Les courses de char : L'épreuve reine des jeux du cirque

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Odysseum remercie Lugdunum, musée & théâtres romains pour l’aimable autorisation de diffusion de leurs photographies.

Les origines grecques des courses de chars

Les courses de chars les plus célèbres se déroulent dans le monde romain, à partir de la République, environ au VIe avant J.-C. Mais comme beaucoup de pratiques sportives et culturelles, c’est vers la Grèce qu’il faut se tourner pour remonter aux origines de cette activité que l’on peut véritablement qualifier de sport.

Homère livre dans l’Iliade un premier récit de course de chars. Ainsi dans le chant XXIII, Achille organise les jeux funèbres en l’honneur de Patrocle. La première compétition de ces jeux est la course de chars avec cinq participants. André Leclercq, dans Jeu et enjeu culturels du sport, y voit déjà tous les codes d’une épreuve sportive moderne :

« Toutes les fonctions organisationnelles sont présentes (organisateur, parraineur, arbitre, entraineur) ; les coureurs partent en ligne, font l’objet de pronostics et sont placés par tirage au sort ; la course se prépare techniquement et tactiquement ; le suspense est toujours présent : jusqu’où peut aller la prise de risque ? parfois elle mène à l’accident, les duels en sont d’autant plus palpitants ; les spectateurs se disputent et on voit apparaître les paris ; la question fondamentale de la ruse et de la tricherie est déjà posée ; le champion malheureux a droit à son lot de consolation ; la contestation est déjà présente avec une réclamation officielle... »

Un peu avant ce chant, Homère décrit aussi des chars à deux roues, servant à transporter le guerrier sur le champ de bataille. Leur caisse était basse, arrondie et fermée à l’avant et ouverte à l’arrière. L’ensemble était bas sur roues. Il s’agissait d’une pièce maîtresse de l’équipement du guerrier. Le char pouvait arborer des incrustations d’ivoire, des accessoires de bronze, voire d’argent tandis que ses roues étaient en bois. Le char de guerre était tiré le plus souvent par deux chevaux.

Les courses de chars sont donc déjà pratiquées en Grèce, notamment lors des fêtes panhelléniques qui remontent à l’époque archaïque. Les courses de chars à quatre chevaux (quadriges) auraient fait leur entrée aux Jeux olympiques en 680 avant J.-C. Les deux chevaux extérieurs étaient dirigés par de simples guides en cuir, tandis que les chevaux intérieurs étaient attachés au timon (longue pièce de bois qui sert à atteler les bêtes). En Grèce, les épreuves sont individuelles ; le bénéfice de la victoire n’était toutefois pas attribué à l’aurige mais au propriétaire de l’attelage.

Le déroulement traditionnel des courses à Rome

Les Étrusques ont perpétué la tradition grecque des courses de chars avant les Romains. On raconte même que Romulus aurait organisé des jeux, dont des courses, pour détourner l’attention des Sabins et ainsi leur voler leurs femmes. À Rome, le Circus Maximus est un espace qui a d’ailleurs été aménagé par les Étrusques. Les épreuves de courses de chars se tiennent dans un cadre funéraire (jeux en l’honneur d’un mort, comme dans l’Iliade), religieux (remerciement des dieux après une victoire quand elles complètent la cérémonie des triomphes) mais, au fil du temps, elles sont devenues un simple divertissement.

Le déroulement des courses était souvent le même. Précédées par un défilé, pompa circensis, animé par des musiciens et des danseurs costumés, au cours duquel on exhibait les chars, les courses débutaient par le tirage au sort des quatre équipes (ou factions, factionnes) de trois participants. Les quatre couleurs des équipes représentaient, à l’origine, les saisons : bleu, veneta : hiver ; vert, praesina : printemps ; rouge, russata : été ; blanc, albata : automne. A ces quatre factions traditionnelles, l’empereur Domitien au Ier siècle en ajouta deux : la pourpre « purpurea » et la dorée « aurata », mais elles ne durèrent pas dans le temps. Traditionnellement, le peuple pariait pour les verts et les aristocrates pour les bleus. Les  tensions entre factions étaient à l’image des oppositions sociales et politiques de leurs partisans.

Les auriges, les conducteurs de chars, étaient vêtus d’une courte tunique respectant la couleur de l’équipe, renforcée de lanières de cuir au niveau de la poitrine pour éviter les fractures des côtes ; des jambières protégeaient leurs mollets et leurs cuisses, et un casque leur tête. Sur le bas-relief ci-dessus, deux chars en pleine action encadrent les metae, les bornes qui limitent le terre-plein central. On distingue ainsi cet équipement : le casque, les rênes nouées autour de la taille et le fouet.

