Lupus in fabula. Programme du cycle 4

Programme d'enseignement de complément de langues et cultures de l'Antiquité

5e- 4e : Éducation et formation dans l'Antiquité

3e : La transmission culturelle, de la Grèce à Rome ; de l'Antiquité au Moyen Âge et à la Renaissance 

 

ANNEXES

lupus détail

a. La fable : repères d’histoire littéraire

- Ésope, le fondateur légendaire

- Phèdre, traducteur et adaptateur

- La tradition médiévale des Ysopets (recueils de fables généralement inspirées d'Ésope)

- Le Roman de Renart

- Le maître français de la fable : La Fontaine

- La fable aujourd’hui

b. La tradition médiévale

L’auteur : Eudes de Chériton

Eudes de Chériton (Odo of Cheriton) : né en Angleterre, dans une famille aisée originaire du Kent, probablement vers 1180 – mort peu de temps après 1246. Moine cistercien, en charge de l’église de Chériton, près de Folkestone, à partir de 1233. Il introduisait de nombreuses paraboles, fables et anecdotes dans ses prêches. Ses versions des fables d’Ésope étaient très populaires en Europe. La composition de ses Fabulae (en prose) est située après 1225.

Le rapprochement avec le Roman de Renart

Le Roman de Renart, qui se présente comme un ensemble de contes ou "branches", est écrit en « roman » (lingua romana, d’où est issu le français) et en octosyllabes entre 1175 et 1250 par plus de vingt auteurs différents, généralement restés anonymes, qui ont enrichi de leurs créations successives et variées les anecdotes développées dans les épisodes initiaux.

Il est probablement nourri d’une version latine « savante » datée de la génération précédente et due à un seul auteur, un moine cultivé de Gand, Maître Nivard, entre 1148 et 1153. Son Ysengrimus est un poème en distiques élégiaques (soit quelque 6 500 vers) présentés en sept livres ; des douze grands épisodes racontés, les deux premiers deviendront les plus célèbres du Roman de Renart : le jambon volé (Ysengrimus, I, vers 1-528 et Roman de Renart, branche V, vers 1-145) et la pêche à la queue (Ysengrimus, I, 529-fin et II, vers 1-158 et Roman de Renart , branche III, vers 375-510), qui est précisément l’épisode que raconte aussi Eudes de Chériton dans le texte choisi.

Le loup, baptisé Ysengrimus, deviendra Ysengrin et le goupil (du latin vulpicula, diminutif de vulpes) nommé Reinardus est le futur Renart (le nom propre devanant plus tard nom commun, selon le procédé de l’antonomase).

Remarque : on constate l’immense succès dans la culture aussi bien savante que populaire au Moyen Âge du genre de la fable (avec les fabliaux) où la ruse inventive du goupil et la force sotte et brutale du loup sont mises en scène au sein d'une vaste fresque animale anthropomorphisée, à visée didactique et morale. Si Le Roman de Renart donne la vedette au goupil, l'Ysengrimus fait du loup le personnage central de l'épopée : glouton, brutal, cupide, présomptueux. Reinardus apparaît comme l'ombre du loup, son mauvais génie, sa perte.

Le texte et l’image en complément

L’épisode de la pêche dans Le Roman de Renart (XIVe siècle), texte établi et traduit par Paulin Paris, 1861.

Résumé : Alléché par l'odeur des anguilles grillées, Ysengrin vient frapper à la porte de Renart qui lui fait croire qu'il reçoit des moines. Le loup crédule se ferait bien moine pour en goûter lui aussi. Renart l'ébouillante sous le prétexte d'une nécessaire tonsure, puis le mène au trou creusé dans l'étang gelé où il l'assure avoir pêché le poisson. Un seau avait été laissé là. Renart le noue à la queue du loup et l'invite à pêcher sans bouger. Mais la queue se prend dans la glace ! Avec l'aube viennent des chasseurs qui se jettent sur le loup. Un coup d'épée maladroit lui tranche la queue. Ysengrin prend la fuite sans demander son reste.

Neuvième aventure - Où l'on verra comment Renart conduit son compère à la pêche aux anguilles

C'était peu de temps avant Noël, quand on pense à saler les bacons. Le ciel était parsemé d'étoiles, il faisait un grand froid, et le vivier où Renart avait conduit son compère était assez fortement pris de glace pour pouvoir en toute sécurité y former des rondes joyeuses. Il n'y avait qu'un seul trou, soigneusement entretenu chaque jour par les paysans du village, et près duquel ils avaient laissé le seau qui leur servait à puiser de l'eau.

Renart, montrant le vivier, dit : « Oncle Ysengrin, c'est là que se tiennent en grand nombre les barbeaux, les tanches et les anguilles ; et justement voici l'engin qui sert à les prendre. » (Il montrait le seau). « Il suffit de le tenir quelque temps plongé dans l'eau, puis de l'en tirer quand on sent à son poids qu'il est rempli de poissons. »

- Je comprends, dit Ysengrin, et pour bien faire, je crois, beau neveu, qu'il faudrait attacher l'engin à ma queue. C'est apparemment ainsi que l'on doit faire quand on veut faire bonne pêche.

- Justement, dit Renart, quelle merveille que vous compreniez cela aisément ! Je vais faire ce que vous demandez.

Il serre fortement le seau à la queue d'Ysengrin. « Et maintenant vous n'avez plus qu'à vous tenir immobile pendant une heure ou deux, jusqu'à ce que vous sentiez les poissons arriver en foule dans l'engin. »

- Je comprends fort bien. En ce qui concerne la patience, j'en aurai tant qu'il le faudra.

Renart se place alors un peu à l'écart, sous un buisson, la tête entre les pieds, les yeux fixés sur son compère. Le loup se tient au bord du trou, la queue en partie plongée dans le seau qu'elle retient. Mais comme le froid était extrême, l'eau ne tarda pas à se figer, puis à se changer en glace autour de la queue.

