont introduit ! Alexandre désarme un de ses gardes, et, voyant Clitus passer à côté de lui en ouvrant la portière [52], il lui passe la javeline au travers du corps. Clitus pousse un profond soupir, semblable à un mugissement, et tombe mort aux pieds du roi. LXXI. Aussitôt la colère d’Alexandre se dissipe : revenu à lui-même, et voyant tous ses officiers dans un morne silence, il arrache la javeline du corps de Clitus et veut s’en frapper à la gorge, mais ses gardes lui arrêtent la main et l’emportent de force dans sa chambre.

Plutarque, Vie d’Alexandre-le-Grand, trad. Ricard

 

L’unification difficile des Grecs et des Perses : la crise de la proskynèse

 

327. Roxane, la fille d’Oxyartès, devient la femme d’Alexandre. Les données politiques ont maintenant changé : les Macédoniens et les vaincus ont désormais le même roi. Mais l’affaire de la proskynèse, révèle les hostilités de l’aristocratie macédonienne qui ne voulait pas perdre ses privilèges au profit des Iraniens. Cependant les réactions de l’armée après le complot et l’exécution de Callisthène prouvent la fidélité et l’attachement de cette dernière à son chef. Ceux qui, en Europe, ont inspiré Callisthène sont châtiés par Antipater.

[53] Τοὺς δ´ ἄλλους σοφιστὰς καὶ κόλακας ὁ Καλλισθένης ἐλύπει, σπουδαζόμενος μὲν ὑπὸ τῶν νέων διὰ τὸν λόγον, οὐχ ἧττον δὲ τοῖς πρεσβυτέροις ἀρέσκων διὰ τὸν βίον, εὔτακτον ὄντα καὶ σεμνὸν καὶ αὐτάρκη καὶ βεβαιοῦντα τὴν λεγομένην τῆς ἀποδημίας πρόφασιν, ὅτι τοὺς πολίτας καταγαγεῖν καὶ κατοικίσαι πάλιν τὴν πατρίδα φιλοτιμούμενος ἀνέβη πρὸς Ἀλέξανδρον. Φθονούμενος δὲ διὰ τὴν δόξαν, ἔστιν ἃ καὶ καθ´ αὑτοῦ τοῖς διαβάλλουσι παρεῖχε, τάς τε κλήσεις τὰ πολλὰ διωθούμενος, ἔν τε τῷ συνεῖναι βαρύτητι καὶ σιωπῇ δοκῶν οὐκ ἐπαινεῖν οὐδ´ ἀρέσκεσθαι τοῖς γινομένοις, ὥστε καὶ τὸν Ἀλέξανδρον εἰπεῖν ἐπ´ αὐτῷ·

Μισῶ σοφιστήν, ὅστις οὐχ αὑτῷ σοφός.

Λέγεται δέ ποτε πολλῶν παρακεκλημένων ἐπὶ τὸ δεῖπνον ἐπαινέσαι κελευσθεὶς ἐπὶ τοῦ ποτηρίου Μακεδόνας ὁ Καλλισθένης οὕτως εὐροῆσαι πρὸς τὴν ὑπόθεσιν, ὥστ´ ἀνισταμένους κροτεῖν καὶ βάλλειν τοὺς στεφάνους ἐπ´ αὐτόν· εἰπεῖν οὖν τὸν Ἀλέξανδρον ὅτι, κατ´ Εὐριπίδην, τὸν λαβόντα τῶν λόγων

Καλὰς ἀφορμὰς οὐ μέγ´ ἔργον εὖ λέγειν·

« Ἀλλ´ ἔνδειξαι » φάναι « τὴν σαυτοῦ δύναμιν ἡμῖν κατηγορήσας Μακεδόνων, ἵνα καὶ βελτίους γένωνται μαθόντες ἃ πλημμελοῦσιν ». Οὕτω δὴ τὸν ἄνδρα πρὸς τὴν παλινῳδίαν τραπόμενον πολλὰ παρρησιάσασθαι κατὰ τῶν Μακεδόνων, καὶ τὴν Ἑλληνικὴν στάσιν αἰτίαν ἀποφήναντα τῆς γενομένης περὶ Φίλιππον αὐξήσεως καὶ δυνάμεως, εἰπεῖν·

Ἐν δὲ διχοστασίῃ καὶ ὁ πάγκακος ἔλλαχε τιμῆς·

ἐφ´ ᾧ πικρὸν καὶ βαρὺ τοῖς Μακεδόσιν ἐγγενέσθαι μῖσος, καὶ τὸν Ἀλέξανδρον εἰπεῖν, ὡς οὐ τῆς δεινότητος ὁ Καλλισθένης, ἀλλὰ τῆς δυσμενείας Μακεδόσιν ἀπόδειξιν δέδωκε.

[54] Ταῦτα μὲν οὖν ὁ Ἕρμιππός φησι τὸν ἀναγνώστην τοῦ Καλλισθένους Στροῖβον Ἀριστοτέλει διηγεῖσθαι, τὸν δὲ Καλλισθένην συνέντα τὴν ἀλλοτριότητα τοῦ βασιλέως δὶς ἢ τρὶς ἀπιόντα πρὸς αὑτὸν εἰπεῖν·

Κάτθανε καὶ Πάτροκλος, ὅπερ σέο πολλὸν ἀμείνων.