Le signal du départ était donné par le magistrat organisateur de la course à l’aide de la mappa, serviette blanche qu’on jetait dans le cirque. L’épreuve consistait à réaliser sept tours de spina, ce qui équivaut à une distance totale d’environ sept kilomètres et demi. À chaque tour, on ôtait un des sept œufs placés sur la spina, pour en faciliter le comptage. La course se déroulait dans le sens inverse des aiguilles d’une montre. Lorsque les participants avaient franchi le premier virage, tout était permis, y compris des pratiques violentes et moralement discutables. Les gagnants remportaient des sommes d’argent, jusqu’à 60 000 sesterces (environ 28 000 euros !) et les palmes de la victoire (branches de palmier). 20 à 24 courses pouvaient se courir dans une journée.

La mosaïque des courses de chars ici représentée est une œuvre emblématique du musée de Lugdunum. Elle représente une partie des traditions décrites ici : des auriges en couleur (factionnes), un départ de la course donné à gauche de l’œuvre avec un tissu lâché (mappa), la course acharnée et dangereuse autour de la spina du cirque (arête centrale), les marques pour le comptage des tours de pistes (œufs que l’on enlevait et dauphins de bronze que l’on abaissait), et les insignes pour le vainqueur au centre : palme et couronne de lauriers.

Des compétitions furent encore organisées au Ve siècle à Rome mais dans l’Antiquité tardive, comme pour les combats de gladiateurs, les Pères de l’Église considérèrent ce divertissement comme une pratique païenne, et les courses disparurent peu à peu.

Les auriges, au cœur de la ferveur populaire

Le plus souvent issus des classes inférieures de la société – en général des esclaves – les auriges sont de véritables icônes qui adoptent souvent un style « à la grecque » : cheveux longs et bouclés, rubans et bijoux.

Ils conduisaient les quadriges debout sur leur char et les meilleurs d’entre eux acquéraient une grande popularité ; leur nom était sur toutes les lèvres et dans tous les cœurs. Ils sont représentés sur de nombreux objets du quotidien (vaisselle, lampes à huile, jouets pour enfants…).

Ils faisaient partie d’une équipe et portaient les couleurs des partis sportifs (factiones). Ces équipes investissaient de fortes sommes dans la formation des auriges et dans l’acquisition des chevaux et de l’équipement. Elles étaient sponsorisées par de riches citoyens. Chaque « faction » avait ses ardents supporters. Quelquefois, les sénateurs, ou même des empereurs participaient aux courses pour le prestige. On raconte que Néron aurait concouru en revêtant les couleurs du peuple. On raconte aussi que l’empereur Caligula au Ier siècle était lui aussi tout entier tourné en faveur des « verts ». Il s’agissait de montrer son soutien au peuple romain.

Si ces auriges étaient ainsi adulés et récompensés généreusement, c’est que leur discipline n’était pas sans risque ; beaucoup mouraient dans ces compétitions et certains devenaient des héros pour lesquels on érigeait de grandes statues. Ainsi, voici l’épitaphe rédigée par le poète Martial, au Ier siècle après J.-C., sur un jeune aurige du nom de Scorpus, mort à 27 ans pendant une course : 

« Je suis ce Scorpus, la gloire du Cirque aux mille voix, qui fut, ô Rome, l’objet de tes applaudissements et fit un instant tes délices. La Parque jalouse, quand elle me ravit au bout de trois fois neuf ans, pensa, en comptant mes victoires, que j’étais déjà vieux. » (Martial, Épigrammes, X – 53)

Un certain Gaius Appuleius Dioclès s’est également distingué au IIe siècle de notre ère. Sa longue carrière et sa fortune ont participé à sa renommée : il aurait ainsi amassé la somme extraordinaire de 35 863 120 sesterces si l’on en croit une inscription monumentale érigée par ses concurrents et ses supporters, l’année de sa mort, en 146.

Un sport à haut risque

Il semblerait que les courses de chars aient toujours été très dangereuses. En Grèce, lors des Jeux olympiques, on déplorait la mort de certains auriges durant les épreuves hippiques.

Le char pouvait atteindre de très grandes vitesses et était à la merci du moindre choc. Les chevaux, particulièrement à gauche de l’attelage, à la corde, pouvaient être blessés facilement. Le danger se situait surtout dans les tournants, à l’approche des metae, car les roues pouvaient heurter les bornes. Les cochers avaient souvent un couteau qu’ils portaient toujours à la ceinture pour trancher les guides de cuir en cas de nécessité. Pour gagner du temps, il fallait prendre le tournant à la corde en essayant d’éviter un véhicule rival ou la borne elle-même : un choc à cet endroit pouvait briser le moyeu de la roue ou faire renverser le char.

La rivalité entre auriges était vive et évoluait fréquemment en haines personnelles. Il faut dire que tous les coups étaient permis : serrer par exemple au plus près les chars pour les faire s'écraser contre la spina, faire tomber l’adversaire pour qu’il se fasse écraser par les autres concurrents, incapables d'arrêter l'élan de leurs attelages.

