Les derniers soubresauts de la puissance athénienne

Notes

  1. Voir Diodore, XIII, 98, 3-5.
  2. Le fils le plus jeune que Périclès, le grand homme d’État athénien, eut avec Aspasie. Bien qu’illégitime, il obtint la ci­toyenneté athénienne, par respect pour son père qui a été pourtant à l’origine, en 451, d’une restric­tion de l’accession à la ci­toyenneté à ceux dont les deux parents étaient déjà citoyens. Il sera condamné et exé­cuté avec les autres stratèges (voir in­fra).
  3. Officiers d’infanterie élus chaque année, comme les stratèges, et non tirés au sort. Quand les stratèges ob­tinrent le commandement suprême, à la place des polémarques dorénavant choisis par tirage au sort, ce sont les taxiarques qui prirent la tête des régiments d’hoplites. La présence de bâtiments transportant des hoplites laisse peut-être indiquer que les stratèges athéniens avaient envisager un débarquement sur les îlots.
  4. Ce terme est utilisé d’habitude pour qualifier le commandant des forces navales lacédémoniennes. Selon le commen­taire Budé, il s’agirait d’un officier athénien chargé d’une mission spéciale.
  5. Il s’agit en effet de recueillir des soldats ou des marins encore vivants et non des morts comme on l’a sou­vent cru de­puis l’interprétation de Diodore (XIII, 100 sq.). Le commentaire Budé ajoute que « le fond de l’affaire des Arginuses est une question d’effectifs, non une question religieuse ».
  6. C’est le cas de Socrate qui était, à ce moment, prytane ou épistate des prytanes.
  7. Voir Platon, Apologie, 32 b-c.
  8. Platon, Gorgias, 466 c-d, trad. É. Chambry
  9. Note E. Talbot : c’est-à-dire chargé de donner à chaque citoyen pauvre deux oboles prélevées sur le trésor public, pour acquitter son droit d’entrée au théâtre.
  10. Note E. Talbot : C’est-à-dire chargé de donner à chaque citoyen pauvre deux oboles prélevées sur le trésor public, pour acquitter son droit d’entrée au théâtre.
  11. Pour être exécutés. Ce sont des magistrats désignés par le sort. Ils surveillent les prisons et veillent à l’exécution des peines, y compris la torture judiciaire des esclaves. Les procédures sommaires sont aussi de leur ressort. On pense par exemple à l’apagogè. Le coupable pris en flagrant délit peut être conduit devant le magistrat par l’accusateur lui-même. Lors de cette procédure il n’y a pas d’enquête. Comme le magistrat fait alors fonction de juge, l’accusé, s’il avoue, est condamné et immédiatement exécuté. Les Onze se rendirent particulièrement odieux par le rôle qu’ils jouèrent sous la tyrannie des Trente.
  12. Note E. Talbot : Fêtes d’Athéna. Elles duraient trois jours et étaient inaugurées par un grand banquet des phratries athéniennes.
  13. Ce qui le prive, semble-t-il, de sépulture. Voir Thucydide, II, 67, 4.
  14. Note E. Talbot : Canônnos avait fait décider que, toutes les fois que plusieurs personnes seraient accusées du même crime, on instruirait à part la cause de chacune d’elles. — Cf. Aristophane, traduction de M. Artaud, p.504 de la 1ère édition.
  15. Note E. Talbot : Si l’on eût adopté ces propositions habilement présentées par Euryptolème, les accusés auraient été sauvés. Il était impossible de prouver contre eux aucune charge individuelle.
Carte 1 - Les derniers soubresauts de la puissance athénienne

La bataille navale de Méthymna :

une victoire athénienne chèrement payée

 

406. Callicratidas s’empare de Méthymna. Il fait dire à Conon, selon Xénophon, « qu’il ne le laisse­rait plus être l’amant de la mer ». Il dispose d’une flotte de 170 trières. Commence une course poursuite. Conon, dont les navires étaient bons marcheurs, réussit à s’échapper. Mais la flotte athénienne qui a perdu 30 de ses 70 bâtiments est bloquée à Lesbos. Le blocus est cependant forcé par une trière rapide de Conon : il faut prévenir Athènes. Les Athéniens, dans un effort désespéré, décrètent d’envoyer une flotte de secours de 110 navires, où ils font monter tout ce qui est en âge de servir, esclaves et hommes libres. La victoire des Arginuses sur le spartiate Callicratidas a été chèrement payée par des pertes im­por­tantes en hommes et en bâtiments. 

