L'ombre d'Enkidu décrit les Enfers à son ami Gilgamesh D'après l'épopée de Gilgamesh traduit et commentée par l'abbé Sauveplane, 1892-1893

Dans son désespoir, Gilgamesh s’adressa au dieu des Enfers lui-même, au guerrier, au héros Nergal :

« Ô toi, Nergal, s’écria-t-il, guerrier, héros, relâche le cercle qui maintient l’univers, de grâce, entrouvre la terre, afin que l’ombre d’Enkidu, s’élance, comme un souffle, hors du tombeau ! »

Sa prière, cette fois, ne fut point vaine. En effet, le guerrier, le héros Nergal, ayant relâché le cercle qui maintient l’univers, la terre s’entr’ouvrit, et aussitôt, l’ombre d’Enkidu s’élança, comme un souffle, hors du tombeau...

Ainsi, ils se retrouvaient en présence l’un de l’autre Gilgamesh et Enkidu, ou plutôt, la pâle image, l’ombre de ce qui fut Enkidu. Tout entier à ses préoccupations, le héros ne prit pas seulement le temps de manifester la joie qu’il éprouvait de revoir son ami, après une aussi longue séparation, et, allant droit au fait, sans autre préambule, il le supplia de lui révéler les mystères d’outre-tombe :

« Dis-moi, mon ami, oh ! oui, mon ami, dis le moi ; de grâce, entr’ouvre la terre sous mes yeux et raconte moi ce que tu as vu là-bas aux Enfers ! »

Enkidu opposa d’abord quelque résistance :

« Je ne te le dirai point, mon ami, non, je ne te le dirai point, car si j’entr’ouvrais la terre sous tes yeux et si je te racontais ce que j’ai vu là-bas aux Enfers, que de pleurs, hélas ! tu verserais ! »

Gilgamesh insista :

« Eh bien ! je pleurerai, qu’importe ? »

Alors Enkidu, sans se faire prier plus longtemps, se rendit à ses désirs. (…) et entama la description des Enfers.

« Mon ami, le lieu où je suis descendu est un lieu de ténèbres, la demeure d’Irkalla. C’est la maison où l’on entre pour ne plus en sortir, le chemin où l’on s’engage sans retour. Malheureux sont ceux qui l’habitent ! Privés de lumière, ils sont réduits à se nourrir de poussière et de boue. Ils sont vêtus d’ailes, à la façon des oiseaux... Jamais ils ne voient le jour, toujours ils sont plongés dans la nuit. Je suis entré, mon ami, dans cette maison et j’y ai rencontré des rois, les anciens maîtres de la contrée, ceux à qui Anu et Bel ont assuré le renom et une gloire durable sur la terre, non loin de l’abîme d’où jaillissent les eaux vives. Dans cette même maison, j’ai vu s’agiter pêle-mêle le seigneur et le noble, le prêtre et l’homme puissant, le gardien de l’abîme des grands dieux, et Etana, et Ner, et Allât, la souveraine des enfers… »

Il poursuivit. 

« Vois-tu, Gilgamesh ?

— Oui, je vois !

— Étendu sur un lit de repos, il boit l’eau pure, celui qui a été tué dans la bataille. Vois-tu, Gilgamesh ?

— Oui, je vois !

— Son père et sa mère soutiennent sa tête et sa femme se penche sur lui avec amour... Celui au contraire dont le cadavre gît sans sépulture dans la plaine, vois-tu, Gilgamesh ?

— Oui, je vois !

— Celui dont l’ombre ne repose point dans la terre, et est laissée à l’abandon, vois-tu Gilgamesh ?

— Oui, je vois !

— Eh bien ! celui-là est réduit à manger les débris des plats, les restes de la table, tout ce qui est jeté ! »

Ainsi, devant Gilgamesh, une voie de salut restait ouverte : chercher une mort glorieuse dans de nouveaux combats, tout en ayant soin de se ménager des amis, dont le cœur lui restât fidèle jusque dans la mort.

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