Les arcs de triomphe Reflets de l’Imperium Romanum et de la Virtus romaine

  • Les premiers arcs de triomphe romains ont été élevés en divers endroits : à Pompéi par Lucius Stertinius,proconsul d'Hispanie ultérieure, en 196 avant J.-C. à la fin de son commandement ; à Rome par Scipion l'Africain en 190 avant J.-C. pour célébrer son départ en guerre contre Antiochos, roi des Séleucides ; à Rome encore par Quintus Fabius Maximus Allobrogicus en 121 avant J.-C. pour célébrer sa victoire sur les Allobroges, un peuple gaulois ; il ne nous reste aucun vestige de tous ces arcs de triomphe.
  • Jusqu'à la fin de la République, les Romains utilisaient le terme de fornix pour nommer toutes les constructions en forme de voûte ou d'arc ; sous l'Empire, on lui préférera les mots « arc de triomphe » (arcus triumphalis). Si les mots fornix et arcus ont le même sens, ils n’ont cependant pas la même connotation : l’arcus désigne, en premier lieu, l’« arme de tir » puis, dans un second temps, l’« arche » d’un monument ; le mot fornix, quant à lui, désigne une construction dont les Romains détiennent la paternité : la voûte. Par synecdoque, le mot fornix en viendra à désigner le passage que la voûte enjambait puis le lieu où, souvent, les péripatéticiennes se tenaient, ce qui donnera plusieurs termes dérivés : fornix (= lupanar, maison de débauches) ou fornicatrix (= fornicatrice, prostituée), par exemple.
  • Les arcs de triomphe sont un symbole de l’impérialisme romain, un moyen de propagande politique qui, non seulement, représentait la commémoration des conquêtes romaines mais permettait aussi de diffuser un modèle architectural et politique auprès des provinces conquises.
  • Du fait de leur portée idéologique, les arcs de triomphe peuvent faire l’objet de récupération politique. Ainsi, sur l’arc de Constantin, on a utilisé des remplois de sculptures de l’époque de Trajan, plusieurs panneaux de l’époque de Marc-Aurèle et des médaillons provenant d’un monument d’Hadrien afin d’inscrire Constantin dans la lignée des empereurs bénéfiques pour Rome. En revanche, on peut aussi vouloir effacer de la mémoire certains épisodes historiques. Ainsi, l’arc de Néron, construit en 62 après J.-C. pour commémorer les victoires de Néron sur les Parthes entre 58 et 60 après J.-C., a probablement été démantelé peu après la condamnation à mort et la damnatio memoriae (condamnation de la mémoire) de l’Empereur.
  • Les arcs de triomphe ont connu une grande postérité : l’arc de triomphe de la place de l’Étoile à Paris et la Grande Arche de la Défense en sont des exemples frappants. Le premier a été édifié sur ordre de Napoléon 1er en 1806 après la victoire française d’Austerlitz ; il a donc une fonction nettement patriotique et de nécropole militaire. La seconde, au contraire, a été conçue par Johann Otto von Spreckelsen et Erik Reitzel comme un monument consacré à l’Humanité et aux idéaux humanitaires plutôt qu’aux victoires militaires.

Leur architecture

Les Romains inventèrent plusieurs types d’arcs modulables, ce qui permettait de décliner des solutions très variées. Pour exprimer l’opulence du régime, on faisait ainsi jouer quatre critères dans la construction des arcs de triomphe :

  • Leur plan : une ou plusieurs ouvertures, avec percement latéral ou non. Nous connaissons ainsi principalement trois types d’arcs de triomphe :
Arcs1

 

  • Leur emplacement urbain :
    • Axé, c’est-à-dire dans l’axe d’une voie importante ;
    • Centré, au cœur de la cité, en général sur le forum ;  
    • Ou tétrapyle, souvent construit sur un carrefour important.
  • Leur élévation : le nombre d’éléments architecturaux qui les composent en hauteur ; il est variable : entablement, fronton et attique, décoré ou non de statues.

 

Schéma

 

  • Le traitement de leur colonne dans la partie d’angle :

 

Arcs2

 

Leurs origines et leur évolution

 

Dans la Grèce antique, l’attribution d’honneurs était un élément ancien du rituel politique de la cité. Dès la fin du Ve siècle avant J.-C., on votait des décrets honorifiques pour remercier la loyauté de Grecs ou de citoyens étrangers : on leur offrait le titre de πρόξενος (proxenos) et on inscrivait leur nom sur liste, rendue publique, des bienfaiteurs de la cité : les Εὐεργέται (evergetai, évergètes). Cette coutume, associée à d’autres comme, par exemple, la priorité au Prytanée (σίτησις, sitesis) et au théâtre (προεδρία, proedria), l’honneur d’une statue et l’attribution d’une couronne en or, se généralisa aux généraux vainqueurs, dans un esprit de compétition.