[26] Ὁ δὲ Καλλικρατίδας ἀκούων τὴν βοήθειαν ἤδη ἐν Σάμῳ οὖσαν, αὐτοῦ μὲν κατέλιπε πεντήκοντα ναῦς καὶ ἄρχοντα Ἐτεόνικον, ταῖς δὲ εἴκοσι καὶ ἑκατὸν ἀναχθεὶς ἐδειπνοποιεῖτο τῆς Λέσβου ἐπὶ τῇ Μαλέᾳ ἄκρᾳ [ἀντίον τῆς Μυτιλήνης]. [27] Τῇ δ᾽ αὐτῇ ἡμέρᾳ ἔτυχον καὶ οἱ Ἀθηναῖοι δειπνοποιούμενοι ἐν ταῖς Ἀργινούσαις· αὗται δ᾽ εἰσὶν [ἀντίον τῆς Λέσβου ἐπὶ τῇ Μαλέᾳ ἄκρᾳ] ἀντίον τῆς Μυτιλήνης. [28] Τῆς δὲ νυκτὸς ἰδὼν τὰ πυρά, καί τινων αὐτῷ ἐξαγγειλάντων ὅτι οἱ Ἀθηναῖοι εἶεν, ἀνήγετο περὶ μέσας νύκτας, ὡς ἐξαπιναίως προσπέσοι· ὕδωρ δ᾽ ἐπιγενόμενον πολὺ καὶ βρονταὶ διεκώλυσαν τὴν ἀναγωγήν. Ἐπεὶ δὲ ἀνέσχεν, ἅμα τῇ ἡμέρᾳ ἔπλει ἐπὶ τὰς Ἀργινούσας. [29] Οἱ δ᾽ Ἀθηναῖοι ἀντανήγοντο εἰς τὸ πέλαγος τῷ εὐωνύμῳ, παρατεταγμένοι ὧδε. Ἀριστοκράτης μὲν τὸ εὐώνυμον ἔχων ἡγεῖτο πεντεκαίδεκα ναυσί, μετὰ δὲ ταῦτα Διομέδων ἑτέραις πεντεκαίδεκα : ἐπετέτακτο δὲ Ἀριστοκράτει μὲν Περικλῆς, Διομέδοντι δὲ Ἐρασινίδης· παρὰ δὲ Διομέδοντα οἱ Σάμιοι δέκα ναυσὶν ἐπὶ μιᾶς τεταγμένοι· ἐστρατήγει δὲ αὐτῶν Σάμιος ὀνόματι Ἱππεύς· ἐχόμεναι δ᾽ <αἱ> τῶν ταξιάρχων δέκα, καὶ αὐταὶ ἐπὶ μιᾶς· ἐπὶ δὲ ταύταις αἱ τῶν ναυάρχων τρεῖς, καὶ εἴ τινες ἄλλαι ἦσαν συμμαχίδες. [30] Τὸ δὲ δεξιὸν κέρας Πρωτόμαχος εἶχε πεντεκαίδεκα ναυσί : παρὰ δ᾽ αὐτὸν Θράσυλλος ἑτέραις πεντεκαίδεκα· ἐπετέτακτο δὲ Πρωτομάχῳ μὲν Λυσίας, ἔχων τὰς ἴσας ναῦς, Θρασύλλῳ δὲ Ἀριστογένης. [31] Οὕτω δ᾽ ἐτάχθησαν, ἵνα μὴ διέκπλουν διδοῖεν· χεῖρον γὰρ ἔπλεον. αἱ δὲ τῶν Λακεδαιμονίων ἀντιτεταγμέναι ἦσαν ἅπασαι ἐπὶ μιᾶς ὡς πρὸς διέκπλουν καὶ περίπλουν παρεσκευασμέναι, διὰ τὸ βέλτιον πλεῖν. Εἶχε δὲ τὸ δεξιὸν κέρας Καλλικρατίδας. [32] Ἕρμων δὲ Μεγαρεὺς ὁ τῷ Καλλικρατίδᾳ κυβερνῶν εἶπε πρὸς αὐτὸν ὅτι εἴη καλῶς ἔχον ἀποπλεῦσαι· αἱ γὰρ τριήρεις τῶν Ἀθηναίων πολλῷ πλείους ἦσαν. Καλλικρατίδας δὲ εἶπεν ὅτι ἡ Σπάρτη οὐδὲν μὴ κάκιον οἰκεῖται αὐτοῦ ἀποθανόντος, φεύγειν δὲ αἰσχρὸν ἔφη εἶναι. [33] Μετὰ δὲ ταῦτα ἐναυμάχησαν χρόνον πολύν, πρῶτον μὲν ἁθρόαι, ἔπειτα δὲ διεσκεδασμέναι. Ἐπεὶ δὲ Καλλικρατίδας τε ἐμβαλούσης τῆς νεὼς ἀποπεσὼν εἰς τὴν θάλατταν ἠφανίσθη Πρωτόμαχός τε καὶ οἱ μετ᾽ αὐτοῦ τῷ δεξιῷ τὸ εὐώνυμον ἐνίκησαν, ἐντεῦθεν φυγὴ τῶν Πελοποννησίων ἐγένετο εἰς Χίον, πλείστων δὲ καὶ εἰς Φώκαιαν· οἱ δὲ Ἀθηναῖοι πάλιν εἰς τὰς Ἀργινούσας κατέπλευσαν. [34] Ἀπώλοντο δὲ τῶν μὲν Ἀθηναίων νῆες πέντε καὶ εἴκοσιν αὐτοῖς ἀνδράσιν ἐκτὸς ὀλίγων τῶν πρὸς τὴν γῆν προσενεχθέντων, τῶν δὲ Πελοποννησίων Λακωνικαὶ μὲν ἐννέα, πασῶν οὐσῶν δέκα, τῶν δ᾽ ἄλλων συμμάχων πλείους ἢ ἑξήκοντα. [35] ἔδοξε δὲ καὶ τοῖς τῶν Ἀθηναίων στρατηγοῖς ἑπτὰ μὲν καὶ τετταράκοντα ναυσὶ Θηραμένην τε καὶ Θρασύβουλον τριηράρχους ὄντας καὶ τῶν ταξιάρχων τινὰς πλεῖν ἐπὶ τὰς καταδεδυκυίας ναῦς καὶ τοὺς ἐπ᾽ αὐτῶν ἀνθρώπους, ταῖς δὲ ἄλλαις ἐπὶ τὰς μετ᾽ Ἐτεονίκου τῇ Μυτιλήνῃ ἐφορμούσας. ταῦτα δὲ βουλομένους ποιεῖν ἄνεμος καὶ χειμὼν διεκώλυσεν αὐτοὺς μέγας γενόμενος : τροπαῖον δὲ στήσαντες αὐτοῦ ηὐλίζοντο.

[26] Callicratidas, apprenant que la flotte de secours est à Samos, laisse à Mitylène cinquante vaisseaux sous le commandement d’Étéonicos, met à la voile avec les cent vingt autres, et va souper dans l’île de Lesbos, au cap Malée, vis-à-vis de Mitylène. [27] Il se trouvait que le même jour les Athéniens soupaient aux îles Arginuses, situées vis-à-vis de Lesbos, non loin du cap Malée. [28] Apercevant des feux pendant la nuit, et apprenant que c’étaient les Athéniens, Callicratidas lève l’ancre vers minuit pour tomber sur eux à l’improviste ; mais il survient une forte pluie et des tonnerres qui l’empêchent de tenir la mer. Au point du jour, l’orage dissipé, il se dirige sur les Arginuses. [29] Aussitôt les Athéniens s’avancent à sa rencontre, l’aile gauche en tête1 et dans l’ordre suivant : Aristocrate est à l’extrême gauche avec quinze vaisseaux, puis vient Diomédon avec quinze autres ; Périclès2 est posté derrière Aristocrate, Érasinidès derrière Diomédon. Après Diomédon viennent les Samiens avec dix vaisseaux rangés sur une seule ligne ; ils étaient commandés par un Samien, nommé Hippeus, et suivis immédiatement par les dix vaisseaux des taxiarques3, rangés aussi sur une seule ligne ; venaient ensuite les trois trirèmes des navarques4 et le reste de la flotte alliée. [30] À la tête de l’aile droite est Protomachos avec quinze vaisseaux, puis Thrasyllos, avec quinze autres ; Protomachos avait avec lui Lysias avec le même nombre de vaisseaux ; Thrasyllos est appuyé par Aristogénès. [31] Ils avaient choisi cet ordre de bataille, afin d’empêcher l’ennemi de forcer leur ligne, leurs vaisseaux étant moins bons. Les trirèmes lacédémoniennes étaient disposées en face, toutes sur un seul rang, et se préparaient à forcer la ligne ennemie pour la prendre à revers, étant plus faciles à manœuvrer. Callicratidas commandait l’aile droite. [32] Hermon de Mégare, son second, lui dit qu’il ne ferait pas mal de se retirer, attendu que les Athéniens avaient la supériorité du nombre. Callicratidas répond que ce ne sera pas un grand malheur pour Sparte, s’il vient à mourir, mais qu’il serait honteux de fuir. [33] Bientôt le combat s’engage : il dure longtemps ; les vaisseaux, d’abord serrés, se dispersent. Callicratidas, jeté dans la mer par un choc de son vaisseau, ne reparaît plus. Protomachos et les siens, à l’aile droite, enfoncent l’aile gauche lacédémonienne. Alors commence la déroute des Péloponésiens, qui s’enfuient, les uns à Chios, la plupart à Phocée. [34] Les Athéniens reviennent aux Arginuses ; ils avaient perdu vingt-cinq vaisseaux avec tous leurs hommes, sauf quelques-uns qui avaient gagné terre ; la perte des Péloponnésiens était de neuf vaisseaux lacédémoniens, sur dix en tout, et de plus de soixante autres appartenant aux alliés. [35] Les stratèges athéniens décident de charger les triérarques Théramène et Thrasybule, et quelques taxiarques, d’aller avec quarante-sept trirèmes à la recherche des vaisseaux naufragés et des hommes du bord, tandis qu’eux-mêmes, avec le reste de la flotte, cingleront vers les vaisseaux restés à l’ancre devant Mitylène, sous les ordres d’Étéonicos. Ils voulaient accomplir cette mission, mais un vent et un orage violent les en empêchent : ils restent en place et érigent un trophée.

