"Hippocrate à Cratevas", traduction juxtalinéaire Hippocrate : Lettres apocryphes, 16 (éd. et trad. é. Littré, t. IX, 1861)

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Dossier élaboré par :

Cécile Daude

Paulette Garret

Sylvie Pédroaréna

Brigitte Planty

sous la direction de Sylvie David

 

Ἱπποκράτης Κρατεύᾳ χαίρειν.  Hippocrate à Cratevas salut. 1
Ἐπίσταμαί

Je sais

σε ῥιζοτόμον ἄριστον2,

que tu es un rhizotome3 excellent,

ὦ ἑταῖρε

cher collègue,

καὶ διὰ τεὴν ἄσκησιν et à cause de ta pratique
καὶ διὰ προγόνων κλέος, et à cause du renom de tes ancêtres,
ὡς μηδὲν ἀποδεῖν σε de sorte que tu n’es en rien inférieur,
δυνάμει τοῦ προπάτορος Κρατεύα par ton talent, à ton grand-père Cratevas4.
Νῦν οὖν, Maintenant donc,

εἰ καί ποτε ἄλλοτε,

c’est le cas ou jamais5,

βοτανολόγησον ramasse comme plantes,
ὁκόσα τε καὶ ὁκοῖα δύνασαι, autant que tu peux, en quantité et en qualité,
ἀναγκαίη γὰρ ἐπείγει, car la nécessité presse,
καὶ διάπεμψαί μοι ταῦτα,

et envoie-les moi,

ἐπ' ἄνδρα ὅλῃ πόλει ἰσοστάσιον, à l’intention d’un homme d’un poids égal à une cité entière,

Ἀβδηρίτην μὲν,

un Abdéritain certes6
ἀλλὰ Δημόκριτον· mais Démocrite ;
νοσέειν γάρ φασιν αὐτὸν car il est malade, dit-on,
καὶ καθάρσιος μάλα χρῄζειν et il a grand besoin de purgation,
ἐντὸς μανίης ἐόντα.

étant en pleine folie.

Μὴ χρησαίμεθα μέντοι τοῖσι φαρμάκοισιν, Nous ne devrions cependant pas avoir besoin de médicaments,
ὥσπερ καὶ πέπεισμαι·

comme j’en suis bien convaincu ;

ἀλλ' ὅμως mais pourtant,
εὐτρεπίσασθαι χρὴ πανταχόθεν. il faut se tenir prêt à toute éventualité.
Τὸ δὲ χρῆμα τῶν βοτανῶν Ce qui concerne les plantes,
παρὰ σοὶ πολλάκις ἐθαύμασα,

auprès de toi souvent je l’ai admiré,

ὡς καὶ τὴν τῶν ὅλων φύσιν τε καὶ διάταξιν comme aussi la nature et la disposition de l’ensemble (des êtres)

καὶ τὸ ἱερώτατον γῆς ἵδρυμα,

ainsi que l’assise très sacrée que constitue la terre,
ἐξ ἧς

à partir de laquelle

ζῶα καὶ φυτὰ animaux et végétaux,
καὶ τροφαὶ καὶ φάρμακα aliments et médicaments,
καὶ τύχη καὶ ὁ πλοῦτος αὐτὸς (le) sort et la richesse elle-même
ἀναφύεται·

naissent et se développent7 ;

οὐδὲ γὰρ ἂν εἶχεν οἷ ἐπιβῇ ἡ φιλαργυρίη, car (sans elle) la cupidité n’aurait pas où marcher,
οὐδ' ἂν Ἀβδηρῖταί et les Abdéritains non plus
με νῦν δέκα ταλάντοις ἐδελέαζον,

ne m’appâteraient maintenant avec dix talents,

ἀντὶ ἰητροῦ μισθωτὸν ἐλέγχοντες.

me convainquant d’être un hommes à gages au lieu d’un médecin.
Εἴθε δὲ ἠδύνασο, Ah ! si seulement tu pouvais,
Κράτευα,

Cratevas,

τῆς φιλαργυρίης τὴν πικρὴν ῥίζην ἐκκόψαι, arracher la racine amère de la cupidité,
ὡς μηδὲν λείψανον αὐτῆς ἀφεῖναι, de façon à n’en laisser aucun résidu,

εὖ ἴσθι

sache bien
ὡς ἐκαθήραμεν ἂν que nous purgerions
τῶν ἀνθρώπων μετὰ τῶν σωμάτων καὶ τὰς ψυχὰς νοσεούσας. avec les corps des hommes, aussi leurs âmes malades.