Les Étrusques, peuple hellénisé d'Italie centrale, reprirent les coutumes honorifiques grecques en inventant la construction des arcs de triomphe, dont les fonctions ont évolué dans le temps. Les Romains se les approprièrent ensuite en les transformant au fil de l’Histoire. Sous la République, ils créèrent d’abord des rituels, relevant d’initiatives purement personnelles, sur des fonds privés, comme les supplications aux dieux, les funérailles publiques, les combats de gladiateurs ou l’érection de statues, pour honorer la mémoire de personnages importants. Ils inventèrent aussi la cérémonie du triomphe, impulsée par l’imperator (général romain vainqueur), soutenu financièrement ou non par le Sénat. Les arcs de triomphe servaient alors de décor monumental à la pompe triomphale organisée pour le général vainqueur.

Les arcs de triomphe trouvent leur origine dans une coutume militaire relevant de la superstition : on faisait passer les soldats revenus de campagnes militaires sous des arcs considérés comme des « portes magiques » parce que les soldats qui passaient dessous étaient considérés comme lavés de toutes les violences de la guerre qui auraient pu porter préjudice à leurs compatriotes. Ces portes étaient placées à l’entrée de la ville ou du forum. On disposait sur leur attique les images des généraux vainqueurs, qui se trouvaient ainsi élevés au-dessus de l'humanité commune.

Sous l’Empire, à partir d’Auguste, en revanche, les traditions d’autoglorification à travers les monuments disparurent rapidement : le Sénat et le peuple romain avaient un droit de regard plus important sur les cérémonies honorifiques ; on se contentait souvent d’ovatio ou d’ornements triomphaux envers les généraux vainqueurs. En revanche, les arcs de triomphe furent construits en l’honneur des Empereurs victorieux, assimilés à des dieux. L’arc matérialisait la toute-puissance de l’Empire romain et rejaillissait sur l’ensemble du peuple ; c’était à la fois un modèle architectural mais aussi un modèle politique.

Déroulement de la pompe triomphale

 

Le triomphe ne correspond pas à la cérémonie offerte pour n’importe quelle victoire romaine : il s’agit d’un retour symbolique à la vie civile. À défaut de triomphe majeur, un général vainqueur pouvait recevoir une ovatio (ovation) : ce fut le cas de Crassus, vainqueur de la révolte servile de Spartacus.

En théorie, on ne pouvait pas triompher pour une victoire remportée contre d'autres Romains. Ainsi, les triomphes de César sur Pompée à Thapsus (Numidie) en 46 avant J.-C., d’Octave sur Marc-Antoine et Cléopâtre après la bataille d’Actium en 31 avant J.-C., de Vespasien et Titus sur Hérode Agrippa II en Judée en 71 après J.-C, de Constantin Ier sur Maxence à la bataille du pont Milvius, à côté de Rome, en 312 après J.-C marquent surtout la fin de guerres civiles qu'ils avaient remportées plutôt que des triomphes personnels au sens strict.

La cérémonie du triomphe peut avoir lieu longtemps après sa campagne : c’est le cas de celle de Jules César pour la conquête des Gaules, achevée en 51 avant J.-C., et célébrée en 46 avant J.-C.

En théorie, le Sénat ne décide de décerner cet honneur qu’aux généraux (imperatores) qui ont mené un combat en respectant les règles suivantes :

  • L’ennemi doit être étranger (les guerres civiles ne peuvent jamais donner lieu à un triomphe).
  • Le général vainqueur doit avoir détenu l’imperium (comme consul, dictateur ou prêteur).
  • 5000 ennemis doivent avoir été tués au combat au minimum.
  • La guerre doit avoir apporté de nouvelles terres à l’Empire romain.
  • La guerre doit s’achever sur un combat effectif (pas de reddition) et le général en chef (dux) doit ramener son armée à Rome, ce qui signifie que la guerre est finie, l’ennemi vaincu et Rome en sécurité.