Xénophon, Helléniques, I, 6, 26-35, trad. Eugène Talbot, 1859

Le procès des stratèges athéniens :

un marqueur des profondes dissensions politiques à Athènes

 

Le procès intenté aux stratèges victorieux pose des problèmes diffi­ciles d’interprétation. Il faut compa­rer les récits de Xénophon (Helléniques, I, 7, 1-35), avec ceux de Diodore (XIII, 100 et sq.). Il était du de­voir des stratèges de re­cueillir les « naufragés »5, c’est-à-dire les survivants, et de repêcher les morts comme le rite l’imposait. Manquèrent-ils à leur devoir ou s’en dé­chargèrent-ils sur Théramène qui était triérarque à ce moment ? Théramène a peut-être né­gligé d’exécuter leurs ordres ou il en a été empêché par une tempête qui a mis en péril la flotte victorieuse. En tout cas, après une véritable conspi­ration et un procès conduit hâtivement, ne respectant pas les procé­dures légales, le Conseil soumettant à l’assemblée un texte volontairement ambigu déformant la question de la culpabilité – le fait, par exemple, de rempla­cer « naufragés » par « vainqueurs » –, et surtout une assemblée terrorisant les citoyens en me­naçant d’un châtiment identique à celui des stratèges ceux qui oseront intenter une graphè paranomôn ou refuser de vo­ter une proposition illégale6 – « mais la foule se mit à crier que c’était une chose abomi­nable si l’on em­pêchait le peuple de faire ce qu’il voulait » –, les stratèges rentrés à Athènes furent exécu­tés. On peut se demander, dans ces conditions, si ce procès des Arginuses n’est pas une tentative des oli­garques pour s’emparer à nouveau du pouvoir. Théramène se sentant compromis et donc menacé aurait, comme le laisse entendre Xénophon, rejeté la faute sur les stratèges – tous des démocrates – et serait de­venu l’instigateur secret de toute l’affaire. L’affaire de la condamnation à mort des stratèges de la bataille des Arginuses est utilisée par Platon dans l’Apologie7 pour mettre en cause les ins­titu­tions démocratiques elles-mêmes, les excès tyranniques de la démocratie extrême, les orateurs faisant « périr ceux qu’ils veulent, comme les ty­rans, qu’ils dépouillent et bannissent ceux qu’il leur plaît »8 ? L’affaire est d’ordre poli­tique.

