Décadence et mythe de l'âge d'or - Virgile, Bucoliques, IV, 3, v. 4-30 Interrogations politiques

 

Texte à traduire – Vers un retour de l'âge d'or ?

Dans sa quatrième Bucolique, écrite en 40 av. J.-C., Virgile annonce le retour de l’âge d’or, qui coïncidera avec la naissance d'un enfant divin. Cet enfant n’est pas nommé, et son identité a donné lieu à diverses hypothèses. Peut-être s’agit-il de l’un des deux fils d’Asinius Pollion, ami d'Auguste et consul en 40 av. J.-C., à qui le poème de Virgile est d’ailleurs dédié. En effet, Pollion est, avec Mécène, à l'origine de la paix de Brindes, qui, par l'accord passé entre Octave (futur empereur Auguste) et Antoine, laissait espérer la fin des guerres civiles

 

Ultima Cumaei venit jam carminis aetas ;
magnus ab integro saeclorum nascitur ordo.
Jam redit et Virgo, redeunt Saturnia regna,
jam nova progenies caelo demittitur alto.
Tu modo nascenti puero, quo ferrea primum
desinet ac toto surget gens aurea mundo,
casta, fave, Lucina ; tuus jam regnat Apollo.

Teque adeo decus hoc aevi, te consule, inibit,
Pollio, et incipient magni procedere menses
te duce. Siqua manent sceleris vestigia nostri,
irrita, perpetua solvent formidine terras.
Ille deum vitam accipiet, divisque videbit
permixtos heroas et ipse videbitur illis
pacatumque reget patriis virtutibus orbem.
At tibi prima, puer, nullo munuscula cultu
errantis hederas passim cum baccare tellus
mixtaque ridenti colocasia fundet acantho.
Ipsae lacte domum referent distenta capellae
ubera, nec magnos metuent armenta leones ;
ipsa tibi blandos fundent cunabula flores.
Occidet et serpens, et fallax herba veneni
occidet ; Assyrium vulgo nascetur amomum.
At simul heroum laudes et facta parentis
jam legere et quae sit poteris cognoscere virtus,
molli paulatim flavescet campus arista,
incultisque rubens pendebit sentibus uva,
et durae quercus sudabunt roscida mella.

Publius Vergilius Maro, Bucolica, IV, v. 4-30.

 

Voici venu ce dernier âge prédit par la sibylle de Cumes ; la grande série des siècles recommence : déjà revient la Vierge, et avec elle le règne de Saturne. Voici que du haut du ciel descend une génération nouvelle. 

Cet enfant dont la naissance verra disparaître la race de fer et  se lever la race d'or dans le monde entier, daigne, chaste Lucine, le protéger ! Voici le  règne d'Apollon, ton frère. Ton consulat, Pollion, verra naître cette ère glorieuse, et la Grande Année commencer son cours, sous tes lois. Et  les dernières traces de nos crimes, s'il en reste encore, pour toujours effacées, affranchiront la terre d'une éternelle terreur. Cet enfant vivra parmi les dieux ; il verra les héros mêlés aux divinités; ils le verront lui-même parmi elles. Il gouvernera l'univers pacifié par les vertus de son père.

Cependant, divin enfant, la terre féconde sans culture, comme premiers cadeaux, te prodiguera le lierre rampant avec le baccar, et les colocasies mariées à la gracieuse acanthe. D'elles-mêmes, les chèvres rapporteront à l'étable leurs mamelles gonflées de lait ; les troupeaux ne craindront plus les lions terribles ; ton berceau, de lui-même, se couvrira de fleurs  agréables. Désormais, périra le  serpent dangereux, et la plante au venin perfide ; en tous lieux poussera l'amome d'Assyrie.

Mais dès que tu pourras lire les exploits des héros et les hauts faits de ton père, et sentir ce qu’est la valeur, les champs se couvriont  peu à peu de moissons blondissantes, la grappe rougira, suspendue aux ronces sauvages, et  le bois dur du chêne distillera une rosée de miel.