Οὐ φαύλως οὖν εἰπεῖν ἔοικεν ὁ Ἀριστοτέλης, ὅτι Καλλισθένης λόγῳ μὲν ἦν δυνατὸς καὶ μέγας, νοῦν δ´ οὐκ εἶχεν. Ἀλλὰ τήν γε προσκύνησιν ἰσχυρῶς ἀπωσάμενος καὶ φιλοσόφως, καὶ μόνος ἐν φανερῷ διελθὼν ἃ κρύφα πάντες οἱ βέλτιστοι καὶ πρεσβύτατοι τῶν Μακεδόνων ἠγανάκτουν, τοὺς μὲν Ἕλληνας αἰσχύνης ἀπήλλαξε μεγάλης, καὶ μείζονος Ἀλέξανδρον, ἀποτρέψας τὴν προσκύνησιν, αὑτὸν δ´ ἀπώλεσεν, ἐκβιάσασθαι δοκῶν μᾶλλον ἢ πεῖσαι τὸν βασιλέα. Χάρης δ´ ὁ Μιτυληναῖός φησι τὸν Ἀλέξανδρον ἐν τῷ συμποσίῳ πιόντα φιάλην προτεῖναί τινι τῶν φίλων· τὸν δὲ δεξάμενον πρὸς ἑστίαν ἀναστῆναι, καὶ πιόντα προσκυνῆσαι πρῶτον, εἶτα φιλῆσαι τὸν Ἀλέξανδρον {ἐν τῷ συμποσίῳ} καὶ κατακλιθῆναι. Πάντων δὲ τοῦτο ποιούντων ἐφεξῆς, τὸν Καλλισθένην λαβόντα τὴν φιάλην, οὐ προσέχοντος τοῦ βασιλέως, ἀλλ´ Ἡφαιστίωνι προσδιαλεγομένου, πιόντα προσιέναι φιλήσοντα· Δημητρίου δὲ τοῦ προσονομαζομένου Φείδωνος εἰπόντος « Ὦ βασιλεῦ, μὴ φιλήσῃς· οὗτος γάρ σε μόνος οὐ προσεκύνησε, » διακλῖναι τὸ φίλημα τὸν Ἀλέξανδρον, τὸν δὲ Καλλισθένην μέγα φθεγξάμενον εἰπεῖν· « Φιλήματι τοίνυν ἔλασσον ἔχων ἄπειμι ». [55] Τοιαύτης ὑπογινομένης ἀλλοτριότητος, πρῶτον μὲν Ἡφαιστίων ἐπιστεύετο λέγων, ὅτι συνθέμενος πρὸς αὐτὸν ὁ Καλλισθένης προσκυνῆσαι, ψεύσαιτο τὴν ὁμολογίαν· ἔπειτα Λυσίμαχοι καὶ Ἅγνωνες ἐπεφύοντο, φάσκοντες περιϊέναι τὸν σοφιστὴν ὡς ἐπὶ καταλύσει τυραννίδος μέγα φρονοῦντα, καὶ συντρέχειν πρὸς αὐτὸν τὰ μειράκια καὶ περιέπειν, ὡς μόνον ἐλεύθερον ἐν τοσαύταις μυριάσι. Διὸ καὶ τῶν περὶ Ἑρμόλαον ἐπιβουλευσάντων τῷ Ἀλεξάνδρῳ καὶ φανερῶν γενομένων, ἔδοξαν ἀληθέσιν ὅμοια κατηγορεῖν οἱ διαβάλλοντες, ὡς τῷ μὲν προβαλόντι, πῶς ἂν ἐνδοξότατος γένοιτ´ ἄνθρωπος, εἶπεν « Ἂν ἀποκτείνῃ τὸν ἐνδοξότατον, » τὸν δ´ Ἑρμόλαον ἐπὶ τὴν πρᾶξιν παροξύνων ἐκέλευε μὴ δεδιέναι τὴν χρυσῆν κλίνην, ἀλλὰ μνημονεύειν ὅτι καὶ νοσοῦντι καὶ τιτρωσκομένῳ πρόσεισιν ἀνθρώπῳ. Καίτοι τῶν περὶ Ἑρμόλαον οὐδεὶς οὐδὲ διὰ τῆς ἐσχάτης ἀνάγκης τοῦ Καλλισθένους κατεῖπεν. Ἀλλὰ καὶ Ἀλέξανδρος αὐτὸς εὐθὺς Κρατερῷ γράφων καὶ Ἀττάλῳ καὶ Ἀλκέτᾳ φησὶ τοὺς παῖδας βασανιζομένους ὁμολογεῖν, ὡς αὐτοὶ ταῦτα πράξειαν, ἄλλος δ´ οὐδεὶς συνειδείη. Ὕστερον δὲ γράφων πρὸς Ἀντίπατρον καὶ τὸν Καλλισθένην συνεπαιτιασάμενος, « Οἱ μὲν παῖδες » φησὶν « ὑπὸ τῶν Μακεδόνων κατελεύσθησαν, τὸν δὲ σοφιστὴν ἐγὼ κολάσω καὶ τοὺς ἐκπέμψαντας αὐτὸν καὶ τοὺς ὑποδεχομένους ταῖς πόλεσι τοὺς ἐμοὶ ἐπιβουλεύοντας, » ἄντικρυς ἔν γε τούτοις ἀποκαλυπτόμενος πρὸς Ἀριστοτέλην· καὶ γὰρ ἐτέθραπτο Καλλισθένης παρ´ αὐτῷ διὰ τὴν συγγένειαν, ἐξ Ἡροῦς γεγονώς, ἀνεψιᾶς Ἀριστοτέλους. Ἀποθανεῖν δ´ αὐτὸν οἱ μὲν ὑπ´ Ἀλεξάνδρου κρεμασθέντα λέγουσιν, οἱ δ´ ἐν πέδαις δεδεμένον καὶ νοσήσαντα, Χάρης δὲ μετὰ τὴν σύλληψιν ἑπτὰ μῆνας φυλάττεσθαι δεδεμένον, ὡς ἐν τῷ συνεδρίῳ κριθείη παρόντος Ἀριστοτέλους· ἐν αἷς δ´ ἡμέραις Ἀλέξανδρος {ἐν Μαλλοῖς Ὀξυδράκαις} ἐτρώθη περὶ τὴν Ἰνδίαν, ἀποθανεῖν ὑπέρπαχυν γενόμενον καὶ φθειριάσαντα.