[1] Οἱ δ᾽ ἐν οἴκῳ τούτους μὲν τοὺς στρατηγοὺς ἔπαυσαν πλὴν Κόνωνος· πρὸς δὲ τούτῳ εἵλοντο Ἀδείμαντον καὶ τρίτον Φιλοκλέα. [2] Τῶν δὲ ναυμαχησάντων στρατηγῶν Πρωτόμαχος μὲν καὶ Ἀριστογένης οὐκ ἀπῆλθον εἰς Ἀθήνας, τῶν δὲ ἓξ καταπλευσάντων, Περικλέους καὶ Διομέδοντος καὶ Λυσίου καὶ Ἀριστοκράτους καὶ Θρασύλλου καὶ Ἐρασινίδου, Ἀρχέδημος ὁ τοῦ δήμου τότε προεστηκὼς ἐν Ἀθήναις καὶ τῆς διωβελίας ἐπιμελόμενος Ἐρασινίδῃ ἐπιβολὴν ἐπιβαλὼν κατηγόρει ἐν δικαστηρίῳ, φάσκων ἐξ Ἑλλησπόντου αὐτὸν ἔχειν χρήματα ὄντα τοῦ δήμου· κατηγόρει δὲ καὶ περὶ τῆς στρατηγίας. Καὶ ἔδοξε τῷ δικαστηρίῳ δῆσαι τὸν Ἐρασινίδην. [3] Μετὰ δὲ ταῦτα ἐν τῇ βουλῇ διηγοῦντο οἱ στρατηγοὶ περί τε τῆς ναυμαχίας καὶ τοῦ μεγέθους τοῦ χειμῶνος. Τιμοκράτους δ᾽ εἰπόντος ὅτι καὶ τοὺς ἄλλους χρὴ δεθέντας εἰς τὸν δῆμον παραδοθῆναι, ἡ βουλὴ ἔδησε. [4] Μετὰ δὲ ταῦτα ἐκκλησία ἐγένετο, ἐν ᾗ τῶν στρατηγῶν κατηγόρουν ἄλλοι τε καὶ Θηραμένης μάλιστα, δικαίους εἶναι λόγον ὑποσχεῖν διότι οὐκ ἀνείλοντο τοὺς ναυαγούς. Ὅτι μὲν γὰρ οὐδενὸς ἄλλου καθήπτοντο, ἐπιστολὴν ἐπεδείκνυε μαρτύριον ἣν ἔπεμψαν οἱ στρατηγοὶ εἰς τὴν βουλὴν καὶ εἰς τὸν δῆμον, ἄλλο οὐδὲν αἰτιώμενοι ἢ τὸν χειμῶνα. [5] Μετὰ ταῦτα δὲ οἱ στρατηγοὶ βραχέως ἕκαστος ἀπελογήσατο [οὐ γὰρ προυτέθη σφίσι λόγος κατὰ τὸν νόμον], καὶ τὰ πεπραγμένα διηγοῦντο, ὅτι αὐτοὶ μὲν ἐπὶ τοὺς πολεμίους πλέοιεν, τὴν δὲ ἀναίρεσιν τῶν ναυαγῶν προστάξαιεν τῶν τριηράρχων ἀνδράσιν ἱκανοῖς καὶ ἐστρατηγηκόσιν ἤδη, Θηραμένει καὶ Θρασυβούλῳ καὶ ἄλλοις τοιούτοις· [6] Καὶ εἴπερ γέ τινας δέοι, περὶ τῆς ἀναιρέσεως οὐδένα ἄλλον ἔχειν αὐτοὺς αἰτιάσασθαι ἢ τούτους οἷς προσετάχθη. Καὶ οὐχ ὅτι γε κατηγοροῦσιν ἡμῶν, ἔφασαν, ψευσόμεθα φάσκοντες αὐτοὺς αἰτίους εἶναι, ἀλλὰ τὸ μέγεθος τοῦ χειμῶνος εἶναι τὸ κωλῦσαν τὴν ἀναίρεσιν. Τούτων δὲ μάρτυρας παρείχοντο τοὺς κυβερνήτας καὶ ἄλλους τῶν συμπλεόντων πολλούς. Τοιαῦτα λέγοντες ἔπειθον τὸν δῆμον· [7] Ἐβούλοντο δὲ πολλοὶ τῶν ἰδιωτῶν ἐγγυᾶσθαι ἀνιστάμενοι· ἔδοξε δὲ ἀναβαλέσθαι εἰς ἑτέραν ἐκκλησίαν [τότε γὰρ ὀψὲ ἦν καὶ τὰς χεῖρας οὐκ ἂν καθεώρων], τὴν δὲ βουλὴν προβουλεύσασαν εἰσενεγκεῖν ὅτῳ τρόπῳ οἱ ἄνδρες κρίνοιντο.[8] Μετὰ δὲ ταῦτα ἐγίγνετο Ἀπατούρια, ἐν οἷς οἵ τε πατέρες καὶ οἱ συγγενεῖς σύνεισι σφίσιν αὐτοῖς. Οἱ οὖν περὶ τὸν Θηραμένην παρεσκεύασαν ἀνθρώπους μέλανα ἱμάτια ἔχοντας καὶ ἐν χρῷ κεκαρμένους πολλοὺς ἐν ταύτῃ τῇ ἑορτῇ, ἵνα πρὸς τὴν ἐκκλησίαν ἥκοιεν, ὡς δὴ συγγενεῖς ὄντες τῶν ἀπολωλότων, καὶ Καλλίξενον ἔπεισαν ἐν τῇ βουλῇ κατηγορεῖν τῶν στρατηγῶν. [9] Ἐντεῦθεν ἐκκλησίαν ἐποίουν, εἰς ἣν ἡ βουλὴ εἰσήνεγκε τὴν ἑαυτῆς γνώμην Καλλιξένου εἰπόντος τήνδε· « Ἐπειδὴ τῶν τε κατηγορούντων κατὰ τῶν στρατηγῶν καὶ ἐκείνων ἀπολογουμένων ἐν τῇ προτέρᾳ ἐκκλησίᾳ ἀκηκόασι, διαψηφίσασθαι Ἀθηναίους ἅπαντας κατὰ φυλάς· θεῖναι δὲ εἰς τὴν φυλὴν ἑκάστην δύο ὑδρίας· ἐφ᾽ ἑκάστῃ δὲ τῇ φυλῇ κήρυκα κηρύττειν, ὅτῳ δοκοῦσιν ἀδικεῖν οἱ στρατηγοὶ οὐκ ἀνελόμενοι τοὺς νικήσαντας ἐν τῇ ναυμαχίᾳ, εἰς τὴν προτέραν ψηφίσασθαι, ὅτῳ δὲ μή, εἰς τὴν ὑστέραν· [10] Ἂν δὲ δόξωσιν ἀδικεῖν, θανάτῳ ζημιῶσαι καὶ τοῖς ἕνδεκα παραδοῦναι καὶ τὰ χρήματα δημοσιεῦσαι, τὸ δ᾽ ἐπιδέκατον τῆς θεοῦ εἶναι. » [11] Παρῆλθε δέ τις εἰς τὴν ἐκκλησίαν φάσκων ἐπὶ τεύχους ἀλφίτων σωθῆναι· ἐπιστέλλειν δ᾽ αὐτῷ τοὺς ἀπολλυμένους, ἐὰν σωθῇ, ἀπαγγεῖλαι τῷ δήμῳ ὅτι οἱ στρατηγοὶ οὐκ ἀνείλοντο τοὺς ἀρίστους ὑπὲρ τῆς πατρίδος