Hercule et les trois pommes d'or. Épisode 1 : Un héros très fier de lui Les aventures d’Hercule racontées par Nathaniel Hawthorne et lues par Emma Karanov.

Nathaniel Hawthorne,
Le Livre des merveilles, contes pour les enfants tirés de la mythologie, volume 1,
traduit de l'anglais par Léonce Rabillon (1858), histoire 4, « Les trois pommes d’or »

Nathaniel Hawthorne (1804 - 1864) est un célèbre écrivain américain, auteur de nouvelles et de romans. En 1851, il publie A Wonder-Book for Girls and Boys (« Un livre-merveille pour filles et garçons ») : une collection de six courtes histoires inspirées de grands mythes grecs. Un nouveau livre, paru en 1853 sous le titre Tanglewood Tales for Boys and Girls, another wonder-book, comporte six nouveaux récits mythologiques. L’ensemble est traduit en français sous le titre de "premier" et "second" Livres des Merveilles.

Avez-vous jamais entendu parler des pommes d’or qui poussaient dans le jardin des Hespérides ? Ah ! ce sont des pommes qui se vendraient bien cher le boisseau, si l’on pouvait en trouver aujourd’hui de pareilles dans nos vergers. Mais il n’existe pas, sur la terre entière, un seul arbre où l’on puisse prendre une seule greffe de ce fruit merveilleux, et l’on ne pourrait se procurer un seul pépin de ces précieuses pommes.
Même à une époque qui est déjà bien ancienne, avant que le jardin des Hespérides soit envahi par les ronces, beaucoup de gens doutaient qu’il ait pu exister de vrais arbres aux branches desquels aient été attachés des fruits d’or. Tout le monde le savait par ouï-dire, mais personne n’avait souvenance d’en avoir jamais vu. Les enfants, néanmoins, étaient habitués à écouter, bouche béante, les récits qu’on faisait de ce pommier extraordinaire et prenaient la résolution d’aller à sa découverte aussitôt qu’ils seraient grands. Maints jeunes gens aventureux, désirant faire une action d’éclat qui les rende célèbres, se mirent en route, à la recherche de la merveille ; mais on ne les revit jamais... et aucun d’eux ne rapporta une seule de ces pommes d’or. Il ne faut pas s’en étonner : on dit que l’arbre était gardé par un dragon à cent têtes, dont cinquante étaient toujours au guet, pendant que les autres sommeillaient.

 

Selon moi, une pomme d’or ne valait pas la peine qu’on affronte de si grands dangers. Si ces pommes avaient été douces, tendres, savoureuses, cela aurait été une autre affaire. Il y aurait eu quelque bon sens à en tenter la conquête, malgré le dragon à cent têtes.
Comme je vous l’ai déjà fait remarquer, il n’était pas rare de voir des jeunes gens, qui s’ennuyaient chez eux de trop de calme et de repos, aller à la découverte du jardin des Hespérides. Une fois, l’aventure fut entreprise par un héros qui n’avait jamais eu de tranquillité depuis le jour de sa naissance. À l’époque dont nous parlons, il errait en Italie avec une énorme massue à la main, un arc et un carquois sur les épaules. Il était revêtu d’une peau de lion (le lion le plus gros et le plus féroce qui ait jamais existé et qu’il avait tué lui-même). Malgré son air doux et bienveillant, il avait dans son cœur une fierté et une force surnaturelles. En parcourant sa route, il s’enquérait continuellement de la situation du fameux jardin. Nul ne pouvait lui donner de renseignements et bien des personnes auraient été assez disposées à rire d’une telle question si l’étranger n’avait pas eu un aussi gros bâton, c’est-à-dire une massue.
Il avançait toujours en cherchant à s’informer du chemin qu’il fallait suivre quand il arriva sur le bord d’une rivière où étaient assises de belles jeunes filles occupées à tresser des couronnes de fleurs. Il leur adressa la parole en ces termes :

 

