Rome dans l'art contemporain

(1) Comme il n’était pas pensable de donner plus que quelques titres dans un ou deux domaines, nous ne pouvons que renvoyer le lecteur curieux à notre Guide de l’Antiquité imaginaire (Belles Lettres, 2e édition 2016), exhaustif pour la littérature, le cinéma et la BD jusqu’en décembre 2016. Plus de mille titres accessibles aujourd’hui y sont recensés.

Aujourd’hui encore tous les chemins mènent à Rome

Le monde d’aujourd’hui est construit sur un curieux paradoxe : il n’a plus aucun sens du passé, se complaît narcissiquement dans le présent, se fait peur en évoquant le futur, et pourtant il baigne, consciemment ou non, dans une Antiquité le plus souvent fantasmatique, qui resurgit à chaque coin de page ou d’écran. Entre Hercule américanisé, Persée relooké en Percy Jackson ou Harry Potter mis à la sauce Merlin, le public des ados d’aujourd’hui, dont l’inculture antique a atteint des sommets olympiens, voire olympiques, se baigne, mutatis mutandis, toujours dans le même fleuve hétéroclite, malgré les péremptoires affirmations du bon Héraclite. On n’aura pas la prétention ici d’établir un relevé exhaustif de la présence romaine dans la fiction littéraire, artistique et musicale contemporaine, on voudrait simplement attirer l’attention du lecteur sur quelques façons, plus ou moins orthodoxes, de la recréer. Aujourd’hui encore - et plus que jamais - tous les chemins mènent à Rome. Encore faut-il les trouver. Rien de plus simple si l’on veut bien prendre ROMA lettre après lettre : R comme recréer et regarder, O comme ouïr, M comme manager, A comme analyser. Suivez donc le guide1 !

 

R comme Recréer

1. Le roman historique ou le passé surcomposé

Le succès du roman historique ne s’est jamais démenti depuis Walter Scott. Ses périodes favorites restent encore aujourd’hui le Moyen Âge et l’Antiquité. Mais quelle Antiquité ? Si c’est celle qui provoque des pâmoisons chez les midinettes, il faut regarder du bas des pyramides pour contempler un demi-siècle de mystères de bazar sous les auspices de la troublante Néfertiti et du mystérieux Akhénaton. Les amours bibliques sont tout aussi régulièrement en couverture : les duos (Samson/Dalila ; David/Bethsabée ; Salomon/Balkis) et les trios (Moïse/Ramsès/Jéhovah ; Jésus/Marie/Joseph). Mais c’est Rome qui détient la palme des imaginations romanesques.

Dans le domaine des biographies reconstituées, type Cléopâtre ou Spartacus. Dans celui des réhabilitations inattendues ou des images d’Épinal-sur-Tibre : Caligula n’était pas si fou que cela ; Claude avait des qualités qu’un goût immodéré pour les femmes dépravées a masquées. Néron ? Un artiste méconnu victime, avant la lettre, du complexe d’Œdipe (il aimait tant les Grecs !). Titus, comme Énée, puis Antoine, n’a pas eu de chance : il a aimé une Orientale, aussi perfide qu’attirante. Hadrien reste cantonné aux amours alexandrines, Marc Aurèle aux pensées stoïques devant la ruée des Barbares. Parlons-en d’ailleurs de ces Barbares. Hannibal ? Un noble ennemi mais perfide (fides punica). Vercingétorix ? Un noble ennemi mais incompétent. Attila ? Un diplomate retors et cultivé face à un Valentinien III décadent. On pourrait longtemps continuer au risque de lasser le lecteur. On le voit, à quelques exceptions près, ce n’est pas ici qu’il faut chercher l’originalité.

Ce n’est pas non plus dans les romans de kiosques de gare (version soft) ou de salons de massage (version hard) qui racontent, avec force détails qu’on trouve tranquillement chez Suétone, les « orgies romaines », les stupra en stucs, les délices de la décadence. Seuls quelques écrivains, moins soucieux de vendre que leurs confrères, osent parfois une réflexion sur les malheurs du temps, celui d’hier et celui d’aujourd’hui : ils sont rares. C’est donc dans d’autres littératures qu’il faudra chercher une trace d’originalité.