Ἀλλὰ ταῦτα μὲν εὐχαὶ,

Mais ce (sont) des souhaits,

σὺ δ' ἡμῖν τὸ παρεὸν mais toi, pour nous, à présent
μάλιστα τὰς ὀρεινὰς καὶ ὑψηλολόφους βοτάνας ῥιζοτόμει·

coupe les racines de plantes surtout de montagnes et de collines élevées ;

στερεώτεραι γὰρ τῶν ὑδρηλοτέρων εἰσὶν elles sont en effet plus vigoureuses que les plantes aqueuses
καὶ δριμύτεραι μᾶλλον et plus efficaces, – bien plus –8
διὰ τὴν τῆς γῆς πυκνότητα à cause de la densité de la terre
καὶ τὴν λεπτότητα τοῦ ἠέρος· et de la légèreté de l’air ;
ὅ τι γὰρ ἕλκουσιν car ce qu’elles (en) tirent
ἐμψυχότερόν ἐστι. est plus vivace.
Πειρήθητι δ' ὅμως Essaie cependant
καὶ τὰς παρὰ λίμναις ἑλείους πεφυκυίας ἀνθολογῆσαι, de cueillir aussi des plantes marécageuses qui ont poussé près des étangs,
καὶ τὰς παραποταμίους et celles (qui ont poussé) près des fleuves
ἢ κρηνίτιδας ou bien celles des sources
ἢ πιδακίτιδας9 παρ' ἡμῖν καλεομένας, ou encore des fontaines appelées (ainsi) chez nous,
ἃς δὴ ἀσθενέας καὶ ἀτόνους καὶ γλυκυχύλους εἶναι πέπεισμαι.

(plantes) qui sont justement sans force, sans tenue et douces de suc, je le sais bien.

Πάντα δὲ ὁκόσα Que tout ce qui (est)
χυλοί τε καὶ ὀποὶ ῥέοντες, sucs et jus coulants,
ἐν ὑαλίνοισιν ἀγγείοισι dans des récipients de verre
φερέσθωσαν10· soit transporté ;
ὁκόσα δ' αὖ tout ce qui inversement (est)
φύλλα ἢ ἄνθεα ἢ ῥίζαι, feuilles, fleurs ou racines,
ἐν κώθωσι καινοῖσι περιεσφηκωμένοισιν, dans des vases de terre neufs bien fermés (soit transporté),
ὅκως μὴ διαῤῥιπιζόμενα τῇσι πνοῇσιν ἐκλίπῃ afin que cela ne perde pas, dispersé par les souffles,
τὸν τόνον τῆς φαρμακείης, l’intensité du médicament,
ὥσπερ λειποψυχήσαντα·

comme s’étant évanoui ;

ἀλλ' εὐθὺς ἡμῖν ταῦτα πέμψον eh bien, fais-nous parvenir aussitôt ces (ingrédients).
Καὶ γὰρ ἡ ὥρη τοῦ ἔτεος ἁρμόδιος, Et en effet, la saison de l’année est appropriée,
καὶ ἡ ἀνάγκη τῆς λεγομένης μανίης ἐπείγει· et la nécessité de ladite folie est pressante ;
τέχνης δὲ πάσης μὲν ἀλλότριον ἀναβολὴ, avec tout art le délai (est) incompatible
ἰητρικῆς δὲ καὶ πάνυ,

