Properce, grand poète élégiaque latin du Ier siècle avant J.-C.

Properce évoque fréquemment la mort dans ses Élégies. Mais il ne tombe pas dans la  plainte larmoyante : sa méditation s’accompagne d’une ironie saturnienne qui n’est pas sans faire penser au spleen baudelairien.  

Si là-bas la mort avait enseveli ma douleur, et que la pierre de la fin s’était dressée sur mon amour enseveli, / elle aurait, pour mes funérailles, fait l'offrande de ses cheveux adorés et doucement sur des roses fragiles déposé mes os./ Elle aurait, devant les cendres de la mort, crié mon nom, priant que sur moi la terre fût légère. ( I, XVII.Trad. P.C.)

Dans l’Élégie VII du livre IV, Cynthia, morte peu auparavant, apparaît en songe à Properce  :

Les Mânes sont une réalité : la mort n'achève pas toute chose, l'ombre livide triomphe et échappe au bûcher./Cynthia m'est apparue en songe, penchée sur mon lit, elle que l'on venait d'enterrer au bord d'une rue bruyante./ Le sommeil, après les funérailles de mon amour, planait sur moi et je pleurais les royaumes glacés de mon lit. / Elle avait gardé sa chevelure telle que le jour de son cortège funèbre, et ses yeux tout pareils ; sur le côté sa robe était brûlée,/  le feu avait attaqué l'aigue-marine familière à son doigt et l'eau du Léthé rongé le tour de ses lèvres./ Mais elle respirait et parlait comme une vivante ; ses mains frêles, pourtant, craquaient aux tremblements du pouce :

Elle lui dit : (...) Et tous ces vers que tu as écrit en mon honneur, brûle-les, je te prie : cesse de garder pour toi des louanges qui sont miennes./ Plante un lierre sur mon tombeau pour que je le sente avec sa grappe lourde enserrer mes os tendres, à sa chevelure enlacés (...) (Trad. P.C.)

Sextus Propercius, naît vers 50 avant J.-C. aux confins de l’Étrurie et de l’Ombrie tout près d’Assise, là où « Bevagna, voilée de nuées, ruisselle de rosée », dans une  famille de l’ordre des chevaliers. Il a déjà perdu son père, quand il assiste très jeune encore au ravage de sa région par la guerre civile en 40 avant J.-C. qui  oppose les propriétaires terriens de l'Ombrie et de l’Étrurie à la politique d’assignation des terres voulue par Octave et Marc Antoine.

Properce arrive à Rome à l’âge de 20 ans au moment du triomphe d’Octave qui venait de l’emporter à la bataille d’Actium (31 avant J.-C.) sur Marc Antoine et Cléopâtre. Il est le contemporain de Virgile, d’Ovide et de Tibulle. Il passe une grande partie de son temps dans des cercles d’amis ou de lettrés, jeunes poètes augustéens à l’hédonisme esthétique comme Cornelius Gallus qui aime la mime Cythéris et la chante sous le nom de Lycoris, ou comme l’avaient été aussi ceux qui se réunissaient autour de Catulle trente ans plus tôt - les novi poetae, poètes novateurs. Properce fréquente également une association religieuse un sodalicium, vraisemblablement sous le patronage de Bacchus, où il lit ses poèmes et où Ovide vient les écouter.

 On le trouve également dans le cercle plus restreint de Mécène dont il est l’ami, mais non l’obligé, comme Virgile. À Mécène qui le pousse à écrire une épopée à la gloire d'Octave Auguste, il signifiera pendant longtemps son refus préférant l’élégie et son indépendance. Aux pressions exercées sur lui il répond par une recusatio (II, XXXIV) « Mon plaisir est de languir, couché sur les guirlandes de la veille, atteint jusqu’aux os par le trait du dieu infaillible/ celui de Virgile est de dire les rivages d’Actium gardés par Phébus et les navires puissants de César ». Si Properce finit tardivement dans le IVe livre de ses Élégies par s’intégrer à l’ordre augustéen et à sa politique culturelle, il est de tous les poètes de ce temps celui qui oppose la plus vive résistance et ce n’est que partiellement qu’il revient vers les valeurs traditionnelles romaines.

De ceux qui firent passer la culture et la sensibilité hellénistique dans l’élégie latine, Properce est celui qui alla le plus loin dans ce métissage du grec et du latin à la fois dans la langue elle-même empruntant largement aux tournures grecques et dans les thèmes. Il se pose lui-même comme un nouveau Callimaque dont il s’approprie l’art pour créer une œuvre autre. Il est ainsi l’auteur de quatre livres d’élégies dont le premier paraît en 25 avant J.-C. sous le tire de Cynthia monobiblos, (Cynthia, livre uniquele second l’année suivante, le troisième vers 23 avant J.-C. et le quatrième après 16 avant J.-C.