2. La science-fiction ou le passé recomposé

Depuis quelques décennies la littérature de science-fiction, qui a acquis difficilement droit de cité dans l’univers scolaire, s’amuse à jouer avec les paradoxes temporels, le plus souvent en se projetant dans le futur mais parfois dans le passé. Passé qu’on remodèle en imaginant - à chaque croisement historique - une autre histoire. Hannibal l’a emporté : le monde est devenu oriental, plus de Rome. Le christianisme a été vaincu par Mithra, Rome perdure. Il y a mille moyens d’empêcher sa chute : lui offrir le moteur à explosion, les armes à feu, l’imprimerie, etc. C’est ce que vont tenter d’intrépides voyageurs temporels, avec un succès mitigé. L’un d’entre eux va même essayer de sauver Jésus, quitte à prendre sa place. D’ailleurs si Pilate l’avait gracié, que serait-il advenu du christianisme ?

L’histoire romaine est parfois soumise à quelques curieuses explications. Les jumeaux ? Deux gamins espiègles qui ont chipé la machine à remonter le temps de leur savant de papa. Tullus Hostilius, dont l’agressivité dénote aux milieux de compatriotes étrusques plutôt pacifiques, un soldat nazi parti chercher des armes dans le futur mais qui s’est trompé de sens ! Et si les Romains, qui - comme chacun sait - ont découvert l’Amérique avant Éric le Rouge, décidaient, au XXe siècle, de venir en Europe voir où en sont les choses ? Ils seront bien étonnés.

3. Le fantastique ou le passé vampirisé

Genre littéraire de premier plan au XIXe siècle, le fantastique est devenu aujourd’hui un peu le parent pauvre de la SF. On ne s’étonnera pas de le voir peu flirter avec le passé. Et pourtant on trouve quelquefois une vampire-femme égarée au temps d’Auguste ou encore trouvant sa nourriture parmi les compagnons de Spartacus. Mais le plus curieux de ces romans est celui qui nous montre César trônant aux Enfers, qui voit son règne menacé par l’arrivée de… Brutus. On chercherait en vain une Arria Marcella à la fois succube et goule ou une Vénus attachée à sa proie dans un petit village de Provence.

4. Le roman policier ou le passé criminalisé

En revanche la vogue des détectives du passé a fait, contre toute vraisemblance historique, se multiplier les séries dont les héros, plébéiens ou patriciens, résolvent les énigmes soumises à leur sagacité. Tantôt enquêteurs privés sous la République, entre Catilina et Cicéron ; tantôt agents impériaux sous l’autorité de l’empereur ; parfois avocat gallo-romain cueilli chez Tacite. On les retrouve jusque dans l’Antiquité tardive et on s’attache au fur et à mesure de chaque série à des personnages qui agissent (agentes in rebus) au milieu d’un décor souvent bien reconstitué. Certes, il y a quelques enquêteurs improbables, comme cet envoyé de Tibère qui va jeter un coup d’œil chez Ponce Pilate à propos d’un certain Jésus dont le pouvoir impérial n’a jamais sans doute connu l’existence !

 

R comme Regarder

5. Le cinéma ou le passé décomposé

Le film à l’antique, terme auquel nous préférerons - à contrecœur- celui plus explicite de péplum, s’est nourri de mythologie grecque, d’amours bibliques et de bacchanales romaines. Il est peu disert sur la Rome royale, sinon à travers sa fondation et les luttes qui établirent la République : Romulus et Remus, les Sabines, les Horaces et les Curiaces, Horatius Coclès, Mucius Scaevola, Clélie. Héros et héroïnes quasi mythiques retrouvés chez Tite-Live ou Denys d’Halicarnasse, ils racontent en images, souvent naïves, ce que disaient déjà autrefois les vieux « Contes et légendes ». Parfois, cependant, l’actualité fait irruption, comme dans cet Enlèvement des Sabines (R. Pottier, 1961) où ces demoiselles choisissent elles-mêmes leur époux, timide trace du féminisme naissant des années 1960.

Ce culte cinématographique du héros fait que sont magnifiés sur le grand écran d’abord les ennemis de Rome. On sait que la coutume remonte aux historiens latins eux-mêmes qui préféraient chanter les vertus de l’adversaire vaincu de façon à rehausser ainsi la gloire du vainqueur !

Les exploits d’Hannibal, la révolte de Spartacus, la vaillance de Vercingétorix sont mis en images d’une façon qui change selon le pays et l’époque. Hannibal est récupéré aujourd’hui par les Tunisiens qui redécouvrent leur passé antique ; Spartacus est à la fois chanté par les pays de l’Est et par la démocratie américaine, Vercingétorix, le parent pauvre de la fiction, magnifié avec les gros sabots d’une caméra franchouillarde. Quant à la seule femme du lot, cette Cléopâtre que les écrivains latins n’épargnèrent guère, elle est l’objet de toutes les sollicitations cinématographiques, tant son mythe reste vivace dans l’imaginaire des dactylos friandes de produits de beauté.