Le loup, qui se sent tiré, attribue le tiraillement aux poissons qui arrivent ; il se félicite, et déjà songe au profit qu'il va tirer de cette pêche miraculeuse. Il fait un mouvement, puis s'arrête encore, persuadé que plus il attendra, plus il amènera de poissons à bord du seau. Enfin, il se décide à retirer sa queue mais ses efforts sont inutiles. La glace a pris de la consistance, le trou est fermé, la queue est arrêtée sans qu'il lui soit possible de rompre l'obstacle. Il se démène, il s'agite, il appelle Renart : « À mon secours, mon brave neveu ! Il y a tant de poissons que je ne puis les soulever. Viens m'aider, je suis las et le jour ne va pas tarder à venir. »

Renart, qui faisait semblant de dormir, lève alors la tête : « Comment, bel oncle, vous êtes encore là ? Allons, hâtez-vous, prenez vos poissons et partons : le jour ne va pas tarder à venir. »

- Mais, dit Ysengrin, je ne puis les remonter. Il y en a tant, tant, que je n'ai pas la force de soulever l'engin.

- Ah ? répond Renart en riant. Je vois ce que c'est, mais à qui la faute ? Vous avez voulu trop en prendre, et on a raison de dire que celui qui désire trop perd tout.

La nuit passe, l'aube apparaît, le soleil se lève. La neige avait blanchi la terre, et Messire Constant, un honnête métayer dont la maison était au bord de l'étang, se lève en même temps que sa joyeuse meute de chiens. Il prend un cor, appelle ses chiens, fait seller son cheval ; des clameurs partent de tous les côtés, tout est prêt pour partir à la chasse. Renart ne les attend pas : il reprend agilement le chemin de Maupertuis, laissant le pauvre Ysengrin sur la brèche, qui tire de droite et de gauche, et se déchire la queue cruellement sans parvenir à la dégager. Survient un garçon tenant deux lévriers en laisse. Il aperçoit le loup arrêté par la queue dans la glace, le derrière ensanglanté : « Ohé ! Ohé ! Au loup ! » Les chasseurs alertés accourent avec d'autres chiens, et cependant Ysengrin entend Constant donner l'ordre de les lâcher. Les chasseurs obéissent : leurs chiens s'attaquent au loup qui, le poil hérissé, se prépare à vendre sa peau chèrement. Il mord les uns ; il tient les autres à distance.Alors messire Constant descend de cheval, approche avec l'épée au poing et s'apprête à couper Ysengrin en deux. Mais le coup porte mal, Messire Constant perd l'équilibre, tombe sur la tête et se relève avec peine. Il revient à la charge, vise la tête mais le coup glisse et l'épée descend sur la queue d'Ysengrin, qu'elle coupe net. Ysengrin, surmontant une douleur violente, fait un dernier effort et s'élance au milieu des chiens qui s'écartent pour le laisser passer et courir à sa poursuite. Malgré la meute acharnée sur ses traces, Ysengrin gagne une colline, où il les défie. Chiens et lévriers renoncent alors à leur chasse. Ysengrin entre au bois, s'apitoyant sur sa longue et riche queue qu'il a été obligé de laisser en gage. Il jure bien de tirer vengeance de Renart, qu'il commence à soupçonner de lui avoir malicieusement ménagé toutes ces fâcheuses aventures.

 

Les élèves peuvent découvrir quelques pages du manuscrit original, en relation avec le texte.

Roman de Renart, parchemin, Nord de la France, début du XIVe siècle, BnF, Manuscrits, Français 12584 folio 68r © BnF

https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/btv1b60004625/f141.item

 

« La pêche à la queue », Roman de Renart, parchemin, Nord de la France, début du XIVe siècle, BnF, Manuscrits, Français 12584 folio 68r  © BnF

 

1. LE TEXTE choisi comme support

Le Loup, le Renard et les poissons

Eudes de Chériton, Fabulae, 74, « De Lupo et Vulpe », après 1225

Références bibliographiques :

- Léopold Hervieux, Les fabulistes latins depuis le siècle d'Auguste jusqu'à la fin du Moyen Âge (1893-1899).

- Ben Edwin Perry, Babrius and Phaedrus, Loeb Classical Library n° 625, Harvard University Press, Cambridge, 1965.

2. OBJECTIFS

Objectif général

Selon les objectifs choisis par le professeur, cette ressource peut être utilisée à divers niveaux de classe au collège, en fonction des entrées du programme et de la progression annuelle des élèves.

Par exemple :

- en 5e, dans le cadre d’une séance inaugurale : à partir de la fable en latin accompagnée de sa traduction, élucider les premières spécificités linguistiques de la langue latine (prononciation, ordre des mots dans la phrase, flexion, déclinaisons et conjugaisons). Les élèves font facilement le lien avec le thème « Résister au plus fort : ruses, mensonges et masques » étudié en français en classe de sixième ; ils sont ainsi invités à repérer et à mettre en perspective les convergences génériques, textuelles, grammaticales et lexicales entre le français et le latin.

C’est l’orientation didactique retenue dans la démarche proposée ci-après.

- en 5e- 4e, dans le cadre des entrées « Éducation et formation dans l’Antiquité ; magisters, rhéteurs... » (le rôle de la fable en tant qu’exemplum).

- en 3e, dans le cadre de l’entrée « La transmission culturelle, de la Grèce à Rome ; de l’Antiquité au Moyen Âge et à la Renaissance » (Ésope, Phèdre et leurs successeurs).

Outre son intérêt culturel, la fable en latin peut être ici utilisée comme un support de révision et d’évaluation dans le domaine des apprentissages grammaticaux.

Avec cette perspective, elle peut même s’inscrire dans l’objet d’étude « L’homme et l’animal » en Seconde, dans le cadre d’un exercice de traduction en autonomie.

Objectif méthodique

• appréhender un texte latin en entier pour construire un premier sens

• s’entraîner à comprendre et à traduire de courtes phrases

Objectifs linguistiques

• apprendre à prononcer le latin

• découvrir la phrase latine : l’ordre des mots

• découvrir le principe de la flexion et des désinences dans les mots latins :

- de la fonction au cas : sujet et COD, nominatif et accusatif

- le verbe et sa conjugaison

Objectifs culturels

• mettre un texte en perspective dans l’histoire littéraire :

- la fable, Le Roman de Renart

- les animaux et l’anthropomorphisme

• intertexte et image : les personnages du renard et du loup dans la tradition (jusqu’à Tex Avery , et l’exploitation contemporaine de la figure du loup dans la littérature pour enfants et dans sa parodie)

3. DÉMARCHE

Étant donné la relative simplicité du texte, il peut se prêter à de nombreuses activités orales.