γενομένους. [12] Τὸν δὲ Καλλίξενον προσεκαλέσαντο παράνομα φάσκοντες συγγεγραφέναι Εὐρυπτόλεμός τε ὁ Πεισιάνακτος καὶ ἄλλοι τινές. Τοῦ δὲ δήμου ἔνιοι ταῦτα ἐπῄνουν, τὸ δὲ πλῆθος ἐβόα δεινὸν εἶναι εἰ μή τις ἐάσει τὸν δῆμον πράττειν ὃ ἂν βούληται. [13] Καὶ ἐπὶ τούτοις εἰπόντος Λυκίσκου καὶ τούτους τῇ αὐτῇ ψήφῳ κρίνεσθαι ᾗπερ καὶ τοὺς στρατηγούς, ἐὰν μὴ ἀφῶσι τὴν κλῆσιν, ἐπεθορύβησε πάλιν ὁ ὄχλος, καὶ ἠναγκάσθησαν ἀφιέναι τὰς κλήσεις. [14] Τῶν δὲ πρυτάνεών τινων οὐ φασκόντων προθήσειν τὴν διαψήφισιν παρὰ τὸν νόμον, αὖθις Καλλίξενος ἀναβὰς κατηγόρει αὐτῶν τὰ αὐτά. [15] Οἱ δὲ ἐβόων καλεῖν τοὺς οὐ φάσκοντας. οἱ δὲ πρυτάνεις φοβηθέντες ὡμολόγουν πάντες προθήσειν πλὴν Σωκράτους τοῦ Σωφρονίσκου· οὗτος δ᾽ οὐκ ἔφη ἀλλ᾽ ἢ κατὰ νόμον πάντα ποιήσειν. [16] Μετὰ δὲ ταῦτα ἀναβὰς Εὐρυπτόλεμος ἔλεξεν ὑπὲρ τῶν στρατηγῶν τάδε. « Τὰ μὲν κατηγορήσων, ὦ ἄνδρες Ἀθηναῖοι, ἀνέβην ἐνθάδε Περικλέους ἀναγκαίου μοι ὄντος καὶ ἐπιτηδείου καὶ Διομέδοντος φίλου, τὰ δ᾽ ὑπεραπολογησόμενος, τὰ δὲ συμβουλεύσων ἅ μοι δοκεῖ ἄριστα εἶναι ἁπάσῃ τῇ πόλει. [17] Κατηγορῶ μὲν οὖν αὐτῶν ὅτι ἔπεισαν τοὺς συνάρχοντας βουλομένους πέμπειν γράμματα τῇ τε βουλῇ καὶ ὑμῖν ὅτι ἐπέταξαν τῷ Θηραμένει καὶ Θρασυβούλῳ τετταράκοντα καὶ ἑπτὰ τριήρεσιν ἀνελέσθαι τοὺς ναυαγούς, οἱ δὲ οὐκ ἀνείλοντο. [18] Εἶτα νῦν τὴν αἰτίαν κοινὴν ἔχουσιν ἐκείνων ἰδίᾳ ἁμαρτόντων, καὶ ἀντὶ τῆς τότε φιλανθρωπίας νῦν ὑπ᾽ ἐκείνων τε καί τινων ἄλλων ἐπιβουλευόμενοι κινδυνεύουσιν ἀπολέσθαι ; [19] Οὔκ, ἂν ὑμεῖς γέ μοι πείθησθε τὰ δίκαια καὶ ὅσια ποιοῦντες, καὶ ὅθεν μάλιστ᾽ ἀληθῆ πεύσεσθε καὶ οὐ μετανοήσαντες ὕστερον εὑρήσετε σφᾶς αὐτοὺς ἡμαρτηκότας τὰ μέγιστα εἰς θεούς τε καὶ ὑμᾶς αὐτούς. συμβουλεύω δ᾽ ὑμῖν, ἐν οἷς οὔθ᾽ ὑπ᾽ ἐμοῦ οὔθ᾽ ὑπ᾽ ἄλλου οὐδενὸς ἔστιν ἐξαπατηθῆναι ὑμᾶς, καὶ τοὺς ἀδικοῦντας εἰδότες κολάσεσθε ᾗ ἂν βούλησθε δίκῃ, καὶ ἅμα πάντας καὶ καθ᾽ ἕνα ἕκαστον, εἰ μὴ πλέον, ἀλλὰ μίαν ἡμέραν δόντες αὐτοῖς ὑπὲρ αὑτῶν ἀπολογήσασθαι, μὴ ἄλλοις μᾶλλον πιστεύοντες ἢ ὑμῖν αὐτοῖς. [20] Ἴστε δέ, ὦ ἄνδρες Ἀθηναῖοι, πάντες ὅτι τὸ Καννωνοῦ ψήφισμά ἐστιν ἰσχυρότατον, ὃ κελεύει, ἐάν τις τὸν τῶν Ἀθηναίων δῆμον ἀδικῇ, δεδεμένον ἀποδικεῖν ἐν τῷ δήμῳ, καὶ ἐὰν καταγνωσθῇ ἀδικεῖν, ἀποθανεῖν εἰς τὸ βάραθρον ἐμβληθέντα, τὰ δὲ χρήματα αὐτοῦ δημευθῆναι καὶ τῆς θεοῦ τὸ ἐπιδέκατον εἶναι. [21] Κατὰ τοῦτο τὸ ψήφισμα κελεύω κρίνεσθαι τοὺς στρατηγοὺς καὶ νὴ Δία, ἂν ὑμῖν γε δοκῇ, πρῶτον Περικλέα τὸν ἐμοὶ προσήκοντα· αἰσχρὸν <γάρ> μοί ἐστιν ἐκεῖνον περὶ πλείονος ποιεῖσθαι ἢ τὴν ὅλην πόλιν. [22] Τοῦτο δ᾽ εἰ βούλεσθε, κατὰ τόνδε τὸν νόμον κρίνατε, ὅς ἐστιν ἐπὶ τοῖς ἱεροσύλοις καὶ προδόταις, ἐάν τις ἢ τὴν πόλιν προδιδῷ ἢ τὰ ἱερὰ κλέπτῃ, κριθέντα ἐν δικαστηρίῳ, ἂν καταγνωσθῇ, μὴ ταφῆναι ἐν τῇ Ἀττικῇ, τὰ δὲ χρήματα αὐτοῦ δημόσια εἶναι. [23] Τούτων ὁποτέρῳ βούλεσθε, ὦ ἄνδρες Ἀθηναῖοι, τῷ νόμῳ κρινέσθων οἱ ἄνδρες κατὰ ἕνα ἕκαστον διῃρημένων τῆς ἡμέρας τριῶν μερῶν, ἑνὸς μὲν ἐν ᾧ συλλέγεσθαι ὑμᾶς δεῖ καὶ διαψηφίζεσθαι [ἐάν τε ἀδικεῖν δοκῶσιν ἐάν τε μή], ἑτέρου δ᾽ ἐν ᾧ κατηγορῆσαι, ἑτέρου δ᾽ ἐν ᾧ ἀπολογήσασθαι. [24] Τούτων δὲ γιγνομένων οἱ μὲν ἀδικοῦντες τεύξονται τῆς μεγίστης τιμωρίας, οἱ δ᾽ ἀναίτιοι ἐλευθερωθήσονται ὑφ᾽ ὑμῶν, ὦ Ἀθηναῖοι, καὶ οὐκ ἀδικοῦντες ἀπολοῦνται. [25] Ὑμεῖς δὲ κατὰ τὸν νόμον εὐσεβοῦντες καὶ εὐορκοῦντες κρινεῖτε καὶ οὐ συμπολεμήσετε Λακεδαιμονίοις τοὺς ἐκείνους