[53] mais, d’un autre côté, les sophistes et les flatteurs de la cour d’Alexandre étaient mortifiés de voir Callisthène recherché des jeunes gens pour son éloquence, et non moins agréable aux vieillards par sa conduite réglée, grave et modeste, qui confirmait le motif qu’on donnait à son voyage en Asie ; il n’était venu, disait-on, trouver Alexandre que pour obtenir de ramener ses concitoyens dans sa patrie et de la repeupler. Quoique sa réputation fût la principale cause de l’envie qu’on lui portait, il donna pourtant lieu quelquefois aux calomnies de ses ennemis, parce qu’il refusait souvent les invitations que le roi lui faisait de venir souper chez lui ; et, lorsqu’il y allait, son silence et sa gravité faisaient assez connaître qu’il n’approuvait rien de ce qu’on y faisait et qu’il n’y prenait aucun plaisir. Aussi Alexandre disait-il de lui :

Un sage est odieux, s’il ne l’est pour lui-même.

LXXIII. Un jour que Callisthène soupait chez Alexandre avec un grand nombre de convives, on le pria de faire, la coupe à la main, l’éloge des Macédoniens ; il traita ce sujet avec tant d’éloquence, que tous les assistants, s’étant levés de table, battirent des mains à l’envi et lui jetèrent des couronnes. Alexandre, pour diminuer son mérite, cita ce vers d’Euripide :

Qui traite un beau sujet est sans peine éloquent

Mais montre-nous, ajouta-t-il, le pouvoir de ton éloquence en blâmant les Macédoniens, afin qu’instruits de leurs fautes, ils en deviennent meilleurs. » Alors Callisthène, chantant la palinodie, dit avec une grande liberté des choses très désavantageuses sur le compte des Macédoniens, et fit voir que les divisions des Grecs avaient été la seule cause de l’agrandissement et de la puissance de Philippe ; il finit par rappeler ce vers d’Homère :

Dans les séditions, les méchants seuls gouvernent.

Callisthène s’attira par ce discours, de la part des Macédoniens, une haine implacable ; et Alexandre dit lui-même que Callisthène avait donné des preuves de son talent que de son animosité contre les Macédoniens.

[54] Voilà, suivant Hermippus, le récit que Stroïbus, le lecteur de Callisthène, avait fait à Aristote. Cet historien ajoute que Callisthène, voyant qu’Alexandre était refroidi à son égard, lui avait dit deux ou trois fois, en le quittant, ce vers d’Homère :

Patrocle a bien péri, qui valait mieux que toi.

Aristote n’eut donc pas tort de dire que Callisthène avait un grand talent pour la parole, mais qu’il manquait de jugement : cependant son refus persévérant, et digne d’un vrai philosophe, de rendre au roi l’adoration qu’il exigeait, son courage à dire publiquement ce que les plus vieux et les plus sensés des Macédoniens pensaient en secret avec indignation, épargnèrent aux Grecs une grande honte, et à Alexandre lui-même une plus grande encore, en l’éloignant de se faire rendre un pareil hommage ; mais Callisthène se perdit, parce qu’il eut l’air de forcer le roi plutôt que de le persuader. LXXIV. Charès de Mitylène6 raconte que, dans un festin, Alexandre, après avoir bu, présenta la coupe à un de ses amis ; que celui-ci l’ayant prise se leva, se tourna vers les dieux domestiques, but la coupe, et, après avoir donné un baiser au prince, se remit à table. Tous les autres convives firent successivement la même cérémonie. Callisthène, ayant pris la coupe à son tour, pendant qu’Alexandre s’entretenait avec Héphestion et ne prenait pas garde à lui, vida la coupe, et alla, comme les autres, pour donner un baiser au roi. Mais Démétrios, surnommé Pheidon, ayant dit à Alexandre : « Seigneur, ne le baisez point, car il est le seul qui ne vous ait pas adoré ; » le roi détourna la tête pour ne pas recevoir son baiser : « Eh bien ! dit tout haut Callisthène, je me retirerai avec un baiser de moins que les autres. » [55] Alexandre, à qui cette conduite donnait de l’éloignement pour ce philosophe, en fut plus disposé à croire Héphestion, lorsqu’il lui dit que Callisthène, après lui avoir promis d’adorer le roi, avait manqué à sa parole. Un Lysimache et un Agnon aggravèrent encore cette accusation, et dirent que ce sophiste se glorifiait partout du refus qu’il avait fait d’adorer Alexandre, croyant par-là avoir détruit la tyrannie ; que tous les jeunes gens le recherchaient avec ardeur, et s’attachaient à lui comme au seul homme qui fût libre au milieu de tant d’esclaves. Aussi, quand la conspiration d’Hermolaos contre Alexandre eut été découverte, on n’eut pas de peine à croire ceux qui déposèrent qu’Hermolaos ayant demandé à Callisthène comment il pourrait devenir le plus célèbre des hommes, ce philosophe lui avait répondu : « En tuant le plus célèbre d’entre eux ; » que pour exciter Hermolaos à exécuter ce complot, il lui disait de ne pas avoir peur du lit d’or et de se souvenir qu’il avait affaire à un homme sujet aux maladies et aux blessures. LXXV. Cependant aucun des complices d’Hermolaos, au milieu même des plus cruels tourments, ne nomma point Callisthène ; et Alexandre lui-même, en écrivant tout de suite à Cratère, à Attale et à Alcétas, les détails de cette conjuration, leur dit que ces jeunes gens, appliqués à la torture, avaient déclaré qu’ils étaient seuls les auteurs du complot, et que nul autre qu’eux n’en avait eu le secret. Mais depuis, dans une lettre à Antipater, il accuse Callisthène de complicité. « Les jeunes gens, dit-il, ont été lapidés par les Macédoniens7 ; mais je punirai moi-même le sophiste, et ceux qui me l’ont envoyé, et ceux qui ont reçu les assassins dans leurs villes. » Cette lettre faisait voir sa mauvaise volonté contre Aristote, auprès duquel Callisthène avait été élevé, comme étant son proche parent par Hérô sa mère, nièce d’Aristote. On parle diversement du genre de sa mort : les uns disent qu’Alexandre le fit mettre en croix ; d’autres, qu’il mourut de maladie dans sa prison. Suivant Charès, après qu’il eut été arrêté, on le garda sept mois dans les fers, pour être jugé en plein conseil, en présence d’Aristote. Mais, lorsque Alexandre fut blessé dans un combat contre les Malliens Oxydraques, peuples de l’Inde, ce philosophe mourut en prison d’un excès de graisse et de la maladie pédiculaire.