Des pistes sont ici proposées pour l’utiliser comme support d’une séance inaugurale en classe de 5e.

Phase de découverte : la lecture

• Le texte intégral est distribué dans une disposition juxtalinéaire.

• Une partie du texte traduit en français (lignes 1 à 29) est lue à trois voix, en distribuant la parole aux élèves de manière à distinguer les parties dialoguées - 2 voix : le Loup et le Renard - et les parties narratives - la voix d’un conteur.

• Le professeur lit la même partie du texte latin : tout en suivant la lecture, les élèves font ressortir sur leur texte la même distribution des voix à l’aide de surligneurs.

Remarque : le texte est ici donné sans les guillemets, selon la présentation habituelle des éditeurs, on peut donc aussi demander aux élèves de les rétablir après la lecture.

• Le professeur explique les règles simples de la prononciation. Par exemple pour le son [ou] en rapprochant lupus et loup.

• Trois élèves relisent le texte latin en respectant la distribution des voix et les règles de prononciation.

• Lecture de la seconde partie du texte traduit en français (l. 30 - 42) par un élève « conteur », puis par le professeur en latin (avec reprise par un élève).

juxta linéaire

Phase de reconnaissance : la fable

Qu’est-ce qu’une fable ?

À partir du titre, des représentations et des préacquis génériques sur la fable, rappeler les caractéristiques du genre.

Repères d’analyse littéraire :

- La notion d’apologue (petit récit en prose ou en vers destiné à illustrer un précepte).

- Les caractéristiques du genre (structures du récit, atemporalité, anthropomorphisme).

- Dans le cadre d’un ensemble consacré aux animaux, on peut travailler plus particulièrement sur les deux types que représentent le Loup et le Renard (d’où le principe même du choix de la majuscule).

- La finalité : la morale (réflexion sur la notion d’exemplum).

Réinvestissement dans le texte latin, avec l’aide de la traduction :

À partir de ces indices génériques, la lecture en « va et vient » français/latin permet d’identifier les étapes de la fable latine, la désignation des personnages, les mots récurrents, les verbes introducteurs, le passage du récit au dialogue.

Par exemple :

- Qui fait quoi ? Qui dit quoi ?

Repérer dans le texte latin comment les actants sont désignés (Vulpes et Lupus identifiés par les majuscules, pisces et homines indéterminés), quels verbes d’action, l’alternance récit / dialogue, les étapes du récit.

- Quand et où ?

Le cadre indéterminé du récit (de quodam vivario…)

- Comment ?

La ruse du Vulpes, la queue dans l’eau… (caudam in aquam posui, caudae…)

- Pourquoi ?

La fourberie du Vulpes, flatteur comme devant le corbeau (cum sis fortior quam ego) en face de l’avidité et la crédulité du Loup (perrexitfestinanter…). Une façon de dénoncer les comportements humains, au sens premier du mot « morale » (mores).

Évaluation

Cette étape pourrait être évaluée par un exercice de reconstitution du texte.

Par exemple, numéroter les phrases suivantes de 1 à 16 pour retrouver le déroulement de l’histoire :

A. Et ait Lupus : Numquid sic ego

B. gelu enim faciebat.

C. Et ait Vulpes : De quodam vivario veni.

D. Perrexit ergo Lupus festinanter ad vivarium,

E. Lupus obvians Vulpi ait : Compater, unde venis ?

F. Post longam moram voluit caudam extrahere,

G. pisces optimos cepi et sufficienter comedi.

H. et caudam in aquam posuit et diu tenuit, donec esset congelata,

I. Quaesivit Lupus : Quomodo cepisti ?

J. et pisces traxi ad terram

K. et Lupum fere usque ad mortem fustigaverunt.

L. Ait Vulpes : Caudam in aquam posui, et diu tenui,

M. pisces capere possum ?

N. Et venerunt homines

O. sed non potuit propter gelicidium quod caudam tenuit.

P. Ait Vulpes : Optime poteris, cum sis fortior quam ego.

Phase d’observation et d’apprentissage : la langue

Observation

Le professeur attire l’attention sur certaines particularités du latin : examiner par exemple les vers 1 à 6 pour repérer l’absence d’articles définis, mais la présence de quodam, l’absence de pronoms personnels, la présence de plusieurs formes pour un même mot (Vulpes, Vulpi), l’ordre des mots (Lupus ait v. 1, Ait Vulpes v. 3 ; ubi pisces optimos cepi v. 5 repris v. 20 par pisces capere possum).

De la fonction au cas

Pré-requis : la capacité à reconnaître en français la fonction sujet et la fonction C.O.D.

a. Repérer la fonction sujet en donnant la réponse en français puis en latin :

- qui parle ? l. 1, 3, 7, 9, 18, 21

- qui agit ? l. 24

b. Repérer la fonction C.O.D. en donnant la réponse en français puis en latin :

- qu’a mis le loup dans l’eau ? l. 26

- qui les hommes ont-ils frappé ? l. 38

c. Comparer

Lupus caudam in aquam posuit.

Le loup mit la queue dans l’eau.

Cauda est congelata.

La queue fut congelée.

Homines Lupum fustigaverunt.

Les hommes frappèrent le Loup.

Le professeur introduit la notion de cas en faisant observer la différence portant sur « la fin » (casus = chute) du même mot selon qu’il a une fonction de sujet ou de C.O.D.

Lupus // Lupum

cauda // caudam

- cas correspondant à la fonction sujet = nominatif (à rapprocher de nominare, « nommer ») ;

- cas correspondant à la fonction C.O.D. = accusatif (à rapprocher de accusare, « mettre en cause » dans l’action).

On relève le -m comme élément « marqueur » commun aux deux accusatifs lupum et caudam (notion de désinence)

À ce stade de l’observation, selon le degré de réceptivité des élèves, on peut faire remarquer la forme aquam : même désinence –m, pourtant ce n’est pas la fonction C.O.D. On relève la présence de la préposition in (dans) : in aquam / dans l’eau (complément circonstanciel de lieu, qui suppose un déplacement, un mouvement exercé par le sujet).

Autres exemples d’accusatif prépositionnel : ad terram, ad vivarium, post moram, (usque) ad mortem.