mais avec la médecine tout particulièrement,

ἐν ᾗ ψυχῆς κίνδυνος ἡ ὑπέρθεσις· dans laquelle le retard est un danger pour la vie ;
ψυχαὶ δὲ τῶν θεραπειῶν οἱ καιροὶ, les moments opportuns (sont) les âmes des traitements,
ὧν ἡ παραφυλακὴ τὸ τέλος. (moments) dont la prise en compte (est) le sommet.
Ἔλπομαι μὲν οὖν J’espère donc
ὑγιέα εἶναι τὸν Δημόκριτον que Démocrite est sain11,
καὶ δίχα ἰήσιος· même sans remède ;
εἰ δ' ἄρα12 τι σφάλμα φύσιος ἢ καιροῦ mais si quelque défaut (dû à) la nature ou à une circonstance
ἢ ἄλλη τις αἰτίη ou quelque autre cause
γένοιτο, apparaissait,
πολλὰ γὰρ ἡμέας θνητοὺς ἐόντας λάθοι, – car beaucoup de choses à nous étant mortels (nous) échappent,
ἅτε μὴ πάγχυ δι' ἀτρεκίης εὐτονέοντας, en tant que n’ayant pas tout à fait la maîtrise dans le domaine de la vérité –,
ἐπὶ τὸ ἄδηλον pour ce qui est inconnu
πᾶσαν χρεὼν δύναμιν ἠθροῖσθαι. il faut que toutes sortes de ressources soient rassemblées.
Οὐ γὰρ ἀρκέεται ὁ κινδυνεύων Car celui qui est en danger ne se contente pas
οἷς δυνάμεθα, de ce que nous pouvons,
ἀλλ' ἐπιθυμεῖ mais il désire
καὶ ἃ μὴ δυνάμεθα·

même ce que nous ne pouvons pas ;

καὶ σχεδὸν ἀεὶ et presque toujours

πρὸς δύο στρατευόμεθα τέλεα,

nous nous battons pour deux fins,
τὸ μὲν ἀνθρώπου, celle qui concerne l’homme
τὸ δὲ τέχνης, et celle qui concerne l’art,
ὧν τὸ μὲν ἄδηλον, dont l’une (est) inconnue,
τὸ δὲ τῆς ἐπιστήμης ὥρισται. et l’autre est bornée par la frontière du savoir.
Δεῖ δὲ ἐν ἀμφοτέροισι τουτέοισι καὶ τύχης· Il faut de ces deux côtés-là aussi de la chance ;
τὸ γὰρ ἀτέκμαρτον ἐν τῇσι καθάρσεσι car ce qu’on ne peut pas repérer dans les purgations,
δι' εὐλαβείης ἰατέον· on doit (le) soigner avec précaution ;
καὶ γὰρ καὶ στομάχου κάκωσιν ὑφορώμεθα, et en effet, nous craignons en plus une détérioration de l’estomac,
καὶ ξυμμετρίην φαρμακείης et le juste dosage de médicament
πρὸς ἀγνοουμένην φύσιν adapté à une nature qui n’est pas connue,
στοχαζόμεθα· nous visons à (le) déterminer ;
οὐ γὰρ ἡ αὐτὴ καὶ μία φύσις ἁπάντων, car la nature de toutes les choses n’(est) ni la même ni unique :
ἕτερον δ' αἰεὶ πρὸς ἑωυτὴν ὁρίζουσα οἰκειοῖ, toujours elle assimile un autre (élément) tout en fixant des bornes,
ἐνίοτε δὲ τὸ πᾶν ἀπώλεσεν. et parfois elle ruine le tout.
Καὶ ταῖσι βοτάναισι Même sur les herbes
πολλὰ τῶν ἑρπετῶν ἐνιοβόλησε, beaucoup de reptiles jettent leur venin,
καὶ περιχανόντα et ouvrant grand la gueule
τῇ ἐντὸς αὔρῃ par leur air intérieur
κάκωσιν ἀντ' ἀλεξήσιος αὐτῇσι προσέπνευσεν, ils soufflent sur elles le mal à la place du remède,
καὶ τούτου ἄγνοια ἔσται, et il y aura ignorance de cela,
εἰ μή τις ἄρα κηλὶς ἢ σπίλος ἢ ὀδμὴ θηριώδης καὶ ἀπηνὴς à moins donc que quelque souillure ou tache ou odeur de bête sauvage et altérée
τοῦ γενομένου ξύμβολον φανείη· n’apparaisse comme le signe de ce qui s’est passé ;
εἶθ' ἡ τέχνη ensuite l’art

