L'étrangère, le couple et la cité à partir du Contre Nééra du corpus démosthénien

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Figures de l’étranger autour de la Méditerranée antique : à la rencontre de l’Autre, Actes du colloque UPPA-CRPHL Antiquité méditerranéenne : à la rencontre de « l’Autre » : Perceptions et représentations de l’étranger dans les littératures antiques, M.-F. Marein, P. Voisin, J. Gallego (éds.), CRPHL, Paris, L’Harmattan, 2010, p. 87-95.

Quelques figures féminines émergent de l’Antiquité parmi lesquelles celle de Nééra. Courtisane réputée, elle vécut au IVe siècle av. J.-C. Étrangère, elle séjourna une partie de sa vie à Athènes. Nééra, précisément parce qu’elle est étrangère, subit une double exclusion. Elle n’appartient pas à la communauté civique et elle ne peut intégrer la communauté familiale puisqu’elle n’a pas le droit d’épouser un citoyen. Or, pour avoir simulé un mariage légitime avec un citoyen, la belle se retrouve devant les tribunaux. Alors son histoire devient accessible, tout entière ramassée dans le plaidoyer d’Apollodore. Un tel document est rare dans cette société d’hommes. Emparons-nous de l’occasion pour évaluer, à l’aune du droit, les choix opérés par la cité attique face à cette « autre ».

Que savons-nous au juste de Nééra ? Certainement beaucoup si l’on considère l’époque et sa condition de femme. Mais sa biographie reste nimbée de mystères (1). Apollodore pourtant n’est pas avare de détails croustillants, il offre surtout à son auditoire ceux qui servent son argumentation. Aussi, devons-nous nous résoudre à des coupes claires dans l’histoire de Nééra. Et cela commence dès le début. Nous sommes à l’entrée du IVe siècle av. J.-C. à Corinthe. Nicarété, hétaïre, ancienne esclave affranchie, achète un lot de sept enfants, dans lequel figure Nééra. Nicarété tient une maison de rendez-vous. On devine assez bien le sort qui attend les fillettes, esclaves et vouées désormais à la prostitution. L’âge exact de Nééra, son origine géographique demeurent inconnus. Sous la coupe de Nicarété, Nééra va beaucoup voyager, multiplier les amants. Véritable ouvrière du sexe, elle travaille « avec son corps », perçoit en retour un « salaire » qui revient en partie à Nicarété. Puis, premier changement « juridique » dans la vie de la jeune femme, Nééra est achetée par deux de ses amants, Timanondas de Corinthe et Eucratés de Leucade. Mais, souvent l’homme varie…. Nos compères décident de se marier. Nééra devient gênante. Ils lui proposent de l’affranchir si elle les dédommage et quitte la ville. C’est le deuxième virage dans la vie de Nééra. Après avoir réuni la somme, avec l’aide d’anciens amants dont Phrynion, elle achète sa liberté. La jeune femme s’installe d’abord à Athènes, puis à Mégare, en cachette de Phrynion. Elle rencontre alors Stéphanos qui va inaugurer les changements les plus importants de sa vie. D’ailleurs, c’est avec lui qu’elle retourne vivre à Athènes. Rapidement, les deux hommes la revendiquent, l’affaire fera l’objet d’un arbitrage. Bientôt, Nééra se fait passer avec la complicité, ou à l’instigation de Stéphanos, pour son épouse légitime et les trois enfants qu’elle aurait emportés dans ses bagages pour ceux de Stéphanos. Dénoncer le simulacre d’union légitime mis en scène par le couple, de même que leurs tromperies adjacentes constitue l’objet du procès. Il était temps, la supercherie dure depuis vingt-cinq ans !

Le dossier ouvert dans cette affaire se révèle relativement fructueux pour notre enquête. Apollodore cite plusieurs textes juridiques qui organisent et sanctionnent l’exclusion dont pâtissent Nééra et ses enfants, principalement sa fille Phano. Mais l’intégralité des normes applicables n’apparaît pas explicitement. On le sait, l’accès au droit grec se révèle souvent délicat. Les sources fiables font défaut. L’exposé juridique doit alors se construire en mêlant certitudes et simples hypothèses. Et puis, la citation contenue dans le plaidoyer est sujette à caution et pour cause : son objet n’est pas de lister les règles en vigueur et d’en proposer une interprétation rigoureuse (2). Avant tout, le logographe organise la défense de son client. La rhétorique se déploie au service de l’argumentation la plus convaincante pour gagner et non pour accéder à la connaissance du droit. Alors, il faut s’assurer, en interrogeant d’autres sources, de la pertinence des données juridiques recueillies.