- Pouvez-vous m’indiquer, s’il vous plaît, le chemin qui conduit au jardin des Hespérides ?
Ces jeunes filles avaient déjà passé un certain temps à faire des guirlandes, dont elles se décoraient mutuellement la tête. Il y avait dans leurs doigts une sorte de délicatesse magique qui ajoutait aux fleurs une fraîcheur délicieuse, des nuances plus brillantes et des parfums plus pénétrants. Mais, à la question du voyageur, elles laissèrent tomber toutes leurs fleurs sur le gazon et le contemplèrent avec étonnement.
- Le jardin des Hespérides ! s’écria l’une d’elles. Nous croyions que les mortels s’étaient lassés de le chercher, après avoir éprouvé tant de désappointements à cet égard. Mais, aventureux voyageur, dans quel but veux-tu y aller ?
- Un certain roi, mon cousin, m’a donné l’ordre de lui procurer trois pommes d’or.
- La plupart de ceux qui vont à la recherche de ces pommes, dit une autre beauté, désirent les obtenir pour eux-mêmes ou pour les offrir en présent à la personne qu’ils aiment. Avez-vous donc pour ce roi, votre cousin, une affection si vive ?
- Hélas ! répondit-il avec un soupir, il a souvent été sévère et cruel envers moi ; mais il est dans ma destinée de lui obéir.
- Et savez-vous, demanda celle qui avait parlé la première, qu’un terrible dragon à cent têtes monte continuellement la garde sous le pommier aux fruits d’or ?
- Oui, je le sais, répliqua-t-il avec calme. Mais, depuis mon enfance, j’ai eu continuellement affaire aux serpents et aux dragons.

 

Les jeunes filles jetèrent un regard sur la peau de lion qui l’enveloppait, sur son visage et sur ses membres, tout empreints d’héroïsme ; puis elles se dirent tout bas que l’étranger paraissait bien capable d’accomplir des exploits beaucoup plus éclatants que le reste des humains. Oui, certes, mais le dragon aux cent têtes ! Quel mortel, aurait-il cent existences, serait assez fort pour échapper aux terribles étreintes d’un pareil monstre ? Elles avaient le cœur si tendre qu’elles frémissaient à l’idée de voir ce beau jeune homme si généreux s’exposer à de tels dangers et se dévouer au supplice certain de servir de pâture aux cent gueules voraces du dragon.
- Retourne sur tes pas, s’écrièrent-elles. Retourne dans ta patrie ! Si tu reviens sain et sauf, ta mère versera des larmes de joie. En ferait-elle davantage après un si grand triomphe ? Qu’importent les pommes d’or ? Qu’importe ce roi, ton cruel cousin ? Nous, nous ne voulons pas que vous soyez dévoré par le dragon aux cent têtes !
Mais il semblait écouter avec impatience leurs bienveillants avis. Il leva, sans y faire attention, sa puissante massue et la laissa retomber à ses pieds sur un rocher à demi enseveli dans la terre. Ébranlé par ce coup donné avec insouciance, le rocher fut réduit en poussière. Il n’en coûta pas à l’étranger plus d’effort pour exécuter cet acte de géant qu’il n’en fallait à l’une des jeunes filles pour effleurer d’une rose le satin des joues de sa compagne.
- Ne pensez-vous pas, dit-il, qu’un tel choc aurait écrasé l’une des cent têtes du dragon ?
Puis il s’assit sur le gazon et leur raconta l’histoire de sa vie, depuis le jour où il s’était vu bercer dans le bouclier d’airain d’un guerrier. Un matin qu’il y reposait, deux immenses serpents se glissèrent à ses côtés et ouvrirent leurs hideuses mâchoires pour l’avaler. Lui, nourrisson de quelques mois, avait pressé les reptiles chacun dans une de ses petites mains et les avait étranglés tous les deux. À peine adolescent, il avait tué un lion presque aussi gros que celui dont il portait la peau. Il avait ensuite livré bataille à un horrible monstre nommé l’hydre de Lerne, qui avait au moins neuf têtes, avec autant de gueules toutes remplies de dents excessivement aiguës.

 