On opposera la simplicité rude des mœurs barbares à la dépravation romaine impériale. Car il n’est de bon empereur au cinéma que fou, lubrique, dégénéré ou dépravé. Tout comme une bonne impératrice se reconnaît à son goût du sang, du sexe et du pouvoir. Ce pauvre Auguste que ses mœurs austères - du moins si l’on en croit Suétone - bannissent de l’écran, ne fait pas le poids face à ses successeurs. Au palmarès : Tibère, ce paranoïaque avide de chair juvénilement fraîche (« mes petits poissons »), Caligula, dont les orgies sont régulièrement mises en images, Claude, dont le cocuage est tout aussi régulièrement illustré (merci à cette mauvaise langue misogyne de Juvénal !), Néron surtout qui bat tous les records d’adaptations cinématographiques. Depuis l’année 1896 qui vit le premier film consacré à l’Antiquité : Néron essayant des poisons sur un esclave (G. Hatot). Grâce aux efforts conjugués des flammes qui brûlèrent Rome en 64, des pseudos martyrs chrétiens qui firent joujou dans l’arène avec des lions affamés, d’une mère abusive, d’une poupée d’amour comme épouse, d’un précepteur à la morale élastique et d’un « arbitre des élégances » qui a des allures au cinéma du beau Brummell, Néron brille donc des mille feux de l’artiste fou égaré dans un monde de brutes.

Le grand désert cinématographique qui s’étend après les Julio-claudiens est à peine arrosé par ce magnifique fleuron du film-catastrophe que nous a offert le Vésuve le 24 octobre 79. En aura-t-on vu des Derniers Jours de Pompéi ! Vastes superproductions où avec un sadisme de bon aloi le spectateur n’attend qu’une chose, c’est que ce volcan endormi depuis 90 minutes se réveille enfin. Exit Pompéi, arrivent les Barbares pour provoquer, dès le début de la séance, la chute de l’Empire romain, vieux fantasme à la Gibbon aidé de Montesquieu. Peu importe que cette chute ait lieu, au cinéma toujours, à la fin du IIe siècle, dès le règne de Commode ou bien plus tard, car elle a bien eu lieu, aidée par l’incurie impériale, les révoltes des vassaux, au nombre desquels la fameuse Zénobie, reine de Palmyre et surtout le courroux divin qui tolère mal tant de persécutions chrétiennes. Car depuis Jésus, le fonds de commerce cinématographique vend des croix, des arènes, des martyrs. De Fabiola, traité sur le mode mélo dans le cinéma italien, jusqu’à Sébastien, traité sur le mode homo dans le cinéma britannique qui se paie le luxe avec Sebastiane (D. Jarman, 1976) de montrer en latin un film sado-maso-homo-dodo d’un ennui mortel, l’écran des années 1950-1970 n’est qu’un long gémissement. Celui des années 1970-1980 ne sera qu’un long stupre.

Une mode récente a balayé ces productions lacrymatoires ou érotiques pour les remplacer par des croisements temporels impossibles mais qui ne sont pas sans intérêt : relier la traditionnelle fin de l’Empire, celle de 476, au début de la légende arthurienne. On apprendra ainsi, dans La Dernière Légion (D. Lefler, 2006) que le petit Romulus Augustule n’est autre que le père du petit Arthur ou bien, dans Le Roi Arthur (A. Fuqua, 2005), que les chevaliers de la Table ronde ne sont que des otages Sarmates envoyés derrière le mur - en très mauvais état - d’Hadrien. Tendance qui reflète bien la confusion mentale de notre époque qui mélange mythe et histoire et prend pour argent comptant - via Internet - les élucubrations les plus farfelues. Un bel exemple en est donné à la télévision par la série - au demeurant amusante - Xéna, dont l’héroïne est une Amazone - au demeurant séduisante - à l’homosexualité affirmée, qui se promène dans l’univers de la mythologie grecque ou dans celui des Mille et une nuits, faisant, parfois, des rencontres inattendues avec Cléopâtre, Hannibal, César ou Caligula.