 

 

Exemple d’introduction :

  • Présentation de l'auteur, du contexte et de l’œuvre
  • Situation de l'extrait et résumé ; mise en perspective par rapport au thème du chapitre (« décadence et mythe de l'âge d'or ») 
  • Annonce du plan qui sera suivi dans le développement

Virgile est l'un des plus célèbres poètes latins de la seconde moitié du Ier siècle avant J.-C., auteur de trois œuvres majeures : les Bucoliques, les Géorgiques et l'Énéide. Dans les Bucoliques, il s'inspire de la poésie pastorale grecque, qui mettait en scène des bergers évoluant dans un décor campagnard stylisé, en y introduisant des thèmes issus de la réalité contemporaine. La IVe églogue, composée aux alentours de 40 avant J.-C., est ainsi le reflet du contexte politique de l'époque : Virgile y annonce la naissance prochaine d'un enfant qui inaugurera, avec la fin des conflits, un nouvel âge d'or. Or c'est en – 40 que fut signée entre Octave et Marc Antoine la paix de Brindes, qui, par le partage de l'empire romain entre les deux rivaux, laissait espérer la fin des guerres civiles ; le poème est d'ailleurs dédié à un homme politique de l'entourage d'Octave, Pollion, qui fut à l'origine de cette paix. Le texte se présente, au premier abord, comme une prophétie annonçant le retour de l’âge d’or ; mais derrière les références au mythe, on voit apparaître la portée morale et politique du poème.

 

Exemple de développement :

I. Une prophétie :

Le poème se présente, tout d’abord, comme une prophétie annonçant le retour de l’âge d’or : il en possède toutes les caractéristiques, à la fois formelles et thématiques.

1) Caractéristiques stylistiques de la prophétie :

a) Le texte se présente sous la forme d'affirmations énoncées par le poète

Il n’emploie pas la 1ère personne mais révèle sa présence par l’utilisation de la 2e personne : il s’adresse successivement

- à la déesse Lucine (au v. 7 : emploi du mode impératif avec fave, de l’apostrophe avec le vocatif Lucina, puis de l’adjectif possessif de 2e personne tuus : tuus Apollo),

- au dédicataire de la Bucolique, à savoir le consul Pollion (v. 8 : ablatif absolu te consule ; v. 9 : vocatif Pollio ; v. 10 : ablatif absolu te duce),

- et à l’enfant (v. 15 : pronom personnel de 2e personne tibi et vocatif puer ; v. 24 : emploi de la 2e personne dans le verbe poteris).

Le poète prend la parole, à la manière d’un prophète investi d’une mission auprès de l’humanité tout entière ; il se présente comme un être détenteur de connaissances cachées et capable de s’adresser à la fois aux hommes de son temps (Pollion notamment), aux êtres qui ne sont pas encore nés (l’enfant) et aux divinités (Lucine).

b) Le poète annonce la venue certaine d'un changement, d'un renouveau

La certitude de ses affirmations est soulignée par divers procédés grammaticaux ou stylistiques :

- le champ lexical de la naissance, du renouveau (venit, v. 1 ; ab integro, nascitur, v. 2 ; redit, redeunt, v. 3 ; nova, v. 4 ; le participe présent nascenti, « en train de naître », v. 5 ; inibit, « débutera », v. 8 ; incipient, « commenceront », v. 9) ;

- la répétition et l’anaphore de jam dans les v. 1 à 4 : « désormais », « déjà » (cet adverbe ancre ce changement dans le temps présent : le renouveau est déjà en marche) ;

- l’utilisation de verbes à différents temps de l'indicatif (mode du fait réel, certain, assuré) : venit (parfait du v. 1 : « il est venu », action achevée > = « il est là »), redit, redeunt (présents de l’indic., v. 3), demittitur (présent de l’indic., voix passive, v. 4), regnat (présent de l’indic., v. 7), et la série des verbes au futur des v. 6 à 27 : desinet, surget, inibit, incipient, solvent, etc. (le futur marque la certitude d’un fait devant se produire dans l’avenir) ;

- la datation précise du début de cette nouvelle ère : Virgile annonce explicitement la date qui marquera le début du nouvel âge d’or, à savoir le consulat de Pollion (les ablatifs absolus te consule, v. 8-9, et te duce, v. 10, peuvent être traduits par des compléments circonstanciels de temps).

2) Contenu de la prophétie :

Le contenu de la prophétie s’appuie sur certaines croyances antiques et sur les caractéristiques habituelles du mythe des âges.

a) Virgile fait référence à plusieurs signes annonciateurs d’un nouvel âge d’or, ainsi qu’à la conception cyclique du temps qui conditionne la croyance au mythe des âges :

- la référence au carmen Cumaeum (v. 1) : cette périphrase (littéralement « la prédiction de Cumes ») désigne les oracles (ou prophéties) attribués à la Sibylle de Cumes, prêtresse du temple d’Apollon situé dans la ville de Cumes, près de Naples). Les textes considérés comme étant des oracles émanant de la Sibylle de Cumes étaient conservés à Rome dans des livres appelés « livres sibyllins », que les Romains consultaient parfois avant de prendre une décision politique importante, ou pour apprendre comment apaiser la colère divine dans le cas de famines ou de tremblements de terre par exemple.