ἑβδομήκοντα ναῦς ἀφελομένους καὶ νενικηκότας, τούτους ἀπολλύντες ἀκρίτους παρὰ τὸν νόμον. [26] Τί δὲ καὶ δεδιότες σφόδρα οὕτως ἐπείγεσθε ; Ἢ μὴ οὐχ ὑμεῖς ὃν ἂν βούλησθε ἀποκτείνητε καὶ ἐλευθερώσητε, ἂν κατὰ τὸν νόμον κρίνητε, ἀλλ᾽ οὐκ ἂν παρὰ τὸν νόμον, ὥσπερ Καλλίξενος τὴν βουλὴν ἔπεισεν εἰς τὸν δῆμον εἰσενεγκεῖν μιᾷ ψήφῳ ; [27] Ἀλλ᾽ ἴσως ἄν τινα καὶ οὐκ αἴτιον ὄντα ἀποκτείναιτε, μεταμελήσει δὴ ὕστερον. Ἀναμνήσθητε ὡς ἀλγεινὸν καὶ ἀνωφελὲς ἤδη ἐστί, πρὸς δ᾽ ἔτι καὶ περὶ θανάτου ἀνθρώπου ἡμαρτηκότες. [28] Δεινὰ δ᾽ ἂν ποιήσαιτε, εἰ Ἀριστάρχῳ μὲν πρότερον τὸν δῆμον καταλύοντι, εἶτα δ᾽ Οἰνόην προδιδόντι Θηβαίοις πολεμίοις οὖσιν, ἔδοτε ἡμέραν ἀπολογήσασθαι ᾗ ἐβούλετο καὶ τἆλλα κατὰ τὸν νόμον προύθετε, τοὺς δὲ στρατηγοὺς τοὺς πάντα ὑμῖν κατὰ γνώμην πράξαντας, νικήσαντας δὲ τοὺς πολεμίους, τῶν αὐτῶν τούτων ἀποστερήσετε. [29] Μὴ ὑμεῖς γε, ὦ Ἀθηναῖοι, ἀλλ᾽ ἑαυτῶν ὄντας τοὺς νόμους, δι᾽ οὓς μάλιστα μέγιστοί ἐστε, φυλάττοντες, ἄνευ τούτων μηδὲν πράττειν πειρᾶσθε. Ἐπανέλθετε δὲ καὶ ἐπ᾽ αὐτὰ τὰ πράγματα καθ᾽ ἃ καὶ αἱ ἁμαρτίαι δοκοῦσι γεγενῆσθαι τοῖς στρατηγοῖς. Ἐπεὶ γὰρ κρατήσαντες τῇ ναυμαχίᾳ εἰς τὴν γῆν κατέπλευσαν, Διομέδων μὲν ἐκέλευεν ἀναχθέντας ἐπὶ κέρως ἅπαντας ἀναιρεῖσθαι τὰ ναυάγια καὶ τοὺς ναυαγούς, Ἐρασινίδης δ᾽ ἐπὶ τοὺς πρὸς Μυτιλήνην πολεμίους τὴν ταχίστην πλεῖν ἅπαντας· Θράσυλλος δὲ ἀμφότερα ἔφη γενέσθαι, ἂν τὰς μὲν αὐτοῦ καταλίπωσι, ταῖς δὲ ἐπὶ τοὺς πολεμίους πλέωσι· [30] καὶ δοξάντων τούτων καταλιπεῖν τρεῖς ναῦς ἕκαστον ἐκ τῆς αὑτοῦ συμμορίας, τῶν στρατηγῶν ὀκτὼ ὄντων, καὶ τὰς τῶν ταξιάρχων δέκα καὶ τὰς Σαμίων δέκα καὶ τὰς τῶν ναυάρχων τρεῖς, αὗται ἅπασαι γίγνονται ἑπτὰ καὶ τετταράκοντα, τέτταρες περὶ ἑκάστην ναῦν τῶν ἀπολωλυιῶν δώδεκα οὐσῶν. [31] Τῶν δὲ καταλειφθέντων <τῶν> τριηράρχων ἦσαν καὶ Θρασύβουλος καὶ Θηραμένης, ὃς ἐν τῇ προτέρᾳ ἐκκλησίᾳ κατηγόρει τῶν στρατηγῶν. Ταῖς δὲ ἄλλαις ναυσὶν ἔπλεον ἐπὶ τὰς πολεμίας. τί τούτων οὐχ ἱκανῶς καὶ καλῶς ἔπραξαν; Οὐκοῦν δίκαιον τὰ μὲν πρὸς τοὺς πολεμίους μὴ καλῶς πραχθέντα τοὺς πρὸς τούτοις ταχθέντας ὑπέχειν λόγον, τοὺς δὲ πρὸς τὴν ἀναίρεσιν μὴ ποιήσαντας ἃ οἱ στρατηγοὶ ἐκέλευσαν, διότι οὐκ ἀνείλοντο κρίνεσθαι. [32] Τοσοῦτον δ᾽ ἔχω εἰπεῖν ὑπὲρ ἀμφοτέρων, ὅτι ὁ χειμὼν διεκώλυσε μηδὲν πρᾶξαι ὧν οἱ στρατηγοὶ παρεσκευάσαντο. Τούτων δὲ μάρτυρες οἱ σωθέντες ἀπὸ τοῦ αὐτομάτου, ὧν εἷς τῶν ἡμετέρων στρατηγῶν ἐπὶ καταδύσης νεὼς διασωθείς, ὃν κελεύουσι τῇ αὐτῇ ψήφῳ κρίνεσθαι, καὶ αὐτὸν τότε δεόμενον ἀναιρέσεως, ᾗπερ τοὺς οὐ πράξαντας τὰ προσταχθέντα. [33] Μὴ τοίνυν, ὦ ἄνδρες Ἀθηναῖοι, ἀντὶ μὲν τῆς νίκης καὶ τῆς εὐτυχίας ὅμοια ποιήσητε τοῖς ἡττημένοις τε καὶ ἀτυχοῦσιν, ἀντὶ δὲ τῶν ἐκ θεοῦ ἀναγκαίων ἀγνωμονεῖν δόξητε, προδοσίαν καταγνόντες ἀντὶ τῆς ἀδυναμίας [οὐχ ἱκανοὺς γενομένους διὰ τὸν χειμῶνα πρᾶξαι τὰ προσταχθέντα]· ἀλλὰ πολὺ δικαιότερον στεφάνοις γεραίρειν τοὺς νικῶντας ἢ θανάτῳ ζημιοῦν πονηροῖς ἀνθρώποις πειθομένους. » [34] Ταῦτ᾽ εἰπὼν Εὐρυπτόλεμος ἔγραψε γνώμην κατὰ τὸ Καννωνοῦ ψήφισμα κρίνεσθαι τοὺς ἄνδρας δίχα ἕκαστον · ἡ δὲ τῆς βουλῆς ἦν μιᾷ ψήφῳ ἅπαντας κρίνειν. τούτων δὲ διαχειροτονουμένων τὸ μὲν πρῶτον ἔκριναν τὴν Εὐρυπτολέμου· ὑπομοσαμένου δὲ Μενεκλέους καὶ πάλιν διαχειροτονίας γενομένης ἔκριναν τὴν τῆς βουλῆς. Καὶ μετὰ ταῦτα κατεψηφίσαντο τῶν ναυμαχησάντων στρατηγῶν ὀκτὼ ὄντων· ἀπέθανον δὲ οἱ παρόντες ἕξ.