- Mais le dragon des Hespérides a cent têtes, s’écria l’une des jeunes filles.
- Peu m’importe, répliqua le héros ; j’aimerais autant combattre deux de ces dragons qu’une seule hydre : car, malgré ma promptitude, aussitôt que j’avais coupé l’une de ses neuf têtes, elle était remplacée par deux autres. En outre, il y en avait une à laquelle on ne pouvait parvenir à donner la mort et qui continuait à mordre avec le même acharnement, longtemps après avoir été tranchée. Aussi ai-je été forcé de l’enterrer sous une pierre, où elle est encore en vie à l’heure où nous parlons. Quant à l’hydre elle-même et à ses huit autres têtes, elles ne feront plus jamais aucun mal.
Le cercle gracieux qui l’écoutait, sentant que l’histoire devait probablement se prolonger, avait préparé une collation de pain et de grappes de raisin, afin que le narrateur puisse se rafraîchir dans les intervalles de ses récits. Les jeunes filles prenaient plaisir à lui servir ce simple repas ; de temps en temps, l’une d’elles portait à ses lèvres de pourpre une grappe parfumée de peur qu’il n’ait honte de manger tout seul.
Le hardi voyageur poursuivit, en leur disant qu’il avait chassé un cerf d’une légèreté extraordinaire, pendant toute une année, sans s’arrêter un instant ; qu’enfin, l’ayant saisi par les cornes, il avait pu le prendre vivant. Plus tard, après une série de combats livrés à un peuple d’une race très ancienne, moitié hommes et moitié chevaux, il avait réussi à l’exterminer tout entière ; poussé, en cette circonstance, par le sentiment d’un devoir à remplir, il avait voulu délivrer le monde de cette misérable espèce ; il finit par se vanter avec orgueil d’avoir balayé une écurie.
- Est-ce là une action bien glorieuse ? interrompit l’une des jeunes filles en laissant percer un sourire. Le moindre paysan en fait autant chaque jour dans nos campagnes.
- Si c’était un travail ordinaire, répliqua-t-il, je n’en aurais pas parlé. Mais c’était une tâche si gigantesque que j’y aurais passé mon existence tout entière, sans l’idée qui m’est alors venue de détourner le cours d’une rivière et de l’obliger à traverser l’écurie, ce qui termina l’affaire en un clin d’œil.

 

S’apercevant de l’intérêt qu’il venait d’exciter, il raconta encore comment il avait tué, à coups de flèches, de monstrueux oiseaux ; comment il avait abattu puis rendu à la liberté un taureau sauvage, dompté un grand nombre de chevaux pris dans les bois et vaincu Hippolytè, la reine guerrière des Amazones. Il ajouta qu’il avait enlevé à cette princesse sa ceinture enchantée pour l’offrir en présent à la fille du roi, son cousin.
- Était-ce la ceinture de la déesse Vénus, demanda la plus jolie du groupe, cette ceinture qui donne la beauté à celle qui la possède ?
- Non, répondit-il. Elle avait autrefois servi de ceinturon à Mars, le dieu de la guerre, et elle ne peut inspirer que du courage et de l’intrépidité à celui qui la porte.
- Un vieux ceinturon ! s’écria la dédaigneuse en secouant la tête. Je ne tiendrais pas à le posséder.
- Tu as raison, dit l’inconnu.

 

Tout en continuant ses récits, il parla d’une aventure des plus surprenantes, qui lui était arrivée dans sa lutte corps à corps avec Géryon, l’homme aux six jambes, qui était un monstre effrayant et bizarre. Quiconque aurait suivi la trace de ses pas imprimés dans le sable ou dans la neige aurait pu supposer que c’étaient les pas de trois compagnons de voyage. Au bruit de son approche, il aurait paru naturel d’affirmer que c’étaient plusieurs personnes marchant ensemble. Mais c’était tout simplement Géryon, l’homme aux six jambes, qui cheminait tout seul.
Six jambes et un corps gigantesque ! Eh bien ! quel monstre étrange cela devait être, et surtout quelle consommation de chaussures !
L’étranger avait terminé l’énumération de ses exploits : il regarda son auditoire attentif.
- Peut-être avez-vous quelquefois entendu parler de moi ? ajouta-t-il avec modestie. Je m’appelle Hercule !
- Nous l’avions deviné, s’écria d’une seule voix l’élégante assemblée, car votre réputation est répandue dans le monde entier. Nous ne nous étonnons plus maintenant que tu entreprennes d’aller à la recherche du jardin des Hespérides. Venez, mes sœurs, et déposons nos couronnes sur la tête du héros.

Nathaniel Hawthorne,
Le Livre des merveilles, contes pour les enfants tirés de la mythologie, volume 1,
traduit de l'anglais par Léonce Rabillon (1858), histoire 4, « Les trois pommes d’or »

Nathaniel Hawthorne (1804 - 1864) est un célèbre écrivain américain, auteur de nouvelles et de romans. En 1851, il publie A Wonder-Book for Girls and Boys (« Un livre-merveille pour filles et garçons ») : une collection de six courtes histoires inspirées de grands mythes grecs. Un nouveau livre, paru en 1853 sous le titre Tanglewood Tales for Boys and Girls, another wonder-book, comporte six nouveaux récits mythologiques. L’ensemble est traduit en français sous le titre de "premier" et "second" Livres des Merveilles.

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