- la référence au recommencement d'une série de siècles (magnus saeclorum… ordo, v. 2) : cet « ordre des âges » (saeculum possède ici le sens d’ « âge ») fait référence à une conception cyclique du temps, au retour périodique des différents âges de l’humanité.

- la référence à des faits à la fois astrologiques et mythologiques annonciateurs du retour de l’âge d’or :

* le retour de la constellation de la Vierge (Virgo, v. 3 : Virgo est l’autre nom de la déesse Justice, annonciatrice d'une ère de paix : d’après la mythologie, elle est en effet la dernière divinité à avoir quitté la terre au moment de l’apparition de l’âge de fer, et aurait été alors transformée en constellation)

* le retour de Saturne (redeunt Saturnia regna, v. 3) : d'après le mythe, Saturne était le dieu qui régnait sur le monde au temps de l'âge d'or (voir les textes d’Hésiode et de Tibulle)

* l’apparition d’un nouvelle race d'hommes descendue du ciel : nova progenies (v. 4) fait allusion à un mythe selon lequel les humains auraient été descendus sur terre par les dieux à l’aide d’une corde ou d’une chaîne d’or, au début de l’âge de Saturne

* le règne d'Apollon (tuus jam regnat Apollo, v. 7) : Apollon est en effet la divinité qui préside la dernière époque précédant le retour de l’âge d’or

* le retour de la Grande Année : l’expression magni menses, « les grands mois » (v. 9) fait référence à une conception antique du temps, la Grande Année (Magnus Annus), selon laquelle il se produirait, de façon cyclique, un recommencement du monde.

* la référence aux différents âges de l’humanité : Virgile fait enfin explicitement référence à l'âge de fer et à l'âge d'or aux v. 5-6, avec les adjectifs ferrea et aurea, qui qualifient le nom gens (« race »). La construction en chiasme ferrea… desinet / surget… aurea permet d’opposer les deux âges, en même temps qu’elle mime le caractère cyclique de la succession des âges.

Définition de « chiasme » : le chiasme est une figure d'opposition. Elle souligne l'union de deux réalités ou au contraire renforce une opposition. « Chiasme » vient d'un mot grec qui signifie « disposition en croix » (schéma abba) :

Ex. : ferrea… desinet (adj. / verbe)
surget… aurea (verbe / ad

b) Virgile décrit l'âge d'or comme une période d'harmonie, d'abondance et de bonheur universels :

On retrouve dans la IVe Bucolique les mêmes thématiques que chez les auteurs antérieurs ayant évoqué l’âge d’or (Hésiode par ex.) :

* la paix régnera chez les hommes perpetua solvent formidine terras (v. 11) ; pacatum… orbem (v. 14).

* la paix régnera entre les hommes, les héros et et dieux : les v. 12-13 décrivent la cohabitation des hommes et des dieux, soulignée par le chiasme divis… videbit… videbitur illis ; ils annoncent même une quasi identification de certains hommes aux dieux, puisque l’enfant « aura part à la vie des dieux » (deum vitam accipiet, v. 12).

* la paix et l'harmonie régneront dans les rapports entre les hommes et la nature : cette paix et cette harmonie sont marquées par l’absence de culture (nullo cultu, « sans culture », v. 15 ; incultis sentibus, « aux ronces non cultivées » = sauvages → répétition de négations : nullo + préfixe privatif in- dans incultis), par une production spontanée (ipsae capellae > « spontanément, les chèvres », v. 18 ; ipsa cunabula fundent > « spontanément, ton berceau... », v. 20 ; vulgo nascetur : « naîtra en masse », v. 22 → on note, comme chez Tibulle, la répétition des formes de ipse, et le fait que les animaux, les plantes ou les objets sont les sujets des verbes d’action).  Cette paix et cette harmonie sont marquées également par la réunion des contraires : la vigne (symbole d’abondance, de fertilité, et plante cultivée par excellence) poussera sur les ronces sauvages (incultis… uva, v. 26) et le miel (qui évoque des idées de fluidité, de douceur) suintera des chênes (arbre dur, qui donne des fruits non comestibles) (durae quercus… mella, v. 27).