 [1] À Athènes, on dépose tous les généraux, excepté Conon, auquel on adjoint Adeimatos et Philoclès. [2] Deux des généraux qui avaient assisté au combat naval, Protomachos et Aristogénès, ne retournent point à Athènes. Dès que les six autres, Périclès, Diomédon, Lysias, Aristocrate, Thrasyllos et Érasinidès, sont arrivés, Archédémos, chef du peuple et distributeur du diobole9, propose une amende contre Érasinidès, qu’il accuse dans le tribunal de s’être emparé dans l’Hellespont de sommes appartenant au peuple. Il l’accuse également pour sa gestion de stratège : le tribunal décrète l’arrestation d’Érasinidès. [3] Ensuite les stratèges donnent des explications dans le Conseil sur la bataille navale et sur la violence de la tempête. Timocratès ayant dit qu’il fallait les jeter en prison et les traduire devant le peuple, le Conseil les fait arrêter. [4] Bientôt après a lieu une assemblée, où Théramène, entre autres, accuse vivement les stratèges, déclare de toute justice qu’ils expliquent pourquoi ils n’ont pas relevé les naufragés, et, pour prouver que les stratèges n’allèguent aucune autre excuse, il lit une lettre, adressée par eux au Conseil et au peuple, où ils rejettent la faute sur la tempête seulement. [5] Chaque stratège se défend alors en quelques mots, le temps légal ne leur ayant pas été accordé. Ils racontent ce qui s’est passé : tandis qu’eux-mêmes cinglaient contre l’ennemi, ils ont confié le soin de relever les naufragés à des triérarques capables, qui avaient déjà rempli les fonctions de stratèges, à Théramène, à Thrasybule, et à d’autres du même rang. [6] S’il faut accuser quelqu’un à propos de ces enlèvements des corps, on ne peut s’en prendre qu’à ceux qui en ont été chargés. « Et cependant, ajoutent-ils, l’accusation ne nous amènera point à mentir et à prétendre que ceux-là mêmes sont coupables : c’est la violence seule de l’orage qui a empêché d’enlever les corps. » À l’appui de cette déclaration, ils produisent comme témoins les pilotes et un grand nombre d’autres personnes de l’expédition. Ces paroles persuadent le peuple : [7] plusieurs particuliers se lèvent et s’offrent pour caution. On décrète de remettre l’affaire à la prochaine assemblée, vu l’heure avancée qui ne permettait plus de voir les mains. En attendant, le Conseil devant délibérer sur la question, on proposera au peuple la marche à suivre dans le jugement des prévenus. [8] Sur ces entrefaites, survient la fête des Apaturies10, durant laquelle les frères et les parents se rassemblent les uns chez les autres. Théramène et ses adhérents préparent donc un grand nombre de gens vêtus de noir, rasés jusqu’à la peau, afin qu’ils viennent à l’assemblée comme parents des morts ; et ils persuadent à Callixénos d’accuser les stratèges dans le Conseil. [9] On convoque ensuite une assemblée, où le Conseil, par la bouche de Callixénos, rend son arrêt : « Attendu que les accusations contre les stratèges et la défense de ces derniers ont été entendues dans l’assemblée précédente, les Athéniens sont appelés à voter tous par tribus. Pour chaque tribu seront disposées deux urnes : un héraut publiera dans chaque tribu que ceux qui regardent les stratèges comme coupables de n’avoir pas relevé les corps des vainqueurs dans le combat naval doivent déposer leur vote dans la première urne, et ceux d’un avis contraire, dans la seconde. [10] S’ils sont déclarés coupables, ils seront punis de mort et livrés aux Onze11, leurs biens confisqués, et le dixième consacré à la déesse. » [11] Alors un homme paraît devant l’assemblée et dit qu’il s’est sauvé sur un tonneau de farine d’orge ; qu’il a été chargé par ceux qui ont péri d’annoncer au peuple, s’il échappait, que les stratèges n’ont point recueilli ceux qui ont combattu vaillamment pour la patrie. [12] Cependant Euryptolémos, fils de Peisianax, et quelques autres, accusent Callixénos d’avoir présenté un décret contraire aux lois. Un certain nombre de voix parmi le peuple leur applaudissent, mais la masse s’écrie qu’il est fort étrange de ne pas laisser le peuple faire ce qu’il lui plaît. [13] Là-dessus, Lyciscos prend la parole et dit qu’il faut envelopper ces gens dans le même décret que les stratèges, s’ils ne laissent pas l’assemblée tranquille : le tumulte recommence dans la foule : on est forcé de retirer l’accusation. [14] Mais quelques-uns des prytanes disant qu’ils ne feront point voter contrairement aux lois, Callixénos monte de nouveau à la tribune et répète l’accusation contre les stratèges. [15] D’autres s’écrient qu’il faut décréter d’accusation ceux qui sont d’un avis opposé. Les prytanes effrayés consentent tous à faire voter, à l’exception de Socrate, fils de Sophronisque. Celui-ci déclare qu’il ne fera rien que de conforme aux lois. [16] Alors Euryptolémos monte à la tribune et prononce le discours suivant en faveur des stratèges : « Athéniens, c’est pour accuser sur quelques points et pour défendre sur d’autres Périclès, mon parent, et Diomédon, mon ami intime, que je monte à cette tribune, et pour vous donner les conseils que je crois les plus utiles à toute la cité. [17] J’accuse ces stratèges, parce qu’il se sont opposés à leurs collègues qui voulaient annoncer par une dépêche au Conseil et au peuple qu’ils avaient chargé Théramène et Thrasybule de recueillir les naufragés avec quarante-sept trirèmes, et que ceux-ci ne les avaient point recueillis. [18] Maintenant ils portent tous en commun le poids de la faute qui a été particulièrement commise, et en retour de leur philanthropie passée, ils courent aujourd’hui le risque de succomber à une intrigue ourdie par les coupables et par leurs ennemis. [19] Mais il n’en sera point ainsi, si je puis vous convaincre d’agir suivant la justice et la religion, et si vous cherchez à savoir la vérité afin de n’avoir pas plus tard à vous repentir et à reconnaître que vous avez commis une grande faute contre les dieux et contre vous-mêmes. Je vous donne un conseil avec lequel vous ne sauriez être trompés ni par moi, ni par personne. Sachez trouver les coupables, infligez-leur le châtiment que vous voudrez, soit à tous, soit à chacun séparément ; mais accordez-leur, si ce n’est plus, du moins un jour pour leur défense, et ne vous fiez pas à d’autres plus qu’à vous-mêmes. [20] « Vous le savez tous, Athéniens, le décret de Canônnos12 est très-sévère : il porte que celui qui a lésé le peuple athénien, devra se défendre chargé de fers en présence du peuple, et que, s’il est déclaré coupable, il sera puni de mort et jeté dans le barathron13, ses biens confisqués et le dixième consacré à la déesse. [21] Je demande que les stratèges soient jugés d’après ce décret, et par Zeus, mon parent Périclès, tout le premier ; car il serait honteux pour moi de m’intéresser plus à lui qu’à l’État. [22] Mais si cette proposition ne vous agrée point, jugez-les d’après la loi sur les sacrilèges et sur les traîtres, laquelle porte que celui qui trahira l’État ou qui dérobera des objets sacrés sera jugé par un tribunal, et que, s’il est condamné, il sera inhumé hors de l’Attique et ses biens confisqués. [23] Quelle que soit donc la loi que vous préférez, Athéniens, jugez ces hommes séparément, et divisez la journée en trois parties : dans la première vous vous rassemblerez et vous déclarerez s’ils vous paraissent coupables ou non ; la seconde sera consacrée à l’accusation ; la troisième à la défense. [24] Grâce à ces mesures, les coupables seront frappés du plus grand châtiment ; mais ceux qui ne sont pas coupables seront libérés par vous, Athéniens, et ne périront pas innocents14. [25] « Quant à vous, jugez selon la loi, et respectez les dieux et vos serments ; craignez de servir les intérêts des Lacédémoniens, en condamnant illégalement, sans forme de procès, des hommes qui viennent de les battre et de leur enlever soixante-dix navires. [26] Que craignez-vous, pour agir avec tant de précipitation ? Est-ce que vous ne pouvez pas faire périr ou libérer qui bon vous semble, en jugeant d’après la loi, et non contre la loi, comme le voudrait Callixénos, qui a persuadé au Conseil de proposer au peuple de tout englober dans un seul vote ? [27] Peut-être ferez-vous périr quelque innocent, et plus tard vous vous en repentirez. Songez alors quelle douleur stérile, surtout si c’est la mort d’un homme que vous avez à vous reprocher. [28] Votre conduite serait étrange, si Aristarchos, après avoir d’abord aboli la démocratie et livré Oinoé aux Thébains, vos ennemis15, eût obtenu de vous un jour pour se défendre comme il l’entendait, et qu’alors tout se soit passé selon les lois, tandis que ces stratèges, qui ont tout fait à votre gré et vaincu vos ennemis, seraient privés des mêmes droits. Mais non, vous ne le voudrez pas, Athéniens : respectant ces lois que vous avez établies, et par lesquelles vous êtes devenus si grands, n’essayez jamais de rien faire contre elles. [29] « Reportez-vous aux circonstances mêmes qui ont causé la faute de vos stratèges. Vainqueurs dans la bataille navale, ils étaient revenus à terre : Diomédon veut que tous les vaisseaux aillent à la file les uns des autres recueillir les épaves et les naufragés, tandis qu’Érasinidès demande que la flotte entière se porte au plus vite contre l’ennemi à Mytilène. Thrasyllos dit que les deux opinions peuvent se concilier, si on laisse une partie des vaisseaux Sur le lieu du combat et qu’on vogue avec les autres contre les ennemis. [30] Cet avis prévaut : l’on décide que chacun des huit stratèges laissera trois vaisseaux de la division, auxquels on ajoutera les dix vaisseaux des taxiarques, les dix des Samiens et les trois des navarques. Cela faisait ensemble quarante-sept vaisseaux, quatre pour chacune des trirèmes submergées. [31] Au nombre des taxiarques laissés à la tête de cette division étaient Thrasybule et Théramène, celui qui, dans l’assemblée précédente, accusait les stratèges : le reste de la flotte cingle contre l’ennemi. « Qu’y a-t-il dans tout cela qui ne soit sage et bien concerté ? N’est-il donc pas juste que, si devant l’ennemi il y a eu des fautes, ce soient les chefs de l’expédition qui en rendent compte, et que, si ceux qui étaient commis à l’enlèvement des corps n’ont pas exécuté les ordres des stratèges, ils soient eux-mêmes traduits en jugement ? [32] Mais je puis dire en faveur des uns et des autres que la tempête les a empêchés de rien faire de ce que les stratèges avaient ordonné. Vous en avez pour témoins ceux qui sont parvenus à se sauver eux-mêmes : parmi eux est un de vos stratèges qui a échappé au naufrage de son vaisseau, et qu’on voudrait aujourd’hui envelopper dans un même jugement avec ceux qui ont manqué à l’accomplissement de leur devoir, quoique lui-même eût eu besoin de leur secours. [33] Athéniens, ne vous conduisez pas au milieu de la victoire et du bonheur comme le feraient des vaincus et des infortunés ; n’imputez pas à l’incurie un malheur inévitable envoyé par un dieu ; ne confondez pas l’impossibilité d’agir avec la trahison, et ne condamnez pas ceux à qui la tempête n’a pas permis d’obéir. Il serait beaucoup plus juste de récompenser avec des couronnes les vainqueurs, que de les condamner à mort en écoutant les conseils des méchants. » [34] Ce discours achevé, Euryptolémos émet l’avis que les prévenus soient jugés suivant le décret de Canônnos, chacun séparément ; l’avis du Conseil était qu’on prononçât sur tous un seul et unique arrêt. Lorsqu’on en vient aux voix, la proposition d’Euryptolémos est d’abord adoptée ; mais sur les protestations solennelles de Méneclès, on procède à un second vote, par lequel on adopte la proposition du Conseil ; et aussitôt après on condamne à la peine de mort les huit stratèges qui avaient livré la bataille navale. On exécute les six qui étaient présents.