διὰ τὸ ξύμπτωμα τῆς τύχης

à cause de la malveillance du sort
τῆς κατορθώσιος ἀφήμαρτε. manque le succès.
Βεβαιότεραι δ' αἰεὶ αἱ δι' ἐλλεβόρων διὰ τοῦτο καθάρσιές εἰσιν, Toujours plus sûres sont pour cette raison les purgations par les ellébores,
αἷς καὶ Μελάμπους ἐπὶ τῶν Προίτου θυγατέρων dont et Mélampous pour les filles de Prœtos
καὶ Ἀντικυρεὺς ἐφ' Ἡρακλέους et Anticyrée pour Héraclès,
ἱστορέονται κεχρῆσθαι. raconte-t-on, se servirent.
Μὴ χρησαίμεθα δὲ ἡμεῖς Puissions-nous ne pas nous servir, nous,

ἐπὶ Δημοκρίτεω μηδενὶ τουτέων,

pour Démocrite de rien de cela,
ἀλλὰ γένοιτο ἐκείνῳ τῶν δραστικωτάτων καὶ ἰητρικωτάτων φαρμάκων σοφίη τέλος. mais puisse pour lui la sagesse être le terme des médicaments les plus efficaces et les plus aptes à guérir.
Ἔρρωσο. Continue de bien te porter.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

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Sylvie Pédroaréna

Brigitte Planty

sous la direction de Sylvie David

Notes

  1. Formule de salut dans laquelle l’infinitif a une valeur de but. La formule est passée en grec moderne à l’oral pour saluer quand on arrive ou quand on part, le même verbe étant employé cette fois à l’impératif : χαίρε – χαίρετε.
  2. ὄντα est sous-entendu.
  3. Rhizotome : littéralement « coupeur de racines ». Le terme désigne ici celui qui cueille des plantes pour leurs vertus thérapeutiques et non pas pour leurs pouvoirs maléfiques (passage du domaine de la magie à celui de la science expérimentale).
  4. La tradition veut que souvent, même de nos jours, le petit-fils porte le nom de son grand-père.

  5. Formule toute faite qui signifie littéralement  : « si une fois ou une autre fois (tu l’as fait)».

  6. Les Abdéritains passaient pour des hommes un peu simples : on trouve déjà chez Démosthène une allusion à cette réputation (Sur le traité avec Alexandre, 23). Lucien raconte comment un mal étrange s’empara des Abdéritains, celui de débiter des vers de tragédies à longueur de journée, après qu’ils eurent assisté en plein été à la représentation de l’Andromède d’Euripide, où le rôle principal était tenu par un acteur renommé (Comment il faut écrire l’histoire, 1).

  7. Le verbe composé ἀναφύομαι comprend la double notion de naissance et de développement.

  8. μᾶλλον porte sur les deux comparatifs qu’il renforce.

  9. πῖδαξ est un synonyme de κρήνη, « fontaine » ou « source ».

  10. À partir du IVe s. av. J.-C. la désinence –σθων de l’impératif présent moyen-passif a été remplacée par –σθωσαν.  

  11. L’adjectif ὑγιής comporte un double sens : se bien porter physiquement et être sain d’esprit. Le verbe ἔλπομαι peut signifier « espérer » ou « s’attendre à » (voir Introduction, § 8 « Le véritable auteur de la lettre »).

  12. Le mot ἄρα a la valeur d’une simple transition qu’il n’est pas nécessaire de traduire en français.

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