L’île de Salamine, en face du Pirée, est séparée de la côte Sud-Ouest de l’Attique par un petit détroit. Patrie de Télamon, père d’Ajax, et d’Euripide, elle fut conquise par les Athéniens au VIe siècle avant J.-C. Surtout, elle fut le théâtre d’une des plus grandes batailles de l’Antiquité : une bataille navale qui opposa l’alliance des cités grecques à l’empire perse dirigé par le Grand Roi Xerxès et qui détermina l’issue de la seconde guerre médique (480 - 479 avant J.-C.).
En 486 av. J.-C., Xerxès succède à son père Darius qui s’apprêtait à s’engager dans une nouvelle offensive contre les Grecs ; le fils prend la relève du père dans cette entreprise : c’est la seconde guerre médique.
Xerxès fait franchir le Pont-Euxin à son armée terrestre sur un pont de bateaux, fait creuser un canal à travers l’isthme du mont Athos, et engage parallèlement sa flotte ; ses deux armées, terrestre et navale (au total, selon Hérodote, 1 700 000 hommes et plus de 1 000 trières !), opèrent leur jonction en juillet 480 avant J.-C.
Dans l’autre camp, les Grecs se sont préparés pour soutenir l’assaut : le stratège Thémistocle a fait construire une flotte importante de trières de combat (plus de 200 navires). Surtout, les cités grecques sont parvenues à surmonter leur opposition pour se fédérer et combattre ensemble.
Néanmoins, l’armée de Xerxès, immense, progresse rapidement : face à une telle menace, les Grecs décident de ne pas engager la totalité de leurs forces.
Bien que retardés par la résistance des Grecs (et notamment du roi Léonidas et de ses 300 hoplites) au défilé des Thermopyles, les Perses parviennent à conquérir la Phocide et la Grèce centrale. Leur flotte subit cependant des revers (à la bataille de l’Artémision notamment) et les intempéries. Face à ces avancées, les alliés grecs se replient en direction de Trézène, Égine et Salamine ; ils se préparent à défendre l’isthme de Corinthe.
Devant la menace d’une complète invasion du Péloponnèse, Thémistocle décide d’anticiper ; il a en effet dégagé une leçon de la bataille de l’Artémision : « En combattant dans un lieu étroit […], nous remporterons […] une grande victoire, parce qu’un détroit nous est autant avantageux que la pleine mer l’est aux ennemis » (Hérodote, Histoires, VI, 60).
À la fin du mois de septembre 480 avant J.-C., il engage la bataille de Salamine.
Les alliés grecs sont largement dominés en nombre de bateaux : un peu plus de 300 trières, contre 600 à 800 qui demeurent aux Perses. En outre, les navires perses sont plus performants et leurs équipages, plus expérimentés. Mais Thémistocle parvient à convaincre les alliés d’user d’un stratagème pour reprendre l’avantage : un messager grec envoyé aux Perses leur fait croire que Thémistocle serait prêt à se rallier à Xerxès et que, pour remporter la victoire, ils n’auraient qu’à bloquer le détroit de Salamine. Trompé par cette ruse, le roi Xerxès ordonne le soir même à sa flotte de bloquer les accès au détroit et fait installer son trône sur une colline proche pour assister le lendemain à la bataille.
La bataille proprement dite n’est pas clairement rapportée par les auteurs antiques. L’on peut néanmoins reconstituer les éléments suivants.
À l’aube, les Perses entrent dans le détroit. Pendant ce temps, les navires grecs se sont disposés au combat, prenant position en lignes. Ils simulent une manœuvre de fuite pour améliorer leurs positions et pour bénéficier du vent matinal. De fait, ce vent ne gêne pas les trières grecques, dont la structure est basse ; en revanche, il désavantage les navires perses, dont la poupe est haute : le roulis, plus important, désoriente les navires et empêche les archers perses d’utiliser leur arme. Repoussée par les alliés grecs, la première ligne perse recule dans les deuxième et troisième lignes. Mais la totalité de la flotte, confrontée à un espace trop étroit pour le nombre de ses navires, ne peut manœuvrer : elle est décimée par les Grecs qui disposent de navires plus maniables.
Xerxès assiste au désastre, dont il redoute les conséquences : il décide de quitter l’Attique pour rejoindre l’Asie avec le plus gros de ses troupes armées afin qu’elles ne soient pas piégées en Europe. Il laisse son beau-frère Mardonios à la tête d’une armée de 300 000 hommes : celui-ci sera défait et tué en 479, lors de la bataille de Platées, dernière bataille terrestre des Guerres médiques. La flotte grecque remporte une dernière bataille au cap Mycale : les Perses sont définitivement vaincus.
La victoire grecque de Salamine constitue un tournant de la guerre. Elle démontre la pertinence de la stratégie conduite par Thémistocle depuis près de dix ans. C’est en effet lui qui a voulu développer la puissance maritime d’Athènes et qui a engagé la construction d’un port abrité au Pirée. C’est aussi lui qui, relativisant la primauté des hoplites dans la défense d’Athènes, a donné une nouvelle place à la marine grâce à laquelle la cité disposera dans les décennies suivantes de l’hégémonie sur les autres cités grecques.
Ce qu'écrit Eschyle :
… καὶ παρῆν ὁμοῦ κλύειν
πολλὴν βοήν · « Ὦ παῖδες Ἑλλήνων ἴτε,
ἐλευθεροῦτε πατρίδ᾿, ἐλευθεροῦτε δὲ
παῖδας, γυναῖκας, θεῶν τέ πατρῴων ἕδη
θήκας τε προγόνων · νῦν ὑπὲρ πάντων ἀγών. »
… et l’on pouvait alors entendre, tout proche, un immense appel : « Allez, enfants des Grecs, délivrez la patrie, délivrez vos enfants et vos femmes, les sanctuaires des dieux de vos pères et les tombeaux de vos aïeux : c’est la lutte suprême ! »
Eschyle, Les Perses (472 av. J.-C.), vers 401-405