Que retenir du texte de l’orateur ? Une description de l’exclusion juridique qui affecte Nééra dans l’Athènes du IVe siècle av. J.-C. Voilà pour le contexte spatial et temporel. On pressent déjà la relativité des règles posées. Mais la jeune femme change de statut au fil des ans, nous l’avons vu. Prostituée, courtisane, « fausse épouse légitime », Nééra connaît un parcours fluctuant. Le droit qui lui est applicable change aussi au gré de ses pérégrinations sociales. Il faut en tenir compte et décentrer quelque peu notre analyse de l’objet même du procès. L’histoire de Nééra l’étrangère ne doit pas se résumer au fait qu’elle usurpe le statut d’une épouse légitime. Nééra a fondé d’autres relations qui l’ont placée dans des situations juridiques différentes. L’analyse descriptive de sa condition juridique d’étrangère appelle alors la nuance. Et puis, l’orateur nous offre matière à scruter l’exclusion qui affecte Nééra sous un autre angle, celui de la comparaison. Soucieux de fustiger les moindres turpitudes de ses adversaires, Apollodore pointe les mises en scène d’adultères qu’ils organisent. L’orateur dénonce l’ignominie du comportement des femmes adultères. Son propos devient plus virulent encore lorsqu’il dépeint le sort réservé à ces dernières. L’occasion est belle. Il nous invite à comparer l’exclusion de l’étrangère et celle de la femme adultère au regard de la cité et du couple. En arrière-plan, on pressent les valeurs essentielles qui organisent la vie de la cité.

Reprenons donc ces deux axes. Celui de la description, puis celui de la comparaison.

1. Décrire l’exclusion de l’étrangère

C’est avant tout prendre la mesure de la réalité de l’exclusion qui affecte Nééra. Mais il faut nuancer le propos et en pointer la relativité.

La réalité de l’exclusion

Pour appréhender cette réalité nous répondrons à deux questions : en quoi y a-t-il exclusion ? Pourquoi y a-t-il exclusion ?

1- La cité et le couple légitime rejettent Nééra. D’abord, elle n’est pas citoyenne. Les conditions juridiques requises pour devenir citoyen ont évolué dans l’histoire d’Athènes. En 451, Périclès, revenant sur le droit en vigueur dans l’Athènes clisthénienne, restreint les critères de citoyenneté. Désormais, pour accéder à ce statut, il faut avoir un père citoyen et une mère fille de citoyen. Ainsi, la loi prive du droit de cité les enfants dont la mère est étrangère. Mais, allons plus loin : une femme athénienne peut-elle être citoyenne ? Non, selon la majorité des auteurs. La cité classique ne connaîtrait pas, à proprement parler, de citoyenneté féminine. D’où la célèbre formule : « la polis est un club d’hommes ». Nous partageons cette opinion pour deux raisons. Le citoyen, dans une acception juridique, accède ou peut accéder à des fonctions politiques (participation aux assemblées ou aux tribunaux notamment) (3). Or, les femmes ne possèdent pas ce droit. Et puis, le vocabulaire employé pour désigner la femme accrédite l’idée. Elle est habituellement nommée astè ou gunè attiquè (4). Ces mots permettent seulement de la situer géographiquement. Le terme de « citoyenne » sera rarement utilisé, guère dans un contexte juridique, et surtout à la fin de l’époque classique. Retenons donc ici que l’exclusion de Nééra constitue le lot de la femme plus que celui de l’étrangère.

Notre célèbre courtisane se trouve ensuite exclue du couple légitime. Les textes repris dans le plaidoyer sont éloquents. Le premier interdit les mariages mixtes :

Si un étranger est l’époux d’une Athénienne, par quelque manœuvre ou quelque détour que ce soit, une accusation pourra être intentée par-devant les thesmothètes par tout Athénien en possession de ces droits. Le condamné sera vendu, lui et ses biens, un tiers du produit de la vente revenant à l’accusateur. Il en sera de même si une étrangère est l’épouse d’un Athénien ; en outre, le mari de l’étrangère condamnée sera frappé d’une amende de mille drachmes (5).

Le second prohibe la fraude :

Quiconque donnera en mariage à un Athénien une étrangère comme étant sa parente sera frappé d’atimie. Ses biens seront confisqués, et l’accusateur en recevra un tiers. Pourront accuser devant les thesmothètes les citoyens en possession de leurs droits, comme en matière d’usurpation du droit de cité (6).

On le voit, à la fermeté des interdictions répond la rigueur des sanctions.