Le verbe et la conjugaison

Pré-requis : la capacité à reconnaître en français les personnes verbales et les pronoms sujets, à distinguer les temps (présent, passé simple, passé composé).

a. Repérer les verbes à un mode conjugué de la l. 1 à la l. 11 dans le texte français puis dans le texte latin.

b. Observer les verbes aux 1e et 2e personnes du singulier : on constate que le latin n’exprime pas les pronoms personnels sujets « je » et « tu ». Le verbe seul suffit donc à exprimer la personne.

Remarque : on peut faire observer la présence du pronom ego à la l. 19 (facilement identifiable en passant par le français « égoïsme », par exemple), qui attire l’attention sur le sujet (forme d’insistance).

c. Comparer les terminaisons :

cepi, comedi, posui, tenui

venis, cepisti

ait, quaesivit

Pour la 2e pers. du sg. au présent, on relève le – s en français comme en latin.

Pour la 3e pers. du sg., on relève le – t en français (pas pour toutes les conjugaisons, cependant) comme en latin.

Pour le passé composé et passé simple (le parfait latin), on fait noter la série - i / -isti / -it pour les 3 personnes du singulier.

Le professeur peut reprendre la notion de désinence pour montrer qu’elle sert ici à distinguer des personnes. Par exemple, en français comme en latin - t // - nt (venerunt, fustigaverunt) distinguent singulier et pluriel à la 3e personne.

L’ordre des mots

On observe que le latin n’a pas un ordre imposé comme le français.

Par exemple, l. 20 : pisces capere possum

des poissons prendre je peux

On peut faire remarquer que le C.O.D. est généralement devant le verbe qu’il complète.

L’interrogation directe

Ce point peut faire l’objet d’une observation rapide sur la partie dialoguée : les questions portent sur les circonstances de l’action (partielle) ou sur la réalisation de l’action elle-même (totale).

Question sur le lieu : unde … ? >>> réponse de vivario // en français « d’où… ? » >>> « de l’étang »

Question sur la manière (le mode) : quomodo … ? // « de quelle façon… ? »

Question sur l’action elle-même : numquid ? // est-ce que… ?

Phase d’entraînement et de réinvestissement

De nombreux exercices de manipulations et de réemplois permettent de vérifier les nouveaux acquis et de familiariser progressivement les élèves avec la langue.

a. L’accusatif

Un jeu de questions pour réviser la fonction C.O.D. :

- Qu’est-ce que le Renard et le Loup ont mis dans l’eau ? (>>> la queue)

- Quid Vulpes et Lupus in aquam posuerunt ? (>>> caudam)

- Qui les hommes ont-ils frappé ? (>>> le loup)

- Quem homines fustigaverunt ? (>>> lupum)

Éventuellement, un exemple au pluriel :

- Qu’a pris le Renard ? (>>> d’excellents poissons)

- Quid vulpes cepit ? (>>> pisces optimos)

Des phrases à compléter avec des accusatifs (C.O.D. ou régis par une préposition) :

Liste des accusatifs à placer : aquam, terram, caudam (x 2), vivarium, pisces optimos, lupum, eos, longam moram, mortem.

- Lupus perrexit ad --- .

- Vulpes --- in --- posuit.

- Homines --- fere usque ad --- fustigaverunt.

- Post --- ----, lupus voluit --- extrahere.

- Vulpes --- --- cepit et --- traxit ad ---.

Cette dernière phrase, plus complexe, peut être utilisée pour introduire la notion de pronom personnel, dit « pronom de rappel » en latin, avec le mot « poissons » repris par « les » (eos).

b. Le verbe

Des verbes d’une même « série » (1e, 2e, 3e personnes du singulier du parfait) à replacer :

- série cepi / cepisti / cepit :

Vulpes ait : « Pisces optimos --- » (l. 5)

Lupus quaesivit : « Quomodo pisces --- ? (l. 8)

Conclusion de l’histoire : Lupus pisces non ---.

- séries posui / posuisti / posuit ou tenui / tenuisti / tenuit

Vulpes ait : « Caudam in aquam --- . » (l. 10)

Lupus quaesivit : « Diu caudam in aquam --- ? »

Sic Lupus in aquam caudam --- .

Des phrases à compléter avec des verbes.

Liste des verbes à placer : traxit, venerunt, posuit, maledixit, venis, tenuit, fustigaverunt, quaesivit.

- Vulpes caudam in aquam --- et diu ---.

- Lupus --- : Unde --- ?

- Vulpes pisces --- ad terram.

- Homines --- et lupum --- .

- Lupus --- compatri suo.

Évaluation : lecture et initiation à l’exercice de traduction

a. Lire le texte latin de façon correcte et expressive en proposant une petite mise en scène théâtrale.

b. Traduire :

Lupus et Vulpes et pisces

1. Vulpes ait : De vivario veni et pisces cepi. Lupus quaesivit : Quomodo eos cepisti ? 2. Vulpes caudam in aquam posuit et diu tenuit. Pisces ad terram traxit. 3. Lupus ait : Ego caudam in aquam posui et tenui. Post longam moram volui caudam extrahere. 4. Homines venerunt et lupum fustigaverunt.

Remarque : pour cet exercice, le professeur peut laisser les élèves consulter le texte français ou distribuer un lexique simplifié où les élèves retrouveront le vocabulaire nécessaire.

c. Bilan intermédiaire

L’élève doit être en mesure de :

- lire un texte simple en latin.

- distinguer récit / dialogue, repérer les verbes « introducteurs » du dialogue (ait, quaesivit), nommer les locuteurs (lupus, vulpes).

- comprendre une construction simple (sujet + verbe + C.O.D.) en sachant repérer des verbes au parfait (1e, 2e et 3e personnes du singulier) et les nominatifs et accusatifs singuliers de 1e et 2e déclinaisons (modèles : lupus, cauda).

- traduire de courtes phrases décalquées du texte original.

Développer un apprentissage linguistique et culturel

a. Du latin au français : travail sur le vocabulaire

Initiation à une recherche « savante » dans le dictionnaire français (date d’apparition du mot, étymologie), par exemple :

- pisces : piscine, pisciculture.

- vivarium : vivier (étang, bassin d’eau aménagé pour l’élevage des poissons « vivants »).

- lupus : loup – voir les nombreux sens dérivés, comme le verbe « louper » à partir d’un sens vieilli de loup (lésion rappelant la morsure d’un loup).