Nombreux sont ceux qui ont tenté de mettre un nom derrière le pseudonyme de Cynthia qu’il chante dans ses élégies, imaginant une relation suivie. Mais cela ne reste que spéculations. Le nom de Cynthia dérive de l'épithète Cynthien propre à Apollon, formée sur le nom du mont Cynthe de l'Île de Délos, sur lequel était né le dieu. Et ce qui est assuré c’est que Cynthia n’est pas une courtisane mais une femme d’un rang élevé et jouissant d’une grande liberté. Et c’est d’abord sur la vaste mosaïque des motifs élégiaques que se dessine son image. Des femmes célébrées par les poètes antiques, Cynthia est celle dont la figure apparaît la plus vive : elle hante un double temps, le temps réel de la Rome augustéenne et le temps onirique de l’Âge de beauté (l’âge d’or de l’élégiaque). Properce mêle ainsi en continu deux voix, celle qui parle la langue des dieux et l’autre celle du cœur : « Comme était allongée, tandis que s’éloignait la barque de Thésée, la fille de Knossos languissante sur le rivage désert/ ainsi m’est apparue Cynthia, respirant une douce quiétude, la tête posée sur ses mains instables ».(I, 3) 

De Cynthia nous reste ainsi des images fulgurantes : celles d’instantanés érotiques quand elle lutte les seins nus contre son amant et  boit toute une nuit, mais aussi celles d’une femme savante sachant écrire des poésies à l’égal de la poétesse grecque Corinne, porter un jugement sur celles de Properce, jouer de la lyre comme une Muse ou encore danser comme Ariane.  Et c’est bien cette femme insaisissable et énigmatique que Properce aimerait étreindre jusqu’à ne plus faire qu’un seul être de deux : « Oh si tu voulais que nous serre, tous deux enlacés, une chaîne, si fort que jamais aucune aube ne pourrait la briser » (II, 15).

Properce disparaît ou meurt vraisemblablement en 15 avant J.-C. Il avait évoqué  ainsi ses funérailles dans une élégie (II, XIII, b)  : « Quand viendra un jour la mort fermer mes yeux, (…) je ne veux que  les simples obsèques d’un convoi plébéien (…) Que sur ma tombe étroite on plante un laurier dont l’ombre couvrira la place du bûcher éteint. / Que l’on grave aussi ces deux vers : Celui qui maintenant gît ici, poussière affreuse, autrefois d’un unique amour était le servant. / (…) Mais toi, Cynthia, en vain tu crieras à mes Mânes muets de revenir : mes os réduits en poussière, comment parleront ils ? » Trad. P.Charvet.

Ce qu'écrit Properce : 

 

Quaeritis unde mihi totiens scribantur amores, 
unde meus veniat mollis in ora liber.
non haec Calliope, non haec mihi cantat Apollo :
ingenium nobis ipsa puella facit. (…)
seu nuda erepto mecum ludatur amictu,
tum vero longas condimus Iliadas :
seu quidquid fecit sivest quodcumque locuta,
maxima de nihilo nascitur historia.

 

Vous me demandez d’où me viennent tant de poèmes amoureux, pourquoi sur vos lèvres court mon livre tendre.
Mes chants, ni  Calliope ne me les dicte ni Apollon, la femme que j’aime fait tout mon génie (…) 
Si la tunique arrachée, elle lutte contre moi, oui, j’invente alors de longues Iliades,
Quoi qu’elle fasse, quoi qu’elle dise, d’un rien naît la plus belle des légendes. 

Properce , Élégies II, 1, Trad. P.C.

Properce évoque fréquemment la mort dans ses Élégies. Mais il ne tombe pas dans la  plainte larmoyante : sa méditation s’accompagne d’une ironie saturnienne qui n’est pas sans faire penser au spleen baudelairien.  

Si là-bas la mort avait enseveli ma douleur, et que la pierre de la fin s’était dressée sur mon amour enseveli, / elle aurait, pour mes funérailles, fait l'offrande de ses cheveux adorés et doucement sur des roses fragiles déposé mes os./ Elle aurait, devant les cendres de la mort, crié mon nom, priant que sur moi la terre fût légère. ( I, XVII.Trad. P.C.)

Dans l’Élégie VII du livre IV, Cynthia, morte peu auparavant, apparaît en songe à Properce  :

Les Mânes sont une réalité : la mort n'achève pas toute chose, l'ombre livide triomphe et échappe au bûcher./Cynthia m'est apparue en songe, penchée sur mon lit, elle que l'on venait d'enterrer au bord d'une rue bruyante./ Le sommeil, après les funérailles de mon amour, planait sur moi et je pleurais les royaumes glacés de mon lit. / Elle avait gardé sa chevelure telle que le jour de son cortège funèbre, et ses yeux tout pareils ; sur le côté sa robe était brûlée,/  le feu avait attaqué l'aigue-marine familière à son doigt et l'eau du Léthé rongé le tour de ses lèvres./ Mais elle respirait et parlait comme une vivante ; ses mains frêles, pourtant, craquaient aux tremblements du pouce :

Elle lui dit : (...) Et tous ces vers que tu as écrit en mon honneur, brûle-les, je te prie : cesse de garder pour toi des louanges qui sont miennes./ Plante un lierre sur mon tombeau pour que je le sente avec sa grappe lourde enserrer mes os tendres, à sa chevelure enlacés (...) (Trad. P.C.)

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