Les Fourberies de Scapin, Acte II, scène 6 Molière

(Du début jusqu’à « je me résous à donner les 200 pistoles »)

Situation

Scapin veut soutirer de l’argent à Argante (cf. topos de la farce ou de la comédie ancienne). Dans une première scène, il invente une fable où il essaie de persuader Argante qu’un arrangement d’argent est préférable au procès qu’il veut faire. Mais il échoue dans sa tentative : Argan ne veut pas lâcher les deux cents pistoles.

Si habile avocat qu’il soit, Scapin aura besoin de son acolyte Silvestre (qui joue le rôle du frère fictif d’Hyacinte) pour monter une petite comédie à Argante et obtenir de lui la phrase tant attendue qui mettra fin à cette première partie de la scène (d’ailleurs Silvestre, désormais inutile, sort de scène).

Enjeux

Si le but de la scène est de soutirer de l’argent à Argante, son intérêt réside tout entier dans le plaisir du jeu : à tous les niveaux, geste, situation, langage. Les mots dans la scène ne sont qu’une petite partie de tout ce qui s’y passe (cf. les farces). Ils sont relayés par un comique de situation (Argante à qui les deux compères donnent la comédie est caché derrière Scapin), et par un comique de geste (les coups d’épée de Silvestre). Donc un comique à tous les niveaux, dans une théâtralité généralisée, puisqu’il y a ici comédie dans la comédie.

Mouvement

  • Une introduction où Scapin met au courant Silvestre déguisé du refus d’Argante.
  • Un long développement dont le principal ressort est constitué des pseudo-objections que Scapin fait à Silvestre pour donner l’occasion à son compère de surenchérir de véhémence, avec une petite parenthèse où Silvestre s’adresse à celui que Scapin désigne comme « l’ennemi capital d’Argante.
  • Enfin la dernière réplique conclusive : « Je consens… etc. »

L’introduction

Des répliques très directes s’enchaînent : par la réplique de la scène précédente « Voici l’homme dont il s’agit », on sait que va arriver le pseudo-frère d’Hyacinte, dont Scapin, dans la scène précédente a fait déjà un portrait fort peu sympathique : « un de ces braves de profession, de ces gens qui sont tous coups d’épée, qui ne parlent que d’échiner et ne font non plus conscience de tuer un homme que d’avaler un verre de vin ».

Silvestre va en tout point se conformer à ce rôle et dès qu’il apprend le refus d’argente (qui ne veut pas payer) il se met à employer le parler violent qu’on attend d’un tel spadassin : « par la mort…  etc. » et « Échiner », le mot promis par Scapin, vient tout naturellement. Il y a beaucoup d’exclamations, un langage stéréotypé, ce qui provoque un redoublement de distance : non seulement nous sommes devant un personnage qui non seulement joue lui-même une comédie, mais qui par ce langage convenu nous le fait savoir encore plus ostensiblement.

La réaction d’Argante est attendue : il se cache, mort de peur, et toute la scène est bâtie sur ce jeu, non-dit, entre Argante et Sylvestre : Argante se cachant, muet, et essayant de ne pas se faire voir… en vain.

Le développement

Le dialogue fonctionne donc sur des répliques de Scapin à double sens selon qui les entend : Argante, entend Scapin prendre sa défense en essayant de dissuader le pseudo-frère de ses désirs meurtriers, les spectateurs comprennent que les objections de Scapin n’ont pour but que de permettre à Silvestre de renchérir sur sa colère. Ainsi dans cette scène, vraie scène de théâtre, le dialogue n’est jamais neutre ; chaque réplique de Scapin a un double but : la première objection « le père d’Octave a du cœur » (avoir du cœur = être courageux) est faite en principe pour contenir la fureur de Silvestre, mais elle ne fait qu’entraîner une réplique de trois lignes d’invectives de la part de Silvestre. La seconde objection (pas de violence dans le pays) avive encore la colère du pseudo-frère. (cf. l’antithèse forte entre  je me moque de tout / je n’ai rien à perdre). La troisième objection, faite dans le même but (« il a des parents… ») suscite une réplique encore plus furibonde de 14 lignes, l’objection devenant un motif  pour ne pas réserver sa vengeance au seul Argante.

Mais surtout entre ces deux interventions de Scapin, on assiste à un jeu de scène particulièrement comique, dont l’outrance est complètement digne de la farce : Silvestre découvre Argante caché derrière Scapin ; Les répliques sont brèves, très simples : « Ce n’est pas lui… C’est son ennemi capital… ; » Argante reste muet, Scapin parle en son nom et le fait agir comme une marionnette. (cf. il le pousse devant lui et lui fait tendre la main à Silvestre qui la demande pour la serrer « rudement »). D’ailleurs toute la scène ici repose sur cette association d’un langage outrancier de la part de Silvestre (cf. ses serments hyperboliques, ses épithètes injurieuses qui renversent le rapport maître / serviteur puisque c’est Silvestre qui profite de son rôle pour traiter son maître de tous les noms) et de gestes certainement de grande amplitude qui terrorisent le pauvre Argante transi de peur (le comédien doit  jouer tous les signes de terreur, c’est-à-dire les exhiber).

Le comique vient aussi de ce rôle comique de la comédie ancienne qu’incarne aussi Silvestre, le soldat Matamore, qui joue à combattre dans le vide, et Silvestre joue donc aussi sciemment cette comédie devant Argante et les spectateurs (devant montrer à l’un qu’il est vraiment ce spadassin sanguinaire, et aux autres qu’il ne fait que jouer la comédie : c’est pour le comédien un jeu délicat). En tout cas les nombreuses interjections dont il accompagne ses coups d’épée dans le vide rythment ce combat fictif (« ah tête ! ah, ventre, morbleu… ») cf. aussi la répétition à trois reprises de la tournure de souhait « ah, que ne… » jusqu’au moment, où emporté par son élan il en vient à  s’adresser directement à ces « marauds » (passage à la seconde personne : « vous avez la hardiesse… » imaginant ses adversaires devant lui au point de les confondre avec ceux qu’il a vraiment en face de lui, Scapin et Argante, ce qui justifie le « Eh, eh, monsieur, nous n’en sommes pas » de Scapin.

C’est ici le type même du matamore et sa monomanie que Molière fait jouer à Silvestre, et c’est ce qui terrorise encore plus Argante dont on peut imaginer qu’il s’est remis derrière Scapin à la dernière tirade de Silvestre.

La conclusion

Il faut admirer la réplique de Scapin qui embrayant sur cette dernière tirade s’adresse à Argante : « Vous voyez combien de personnes tuées pour vos 200 pistoles » : Scapin rentre dans le jeu de Silvestre en mélangeant les deux plans de la fiction, la fiction au premier degré (les 200 pistoles qu’il veut faire cracher à Argante, et la fiction au second degré (toutes les personnes que pourrait tuer le spadassin). Argante est tremblant et le « plaît-il » de Scapin est un faire-valoir de la réplique que tout le monde attend (rappelons que la scène précédente avait fini sur un « je ne donnerai pas les 200 pistoles) « Je me résous à donner les 200 pistoles ».

Conclusion

Une scène qui appartient au genre de la farce : les personnages sont comme des marionnettes, que fait jouer le metteur en scène Scapin, Silvestre, dans le rôle de Matamore s’adressant à un vieillard qui ne voit pas qu’il joue. Double comique donc, dont l’intérêt réside davantage dans les jeux de scène que dans le langage lui-même.

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