- aqua : aquatique - mais aussi « eau » (une occasion d’aborder la notion de doublet).

- cauda : caudal (nageoire caudale).

On peut aussi prendre l’exemple de compater (cum + pater) devenu « compère » en français (un élément comique important dans la tradition médiévale de la fable).

b. Lupus in fabula : expressions et proverbes

Le professeur fait lire des expressions proverbiales latines qui montrent la place accordée au loup dans l’imaginaire collectif et demande aux élèves de rechercher des équivalents en français.

Remarque : cet exercice permet de faire retrouver le mot lupus sous diverses formes déclinées.

Auribus teneo lupum.

(Terence, Phormion, vers 506)

Je suis dans un grand embarras (il est aussi dangereux de lâcher le loup que de le tenir).

A fronte praecipitium, a tergo lupi.

(Érasme, Adages, 3, 4, 94)

Devant le précipice, derrière les loups (être confronté à deux dangers aussi redoutables).

Cum lupis ululare.

Hurler avec les loups (répéter ce que tout le monde dit, se joindre aux autres pour critiquer ou attaquer).

Dente lupus, cornu taurus petit.

(Horace, Satires, II, 1, vers 52)

Le loup attaque de la dent, le taureau de la corne (à chacun sa façon de se battre).

Homo homini lupus.

(Plaute, Asinaria , la "Comédie des ânes", vers 495)

L'homme est un loup pour l'homme (célèbre formule sur la cruauté de la nature humaine, reprise par le philosophe anglais Hobbes).

Lupus in fabula.

(Terence, Les Adelphes, vers 539)

Le loup dans l’histoire que l’on raconte (quand on parle du loup on en voit la queue).

Inter canem et lupum.

Entre chien et loup (un moment difficile à discerner à la tombée de la nuit).

O praeclarum custodem ovium, ut aiunt, lupum !

(Cicéron, Philippiques, III, 27)

Un excellent protecteur des moutons, comme on dit, c’est le loup ! (une façon de broder en politique sur le fameux homo homini lupus).

Ovem lupo commisisti.

(Térence, L’Eunuque, 832)

Tu as confié la brebis au loup (ovem lupo committere = jeter quelqu’un dans la gueule du loup).

c. Une œuvre à (re)découvrir en parallèle : Le Roman de Renart

Le professeur peut privilégier cette approche dans la mesure où le Roman de Renart est au programme de la classe de français en 5e.

Les personnages ici nommés de manière générique par Eudes de Chériton sont mis en relation avec leurs « collègues » Ysengrin et Renard.

Travailler sur le texte latin conjointement avec le texte français du Roman de Renart (voir en annexe) permet de faire prendre conscience de la notion d’héritage littéraire et culturel et de patrimoine fondateur, à travers les notions cardinales de durée (le latin ne se limite pas à la période cicéronienne, mais fut une langue parlée sur plus de quinze siècles) et d’espace (une langue parlée sur un espace géographique très vaste, englobant l’espace européen moderne).

Remarques :

Le texte choisi a été écrit en Angleterre, dans la première moitié du XIIe siècle (voir annexe) ce qui correspond à une langue longtemps cataloguée avec mépris de « bas latin » par les universitaires. La construction de verbe credere, considérée comme « non classique » (complétive introduite par quod, au lieu de la proposition infinitive) est un exemple montrant l’évolution d’une langue qui n’est pas « morte » et la transition en train de s’opérer vers des langues nouvelles, entre autres « l’ancien français » (la lingua romana, d’où « roman »). Elle est, évidemment, plus facile à comprendre pour les élèves, puisque c’est le modèle de la construction française.

Le même épisode (la pêche à la queue) étant longuement développé dans Le Roman de Renart, c’est l’occasion de travailler sur les caractéristiques du récit en confrontant les deux versions.

d. Prolongements : intertextualité et exploitation de l’image

- La fable de Phèdre : Lupus et Vulpis judice Simio (I, 10)

- La fable de La Fontaine : Le Loup plaidant contre le Renard par-devant le Singe (II, 3)

Le texte de Phèdre (voir annexe) est difficile pour des élèves de cinquième : il peut être simplement donné à lire pour y retrouver les personnages du Renard et du Loup et le thème de la ruse.

Outre son intérêt dans une approche diachronique de la fable, le texte de La Fontaine permet un travail sur l’image en confrontant les illustrations de la même fable par Jean-Baptiste Oudry (1765 – 1769), Jean-Jacques Grandville (1864) et Gustave Doré (1867).

On peut faire observer la mise en scène du débat, le processus de l’anthropomorphisation (1. des animaux, 2. des animaux habillés, 3. des humains).

 

Intertextualité

Phèdre, Fabulae, X, « Lupus et Vulpis Iudice Simio » (Perry 474)

Quicumque turpi fraude semel innotuit,

etiam si verum dicit, amittit fidem.

Hoc adtestatur brevis Aesopi fabula.

Lupus arguebat vulpem furti crimine ;

negabat illa se esse culpae proximam.

Tunc iudex inter illos sedit simius.

Uterque causam cum perorassent suam,

dixisse fertur simius sententiam:

'Tu non videris perdidisse quos petis;

te credo subripuisse quod pulchre negas'.

 

Quiconque se fait connaître par un crime honteux,

perd toute crédibilité, même s'il dit la vérité.

Voilà ce que prouve une courte histoire d'Ésope.

Un loup accusait un renard d'un vol ;

celui-ci niait être l'auteur de ce délit.

Alors un singe vint siéger dans cette affaire les opposant.

Comme chacun des deux avait plaidé sa cause,

on dit que le singe rendit sa sentence :

« Toi, tu ne sembles pas avoir perdu ce que tu réclames ;

quant à toi, je crois que tu as dérobé ce que tu nies habilement avoir volé. »

(traduction des élèves de la classe de latin de Seconde 2005-2006, Lycée J.-P. Vernant, Sèvres)

 

La Fontaine, Fables, II, 3, « Le Loup plaidant contre le Renard par-devant le Singe »

Un Loup disait que l'on l'avait volé :

Un Renard, son voisin, d'assez mauvaise vie,

Pour ce prétendu vol par lui fut appelé.

Devant le Singe il fut plaidé,

Non point par Avocats, mais par chaque Partie.

Thémis n'avait point travaillé,

De mémoire de Singe, à fait plus embrouillé.