6. La télévision ou le passé reposé

Contrairement au cinéma, la télévision a donné et donne encore de Rome une image plus juste, plus intéressante, plus tranquille. Les raisons en sont complexes qui tiennent surtout à l’exigence de la série qui doit pouvoir s’étaler sur plusieurs saisons. C’et ainsi que les grands romans sulpiciens du XIXe siècle, Les Derniers jours de Pompéi ou Quo Vadis ? ont connu de belles adaptations, tandis que les aventures des premiers chrétiens, la guerre de Judée, la révolte de Spartacus, les derniers jours de la République romaine ont fait l’objet, ces dernières années, d’intéressantes illustrations.

Genre nouveau, le docu-fiction, a su mêler habilement une vérité historique, parfois un peu dramatisée, et des images reconstituées. Il semble bien que c’est, aujourd’hui, dans le domaine télévisuel que se trouve l’avenir de la fiction sur Rome.

7. La bande dessinée ou le passé osé

Même mutation dans la bande dessinée. Pendant longtemps, pour des raisons de programmes scolaires, elle s’est installée chez les Gaulois (Alix, Taranis), Guerre des Gaules oblige. Ou bien elle s’est réfugiée dans l’humour cocardier avec Astérix et son ami Obélix dont les rondeurs et les lourdes tresses le consolent de l’absence d’une présence féminine stable. Aujourd’hui, avec des séries comme Murena ou Les Aigles de Rome, toutes deux chez Dargaud, la BD est devenue adulte. Elle flirte avec le roman policier dans Cassio (Lombard) ou avec le fantastique dans La Dernière Prophétie, (Glénat). Sans négliger les adaptations de ces mêmes romans qui font les délices de la télévision.

O comme Ouïr

8. La chanson ou le passé vocalisé

La chanson n’a jamais vraiment évoqué l’Antiquité. Seuls les Frères Jacques ont chanté la mythologie et Brassens Pénélope pour les besoins d’une rime qu’on nous permettra de ne pas citer. Rome n’a que de faibles échos dans ce domaine. Seul le Grand Jojo de Bruxelles dont la débilité est à la hauteur de son nom de scène a osé chanter Jules César avec ces magnifiques paroles à la frappe cornélienne : « Jules César, quand il perd son falzar, on voit ses jolies jambes… » On vous fera grâce de la suite.

9. La comédie musicale ou le passé sonorisé

En revanche la comédie musicale a mis l’Antiquité, surtout romaine, à l’honneur. On avait déjà vu Plaute mis en musique dans Le Forum en folie (R. Lester, 1965), Jésus poussant la chansonnette dans Jésus superstar (N. Jewison, 1973) et Hannibal en ténor inspiré dans La Chérie de Jupiter (G. Sidney, 1955), trois productions américaines. Aujourd’hui, sans doute encouragées par le succès du spectacle Ben-Hur de Robert Hossein, la comédie musicale française vient de chanter avec des trémolos et des roucoulades qui Cléopâtre, qui Spartacus.

 

M comme Manager

10. La publicité ou le passé sponsorisé

Notre société baignant dans l’Antiquité, produits de beauté, parfums, nourriture, boissons, vêtements, mobilier renvoient souvent à un personnage antique ou à une ville illustre. On s’épuiserait à les citer tous. Quelques exemples. La louve romaine fait souvent la une, avec ou sans enfants accrochées à ses mamelles. Elle reste sage, sous son apparence animale, pour vanter, avec ses jumeaux, les voyages culturels de Télérama. Femme des cavernes, vêtue d’une peau de bête, mais toujours avec enfants, elle incarne, au milieu d’un amphithéâtre, la lupa pour chanter le café Lavazza. Est-ce à dire que toute mère de famille peut grâce à lui se transformer en femelle ? Toujours femme, mais sans progéniture, dans la posture du more canino, elle tend la croupe pour les jeans Dub’s. Jean-Paul Gaultier a été plus loin qui la montre hurlant sous les caresses de quatre jeunes éphèbes, toujours accroupie, le crâne rasé, les yeux masqués par d’énormes lunettes de soleil, la bouche ouverte, moulée dans un collant et juchée sur une colonne.

Mais les traces les plus influentes du péplum sur la publicité se trouvent dans deux spots qui renvoient le premier à la Cléopâtre de J. Mankiewicz (1963), le second au même film et au dessin animé Astérix et Cléopâtre (R. Goscinny et A. Uderzo, 1968). Il s’agit, pour l’un, d’une publicité pour le nettoyant Terra de Johnson, pour l’autre, pour le savon Cléopâtra de Colgate-Palmolive. Ici, pour Terra, a été reconstitué un mini décor d’arène où un esclave malin (sans doute tiré du Pseudolus de Plaute) livre combat à la poussière, sous l’œil attentif de César assis et avec les compliments de Cléopâtre qui vient d’arriver. Façon de nous dire qu’un esclave, aussi malin soit-il, ne saurait tromper la vigilance du maître de Rome.