* l’abondance, la profusion régneront : on peut relever un champ lexical de l'abondance (munuscula = « petits présents », v. 15 ; passim : « partout », v. 15 ; distenta ubera : « mamelles gonflées » ; vulgo, v. 22) et un abondant champ lexical de la nature dans les v. 15-22 (plantes ou animaux : capellae, armenta, leones, amomum…), en particulier celui des plantes décoratives, exotiques ou parfumées, symbolisant la richesse, l'abondance, la beauté (hederas, « le lierre », v. 16 ; baccare, « le baccar », v. 16 ; colocasia, « la colocasie », v. 17 ; acantho, « l’acanthe », v. 17 ; amomum, « l’amome », v. 22).

* enfin, la paix régnera au sein de la nature elle-même : au v. 19, l’ordre des mots choisi dans la proposition nec magnos metuent armenta leones permet un rapprochement insolite d'armenta (les troupeaux) et de leones (les lions). Aux v. 21-22, la mort des plantes et des animaux malfaisants est soulignée par l'anaphore (figure d'insistance) du verbe occidet, par la répétition de et et par un chiasme (occidet et serpens, et fallax herba veneni / occidet : verbe – sujet – sujet – verbe).

Transition : Même si le mythe est très présent dans le poème, ce n’est qu’une fiction qui permet à Virgile, de façon détournée, d’évoquer le contexte socio-politique de l’époque, comme le montre bien la dédicace à Pollion, qui était alors consul.

II. La portée morale et politique du poème :

Derrière l’évocation mythologique, on peut déceler, à plusieurs indices, la portée morale et politique de la IVeBucolique. Virgile espère sans doute, au moment où il compose ce poème, la fin des guerres civiles qui sévissent à Rome depuis des dizaines d’années déjà ; comme d'autres poètes latins, il reprend le mythe de l'âge d'or à des fins morales et politiques, à la fois pour dénoncer et exprimer une espérance.

1) Dénonciation des guerres civiles :

La dénonciation des guerres civiles apparaît derrière certaines allusions présentes dans le texte :

- Virgile désigne sans doute les guerres civiles par la périphrase sceleris nostri (« notre crime », v. 10 : scelus est un terme fort) et par l'expression du v. 11 perpetua formidine (« incessante terreur »). Cette interprétation coïncide avec la date de composition supposée de la Ive Bucolique, l’année 40 avant J.-C. : depuis l'assassinat de Jules César en - 44, la République a commencé à sombrer dans le chaos. En -40, Octave et Marc Antoine se disputent le pouvoir.

- la description des bienfaits de l'âge d'or qui succédera aux guerres civiles révèle, en négatif, de façon détournée, codée, les caractéristiques de l’époque contemporaine (qui sont celles de l’âge de fer : ferrea gens, v. 5) : la justice est absente (puisqu’elle doit revenir avec l’âge d’or : Jam redit et Virgo, v. 3), les hommes, à cause de leurs crimes, ne sont pas dignes de vivre avec les dieux et les héros (idée sous-entendue dans les v. 12-14) ; on redoute le serpent (v. 21), symbole de la traîtrise, de la perfidie ; on redoute l'herbe vénéneuse (fallax herba veneni, v. 21 : l’herbe vénéneuse fait peut-être allusion aux crimes perpétrés durant les guerres civiles ou peut symboliser, de façon plus générale, la perfidie, le mal, ou la mort).

- la dédicace au consul Pollion (v. 9-10 : apostrophe Pollio et ablatifs absolus te consule et te duce) : Pollion est l’instigateur, avec Mécène, de la paix de Brindes qui a scellé la réconciliation entre Octave et Antoine, et le fait qu’il soit le dédicataire de la IVeBucolique révèle la dimension politique du texte : c'est un poème de remerciement adressé à cet homme qui a mit (provisoirement) fin aux guerres civiles.