Le Magistrat suait en son lit de Justice.

Après qu'on eut bien contesté,

Répliqué, crié, tempêté,

Le Juge, instruit de leur malice,

Leur dit : "Je vous connais de longtemps, mes amis,

Et tous deux vous paierez l'amende ;

Car toi, Loup, tu te plains, quoiqu'on ne t'ait rien pris ;

Et toi, Renard, as pris ce que l'on te demande. "

Le juge prétendait qu'à tort et à travers

On ne saurait manquer, condamnant un pervers.

Note de La Fontaine :

Quelques personnes de bon sens ont cru que l'impossibilité et la contradiction qui est dans le jugement de ce singe était une chose à censurer ; mais je ne m'en suis servi qu'après Phédre ; et c'est en cela que consiste le bon mot, selon mon avis.

 

Prolongements ludiques :

À l’occasion d’un travail de recherche sur la place du loup dans la littérature et dans l’imaginaire collectif, on peut proposer un jeu de devinettes qui associe lexique, textes et images (jeu imaginé par A. Collognat).

 

« Loup y es-tu ? »

Présentation :

J'y suis, bien sûr ! et souvent même là où vous ne m'attendez pas ! Saurez-vous me retrouver à travers les expressions imagées et les représentations littéraires variées que les hommes ont fabriquées à partir de mon nom ? Chaque numéro inscrit dans le texte suivant cache un mot ou une expression : à vous de deviner lesquels.

 

Me voici donc : nommé λύκος (lycos) en grec, lupus en latin (wolf en anglais), je me suis d’abord appelé leu (ou lou) jusqu’au XIIIe siècle en français.

Même si je porte ce fameux demi-masque de velours noir qu'on appelle un (1), je suis sûr que vous n'allez (2) aucune occasion de me reconnaître.

Commençons par l'heureux temps de votre enfance : votre maman vous a peut-être tendrement murmuré "mon p'tit loup" ou encore mon (3) ; puis vous êtes devenu un fier (4) avant d’aller au (5).

Ni (6) de banlieue ni (7), vous avez peut-être rêvé de devenir un (8) de la politique. Mais les nuits de pleine lune, vous redoutez parfois d'être atteint de (9) : seriez-vous donc un (10) ?

 

1. loup.

2. louper. Ce verbe signifie "faire un loup", c'est-à-dire gâcher un ouvrage par un défaut de fabrication, à l'image d'une lésion faite par la morsure d'un loup.

3. loupiot. Diminutif de loup.

4. louveteau. Jeune scout de moins de douze ans.

5. lycée. À l’origine, c’est le nom de l'école où enseigna le philosophe grec Aristote, dans le portique d'Athènes consacré à Apollon Lycéios, « destructeur de loups » ou « Lycien ».

6. loulou. Terme familier construit sur la répétition de loup.

7. loubard.

8. jeune loup. Le terme désigne tout débutant ambitieux « aux dents longues ».

9. lycanthropie. Métamorphose de l'homme en loup, soit « loup » + «  homme » (anthropos) en grec.

10. loup-garou.

 

De nombreuses formules et locutions utilisent aussi mon nom de "loup" par référence à mon caractère ou à mon comportement (du moins comme l'Homme se l'imagine) ; les retrouverez-vous selon les situations ?

- c'est l'hiver et vous êtes affamé : de quoi éprouver un (1) et une (2).

- vous êtes très connu, comme le (3).

- si vous introduisez le (4), là où il peut le mieux exercer ses ravages, les jeunes filles risquent de (5) et perdre ainsi leur innocence.

- n'allez pas vous (6), en vous précipitant dans un danger sans réfléchir. Mieux vaut avancer de manière très silencieuse, en marchant (7), les uns derrière les autres, à (8), comme une horde de loups qui se déplacent en formant une seule trace, le nez de l'un sur la queue de l'autre.

 

1. froid de loup. 2. faim de loup. 3. loup blanc (facilement repérable parmi ses congénères). 4. loup dans la bergerie. 5. voir le loup. 6. jeter dans la gueule du loup. 7. à pas de loup. 8. la queue leu leu, par altération de "à la queue le (= du) leu".

 

Au début, il y eut les légendes : celle de la louve romaine assura ma gloire pour longtemps. Mais les contes de fées et les fables ne tardèrent pas à ternir cette illustre renommée. Bien sûr, vous connaissez le lamentable épisode du Petit Chaperon rouge, mais savez-vous quels sont les auteurs qui en ont successivement rédigé le récit ? La première version - celle qui finit mal pour la fillette que je dévore sans la moindre hésitation - a été écrite à la fin du XVIIe siècle par (1) ; la seconde, celle qui finit mal pour moi (je suis éventré par un chasseur) a été retranscrite par (2) au début du XIXe siècle.

Quant à la fable, vous ne manquerez pas de reconnaître l'inévitable Monsieur de La Fontaine ; mais ici encore, il n'a fait que reprendre une tradition largement répandue depuis l'Antiquité par un auteur grec (3), lui-même imité par un auteur latin (4). Seize de ses Fables me mettent en scène aux côtés d'autres animaux ; voici les deux premiers vers de deux d'entre elles, à vous de retrouver leur titre :

« Un loup n'avait que les os et la peau,

Tant les chiens faisaient bonne garde. » (5)

 

« La raison du plus fort est toujours la meilleure,

Nous l'allons montrer tout à l'heure » (6)

 

Il faut dire que, dès la fin du XIIe siècle, un fameux Roman avait déjà laissé de moi une image bien peu flatteuse : ridicule et vaniteux, je m'appelle (7) et je suis sans cesse berné par mon "cousin" le (8), nommé (9).

Heureusement, huit siècles plus tard, deux charmantes petites filles viendront me redonner ma dignité bafouée. Voici un extrait de leur histoire : "Tremblantes, les petites se prirent par le cou, mêlant leurs cheveux blonds et leurs chuchotements. Le loup dut convenir qu'il n'avait rien vu d'aussi joli depuis le temps qu'il courait par bois et par plaines. Il en fut tout attendri. - Mais qu'est-ce que j'ai ? pensait-il, voilà que je flageole sur mes pattes. À force d'y réfléchir, il comprit qu'il était devenu bon, tout à coup. Si bon et si doux qu'il ne pourrait plus jamais manger d'enfants."