Là, la reine d’Égypte se baigne dans un onctueux mélange moussant de crème parfumée, scène de bain qu’on retrouve dans bien des péplums et dont la plus célèbre - au lait d’ânesse - est celle tirée du Signe de la croix (C. B. DeMille, 1934). On comprend ici que, au bout du compte, ce savon est prometteur de délices aussi suaves que secrètes qui feront de toute ménagère une reine adulée (mais sans ânesse !).

César et Cléopâtre, Néron et Poppée (héros d’une autre pub de Terra), les jeux du cirque et ceux de l’amphithéâtre : l’Antiquité romaine fait tout vendre.

 

A comme Analyser

On s’en voudrait d’oublier l’essentiel ! Toujours obscure, souvent masquée, jamais innocente, l’idéologie est là tapie dans l’ombre de la mémoire ou de l’inconscient du spectateur. Déjà le péplum italien muet avec Cabiria (G. Pastrone, 1913) ou parlant avec Scipion l’Africain (C. Gallone, 1937) se faisait le chantre de la conquête coloniale italienne, les Tripolitains puis les Éthiopiens remplaçant ces sauvages de Carthaginois.

La Guerre froide a fourni aux scénaristes de La Chute de l’Empire Romain (A. Mann, 1963) une belle réflexion sur la coexistence pacifique des deux peuples, celle du Vietnam se reflète dans l’enlisement des légionnaires romains devant Massada en 73 (ou 74) dans la série de B. Sagal, Massada (1980).

La politique intérieure de l’Italie de ces années 1960 qui virent naître une alliance (que d’aucuns qualifièrent de contre nature) entre la démocratie chrétienne et le parti communiste explique les distorsions que subit au cinéma l’histoire de Coriolan revue par G. Ferroni dans La Terreur des Gladiateurs (1963-1964).

On pourrait multiplier les exemples pour les films sur l’Égypte ou la Bible. Mais le recours à Rome pour évoquer la liberté face à la tyrannie est typique des adaptations russe, puis bulgare de Spartacus. Tout comme la révolte, sous la République romaine, de la Dacie est une façon, dans Burebista (G. Vitanidis, 1980), pour la République socialiste roumaine d’évoquer sa relative indépendance face à Moscou.

Il est temps de conclure : Rome a été mise à toutes les sauces de la fiction depuis plusieurs siècles et continue de l’être aujourd’hui : littérature, cinéma, télévision, bande dessinée en tirent d’innombrables illustrations dont les buts ne sont pas toujours avouables (ou pas très clairement) comme dans la publicité. Certes l’idéologie, jusque dans les années 1970, n’était pas très loin. Depuis elle a cédé la place à des produits formatés et numérisés qui veulent offrir plus de spectacle que de réflexion au spectateur qui n’a plus - même quand il est cultivé - que de lointains souvenirs de Rome et de sa chronologie, mélangeant les dates et les événements et ne conservant en mémoire que le trio gagnant : Cléopâtre, César, Néron, sur fond de martyrs chrétiens, d’éruption volcanique et de ruée des Barbares.

Rome est toujours dans Rome, mais les sentiers de naguère ont pris aujourd’hui des allures d’autoroutes à dix voix.

 

(1) Comme il n’était pas pensable de donner plus que quelques titres dans un ou deux domaines, nous ne pouvons que renvoyer le lecteur curieux à notre Guide de l’Antiquité imaginaire (Belles Lettres, 2e édition 2016), exhaustif pour la littérature, le cinéma et la BD jusqu’en décembre 2016. Plus de mille titres accessibles aujourd’hui y sont recensés.

Claude Aziza, Guide de l'Antiquité imaginaire. Roman, cinéma, bande dessinée, Les Belles Lettres, 2008, 2e édition, 2016

Claude Aziza, Le Péplum, un mauvais genre, Klincksieck, 2009

Claude Aziza, Dictionnaire Murena, Dargaud, 2017

Claude Aziza, Dictionnaire du péplum, Vendémiaire, 2019

C. Bernard, Le Passé recomposé. Le roman historique au XIXe siècle, Hachette, 1996

E. B. Henriet, L'Histoire revisitée. Panorama de l'uchronie sous toutes ses formes, Encrage/Les Belles Lettres, 2003

D. Porte, Roma Diva, Les Belles Lettres, 1987

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