En pratique, il n'était pas nécessaire à un empereur d'avoir combattu en personne pour obtenir le triomphe. Par exemple, en treize ans de règne (41-54 après J.-C), sans avoir jamais commandé personnellement une armée, l'empereur Claude obtint le triomphe à plusieurs reprises, pour les victoires remportées par ses généraux. 

À partir de l’Empire, les triomphes ne sont plus décernés qu’aux Empereurs car on considère que c’est sous leurs auspices que les guerres sont conduites, même s’ils ne sont pas sur le terrain.

Lors du triomphe, l’imperator défile dans une tenue qui montre qu’il possède quasiment le statut d’un dieu. Il revêt le costume de Jupiter Capitolin, la toga picta ou palmata, toge pourpre brodée d'or, a le visage peint au minium (de couleur rouge-orangé, celle du rouge-feu de Jupiter), porte un rameau de laurier, symbole de paix, un sceptre en ivoire surmonté d'un aigle et une couronne dorée ou une couronne de lauriers. Il est juché sur un char tiré par quatre chevaux blancs (comme celui de Jupiter). Près de lui se tient un esclave chargé de lui éviter la faute d’ὕϐρις (hybris, prétention des hommes qui peut entraîner une vengeance des dieux) ; pour cela, il lui répète les mots suivants : « Cave ne cadas » (« Prends garde de ne pas tomber ! ») ou « Memento mori » (« Souviens-toi que tu vas mourir ! »).

Le cortège du triomphe est composé d’un défilé de chars contenant le butin de guerre (œuvres d'art, monnaies et armes). Dans l’ordre défilent les Sénateurs en exercice, les animaux prévus pour le sacrifice final, des musiciens, les porteurs du butin de guerre, les chefs ennemis vaincus et leurs familles, et enfin, l’armée du général vainqueur, qui, lui, ferme le défilé.

Le parcours suivi par le cortège est toujours le même :

  • On part du Champ de Mars à l’extérieur du pomerium, la limite sacrée de la ville, où l’on dépose les armes ;
  • On entre ensuite dans Rome par une Porta triumphalis (Porte triomphale) qui n’existe plus aujourd’hui et dont on ne sait pas si c’était un monument permanent ou élevé pour la circonstance ;
  • On traverse alors le Champ de Mars où le général vainqueur abandonne symboliquement son commandement militaire pour le remettre au Sénat et redevenir un simple citoyen ;
  • On traverse le Circus Flaminius situé au Nord du Capitole dans le quartier du Vélabre ; on se débarrasse peut-être au passage des prisonniers condamnés à mort en les laissant dans le Tullianum (ou Prison Mamertine) ;
  • On se dirige vers le Circus Maximus puis on emprunte la Via Triumphalis pour rejoindre la Via Sacra et atteindre le Forum ;
  • On monte enfin la colline du Capitole jusqu’au temple de Jupiter Capitolin, l’un des plus anciens temples de Rome, où le général vainqueur se purifie des souillures liées à la violence de le guerre remportée et où il sacrifie des bœufs à Jupiter Capitolin ;
  • Après la procession, on rejoint les banquets, jeux et autres divertissements offerts par le général triomphant.

Quelques triomphes célèbres

 

On connaît la liste des triomphes célèbres grâce aux tables de pierre publiées sous Auguste en 12 avant J.-C. dans les Fasti triumphales qui répertorient plus de deux-cents triomphes depuis les trois triomphes mythiques de Romulus lors de la fondation de Rome en 753 avant J.-C. jusqu’à celui de Lucius Cornelius Balbus, dernier simple citoyen à avoir été porté au triomphe en 19 avant J.-C.

Un triomphe célèbre est celui de Publius Sulpicius Galba Maximus et Titus Quinctius Flamininus en 194 avant J.-C. après la seconde guerre macédonienne contre Philippe V de Macédoine : on vit défiler pendant trois jours le trésor des Macédoniens, c’est-à-dire ce qui subsistait du trésor pris aux Perses par Alexandre le Grand un siècle et demi plus tôt.

Le triomphe de Marius sur Jugurtha, roi de Numidie, en 105 avant J.-C., auréola Marius de gloire et lui permit d’être réélu consul alors que Jugurtha était enfermé au Tullianum où il mourut de faim quelques jours plus tard.

En 61 avant J.-C. eut lieu le triomphe de Pompée pour honorer ses victoires sur les pirates en Méditerranée en 67 avant J.-C. et sur Mithridate VI, roi du Pont, de 74 à 63 avant J.-C. Mais le Sénat, manquant de confiance envers Pompée, laissa six mois s’écouler avant d’organiser cette cérémonie, ce qui blessa l’orgueil de l’imperator et contribua à renforcer l’alliance entre César et Crassus lors du premier triumvirat en 60 avant J.-C.