Plutarque, Vie d’Alexandre-le-Grand, 53, 2-55, 9, trad. Ricard

 

Toujours plus loin vers l’Est : vers les terres de Dionysos 

 

Alexandre réussit à pacifier des terri­toires hostiles, à contenir les peuplades nomades, le Touran est contrôlé par de nombreuses colonies mili­taires. Des liens personnels lient les Macédoniens aux Perses.

Alexandre repasse l’Hindou-Kouch. L’armée d’invasion de l’Inde se rassemble. Elle est cosmopolite, composée de tous les sujets du roi Alexandre, Macédoniens, Grecs, Iraniens et autres Orientaux. Elle est un symbole des visées politiques du successeur des Achéménides.

Il est utile, pour comprendre comment, dans l’expédition, le mythe rejoint la “réalité”, de noter ces remarques d’Arrien à propos de Dionysos dont nous aurons à reparler. À son arrivée à Nysa – sans doute Djelallabad sur la rivière de Kaboul –, après la traversée du Cophen, la prise d’Andaka et d’Arigaïon, la mythologie grecque et en particulier Dionysos et Héraklès le rejoignent. Les Nyséens affirment en effet être les descendants du cortège de Dionysos qui s’était rendu triomphalement jusqu’en Inde et avait soumis les Indiens. Les Macédoniens ont l’impression étrange de se retrouver chez eux. En tout cas sur la route de l’Inde Alexandre marche sur les traces d’un dieu.

Voici Arrien qui évoque, dans l’Anabase et dans L’Inde, les relations de Dionysos avec Nysa et les Indiens.