Avez-vous reconnu leur nom, (10) et (11) ? Connaissez-vous le nom de leur "père" en littérature et le titre du livre dont elles sont les héroïnes ? (12) et (13).

C’est encore à un enfant que je dois un succès inattendu dans le domaine de la musique : un petit garçon courageux, prénommé (14), parti à ma poursuite dans le froid de l’hiver russe. Pensez que cela me vaut de donner ma voix à un instrument à vent, le (15), dans ce merveilleux conte symphonique composé par (16).

Voilà de quoi me réconcilier avec le genre humain pour poursuivre une belle carrière au cinéma. Bien sûr, vous connaissez Croc-Blanc de Jack London et son adaptation à l'écran : ma « gueule » y est très photogénique, mais savez-vous que ce sont mes pattes exceptionnellement blanches qui m'ont valu un affectueux surnom, celui de (17) donné par John Dunbar, le héros du film interprété et réalisé par Kevin Costner (18) ?

Dans ma gratitude, je n'oublierai certainement pas l’auteur de dessins animés américain qui m'a donné enfin ma revanche sur cette peste de Petit Chaperon rouge : le génial (19). Savez-vous qu'il m'a ainsi consacré seize cartoons entre 1942 et 1955 ? Voyez comme avec lui, j'ai trouvé une nouvelle élégance. La belle vie, en somme !... Mais peut-être finirai-je en vieux loup solitaire et stoïcien, pour redevenir muet à mes derniers instants, comme un certain poète du XIXe siècle a eu l'occasion de m'immortaliser :

« Gémir, pleurer, prier, est également lâche.

Fais énergiquement ta longue et lourde tâche

Dans la voie où le sort a voulu t'appeler,

Puis, après, comme moi, souffre et meurs sans parler. »

Qui est-il donc, et quel est le titre de son poème ? (20) et (21)

 

Mais, rassurez-vous : je serai toujours là pour hanter vos rêves, et, quelquefois, vos cauchemars !...

 

1. Charles Perrault (Contes, 1697). 2. Les frères Jacob et Wilhelm Grimm (Contes d'enfants et du foyer, 1812). 3. Ésope (VIe siècle av. J.-C.). 4. Phèdre (Ier siècle ap. J.-C.). 5. "Le loup et le chien". 6. "Le loup et l'agneau" (Fables, 1668 - 1694). 7. Ysengrin. 8. goupil. 9. Renart (Renard). 10. Delphine. 11. Marinette. 12. Marcel Aymé (1902 - 1967). 13. Les Contes du chat perché (1934 - 1946). 14. Pierre. 15. cor. 16. Serge Prokofiev (Pierre et le loup, 1936). 17. "Chaussettes" (Two Socks). 18. Danse avec les Loups (1990). 19. Tex Avery ; à signaler tout particulièrement un très excitant Petit Chaperon Rouge dans Red Hot Riding Hood (1943) et une nouvelle version des "Trois Petits Cochons" dans Blitz Wolf (1942) où le loup n'est autre que Adolf Wolf/Hitler ! 20. Alfred de Vigny (1797 - 1863). 21. La Mort du Loup (in Les Destinées, 1864).

Programme d'enseignement de complément de langues et cultures de l'Antiquité

5e- 4e : Éducation et formation dans l'Antiquité

3e : La transmission culturelle, de la Grèce à Rome ; de l'Antiquité au Moyen Âge et à la Renaissance 

 

ANNEXES

lupus détail

a. La fable : repères d’histoire littéraire

- Ésope, le fondateur légendaire

- Phèdre, traducteur et adaptateur

- La tradition médiévale des Ysopets (recueils de fables généralement inspirées d'Ésope)

- Le Roman de Renart

- Le maître français de la fable : La Fontaine

- La fable aujourd’hui

b. La tradition médiévale

L’auteur : Eudes de Chériton

Eudes de Chériton (Odo of Cheriton) : né en Angleterre, dans une famille aisée originaire du Kent, probablement vers 1180 – mort peu de temps après 1246. Moine cistercien, en charge de l’église de Chériton, près de Folkestone, à partir de 1233. Il introduisait de nombreuses paraboles, fables et anecdotes dans ses prêches. Ses versions des fables d’Ésope étaient très populaires en Europe. La composition de ses Fabulae (en prose) est située après 1225.

Le rapprochement avec le Roman de Renart

Le Roman de Renart, qui se présente comme un ensemble de contes ou "branches", est écrit en « roman » (lingua romana, d’où est issu le français) et en octosyllabes entre 1175 et 1250 par plus de vingt auteurs différents, généralement restés anonymes, qui ont enrichi de leurs créations successives et variées les anecdotes développées dans les épisodes initiaux.

Il est probablement nourri d’une version latine « savante » datée de la génération précédente et due à un seul auteur, un moine cultivé de Gand, Maître Nivard, entre 1148 et 1153. Son Ysengrimus est un poème en distiques élégiaques (soit quelque 6 500 vers) présentés en sept livres ; des douze grands épisodes racontés, les deux premiers deviendront les plus célèbres du Roman de Renart : le jambon volé (Ysengrimus, I, vers 1-528 et Roman de Renart, branche V, vers 1-145) et la pêche à la queue (Ysengrimus, I, 529-fin et II, vers 1-158 et Roman de Renart , branche III, vers 375-510), qui est précisément l’épisode que raconte aussi Eudes de Chériton dans le texte choisi.

Le loup, baptisé Ysengrimus, deviendra Ysengrin et le goupil (du latin vulpicula, diminutif de vulpes) nommé Reinardus est le futur Renart (le nom propre devanant plus tard nom commun, selon le procédé de l’antonomase).

Remarque : on constate l’immense succès dans la culture aussi bien savante que populaire au Moyen Âge du genre de la fable (avec les fabliaux) où la ruse inventive du goupil et la force sotte et brutale du loup sont mises en scène au sein d'une vaste fresque animale anthropomorphisée, à visée didactique et morale. Si Le Roman de Renart donne la vedette au goupil, l'Ysengrimus fait du loup le personnage central de l'épopée : glouton, brutal, cupide, présomptueux. Reinardus apparaît comme l'ombre du loup, son mauvais génie, sa perte.

Le texte et l’image en complément

L’épisode de la pêche dans Le Roman de Renart (XIVe siècle), texte établi et traduit par Paulin Paris, 1861.

