Deucalion, Pyrrha et le déluge D'après H.S. Brès, Mes beaux contes mythologiques, 1921

Voici l’histoire que d’âge en âge se racontaient autrefois les vieilles corneilles croassantes qui se vantaient d’avoir vu naître tous les peuples...

Les douleurs sorties de la boîte de Pandore rendirent les hommes malheureux, sans les rendre meilleurs. Cependant, Zeus ne voulut pas les punir avant d’avoir été témoin de leur méchanceté. Il descendit donc sur la terre sous l’apparence d’un vieux mendiant couvert d’un long manteau fort rapiécé, et il semblait marcher péniblement. Arrivé dans une verte prairie où les 50 fils du roi Lycaon faisaient paître les bœufs et les brebis de leur père, il attendit que, parmi ces jeunes gens, l’un au moins s’avançât et lui prit la main en disant : — « Viens, pauvre homme, viens t’asseoir à notre table pour y recevoir une nourriture égale à celle des autres convives ; et, quand tu seras rassasié, tu dormiras sur les douces toisons de nos brebis, car les hommes misérables sont des hôtes envoyés par Zeus». Mais nul ne vint au-devant du vieillard; au contraire, plusieurs bergers lancèrent contre lui leurs chiens qu’il dut éloigner de son bâton. Alors Zeus voulant éprouver le roi lui-même, continua sa route et, entra reprenant sa forme divine.

Quelques habitants le reconnurent, mais aucun ne lui rendit hommage. Quand il arriva au palais, il dit au roi : « Je suis très fatigué, et je ne te demande aucun festin ; fais-moi simplement conduire dans la chambre des étrangers, afin que j’y dorme jusqu’au matin ». Le roi, qui avait l’âme dure, reçut son hôte sans égards ; il n’ordonna ni de le baigner, ni de le frotter d’huile, ni de le couvrir d’un chaud manteau; il ne lui offritcpas même une gorgée d’eau sucrée de miel. Dédaigneusement, il commanda d’étendre quelques vulgaires toisons sous le portique et y fit conduire le dieu par un serviteur de mauvaise mine. Puis, sortant de son palais, il alla vers ses amis et leur dit : « Venez voir ce voyageur qui ressemble, dit-on, à Zeus ; peu m’importe, d’ailleurs; il m’a jeté des regards sévères et je veux le tuer de ma main ». Alors Lycaon, armé d’une hache à deux tranchants, revint vers son hôte ; mais le dieu ne dormait pas et, se dressant sur sa couche, il regarda fixement le roi... Celui-ci laissa s’échapper la hache et, changé tout à coup en loup féroce qui déchire les hommes et les troupeaux, il s’enfuit avec des hurlements furieux. En même temps Zeus disparut.

Zeus et Lycaon

Zeus et Lycaon, Jan Cossiers, 1600-1671
© Wikimedia Commons 

Soudain les nuages s’amoncellent et des torrents de pluie inondent la terre : c’est le Déluge ! La mer se soulève; les fleuves débordent en mugissant, entraînent dans leurs flots sombres plantes, arbres, troupeaux, hommes et maisons, tandis que les oiseaux aux vastes ailes, comme les aigles et les corneilles, s’envolent toujours plus haut. Nul ne peut se sauver, pas même les gens de la côte, qui possèdent des navires solides où ils montent précipitamment : les vagues brisent et engloutissent leurs bateaux.

Cependant, en Grèce, il y avait en ce temps-là un homme et sa femme qui étaient justes et pieux, Deucalion et Pyrrha. Hâtivement ils lièrent quelques troncs d’arbres pour faire un radeau où ils s’embarquèrent; l’eau qui montait les entraîna doucement vers le Parnasse, seule montagne du pays que le déluge n’eût pas entièrement couverte. Quand leur radeau s’arrêta au sommet de la montagne, tous les autres habitants avaient péri. Aussitôt Zeus fit cesser la pluie; la mer se retira et les fleuves rentrèrent dans leur lit. Deucalion et Pyrrha quittèrent leur radeau et, regardant vers la plaine dévastée, ils pleurèrent d’angoisse en pensant : « Comment pourrons- nous vivre seuls, sans aucun secours? Nous sommes déjà vieux et affaiblis. » Alors ils entendirent une voix qui disait : « Ne pleurez pas les hommes qui sont morts, car ils étaient méchants; il en naîtra d’autres si, ayant voilé votre tête de votre manteau, vous marchez en avant et jetez derrière vous les ossements de votre mère. » La mère des peuples, c’est la Terre; et les pierres sont ses os. C’est pourquoi les deux époux se mirent en marche, ramassant sans cesse et jetant derrière eux des pierres grosses et petites. Quand le soir tomba, ils se retournèrent pour voir ce qu’ils avaient fait. Or, dans toute la plaine, s’élevaient des hommes nés des cailloux jetés par Deucalion, et des femmes formées par ceux qu’avait lancés Pyrrha. Ainsi la terre fut repeuplée, et Deucalion et Pyrrha rendirent grâce à Zeus tout-puissant.

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