[5,1] Ἐν δὲ τῇ χώρᾳ ταύτῃ, ἥντινα μεταξὺ τοῦ τε Κωφῆνος καὶ τοῦ Ἰνδοῦ ποταμοῦ ἐπῆλθεν Ἀλέξανδρος, καὶ Νῦσαν πόλιν ᾠκίσθαι λέγουσι· τὸ δὲ κτίσμα εἶναι Διονύσου· Διόνυσον δὲ κτίσαι τὴν Νῦσαν ἐπεί τε Ἰνδοὺς ἐχειρώσατο, ὅστις δὴ οὗτος ὁ Διόνυσος καὶ ὁπότε ἢ ὅθεν ἐπ´ Ἰνδοὺς ἐστράτευσεν· οὐ γὰρ ἔχω συμβαλεῖν εἰ ὁ Θηβαῖος Διόνυσος {ὃς} ἐκ Θηβῶν ἢ ἐκ Τμώλου τοῦ Λυδίου ὁρμηθεὶς ἐπὶ Ἰνδοὺς ἧκε στρατιὰν ἄγων, τοσαῦτα μὲν ἔθνη μάχιμα καὶ ἄγνωστα τοῖς τότε Ἕλλησιν ἐπελθών, οὐδὲν δὲ αὐτῶν ἄλλο ὅτι μὴ τὸ Ἰνδῶν βίᾳ χειρωσάμενος· πλήν γε δὴ ὅτι οὐκ ἀκριβῆ ἐξεταστὴν χρὴ εἶναι τῶν ὑπὲρ τοῦ θείου ἐκ παλαιοῦ μεμυθευμένων. τὰ γάρ τοι κατὰ τὸ εἰκὸς ξυντιθέντι οὐ πιστά, ἐπειδὰν τὸ θεῖόν τις προσθῇ τῷ λόγῳ, οὐ πάντῃ ἄπιστα φαίνεται. Ὡς δὲ ἐπέβη τῇ Νύσῃ Ἀλέξανδρος, ἐκπέμπουσι παρ´ αὐτὸν οἱ Νυσαῖοι τὸν κρατιστεύοντα σφῶν, ὄνομα δὲ ἦν αὐτῷ Ἄκουφις, καὶ ξὺν αὐτῷ πρέσβεις τῶν δοκιμωτάτων τριάκοντα, δεησομένους Ἀλεξάνδρου ἀφεῖναι τῷ θεῷ τὴν πόλιν. παρελθεῖν τε δὴ ἐς τὴν σκηνὴν τὴν Ἀλεξάνδρου τοὺς πρέσβεις καὶ καταλαβεῖν καθήμενον κεκονιμένον ἔτι ἐκ τῆς ὁδοῦ ξὺν τοῖς ὅπλοις τοῖς τε ἄλλοις καὶ τὸ κράνος {αὐτῷ} περικείμενον καὶ τὸ δόρυ ἔχοντα· θαμβῆσαί τε ἰδόντας τὴν ὄψιν καὶ πεσόντας ἐς γῆν ἐπὶ πολὺ σιγὴν ἔχειν. ὡς δὲ ἐξανέστησέ τε αὐτοὺς Ἀλέξανδρος καὶ θαρρεῖν ἐκέλευσε, τότε δὴ τὸν Ἄκουφιν ἀρξάμενον λέγειν ὧδε. Ὦ βασιλεῦ, δέονταί σου Νυσαῖοι ἐᾶσαι σφᾶς ἐλευθέρους τε καὶ αὐτονόμους αἰδοῖ τοῦ Διονύσου. Διόνυσος γὰρ ἐπειδὴ χειρωσάμενος τὸ Ἰνδῶν ἔθνος ἐπὶ θάλασσαν ὀπίσω κατῄει τὴν Ἑλληνικήν, ἐκ τῶν ἀπομάχων στρατιωτῶν, οἳ δὴ αὐτῷ καὶ βάκχοι ἦσαν, κτίζει τὴν πόλιν τήνδε μνημόσυνον τῆς αὑτοῦ πλάνης τε καὶ νίκης τοῖς ἔπειτα ἐσόμενον, καθάπερ οὖν καὶ σὺ αὐτὸς Ἀλεξάνδρειάν τε ἔκτισας τὴν πρὸς Καυκάσῳ ὄρει καὶ ἄλλην Ἀλεξάνδρειαν ἐν τῇ Αἰγυπτίων γῇ, καὶ ἄλλας πολλὰς τὰς μὲν ἔκτικας ἤδη, τὰς δὲ καὶ κτίσεις ἀνὰ χρόνον, οἷα δὴ πλείονα Διονύσου ἔργα ἀποδειξάμενος. Νῦσάν τε οὖν ἐκάλεσε τὴν πόλιν Διόνυσος ἐπὶ τῆς τροφοῦ τῆς Νύσης καὶ τὴν χώραν Νυσαίαν· τὸ δὲ ὄρος ὅ τι περ πλησίον ἐστὶ τῆς πόλεως καὶ τοῦτο Μηρὸν ἐπωνόμασε Διόνυσος, ὅτι δὴ κατὰ τὸν μῦθον ἐν μηρῷ τῷ τοῦ Διὸς ηὐξήθη. καὶ ἐκ τούτου ἐλευθέραν τε οἰκοῦμεν τὴν Νῦσαν καὶ αὐτοὶ αὐτόνομοι καὶ ἐν κόσμῳ πολιτεύοντες· τῆς δὲ ἐκ Διονύσου οἰκίσεως καὶ τόδε σοι γενέσθω τεκμήριον· κιττὸς γὰρ οὐκ ἄλλῃ τῆς Ἰνδῶν γῆς φυόμενος παρ´ ἡμῖν φύεται.

[5,1] Entre le Cophen et l’Indus se présente la ville de Nysa, fondée, dit-on, par Dionysos, vainqueur de l’Inde. Quel est ce Dionysos, et quand a-t-il porté la guerre dans les Indes ? était-il venu de Thèbes ou de Tmolus [en Lydie] ? Obligé de traverser les nations les plus belliqueuses alors inconnues aux Grecs, comment n’a-t-il soumis que les Indiens ? Il ne faut point percer trop avant dans tout ce que la fable rapporte des dieux. Les récits les plus incroyables cessent de l’être, lorsque les faits appartiennent à quelque divinité. Alexandre, arrivé devant cette ville, vit venir à sa rencontre une députation de trente principaux citoyens, à la tête desquels était Acuphis, le premier d’entre eux ; ils lui demandent de respecter, en l’honneur du Dieu, la liberté de leur ville. Arrivés dans la lente d’Alexandre, ils le trouvent couvert de ses armes et de poussière, le casque en tête et la lance à la main. À cet aspect, ils se prosternent épouvantés, et gardent un long silence. Alexandre les relève avec bienveillance, et les encourage. Alors Acuphis : « Au nom de Dionysos, daignez, prince, laisser à la ville de Nysa sa liberté et ses lois. Le grand Dionysus, prêt à retourner dans la Grèce, après la conquête de l’Inde, fonda cette ville monument éternel de sa course triomphale. Il la peupla des compagnons émérites de son expédition. Héros ! c’est ainsi que vous avez fondé une Alexandrie sur le Caucase, une autre en Égypte ; c’est ainsi que tant de villes portent ou porteront le nom d’un conquérant déjà plus grand que Dionysos. Ce Dieu appela notre ville Nysa, en mémoire de sa nourrice ; ce nom s’étend à toute la contrée : cette montagne, qui domine nos murs, porte celui de Méros, et rappelle l’origine de notre fondateur. Depuis ce temps les habitants de Nysa sont libres, et se gouvernent par leurs lois. Le Dieu nous a laissé un témoignage de sa faveur : ce n’est que dans notre contrée que croît le lierre, inconnu dans tout le reste de l’Inde. »

Arrien, Anabase, V, 1,1-5.

Alexandre apprend avec plaisir qu’il a atteint le point jusqu’où est arrivé Dionysos. Il sait qu’il ira plus loin que le dieu. Il permet aux habitants de Nysa, qui vivent selon une constitution aristocratique, de demeurer libres et indépendants. Accompagné de la cavalerie des Compagnons et de l’infanterie de la Garde royale il se rend sur le mont Mèros. Les souvenirs de Dionysos y abondent. Partout les Macédoniens trouvent du lierre, du laurier, des bosquets de toutes sortes d’essences, des ombrages et des terrains de chasse avec des bêtes sauvages en grand nombre. Bien sûr, Arrien rapporte ces faits en conservant son esprit critique, ajoutant peu de foi à certaines interprétations. Il critique, par exemple, les dires d’Ératosthène8 qui dit que « tout ce qui a été rapporté aux dieux par les Macédoniens l’a été pour faire plaisir à Alexandre, en accréditant des rumeurs flatteuses ».