2- Pourquoi de semblables exclusions ? La littérature sur ce point est abondante et les hypothèses ne manquent pas, qui expliquent ces choix par un contexte essentiellement économique et politique. Le souci de réduire des dépenses publiques à l’occasion des distributions de blé gratuites réservées aux seuls citoyens athéniens pourrait constituer l’une des dimensions économiques du problème. Pour comprendre l’éviction de la femme étrangère il faut préférer des arguments plus politiques. Athènes inaugure, à ce moment de son histoire, une forme de repli sur elle-même. Le rejet de l’étrangère s’expliquerait par la volonté d’instaurer un système d’endogamie civique et familiale. Et les deux sont liées. L’interdiction des mariages mixtes et le système de transmission de la citoyenneté se répondent. Le citoyen « légitimement » marié à une fille de citoyen transmet à son tour son statut à son fils, de même que son héritage. On perçoit ainsi les liens tissés entre les deux maisons, celle de l’époux et celle du père de la mariée, à l’occasion de l’union matrimoniale. L’endogamie civique consolide l’endogamie familiale.

Relativité de l’exclusion

Athènes a offert des cieux plus hospitaliers aux étrangers et aux étrangères. Nééra, pour sa part, ne subit pas une exclusion absolue. Elle trouve des espaces d’intégration, tant dans la cité qu’au sein du couple.

1- Sur un plan général, rappelons rapidement que l’accès à la citoyenneté a été, à plusieurs reprises, libéralisé par la pratique des naturalisations massives. Qu’en est-il pour les femmes étrangères ? À certaines périodes de l’histoire d’Athènes, les mariages exogames furent autorisés, parfois pour des raisons de prestige. Retenons aussi que quelques femmes ont su, dans les faits, conquérir une intégration là où on ne les attendait guère. Aspasie, célèbre compagne de Périclès n’a-t-elle pas joué, en son temps, un rôle important en politique ? D’aucuns portent à son crédit l’avènement de la guerre du Péloponnèse, quand d’autres lui font endosser la « paternité » de plusieurs discours de son illustre compagnon. Au minimum, on s’accorde à reconnaître qu’elle participait à de nombreuses discussions politiques avec des hommes d’influence et que Périclès respectait ses avis (7).

2- Qu’en est-il de Nééra ? Elle ne vit pas toujours en marge de la société athénienne. Il lui arrive même de s’adonner à des activités conformes à la légalité. En effet, au regard des lois de la cité, la belle exerce un véritable métier en offrant son corps. L’existence d’une réglementation témoigne de la reconnaissance de ce travail. À preuve, elle peut être « louée » par ses clients pour une durée déterminée. Un auteur a nommé cela « un contrat de consommation citoyenne ». Et lorsqu’elle sera revendiquée par deux hommes (Stéphanos et Phrynion), l’affaire sera débattue sous forme d’arbitrage, pour aboutir à un compromis dont les termes prévoyaient que :

Nééra vivrait avec chacun d’eux de deux jours l’un, sous réserve de changement accepté de part et d’autre ; l’époux alternatif pourvoirait à la subsistance de la femme ; enfin ils seraient désormais amis et sans rancune (8).

Et puis, toutes les formes de couple ne lui sont pas interdites. Elle aurait pu devenir concubine, pallakê. La concubine reste à la porte de l’union légitime, elle jouit cependant d’un statut : protégée par les lois sur l’adultère elle met au monde des enfants libres (les nothoi). Cela ne suffit pas à Nééra, elle préfère simuler l’union légale et l’adultère.

2. Comparer l’exclusion de l’étrangère à celle de la femme adultère

Apollodore décrit comment Nééra et Stéphanos ont échafaudé leur plan, ce qui fonde l’opportunité d’une comparaison fructueuse.

Opportunité de la comparaison

1- L’orateur rappelle l’imposture et le piège tendu : « Maintenant Nééra avait une façade et un mari. De connivence avec elle, Stéphanos pratiquait le chantage quand il pouvait prendre quelque étranger naïf et riche : il le séquestrait comme adultère et lui extorquait la forte somme, c’était normal (9) ». La législation à Athènes définit l’adultère en relation avec la situation des personnes impliquées. Seules des épouses légitimes ou des concubines peuvent le commettre. En singeant le mariage, Nééra se met en situation de pouvoir commettre un adultère. Un scénario à l’identique sera joué par la fille de Nééra, Phano, pour tenter de convaincre d’adultère d’autres naïfs (10).

2- La découverte de l’adultère. Là aussi le scénario est habile. Nos comparses respectent à la lettre les exigences du législateur. Pour que l’adultère advienne juridiquement, il faut que les protagonistes soient surpris en flagrant délit. La flagrance, le fait de surprendre le couple en train de consommer l’acte sexuel, constitue une condition essentielle (11). Apollodore prend la peine de souligner que Stéphanos a surpris la fille de Nééra en flagrant délit (12).

