La Mandragore : traduction juxtalinéaire du texte d'Hildegarde de Bingen

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Dossier élaboré par :

Cécile Daude

Paulette Garret

Sylvie Pédroaréna

Brigitte Planty

sous la direction de Sylvie David

Hildegarde de Bingen, Physica : Liber subtilitatum diversarum naturarum créaturarum

     De Plantis : De Mandragora (éd. J.-P. Migne, Patrologia Latina, t. 197, 1882)

 

De Mandragora1
À propos de la mandragore

Mandragora calida est
La mandragore est chaude

et aliquantulum aquosa,
et un petit peu aqueuse,

et de terra illa, de qua Adam creatus est,
et de cette terre de laquelle Adam a été créé,

dilatata est ;
elle a été formée ;

homini aliquantulum assimilatur.
à l’homme elle est un petit peu ressemblante.

Sed tamen herba haec,
Mais pourtant celle-ci (est) une plante,

et propter similitudinem hominis,
et à cause de sa ressemblance avec l’homme,

suggestio diaboli
l’idée d’une nature diabolique

huic plus quam aliis herbis
à celle-ci plus qu’aux autres plantes

adest et insidiatur.
s’attache et suggère le piège.

Unde etiam secundum desideria sua
De là même, pour (la réalisation de) ses désirs,

homo, sive bona, sive mala sint,
     ↓      qu’ils soient bons, qu’ils soient mauvais,

per eam suscitatur,
l’homme par son intermédiaire est poussé (à faire)

sicut etiam olim cum idolis fecit.
comme autrefois aussi il a fait avec les idoles.

 

Cum autem de terra effoditur,
Or, quand elle est arrachée de la terre,

mox in fontem, id est queckbornen*,
aussitôt dans une fontaine,

per diem et per noctem unam ponatur,
pendant un seul jour et pendant une seule nuit qu’elle soit déposée,

et sic omne malum et contrarius humor
et ainsi tout le mal et les humeurs nuisibles

qui in ipsa est
qui sont en elle-même

ejicitur, id est uszgebiszen*,
sont expulsés,

ita quod amplius ad magica et ad fantastica non valet.
si bien que en matière de magie et de fantastique elle n’a plus de valeur. 

Sed cum de terra eradicatur,
Mais lorsqu’elle est déracinée de la terre,

si tunc cum terra sibi adhaerente deponitur,
si alors avec la terre qui y adhère elle est déposée

ita quod in queckborn* non purgatur,
si bien qu’elle n’est pas purifiée dans une fontaine,

ut dictum est,
comme il a été dit,

tunc ad multas inutilitates magicorum et fantasmagorias
alors pour ses nombreuses nuisances en matière de magie et ses pouvoirs hallucinatoires

nociva est,
elle est nocive,

velut etiam multa mala cum idolis aliquando facta sunt.
de même encore que beaucoup de mal avec les idoles autrefois a été fait.

 

Quod si quis vir
Or, si un homme

aut per magica, aut per ardorem corporis sui
ou bien sous l’effet de pratiques magiques, ou bien sous l’effet de l’ardeur de son corps

incontinens est,
est sans maîtrise de lui-même,

accipiat speciem feminae hujus herbae
qu’il prenne la forme féminine de cette plante

quae in praedicto fonte purgata est,
qui dans la fontaine précitée a été purifiée,

et hoc quod in eadem herba,
et ce qui (est) dans la  plante en question,

inter pectus et umbilicum suum
entre sa poitrine et son nombril
per tres dies et per tres noctes

pendant trois jours et pendant trois nuits
ligatum habeat,
qu’il le garde attaché,

et postea eumdem fructum in duas partes dividat,
et ensuite ce même fruit (de la terre), qu’il le divise en deux parties,

atque super utrumque lanckun* [ilium]
et que sur chacune de ses hanches        

partem unam per tres dies et per tres noctes ligatum teneat.
il (en) tienne attachée une seule partie pendant trois jours et pendant trois nuits.

Sed et dextram manum ejusdem imaginis pulverizet,
Mais qu’il réduise en poudre la main droite de cette même silhouette

et huic pulveri modicum gamphora addat,
et qu’à cette poudre il ajoute un peu de camphre,

et eum ita comedat et curabitur.
et qu’il la mange ainsi et il sera guéri.

 

Quod si femina
Et si une femme

eumdem ardorem
la même ardeur

in corpore suo patitur,
en son corps éprouve,

speciem masculi ejusdem imaginis
que la forme masculine de la même silhouette

inter pectus et umbilicum recipiat,
entre sa poitrine et son nombril elle (la) prenne à son tour

et, sicut supra dictum est,
et que, comme il a été dit plus haut,

et ipsa cum ea faciat.
elle-même aussi avec cette forme procède.

Sed et … pulverizet
Mais … qu’elle réduise en poudre

dexteram manum ejus …
… la main droite de cette silhouette …

et modicum de gamphora addat,
et qu’elle ajoute un peu de camphre,

et pulverem istum,
et que cette poudre,

sicut praefatum est,
comme il a été indiqué avant,

comedat,
elle (la) mange,

et ardor ille in ea exstinguitur.
et cette ardeur en elle s’éteint.