2) Expression de l'espoir d'un retour à la paix universelle :

- l'espoir est symbolisé par un enfant sur le point de naître (nascenti puero, v. 5). Ce symbole de l’enfant annonciateur d’un nouvel âge de l’humanité est commun à plusieurs religions. Le retour de l'âge d'or coïncidera avec la vie de cet enfant. Celui-ci n'est pas nommé : de nombreuses hypothèses ont été émises sur son identité (peut-être s'agit-il d'un fils de Pollion ?). L’enfant est en tout cas désigné par le pronom laudatif ille (v. 12) et son caractère exceptionnel se verra dès sa naissance (symbolisée par l’image des premiers cadeaux, prima munuscula au v. 15 et celle du berceau, cunabula au v. 20). Cette naissance est marquée par l’apparition de phénomènes surnaturels, prodigieux, qui se produisent pour l’enfant (répétition du pronom personnel de 2e personne au datif, tibi, aux v. 15 et 20) : production spontanée de fleurs ou de plantes (v. 15-18 et v. 20 et 22), réunion insolite des contraires (nec magnos metuent armenta leones, v. 19), mort des animaux ou des plantes symbolisant le mal (v. 21-22).

- cet espoir est celui du retour de la vertu (par opposition au scelus, le crime, cité dans l’expression du v. 10 sceleris nostri). Or la virtus est l'un des idéaux de la morale et de la politique romaines (virtus désigne toutes les qualités qui font la valeur de l'homme – vir –, moralement et physiquement). La vie de l'enfant se déroulera sous le signe de la vertu : le mot virtus est répété deux fois dans le texte (reget patriis virtutibus orbem, « il dirigera le monde avec les vertus de son père », v. 14 ; cognoscere quae sit virtus, « apprendre ce qu'est la valeur », v. 24). Il lira les éloges des héros (heroum laudes, v. 23) et les exploits de son père (Pollion ?), facta parentis (v. 23) : l'imitation des grands hommes sera le fondement de son éducation à la vertu (le rapprochement entre les héros et le père de l’enfant constitue un éloge adressé à ce dernier, il est souligné par le chiasme du v. 23 heroum laudes / facta parentis : génitif + accusatif / accusatif + génitif).

- l'espoir est celui d'un monde inversé par rapport à la réalité des guerres civiles :

* espoir d'une humanité nouvelle, envoyée sur terre par les dieux : jam nova progenies caelo dimittitur alto, v. 4. Cette humanité sera caractérisée par sa justice, comme le montre, par exemple, le retour de Virgo (v. 3), autre nom de la déesse Justice, qui avait quitté la terre au commencement de l'âge de fer.

* espoir d'une paix universelle, comme l'indiquent les compléments toto mundo (v. 6), terras (v. 11 ; le mot terras est au pluriel, ce qui suggère une généralisation à toutes les terres, au monde entier), pacatum orbem (v. 14 ; le terme orbis, « cercle », désigne en effet le monde entier, comme dans l’expression désignant le monde connu, orbis terrarum, « cercle des terres »).

* espoir d'une prospérité universelle : cette prospérité universelle est suggérée, entre autres, par l’image du champ de blé (v. 25 : molli paulatim flavescet campus arista ; l’emploi inattendu des singuliers campus et arista évoque une généralisation de cette abondance) ; elle est suggérée aussi par le pluriel poétique roscida mella (v. 27), qui traduit l’abondance, la profusion ; elle est suggérée, enfin, par le fait que les plantes exotiques comme l'amome, qualifié de « syrien » (Assyrium, v. 22), le « baccar » ou la « colocasie » (baccare, v. 16 ; colocasia, v. 17), pousseront partout (vulgo nascetur, v. 22), ou viendront spontanément s'offrir à l'enfant. Ces plantes évoquent un monde unifié et prospère, puisqu’elles symbolisaient le luxe dans les mentalités romaines : les épices ou parfums importés d’Orient étaient très prisés des Romains, mais aussi très chers en raison de leur rareté et de la difficulté que représentait leur acheminement jusqu’à Rome.

 

Exemple de conclusion :

  • Bilan des idées et procédés principaux
  • Exemples d’ouvertures possibles (sur d’autres œuvres : textes, peintures, films, etc.)