Xénophon, Helléniques, I, 7, 1-34, trad. Eugène Talbot, 1859

 

Notes

  1. Voir Diodore, XIII, 98, 3-5.
  2. Le fils le plus jeune que Périclès, le grand homme d’État athénien, eut avec Aspasie. Bien qu’illégitime, il obtint la ci­toyenneté athénienne, par respect pour son père qui a été pourtant à l’origine, en 451, d’une restric­tion de l’accession à la ci­toyenneté à ceux dont les deux parents étaient déjà citoyens. Il sera condamné et exé­cuté avec les autres stratèges (voir in­fra).
  3. Officiers d’infanterie élus chaque année, comme les stratèges, et non tirés au sort. Quand les stratèges ob­tinrent le commandement suprême, à la place des polémarques dorénavant choisis par tirage au sort, ce sont les taxiarques qui prirent la tête des régiments d’hoplites. La présence de bâtiments transportant des hoplites laisse peut-être indiquer que les stratèges athéniens avaient envisager un débarquement sur les îlots.
  4. Ce terme est utilisé d’habitude pour qualifier le commandant des forces navales lacédémoniennes. Selon le commen­taire Budé, il s’agirait d’un officier athénien chargé d’une mission spéciale.
  5. Il s’agit en effet de recueillir des soldats ou des marins encore vivants et non des morts comme on l’a sou­vent cru de­puis l’interprétation de Diodore (XIII, 100 sq.). Le commentaire Budé ajoute que « le fond de l’affaire des Arginuses est une question d’effectifs, non une question religieuse ».
  6. C’est le cas de Socrate qui était, à ce moment, prytane ou épistate des prytanes.
  7. Voir Platon, Apologie, 32 b-c.
  8. Platon, Gorgias, 466 c-d, trad. É. Chambry
  9. Note E. Talbot : c’est-à-dire chargé de donner à chaque citoyen pauvre deux oboles prélevées sur le trésor public, pour acquitter son droit d’entrée au théâtre.
  10. Note E. Talbot : C’est-à-dire chargé de donner à chaque citoyen pauvre deux oboles prélevées sur le trésor public, pour acquitter son droit d’entrée au théâtre.
  11. Pour être exécutés. Ce sont des magistrats désignés par le sort. Ils surveillent les prisons et veillent à l’exécution des peines, y compris la torture judiciaire des esclaves. Les procédures sommaires sont aussi de leur ressort. On pense par exemple à l’apagogè. Le coupable pris en flagrant délit peut être conduit devant le magistrat par l’accusateur lui-même. Lors de cette procédure il n’y a pas d’enquête. Comme le magistrat fait alors fonction de juge, l’accusé, s’il avoue, est condamné et immédiatement exécuté. Les Onze se rendirent particulièrement odieux par le rôle qu’ils jouèrent sous la tyrannie des Trente.
  12. Note E. Talbot : Fêtes d’Athéna. Elles duraient trois jours et étaient inaugurées par un grand banquet des phratries athéniennes.
  13. Ce qui le prive, semble-t-il, de sépulture. Voir Thucydide, II, 67, 4.
  14. Note E. Talbot : Canônnos avait fait décider que, toutes les fois que plusieurs personnes seraient accusées du même crime, on instruirait à part la cause de chacune d’elles. — Cf. Aristophane, traduction de M. Artaud, p.504 de la 1ère édition.
  15. Note E. Talbot : Si l’on eût adopté ces propositions habilement présentées par Euryptolème, les accusés auraient été sauvés. Il était impossible de prouver contre eux aucune charge individuelle.
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