 

Sed qui in capite
Mais celui qui dans la tête

qualicunque infirmitate dolet,
souffre d’une faiblesse quelconque,

de capite ejusdem herbae comedat,
qu’il mange (un morceau) de la tête de cette même plante,

quomodocunque velit ;
de la manière qu’il veut ;

aut si in collo suo dolet,
ou bien s’il souffre dans le cou,

de collo illius comedat ;
qu’il mange du cou de celle-ci ;

vel si in dorso, et de dorso illius ;
ou si (c’est) dans le dos, du dos de celle-ci ;

vel si in brachio et de brachio illius,
ou si (c’est) dans le bras, du bras de celui-ci,

vel si in manu et de manu illius,
ou si (c’est) dans la main, de la main de celle-ci,

vel si in genu et de genu illius,
ou si (c’est) dans le genou, du genou de celle-ci,

vel si in pede et de pede illius comedat ;
ou si (c’est) dans le pied, qu’il mange du pied de celle-ci ;

aut in quocunque membro dolet
ou bien dans quelque membre qu’il souffre

et de simili membro ejusdem imaginis manducet,
qu’il mâche du membre similaire de cette même silhouette,

et melius habebit.
et il se portera mieux.

 

Species autem masculi ejusdem imaginis
Pourtant, la forme masculine de la silhouette en question

ad medicamenta plus valet
pour les médicaments est plus valable

quam species mulieris
que la forme féminine

quoniam masculus muliere fortior est.
puisque le masculin est plus fort que le féminin.

 

Et si aliquis homo in natura sua
Et si quelque homme par sa nature

ita dissinnatus est
ainsi s’est signalé

quod semper tristis est
parce qu’il est toujours triste

et quod in aerumpnis est semper,
et qu’il est toujours dans les tourments,

ita quod defectum et dolorem
si bien qu’abattement et douleur

assidue in corde suo habet,
continuellement il garde dans son cœur,

accipiat mandragoram,
qu’il prenne de la mandragore,

cum jam de terra eradicatur,
dès qu’elle est déracinée de la terre,

et in queckborn*, ut praedictum est,
et que dans une fontaine, comme il a été dit avant,

per diem et per noctem ponat,
pendant un jour et pendant une nuit il la mette,

et tunc de fonte ablatum
et une fois retirée de la fontaine

in lectum suum juxta se ponet,
il la mettra dans son lit juste à côté de lui,

ita de sudore suo eadem herba
qu’ainsi de sa propre sueur la plante en question

incalescat et dicat :
se réchauffe et qu’il dise :

« Deus, qui hominem             
« Dieu, toi qui as fait  l’homme  

de limo terrae absque dolore fecisti,
du limon de la terre sans douleur,

nunc terram istam,
maintenant cette terre,

quae nunquam transgressa est,
qui jamais n’a commis de transgression,

juxta me pono,
juste à côté de moi je la mets,

ut etiam terra mea pacem illam sentiat,                                 
pour que aussi la terre dont je suis formé éprouve cette paix

sicut eam creasti.  »
ainsi que tu l’as créée. »

 

Quod si mandragoram non habes,
Et si tu n’as pas de mandragore,

accipe inicium, id est primum erumpentes grossos de fago,
recueille d’un hêtre le début, c’est-à-dire les bourgeons qui éclosent en premier,

quoniam eamdem naturam feliciter in hoc opere habent ;
puisqu’ils ont les mêmes propriétés2 par chance pour cette opération ;

sed ita eos de ramusculis suis abrumpas,
mais de leurs ramilles détache-les de telle manière

ne eos frangas,
que tu ne les brises pas,

sed ut integros de ligno auferas,
mais qu’intacts du bois tu les retires,

et eos in lectum tuum juxta te pone,
et ceux-ci dans ton lit près de toi pose-les,

ut de te incalescant,
pour que de toi ils prennent chaleur,

et ut sudorem de corpore tuo accipiant,
et pour que de ton corps ils recueillent la sueur,

atque eadem verba quae praedicta sunt
et les même paroles qui ont été précitées

super eos dic,
sur eux dis-les,

et laetitiam recipies,
et la joie tu retrouveras,

et in corde tuo medelam senties.
et dans ton cœur l’effet du remède tu sentiras.

Et idem de cedro et aspin*3 facere potes,
Et avec du cèdre et du tremble la même chose tu peux faire,

et te juvabit.
et (cela) te réconfortera.

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Dossier élaboré par :

Cécile Daude

Paulette Garret

Sylvie Pédroaréna

Brigitte Planty

sous la direction de Sylvie David

Notes 

  1. Nous avons adopté pour le texte latin les corrections de l’éditeur. Les mots suivis d’un astérisque sont des mots de vieil allemand qui devaient faciliter la compréhension du texte pour un public local.
  2. Nous avons traduit naturam (singulier) par propriétés (pluriel) : il s’agit en effet de propriétés naturelles, différentes selon la partie de la plante qu’on utilise et l’usage qu’on en fait.
  3. Aspa en ancien haut allemand signifie le tremble (tremulus en latin) ; aspin est probablement une forme dialectale.
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