Dans ce texte, Virgile se sert donc d'une fiction, le mythe de l'âge d'or, pour exprimer de façon métaphorique, sous la forme d'une prophétie, l'espoir né avec la paix de Brindes. Les Anciens ne croyaient pas réellement au mythe de l'âge d'or tel qu'il était raconté chez Hésiode, mais il a représenté, pour certains auteurs comme Virgile, le mode d'expression d'une réflexion morale, sociale ou politique, que l'on retrouve par exemple chez Tibulle, dans le troisième poème du livre I des Élégies. Ce dernier s’est sans doute inspiré de ce passage de la IVeBucolique, puisque l’on retrouve l’image des chênes produisant du miel et celle des chèvres apportant spontanément leur lait aux hommes. La célébrité de cette IVeBucolique, l’un des textes de Virgile les plus mystérieux et les plus difficiles à interpréter, s’est perpétuée jusqu’au moyen âge : cette évocation de l'âge d'or, associée à la forme prophétique du poème, a conduit certains commentateurs à une interprétation chrétienne, puisqu’on y a vu l'annonce de la naissance de Jésus

 

Prolongement (document iconographique, question et corrigé) :

Observez attentivement le billet d’un dollar américain, et cherchez le lien qu’il possède avec le mythe antique de l'âge d'or.

 

a

 

b

 

Sur l’avers (le côté face) on voit le portrait de George Washington, qui participa à la guerre d’indépendance entre 1775 et 1783, à la rédaction de la Constitution des États-Unis, et devint le premier président des États-Unis d’Amérique, de 1789 à 1797.

Sur le revers, on peut lire plusieurs citations latines figurant sur le grand sceau des États-Unis représenté dans les deux cercles situés à gauche et à droite :

- à gauche : « Annuit coeptis » (« Il / Elle approuve les choses commencées » ; « Il approuve cette entreprise »). Cette citation comportant treize lettres et placée au-dessus d’une pyramide à treize étages, fait référence aux treize États originaux des États-Unis d’Amérique ; elle peut signifier que Dieu approuve l’indépendance et la création de ce nouvel État. On distingue d’ailleurs, à la  base de la pyramide, l’inscription MDCCLXXVI, qui rappelle, en chiffres romains, la date de la déclaration d’indépendance des États-Unis (1776).

- à gauche encore figure, sous la pyramide, l’inscription « Novus ordo seclorum » (= novus ordo saeculorum). Cette devise s’inspire du texte de la IVeBucolique de Virgile (v. 5 : magnus ab integro saeclorum nascitur ordo). Ce vers de Virgile a sans doute été choisi pour célébrer, avec l’indépendance des États-Unis, l’avènement d’une ère nouvelle, qui, comme l’âge d’or antique, serait une période de paix et de prospérité.

- à droite, de part et d’autre de la tête d’oiseau, on lit l’inscription E pluribus unum, qui comporte elle aussi treize lettres. Elle signifie littéralement « Un seul à partir de plusieurs », et fait sans doute référence à l’intégration des treize colonies américaines dans un seul nouvel État, les États-Unis d’Amérique.

On peut en conclure que l’âge d’or est une fiction qui, depuis l’Antiquité, possède une dimension tantôt moralisatrice, tantôt politique : Virgile, tout comme les fondateurs des États-Unis d’Amérique qui se sont inspirés de sa IVeBucolique pour célébrer l’avènement d’un nouveau régime, mettent en œuvre les images associées au mythique âge d’or pour exprimer une volonté de changement dans les domaines politique, social, moral et économique.

 

 

Traduction guidée, avec séquençage, vocabulaire et éléments d’analyse (exemplaire destiné à l’élève, à compléter)

 

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23

 

4

 

  1. C'est à Cumes, près de Naples, que se trouvait un temple d'Apollon dont la prêtresse, la Sibylle, prédisait l'avenir.
  2. Virgo désigne la constellation de la Vierge, qui, en – 40, apparut en octobre, date de la paix de Brindes entre les triumvirs Octave, Antoine et Lépide ; dans la mythologie, Virgo était la déesse Justice, fille de Zeus.
  3. Caelo alto : allusion à un mythe selon lequel les humains auraient été descendus sur terre par les dieux à l’aide d’une corde ou d’une chaîne d’or, au début de l’âge de Saturne.
  4. Lucine est la déesse qui préside aux accouchements. Elle était parfois assimilée à Diane, sœur d'Apollon (v. 7 : tuus Apollo).
  5. Apollon préside en effet la dernière époque qui précède le retour de l'âge d'or.
  6. . Nouvelle période dont le début marque un recommencement du monde.
  7. . Baccar : plante orientale, dont on tirait un parfum ; colocasia : plante égyptienne ; acanthus : plante décorative.
  8. L'amome ou cardamome est une épice indienne ; assyrius signifie « assyrien » (de Syrie) ou « qui passe par les ports syriens » (étape de la route de la soie et des épices).

 

Corrigé

 

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