Après l’enlèvement du septième et dernier œuf symbolisant le dernier tour sur la spina, cette rivalité redoublait dans l’arène et c’est alors que les passions des spectateurs se déchaînaient pour soutenir leur faction favorite. Les accidents, qu’on appelait naufragium, naufrages, étaient nombreux et généralement la chute d’un cocher en entraînait d’autres, incapables de maîtriser leurs chevaux lancés à grande vitesse. Aujourd’hui encore, les courses hippiques peuvent se révéler périlleuses. « On n’imagine pas la puissance que développent quatre chevaux lorsqu’ils courent au même rythme », assure Boyd Exell, quadruple champion d’attelage à quatre de la Fédération Équestre Internationale, l’équivalent moderne d’un aurige.

Ce qu'écrit Pline le jeune :

Quo magis miror tot milia virorum tam pueriliter identidem cupere currentes equos, insistentes curribus homines videre. Si tamen aut velocitate equorum aut hominum arte traherentur, esset ratio non nulla ; nunc favent panno, pannum amant, et si in ipso cursu medioque certamine hic color illuc ille huc transferatur, studium favorque transibit, et repente agitatores illos equos illos, quos procul noscitant, quorum clamitant nomina relinquent. Tanta gratia tanta auctoritas in una vilissima tunica, mitto apud vulgus, quod vilius tunica, sed apud quosdam graves homines ; quos ego cum recordor, in re inani frigida assidua, tam insatiabiliter desidere, capio aliquam voluptatem, quod hac voluptate non capior.

 

Pline le Jeune, Lettres, IX,6

 

C’est ce qui redouble l’étonnement où je suis, que tant de milliers d’hommes aient la puérile passion de revoir de temps en temps des chevaux qui courent, et des hommes qui conduisent des chariots. Encore s’ils prenaient plaisir à la vitesse des chevaux ou à l’adresse des hommes, il y aurait quelque raison. Mais on ne s’attache aujourd’hui qu’à la couleur des habits de ceux qui combattent ; on ne regarde, on n’aime que cette couleur. Si, dans le milieu de la course ou du combat, on faisait passer d’un côté la même couleur qui est de l’autre, on verrait, dans le moment, leur inclination et leurs vœux suivre cette même couleur, et abandonner les hommes et les chevaux qu’ils connaissaient de loin, qu’ils appelaient par leurs noms ; tant une vile casaque fait d’impression, je ne dis pas sur le petit peuple, plus vil encore que ces casaques ; je dis même sur de fort honnêtes gens. Quand je songe qu’ils ne se lassent point de revoir, avec tant de goût et d’assiduité, des choses si vaines, si froides, et qui reviennent si souvent, je trouve un plaisir secret à n’être point sensible à ces bagatelles.

 

Traduction de Charles Rollin, 1837

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Odysseum remercie Lugdunum, musée & théâtres romains pour l’aimable autorisation de diffusion de leurs photographies.

  • Avant d’être populaires à Rome, les courses de chars se pratiquent en Grèce, avec des récits de courses dans l’œuvre homérique, puis des épreuves sportives largement rapportées par les auteurs grecs classiques.
  • Les chars font d’abord partie de l’équipement militaire avant d’être des pièces très travaillées et très techniques, conduites par deux (biges) puis quatre chevaux (quadriges).
  • Les auriges (aurigae, agitatores) sont les conducteurs des chars. Ce sont de véritables stars qui incarnent une équipe. Tout comme les jockeys aujourd’hui, ils sont de petite taille et souvent légers ; ce sont des jeunes hommes le plus fréquemment.
  • Les courses de chars se déroulaient dans des cirques. Elles réunissaient des milliers de spectateurs, souvent très attachés à soutenir un attelage en particulier. Quelques voix discordantes, à l’instar de Pline Le Jeune, ont témoigné de la vanité de tels loisirs.
  • L’expression « panem et circenses », du pain et des jeux, est attribuée au poète latin Juvénal. Il dénonce, de manière ironique, l’usage des empereurs romains qui distribuaient du pain et organisaient des jeux pour flatter le peuple afin de s’attirer sa bienveillance.

À voir :

  • Ben-Hur de William Wyler, 1959 : en prolongement. Voir la scène fameuse de la course de chars - aux environs de la cent cinquantième minute du film.
  • Star Wars, épisode I : La Menace fantôme de George Lucas : en prolongement. Voir la course de modules, clin d'oeil de George Lucas à William Wyler.

À lire :

  • Iliade, Homère, chant XXII : le supplice du corps d’Hector, tiré par le char Achille.
  • Iliade, Homère, chant XXIII : les jeux funèbres en l’honneur de Patrocle, organisés par son ami Achille.

Voir aussi sur Odysseum :

Pistes pour aller plus loin :

  • Les loisirs chez les Romains
  • Les jeux du cirque
  • Les jeux olympiques
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