Fécondité de la comparaison

En des termes peu amènes, Apollodore expose le sort réservé à la femme adultère. Elle doit être exclue de son couple, selon les termes mêmes de la loi. Elle ne peut ni participer, ni assister aux cérémonies religieuses. Elle encourt de graves humiliations publiques. Donc, la cité aussi la rejette, parfois de façon plus radicale qu’elle ne le fait pour l’étrangère. C’est dire à quel point l’offense de l’adultère atteint la société athénienne.

1- Considérons la loi rapportée dans le plaidoyer. « S’il y a eu flagrant délit d’adultère, le mari n’aura pas le droit de continuer à vivre avec sa femme. En cas de contravention, il sera frappé d’atimie (13) ». Pour apprécier la sévérité des sanctions il faut se référer au contexte de l’époque. Le but de l’union matrimoniale s’inscrit dans la procréation d’enfants légitimes. La fidélité de l’épouse devient ainsi primordiale. Elle viole un devoir essentiel en commettant l’adultère. La gravité de la faute est révélée par la radicalité de la sanction. En effet, on sait l’importance de la place de la femme dans l’oikos, lieu où elle exerce un véritable pouvoir. Son identité est, par ailleurs, tout entière inscrite dans son statut d’épouse. La bannir de ce lieu, la rejeter hors du couple légitime pour, certainement, la renvoyer chez son père revient non seulement à ternir sa réputation mais plus encore à la priver de son statut. Quant au mari, l’atimie constitue pour lui une sorte de mort civile. Elle entraîne « la perte des honneurs, charges et dignités (c’est le sens grec du mot timè) qui s’attachent à la qualité de citoyen (14) ». Lui aussi est frappé dans ce qui constitue l’essence même de son identité. Un orateur athénien déplorant les effets de cette sanction reconnaît que l’atimie est un malheur pire que l’exil : « car il est bien plus triste de vivre sans droits au milieu de ses concitoyens que de vivre en métèque chez les autres ». La décision d’exclure, ici, ne participe pas d’un choix d’organisation de la société, comme c’est le cas pour l’étrangère. Elle est avant tout une sanction, terrible.

2- Enfin, la femme adultère est écartée du domaine religieux. On sait la place qu’elle y occupe. Certains auteurs avancent même qu’elle bénéficie, là, d’une « citoyenneté cultuelle ». Pertinente ou excessive, la formule souligne la réalité des fonctions religieuses qui lui sont attribuées. Or, l’adultère corrompt tout. L’histoire des turpitudes de la fille de Nééra, Phano, en témoigne. Phano est suspectée d’adultère. Mariée à un citoyen athénien, elle doit participer à quelques rituels religieux. Mais la mascarade familiale est, là aussi, mise à mal. Phano est démasquée, vilipendée. Écoutons, pour la dernière fois, Apollodore. Il fustige son comportement. C’est à ce moment qu’il mène la comparaison la plus explicite entre la situation de l’étrangère et celle de la femme adultère :

Il faut que vous sachiez que ce qui était interdit à une femme comme elle et de pareille vie, ce ne sont pas seulement ces mystères où elle n’avait le droit ni de voir officier, ni de faire un sacrifice, ni de participer en quoi que ce soit aux rites traditionnels qui se célèbrent au nom de la cité ; ce sont tous les actes du culte à Athènes ; car si une femme a été prise en flagrant délit d’adultère, l’accès de toutes cérémonies publiques lui est défendu, alors qu’il est permis par la loi à la femme étrangère ou esclave qui veut être spectatrice ou faire une supplication. Les seules femmes auxquelles les lois interdisent l’accès des sanctuaires publics, ce sont les femmes adultères : si elles contreviennent, n’importe qui peut leur faire subir impunément tout traitement qu’il lui plaît, jusqu’à la mort exclusivement ; en pareil cas, la loi donne au premier venu le droit de sévir. Et si la loi a refusé réparation de toutes violences à l’exception du meurtre, c’est pour écarter des choses sacrées les souillures et les impiétés : elle voulait que les femmes éprouvent une crainte assez forte pour rester honnêtes, pour ne commettre aucune faute, pour être de fidèles gardiennes du foyer ; elle les avertissait que, si elles manquaient à un pareil devoir, elles seraient exclues du même coup de la maison de leur mari et du culte de la cité (15).