Arrien estime, quant à lui, qu’il faut, quand on rapporte de telles faits, rester neutre.

[5,2] […] καὶ τοὺς Μακεδόνας ἡδέως τὸν κισσὸν ἰδόντας, οἷα δὴ διὰ μακροῦ ὀφθέντα [οὐ γὰρ εἶναι ἐν τῇ Ἰνδῶν χώρᾳ κισσόν, οὐδὲ ἵναπερ αὐτοῖς ἄμπελοι ἦσαν] στεφάνους σπουδῇ ἀπ´ αὐτοῦ ποιεῖσθαι, ὡς καὶ στεφανώσασθαι εἶχον, ἐφυμνοῦντας τὸν Διόνυσόν τε καὶ τὰς ἐπωνυμίας τοῦ θεοῦ ἀνακαλοῦντας. θῦσαι τε αὐτοῦ Ἀλέξανδρον τῷ Διονύσῳ καὶ εὐωχηθῆναι ὁμοῦ τοῖς ἑταίροις. οἱ δὲ καὶ τάδε ἀνέγραψαν, εἰ δή τῳ πιστὰ καὶ ταῦτα, πολλοὺς τῶν ἀμφ´ αὐτὸν τῶν οὐκ ἠμελημένων Μακεδόνων τῷ τε κισσῷ στεφανωσαμένους καὶ ὑπὸ τῇ κατακλήσει τοῦ θεοῦ κατασχεθῆναί τε πρὸς τοῦ Διονύσου καὶ ἀνευάσαι τὸν θεὸν καὶ βακχεῦσαι.

[5,2] […] Les Macédoniens reconnurent avec transport le lierre qu’ils n’avaient pas vu depuis longtemps. En effet, il n’en croît pas dans l’Inde, même aux lieux où l’on trouve la vigne ; ils en forment des guirlandes et des couronnes, et entonnent les hymnes de Dionysos, qu’ils appellent par tous ses noms. Alexandre y sacrifie, et invite les Hétaires à un festin. On rapporte qu’alors les premiers des Macédoniens couronnés de lierre dans cette orgie, et comme saisis des fureurs dionysiaques, coururent en bacchants ivres et frénétiques.

Arrien, Anabase, V, 2, 6-7

« V. 8 Et, avant Alexandre, Dionysos, selon une tradition très répandue, aurait, lui aussi, conduit une expédition en Inde et soumis les Indiens ; au sujet d’Héraklès, nous n’avons pas grand-chose. 9 Assurément, la ville de Nysa constitue un souvenir non négligeable de l’expédition de Dionysos, et de même le mont Méros, et le lierre qui pousse sur cette montagne ; le fait que les Indiens vont au combat au son des tambourins et des cymbales, que leur tenue est mouchetée, comme celle des bacchants de Dionysos. 10 Mais, pour Héraklès, on n’a pas beaucoup de souvenirs : l’histoire du rocher Aornos, dont Alexandre s’empara de vive force, alors qu’Héraklès n’avait pas pu enlever la place, me semble être quelque vantardise macédonienne, comme aussi le Parapamisos, appelé Caucase par les Macédoniens, alors qu’il n’a aucun rapport avec le Caucase. 11 C’est comme quand ils ont aperçu une caverne chez les Parapamisades et qu’ils ont prétendu que c’était la caverne du Titan Prométhée, où il avait été crucifié pour avoir volé le feu. 12 Et encore : chez les Sibes, peuplade indienne, ayant observé que les Sibes étaient vêtus de peaux, ils allaient répétant que les Sibes étaient des témoins laissés par l’expédition d’Héraklès ; et, comme les Sibes portent une massue, et qu’ils marquent leur bétail avec une massue, ils y voyaient le souvenir de la massue d’Héraklès. 13 Si quelqu’un trouve ces affirmations dignes de foi, il s’agirait d’un autre Héraklès, non le thébain, mais soit le tyrien, soit l’égyptien, ou de quelque grand roi d’une région septentrionale habitée, non loin de l’Inde. VI. 1 Je reconnais que tout cela représente une digression, visant à faire apparaître comme peu digne de foi ce que certains ont écrit sur la contrée située au-delà de l’Hyphase ; en effet, ceux qui ont pris part à l’expédition d’Alexandre ne sont pas totalement indignes de confiance, pour la partie qui va jusqu’à l’Hyphase. »

Arrien, Inde, VIII, 5, 8- VI, 1.

 

La victoire contre le roi Pôros : l’ouverture de la route de l’Inde

 

326. Pôros est battu sur la rive orientale de l’Hydaspe. Traité en roi, Pôros devient l’allié des Macédoniens. Deux Alexandries sont fondées, une pour célébrer la victoire, Alexandrie Nicée, et l’autre, Alexandrie Bucéphale, en souvenir de la mort du cheval d’Alexandre. Une flotte de 2 000 bâtiments de guerre9 et de transport est armée pour se rendre, en descendant le fleuve, jusqu’à l’océan Indien. Alexandre veut pousser plus avant au-delà de l’Hyphase. Il a appris que s’étendait là-bas des contrées fertiles. Mais les Macédoniens sont las des fatigues et des dangers. Ils refusent d’aller plus à l’est. Les rassemblements de mécontents se multiplient. Certains soldats affirment qu’ils n’iront pas plus loin. Alexandre, selon Arrien, convoque les chefs d’unité pour leur parler et tenter de les convaincre. Il s’agit d’explorer des nouveaux territoires et de les conquérir pour consolider l’empire. Il reste peu, leur dit-il, à parcourir jusqu’au Gange et à la mer Orientale. La mer Hyrcanienne communique avec cette dernière car la Grande Mer entoure la terre entière. Il veut prouver, toujours selon Arrien que le golfe Indien communique avec le golfe Persique, et la mer Hyrcanienne avec le golfe Indien.