Parmi les triomphes historiques, on peut aussi signaler ceux de César de 46 à 45 avant J.-C., pour ses victoires sur les Gaules, l'Afrique, le Pont, l'Égypte et la Palestine. On fit alors organiser des festins somptueux pour les offrir aux habitants de Rome. Dans la pompe triomphale se trouvaient des captifs de choix : la sœur de Cléopâtre, Arsinoé et le chef gaulois vaincu à Alésia, Vercingétorix qui fut exécuté au Tullianum, selon la coutume, avant la fin de la cérémonie.

Ce qu'écrit Suétone : 

 

Ianos arcusque cum quadrigis et insignibus triumphorum per regiones urbis tantos ac tot exstruxit, ut cuidam Graece inscriptum sit : "arkei".

 

[Domitien] fit élever, dans les divers quartiers de Rome, tant de portes et d'arcs de triomphe magnifiques, surmontés de quadriges et de trophées, que sur un de ces monuments on inscrivit en Grec : "C'est assez."

 

Suétone, Domitien, 13

  • Les premiers arcs de triomphe romains ont été élevés en divers endroits : à Pompéi par Lucius Stertinius,proconsul d'Hispanie ultérieure, en 196 avant J.-C. à la fin de son commandement ; à Rome par Scipion l'Africain en 190 avant J.-C. pour célébrer son départ en guerre contre Antiochos, roi des Séleucides ; à Rome encore par Quintus Fabius Maximus Allobrogicus en 121 avant J.-C. pour célébrer sa victoire sur les Allobroges, un peuple gaulois ; il ne nous reste aucun vestige de tous ces arcs de triomphe.
  • Jusqu'à la fin de la République, les Romains utilisaient le terme de fornix pour nommer toutes les constructions en forme de voûte ou d'arc ; sous l'Empire, on lui préférera les mots « arc de triomphe » (arcus triumphalis). Si les mots fornix et arcus ont le même sens, ils n’ont cependant pas la même connotation : l’arcus désigne, en premier lieu, l’« arme de tir » puis, dans un second temps, l’« arche » d’un monument ; le mot fornix, quant à lui, désigne une construction dont les Romains détiennent la paternité : la voûte. Par synecdoque, le mot fornix en viendra à désigner le passage que la voûte enjambait puis le lieu où, souvent, les péripatéticiennes se tenaient, ce qui donnera plusieurs termes dérivés : fornix (= lupanar, maison de débauches) ou fornicatrix (= fornicatrice, prostituée), par exemple.
  • Les arcs de triomphe sont un symbole de l’impérialisme romain, un moyen de propagande politique qui, non seulement, représentait la commémoration des conquêtes romaines mais permettait aussi de diffuser un modèle architectural et politique auprès des provinces conquises.
  • Du fait de leur portée idéologique, les arcs de triomphe peuvent faire l’objet de récupération politique. Ainsi, sur l’arc de Constantin, on a utilisé des remplois de sculptures de l’époque de Trajan, plusieurs panneaux de l’époque de Marc-Aurèle et des médaillons provenant d’un monument d’Hadrien afin d’inscrire Constantin dans la lignée des empereurs bénéfiques pour Rome. En revanche, on peut aussi vouloir effacer de la mémoire certains épisodes historiques. Ainsi, l’arc de Néron, construit en 62 après J.-C. pour commémorer les victoires de Néron sur les Parthes entre 58 et 60 après J.-C., a probablement été démantelé peu après la condamnation à mort et la damnatio memoriae (condamnation de la mémoire) de l’Empereur.
  • Les arcs de triomphe ont connu une grande postérité : l’arc de triomphe de la place de l’Étoile à Paris et la Grande Arche de la Défense en sont des exemples frappants. Le premier a été édifié sur ordre de Napoléon 1er en 1806 après la victoire française d’Austerlitz ; il a donc une fonction nettement patriotique et de nécropole militaire. La seconde, au contraire, a été conçue par Johann Otto von Spreckelsen et Erik Reitzel comme un monument consacré à l’Humanité et aux idéaux humanitaires plutôt qu’aux victoires militaires.

Voir aussi :

Pistes de recherche : 

  • Le développement de l’imperium romanum
  • Les cérémonies romaines
  • Les empereurs romains et les insignes de leur puissance
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