Résumé : Alléché par l'odeur des anguilles grillées, Ysengrin vient frapper à la porte de Renart qui lui fait croire qu'il reçoit des moines. Le loup crédule se ferait bien moine pour en goûter lui aussi. Renart l'ébouillante sous le prétexte d'une nécessaire tonsure, puis le mène au trou creusé dans l'étang gelé où il l'assure avoir pêché le poisson. Un seau avait été laissé là. Renart le noue à la queue du loup et l'invite à pêcher sans bouger. Mais la queue se prend dans la glace ! Avec l'aube viennent des chasseurs qui se jettent sur le loup. Un coup d'épée maladroit lui tranche la queue. Ysengrin prend la fuite sans demander son reste.

Neuvième aventure - Où l'on verra comment Renart conduit son compère à la pêche aux anguilles

C'était peu de temps avant Noël, quand on pense à saler les bacons. Le ciel était parsemé d'étoiles, il faisait un grand froid, et le vivier où Renart avait conduit son compère était assez fortement pris de glace pour pouvoir en toute sécurité y former des rondes joyeuses. Il n'y avait qu'un seul trou, soigneusement entretenu chaque jour par les paysans du village, et près duquel ils avaient laissé le seau qui leur servait à puiser de l'eau.

Renart, montrant le vivier, dit : « Oncle Ysengrin, c'est là que se tiennent en grand nombre les barbeaux, les tanches et les anguilles ; et justement voici l'engin qui sert à les prendre. » (Il montrait le seau). « Il suffit de le tenir quelque temps plongé dans l'eau, puis de l'en tirer quand on sent à son poids qu'il est rempli de poissons. »

- Je comprends, dit Ysengrin, et pour bien faire, je crois, beau neveu, qu'il faudrait attacher l'engin à ma queue. C'est apparemment ainsi que l'on doit faire quand on veut faire bonne pêche.

- Justement, dit Renart, quelle merveille que vous compreniez cela aisément ! Je vais faire ce que vous demandez.

Il serre fortement le seau à la queue d'Ysengrin. « Et maintenant vous n'avez plus qu'à vous tenir immobile pendant une heure ou deux, jusqu'à ce que vous sentiez les poissons arriver en foule dans l'engin. »

- Je comprends fort bien. En ce qui concerne la patience, j'en aurai tant qu'il le faudra.

Renart se place alors un peu à l'écart, sous un buisson, la tête entre les pieds, les yeux fixés sur son compère. Le loup se tient au bord du trou, la queue en partie plongée dans le seau qu'elle retient. Mais comme le froid était extrême, l'eau ne tarda pas à se figer, puis à se changer en glace autour de la queue.

Le loup, qui se sent tiré, attribue le tiraillement aux poissons qui arrivent ; il se félicite, et déjà songe au profit qu'il va tirer de cette pêche miraculeuse. Il fait un mouvement, puis s'arrête encore, persuadé que plus il attendra, plus il amènera de poissons à bord du seau. Enfin, il se décide à retirer sa queue mais ses efforts sont inutiles. La glace a pris de la consistance, le trou est fermé, la queue est arrêtée sans qu'il lui soit possible de rompre l'obstacle. Il se démène, il s'agite, il appelle Renart : « À mon secours, mon brave neveu ! Il y a tant de poissons que je ne puis les soulever. Viens m'aider, je suis las et le jour ne va pas tarder à venir. »

Renart, qui faisait semblant de dormir, lève alors la tête : « Comment, bel oncle, vous êtes encore là ? Allons, hâtez-vous, prenez vos poissons et partons : le jour ne va pas tarder à venir. »

- Mais, dit Ysengrin, je ne puis les remonter. Il y en a tant, tant, que je n'ai pas la force de soulever l'engin.

- Ah ? répond Renart en riant. Je vois ce que c'est, mais à qui la faute ? Vous avez voulu trop en prendre, et on a raison de dire que celui qui désire trop perd tout.

La nuit passe, l'aube apparaît, le soleil se lève. La neige avait blanchi la terre, et Messire Constant, un honnête métayer dont la maison était au bord de l'étang, se lève en même temps que sa joyeuse meute de chiens. Il prend un cor, appelle ses chiens, fait seller son cheval ; des clameurs partent de tous les côtés, tout est prêt pour partir à la chasse. Renart ne les attend pas : il reprend agilement le chemin de Maupertuis, laissant le pauvre Ysengrin sur la brèche, qui tire de droite et de gauche, et se déchire la queue cruellement sans parvenir à la dégager. Survient un garçon tenant deux lévriers en laisse. Il aperçoit le loup arrêté par la queue dans la glace, le derrière ensanglanté : « Ohé ! Ohé ! Au loup ! » Les chasseurs alertés accourent avec d'autres chiens, et cependant Ysengrin entend Constant donner l'ordre de les lâcher. Les chasseurs obéissent : leurs chiens s'attaquent au loup qui, le poil hérissé, se prépare à vendre sa peau chèrement. Il mord les uns ; il tient les autres à distance.Alors messire Constant descend de cheval, approche avec l'épée au poing et s'apprête à couper Ysengrin en deux. Mais le coup porte mal, Messire Constant perd l'équilibre, tombe sur la tête et se relève avec peine. Il revient à la charge, vise la tête mais le coup glisse et l'épée descend sur la queue d'Ysengrin, qu'elle coupe net. Ysengrin, surmontant une douleur violente, fait un dernier effort et s'élance au milieu des chiens qui s'écartent pour le laisser passer et courir à sa poursuite. Malgré la meute acharnée sur ses traces, Ysengrin gagne une colline, où il les défie. Chiens et lévriers renoncent alors à leur chasse. Ysengrin entre au bois, s'apitoyant sur sa longue et riche queue qu'il a été obligé de laisser en gage. Il jure bien de tirer vengeance de Renart, qu'il commence à soupçonner de lui avoir malicieusement ménagé toutes ces fâcheuses aventures.

 

Les élèves peuvent découvrir quelques pages du manuscrit original, en relation avec le texte.

Roman de Renart, parchemin, Nord de la France, début du XIVe siècle, BnF, Manuscrits, Français 12584 folio 68r © BnF

https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/btv1b60004625/f141.item

 

Besoin d'aide ?
sur