[5,26] […] ταύτῃ δὲ, λέγω ὑμῖν, ξυναφὴς φανεῖται ἡ Ὑρκανία θάλασσα· ἐκπεριέρχεται γὰρ γῆν πέρι πᾶσαν ἡ μεγάλη θάλασσα. καὶ ἐγὼ ἐπιδείξω Μακεδόσι τε καὶ τοῖς ξυμμάχοις τὸν μὲν Ἰνδικὸν κόλπον ξύρρουν ὄντα τῷ Περσικῷ, τὴν δὲ Ὑρκανίαν θάλασσαν τῷ Ἰνδικῷ· ἀπὸ δὲ τοῦ Περσικοῦ εἰς Λιβύην περιπλευσθήσεται στόλῳ ἡμετέρῳ τὰ μέχρι Ἡρακλέους Στηλῶν· ἀπὸ δὲ Στηλῶν ἡ ἐντὸς Λιβύη πᾶσα ἡμετέρα γίγνεται καὶ ἡ Ἀσία δὴ οὕτω πᾶσα, καὶ ὅροι τῆς ταύτῃ ἀρχῆς οὕσπερ καὶ τῆς γῆς ὅρους ὁ θεὸς ἐποίησε. νῦν δὲ δὴ ἀποτρεπομένων πολλὰ μὲν μάχιμα ὑπολείπεται γένη ἐπέκεινα τοῦ Ὑφάσιος ἔστε ἐπὶ τὴν ἑῴαν θάλασσαν, πολλὰ δὲ ἀπὸ τούτων ἔτι ἐπὶ τὴν Ὑρκανίαν ὡς ἐπὶ βορρᾶν ἄνεμον, καὶ τὰ Σκυθικὰ γένη οὐ πόρρω τούτων, ὥστε δέος μὴ ἀπελθόντων ὀπίσω καὶ τὰ νῦν κατεχόμενα οὐ βέβαια ὄντα ἐπαρθῇ πρὸς ἀπόστασιν πρὸς τῶν μήπω ἐχομένων. καὶ τότε δὴ ἀνόνητοι ἡμῖν ἔσονται οἱ πολλοὶ πόνοι ἢ ἄλλων αὖθις ἐξ ἀρχῆς δεήσει πόνων τε καὶ κινδύνων. ἀλλὰ παραμείνατε, ἄνδρες Μακεδόνες καὶ ξύμμαχοι. πονούντων τοι καὶ κινδυνευόντων τὰ καλὰ ἔργα, καὶ ζῆν τε ξὺν ἀρετῇ ἡδὺ καὶ ἀποθνήσκειν κλέος ἀθάνατον ὑπολειπομένους.

[5,26] […] Du golfe Persique nous remontons jusqu’aux colonnes d’Héraklès, et soumettant l’Afrique comme l’Asie, nous prendrons les bornes du monde pour celles de notre empire. Que si nous rebroussions chemin, voyez que nous laissons derrière nous un grand nombre de peuples belliqueux ; au-delà de l’Hyphase, tous ceux qui s’étendent vers la mer orientale ; au nord, tous ceux qui habitent les bords de la mer d’Hyrcanie et les Scythes. À peine aurons-nous commencé notre retraite, qu’un soulèvement général renversera nos conquêtes encore mal affermies. Ceux que nous n’avons point subjugués entraîneront les autres. Il faut donc perdre tout le fruit de nos travaux, ou les continuer. Courage, compagnons ; affermissez-vous dans la carrière des braves : elle est pénible, mais honorable ! Cette vie du courage a ses charmes ; la mort même n’en est point exempte, quand elle consacre le guerrier à l’immortalité.

Arrien, Anabase, V, 26, 2-4.

Voici les mêmes faits vus par Diodore.

