Lire, interpréter et commenter un texte littéraire

Lire (...) consiste peut-être à se faufiler, comme on peut, précautionneusement, entre ces deux puissances apparemment contraires du langage : sa capacité infinie à se renouveler, à se contredire et à se reprendre dans la profusion de mots et de phrases qu’offre une œuvre, et aussi sa capacité à faire quelque chose de défini au moyen de cette profusion, capacité à agir et d’une manière ou d’une autre à toucher le réel, ou du réel, sa capacité à faire événement. 

(...)

Dans l’acte de lire, il y a plusieurs moments qui ne sont pas strictement séparés, mais qui élaborent des relations différentes au langage. Trois moments peuvent, grosso modo, être distingués.

  1. Une relation temporelle d’abord, quand, en lisant ou en relisant en continu un texte, on passe plus ou moins vite d’une phrase à une autre phrase ; une représentation, donc une forme de spatialisation, sous la forme d’une récapitulation de ce qu’on a compris et perçu, accompagne ce mouvement, mais elle cède vite le terrain devant la nouveauté que chaque phrase apporte. Le plaisir, ou le déplaisir, l’attente du nouveau, la tension ouverte par une attente, la surprise priment sur l’interprétation. 
  2.  Quand la lecture se thématise et veut rendre compte explicitement d’elle-même et de ce qu’elle lit (dans le travail qui est attendu des critiques, des enseignants et des interprètes académiques ou en tout cas engagés, philologues, historiens, sémioticiens, etc., mais aussi dans le travail de discussion et d’interprétation « à la table » des metteurs en scène, des dramaturges et des acteurs), le temps cède la place à l’espace, à la logique de la représentation qui tente de déterminer le sens et la fonction des éléments qui ont été repérés en les distinguant les uns des autres, en les séparant, en un mot, en les spatialisant. 
  3. Puis vient éventuellement un moment nouveau, quand la lecture se fait événement physique, énoncé dans le langage d’un acteur, d’un lecteur ou dans la tentative d’un interprète d’écrire une traduction. On revient alors à la dimension d’abord temporelle de la lecture. Toute la difficulté est de passer de la représentation stable, bien définie,  celle qui alimente les commentaires et leurs arguments (le deuxième moment), à une ouverture du temps, à la production d’une durée qui donne au texte une présence sensible, à la fois changeante et dotée d’une forme. Cette durée est portée par des exigences techniques rigoureuses, stables, qui ne sont pas celles du commentaire.  Ces techniques servent à produire une expérience du temps.

Le deuxième moment, celui  de l’interprétation discutée, argumentée, le moment de la représentation au sens de construction de concepts définis, est traversé de contradictions, notamment entre l’interprétation et son objet. Une interprétation se manifeste par la production d’énoncés de type déclaratif : tel élément du texte (tel mot, telle scène, tel discours) a telle construction, signifie cela, ou ne le signifie pas, ou, pour les interprétations déconstructives, ne peut à aucun prix signifier ceci ou cela.

Pierre Judet de La Combe, "La prairie des mots est grande à l'infini": qu'est-ce que lire ?

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