Aucune ambiguïté. La loi peut tolérer la présence de l’étrangère aux cérémonies publiques, elle en interdit l’accès à la femme adultère (16). Sous l’angle de la religion, l’adultère n’est que souillure et impureté. Notons, au passage, que le rôle de la sanction s’avère double. Elle atteint la coupable. Elle doit aussi prévenir la réitération de semblables comportements et convaincre les autres femmes de ne pas s’y adonner. Le droit grec joue ici un rôle, étonnamment moderne, de norme dissuasive.

L’étrangère, le couple et la cité. Comment conclure ? L’histoire de Nééra est singulière. Elle ne peut résumer l’intégralité du statut de l’étrangère. Mais elle suggère quelques remarques. L’étrangère, à cette époque et dans ce lieu, ne jouit pas d’une intégration valorisante. Écartée des statuts les plus prestigieux, elle est sévèrement réprimée si elle enfreint la loi. Mais est-ce à son égard qu’Athènes se montre la plus intransigeante ? Qu’il nous soit permis d’en douter. Et que l’on se garde bien de juger à l’aune des critères de notre société individualiste qui se satisfait assez bien de la solitude de l’être humain exerçant son libre-arbitre et déterminant son destin. À cette heure de l’histoire d’Athènes, le collectif prime sur l’individuel, la fonction et le statut fondent l’identité de l’individu dans sa communauté. Alors considérons les deux situations d’exclusion : quelle est la plus rigoureuse ? Celle qui consiste à ne pas laisser une étrangère entrer dans des cercles déjà constitués sans pour autant la priver de tout statut ? Ou celle qui vise à rejeter une femme légitime des communautés qui déterminent son statut et fondent son identité?

 

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Figures de l’étranger autour de la Méditerranée antique : à la rencontre de l’Autre, Actes du colloque UPPA-CRPHL Antiquité méditerranéenne : à la rencontre de « l’Autre » : Perceptions et représentations de l’étranger dans les littératures antiques, M.-F. Marein, P. Voisin, J. Gallego (éds.), CRPHL, Paris, L’Harmattan, 2010, p. 87-95.

Notes

  1. Pour de plus amples précisions on peut consulter : Cl. Mossé, « Nééra, la courtisane », p. 217 sq., dans La Grèce au féminin, N. Loraux (dir.), Paris, Les Belles Lettres, 2003.
  2. Cl. Mossé, « Les citations de lois dans les plaidoyers des orateurs attiques », p. 95 sq., dans La citation dans l’Antiquité, Actes du colloque du PARSA Lyon, ENS LSH, 6-8 novembre 2002, C. Darbo-Peschanski (dir), éd. J. Million, Grenoble.
  3. La possibilité de prendre part à l’exercice du pouvoir fonde, chez ARISTOTE, la définition du citoyen. Politique, 3, 1.
  4. M. Humbert, Les institutions politiques et sociales de l’Antiquité, p 8 sq., Dalloz, 9e éd., 2007.
  5. DÉMOSTHÈNE, 59, 16. Nous nous référons dans le cadre de cette étude à l’ouvrage suivant : DÉMOSTHÈNE, Plaidoyers civils, t. 4, texte établi et traduit par L. Gernet, Paris, Les Belles Lettres, 1960.
  6. DÉMOSTHÈNE, 59, 52. Pour une étude plus précise sur l’origine de ces textes, on se reportera aux commentaires de L. Gernet, op.cit., p. 67. Précisons cependant que la loi de Périclès ne s’opposait pas explicitement aux unions mixtes. L’interdiction adviendra un peu plus tard, probablement dans les années 370.
  7. D. Kagan, Périclès, Tallandier, 1991.
  8. DÉMOSTHÈNE, 59, 46.
  9. DÉMOSTHÈNE, 59, 41.
  10. DÉMOSTHÈNE, 59, 65.
  11. La législation sur l’adultère applicable alors à Athènes est assez bien connue. On dispose de plusieurs sources notamment : LYSIAS, Sur le meurtre d’Ératosthène, 1, 30. DÉMOSTHÈNE, Contre Aristocrate, 23, 53.
  12. DÉMOSTHÈNE, 59, 65.
  13. DÉMOSTHÈNE, 59, 87.
  14. R. Lonis, La cité dans le monde grec, Armand Colin, 2007.
  15. DÉMOSTHÈNE, 59, 85 et 86.
  16. « Si la femme adultère ne respecte pas ces interdictions légales, quiconque pouvait impunément arracher ses vêtements, déchirer sa parure et lui infliger des coups ». E. Safty, « Les principales catégories de crimes passibles de la peine capitale dans le Droit attique aux temps des orateurs », p. 166, Cahiers des études anciennes, Université du Québec à Trois-Rivières, XXXIII, 1997. ESCHINE, Contre Timarque, 183.
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