94. ὁρῶν δὲ τοὺς στρατιώτας ταῖς συνεχέσι στρατείαις καταπεπονημένους καὶ σχεδὸν ὀκταετῆ χρόνον ἐν πόνοις καὶ κινδύνοις τεταλαιπωρηκότας ὑπέλαβεν ἀναγκαῖον εἶναι τὰ πλήθη τοῖς ἁρμόζουσι λόγοις προτρέψασθαι πρὸς τὴν ἐπὶ τοὺς Γανδαρίδας στρατείαν. [2] πολλὴ μὲν γὰρ φθορὰ τῶν στρατιωτῶν ἐγεγόνει καὶ λύσις οὐδεμία τῶν πολέμων ἠλπίζετο : καὶ τῶν μὲν ἵππων διὰ τὴν συνέχειαν τῆς ὁδοιπορίας τὰς ὁπλὰς ὑποτετρῖφθαι συνέβαινε, τῶν δὲ ὅπλων τὰ πλεῖστα κατεξάνθαι καὶ τὸν μὲν Ἑλληνικὸν ἱματισμὸν ἐκλελοιπέναι, συναναγκάζεσθαι δὲ βαρβαρικοῖς ὑφάσμασι χρῆσθαι, συντεμόντας τὰ τῶν Ἰνδῶν περιβλήματα. [3] κατὰ τύχην δὲ καὶ χειμῶνες ἄγριοι κατερράγησαν ἐφ᾽ ἡμέρας ἑβδομήκοντα καὶ βρονταὶ συνεχεῖς καὶ κεραυνοὶ κατέσκηπτον. ἃ δὴ λογιζόμενος ἐναντιοῦσθαι ταῖς ἰδίαις ἐπιβολαῖς μίαν εἶχεν ἐλπίδα τῆς ἐπιθυμίας, εἰ τοὺς στρατιώτας διὰ τῆς εὐεργεσίας εἰς εὔνοιαν μεγάλην προαγάγοιτο. [4] διόπερ λεηλατεῖν μὲν αὐτοῖς συνεχώρησε τὴν πολεμίαν χώραν, γέμουσαν παντοίας ὠφελείας : ἐν αἷς δ᾽ ἡμέραις ἡ δύναμις περὶ τὴν προνομὴν ἠσχολεῖτο, συναγαγὼν τὰς γυναῖκας τῶν στρατιωτῶν καὶ τοὺς ἐξ αὐτῶν γεγονότας παῖδας ταύταις μὲν συνεστήσατο κατὰ μῆνα διδόναι σῖτον, τοῖς δὲ παισὶν ἐπιφορὰς ταγματικὰς ἀπένειμε κατὰ τοὺς τῶν πατέρων συλλογισμούς. [5] ὡς δ᾽ ἐπανῆλθον οἱ στρατιῶται πολλῶν πλῆθος ἀγαθῶν ἐκ τῆς προνομῆς εὑρηκότες συνῆγε πάντας εἰς ἐκκλησίαν. διελθὼν δὲ λόγον πεφροντισμένον περὶ τῆς ἐπὶ τοὺς Γανδαρίδας στρατείας καὶ τῶν Μακεδόνων οὐδαμῶς συγκαταθεμένων ἀπέστη τῆς ἐπιβολῆς.

[17,94] Mais s’apercevant bien aussi que ses soldats étaient épuisés par la continuité des fatigues qu’ils avaient essuyées et par huit ans de travaux & de périls, il crut devoir les préparer par des discours convenables à cette nouvelle entreprise. [2] En effet une grande partie de ses troupes avait péri et ce qui en restait ne voyait aucun terme aux projets et à l’ambition de leur roi. Les pieds des chevaux étaient ruinés par la longueur de leurs marches, et leurs armes étaient usées par la durée d’un service continuel. Ils n’étaient plus vêtus à la Grecque, et il y avait longtemps que leurs habits tombés en lambeaux les avaient contraints de s’envelopper d’étoffes étrangères, auxquelles mêmes ils ne savaient pas donner des formes convenables. [3] Il était même arrivé alors par un hasard extraordinaire que des pluies mêlées d’éclairs et de tonnerres remplissaient l’air depuis soixante et dix jours. Sentant bien que toutes ces circonstances s’opposaient terriblement à ses prétentions démesurées, il ne pouvait plus compter que sur les récompenses excessives qu’il promettrait à ses soldats. [4] Ainsi il commença dès lors à leur permettre le pillage des terres ennemies où ils se trouvaient actuellement et qui étaient couvertes de tous les biens que la nature peut produire. Pendant que les hommes étaient occupés à cet exercice, il fit assembler leurs femmes et leurs enfants : il s’engagea de fournir aux femmes leur nourriture par mois, et à chacun des enfants une solde proportionnée à celle de leurs pères. [5] Dès que les soldats chargés de butin furent revenus au camp, il les assembla de même et leur proposa dans les termes les plus avantageux qu’il put trouver, l’expédition contre les Gangarides. Mais aucun des Macédoniens n’ayant voulu s’y prêter, il fut contraint d’abandonner ce projet.

Diodore de Sicile, Bibliothèque historique, XVII, 94, 1-5, trad. abbé Jean Terrasson

Alexandre renonce donc. Le fleuve Hyphase ne sera pas franchi et l’armée descendra alors vers le sud.

 

NOTES

  1. Arrien ne parle pas de ces tortures.
  2. Arrien tenait l’œuvre de Ptolémée en grande estime.
  3. Aristobule est désigné par Arrien comme l’une des sources principales. Il aurait fait partie de l’expédition en tant qu’architecte ou ingénieur. Ainsi il a été chargé par le roi de la restauration de la tombe de Cyrus. À la différence d’Onésicrite il aurait évité dans son récit les effets de rhétorique et les exagérations, s’attachant beaucoup plus aux faits et à la vérité historique. Il mérite beaucoup plus d’intérêt que Douris de Samos qui vivait au début du IIIe siècle avant J.-C. Voir aussi Quinte-Curce, VI, 7, 2-35 ; Diodore, XVII, 79-80 et Plutarque, Alexandre, 49, 3-13.
  4. Frère de Nicomaque, un des conjurés. Craignant une dénonciation, il décida de tout révéler lui-même.
  5. L’Hindou-Kouch.
  6. Charès de Mytilène est une des sources importantes de Plutarque qui le cite six fois dans sa biographie. Témoin de l’expédition du roi il semble être aussi digne d’intérêt qu’Aristobule.
  7. Voir Arrien, Anabase, IV, 14, 3.
  8. Ératosthène de Cyrène (IIIe siècle av. J.-C.) est un savant pluridisciplinaire. Il est célèbre pour avoir fondé la géographie mathématique dans sa Géographie où la terre est décrite comme sphérique. Il a établi une chronologie scientifique sur l’histoire politique et littéraire de la Grèce : la Chronographie. Il ne reste que peu de choses de son œuvre. On a conservé des fragments poétiques.
  9. Voir infra.
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