Barcelone / Barcino - Une colonie romaine stratégique Mare nostrum- Espagne

L’histoire de la cité

Selon Avienus, poète du IVè siècle après J.-C., la cité de Barcino aurait été fondée au VIè siècle avant J.-C. par les Phéniciens. Mais il a été démontré que ce texte est interpolé. Dans une lettre d’Ausone (287-377), la même hypothèse a été reprise : il parle de punica Barcino mais le mot punica peut désigner plusieurs choses : l'indication d'origine, la couleur rouge ou le caractère rusé et trompeur des Carthaginois vus par les Romains. Or, on ne sait pas dans quel sens il faut interpréter l’expression. Vraisemblablement, la cité n’est donc pas d’origine phénicienne.

En revanche, Barcino a certainement été habitée par des Ibères depuis le IVè avant J.-C. ou plus probablement le IIIè siècle avant J.-C., établis à la périphérie du Montjuïc, montagne de 200 m de haut dont le nom est issu du Latin Mons Jovis (Mont de Jupiter). Cependant, d’après les recherches archéologiques, on ne peut pas parler d'un oppidum ibérique organisé situé sur le Montjuïc, d'une ville organisée sur les plans urbanistique, politique et économique.

C’est en 218 avant J.-C. que les Romains s’installèrent dans la région de l’actuel territoire catalan. Une armée commandée par Cornelius Scipion (256-211), oncle de Scipion l’Africain, débarqua à Emporiae (Empúries), au Nord de la Catalogne actuelle, afin de transformer la cité grecque Emporiae en base logistique militaire pour aider Rome face à Carthage lors des Guerres Puniques.

Lorsque les Romains arrivèrent à Barcino, entre 15 et 13 avant J.-C., il s’agissait de réorganiser le territoire Cantabre et de fonder de toutes pièces une colonie située entre les prospères Emporiae, sur la côte Nord, et Tarraco (Tarragone), sur la côte Sud. Elle servit de lieu de retraite pour les soldats vétérans. La cité n’avait pas d’intérêt commercial : elle servait seulement à assurer la sécurité des échanges entre les deux ports de commerce importants qu’étaient alors Emporiae et Tarraco.

Cette première ville romaine, à proximité du port originel, serait donc née, selon des sources contestables, de l’extension vers le Sud d'un oppidum ibérique, acropole située sur le Montjuïc. Mais l’expansion de la ville étant limitée par le rocher et le port, un nouvel emplacement aurait été choisi à l’époque républicaine. Ainsi cette théorie du déplacement urbain est injustifiable d'un point de vue économique, chronologique et juridique.

Grâce à l’archéologie et l’épigraphie, on admet aujourd’hui l'existence de deux villes, d'une part la ville ibérique romanisée du Montjuïc, d'autre part la colonie romaine du Mont Taber. La colonie romaine a été créée en marge d'importantes concentrations humaines ibériques, près de 4 kilomètres plus loin, afin d'occuper un point stratégique et surtout de représenter un modèle de romanisation. En effet, entre les deux cités, se situait un grand territoire marécageux.

La cité se développa jusqu'à la mort d'Auguste en 14 après J.-C. Comme toute colonie romaine, Barcino impériale possédait une enceinte rectangulaire de type castrum, qui a été renforcée entre 270 et 310 après J.-C., après le raid barbare de 262 après J.-C. Les nouvelles fortifications et sa position stratégique donnèrent à Barcino un rôle plus important qui la fit rivaliser avec Tarraco.

À la fin de l'Empire romain, entre les années 410 et 415, le roi wisigoth Athaulf s'y installa avec son épouse Galla Placidia, fille de l'Empereur romain Théodose (379-395) et captive des Wisigoths depuis le sac de Rome en 410 après J.-C. Il fit de Barcino son siège impérial durant une courte période, jusqu'à son assassinat dans la ville et jusqu’à ce que sa Cour soit transférée en Aquitaine. Cependant, l'étroite relation entre Barcino et les rois Goths dura jusqu'à la fin du VIIIè siècle. La cité devint la plus importante de Catalogne, notamment à cause du déclin de Tarraco, rasée par les Vandales.

Le développement du christianisme modifia l’architecture de la ville. Au Vè siècle après J.-C., la première basilique chrétienne fut bâtie. Au VIIIè siècle après J.-C., les Musulmans prirent le contrôle de la cité mais leur règne dura seulement jusqu’au début du IXè siècle après J.-C. En 801, les Carolingiens conquirent la ville et la transformèrent en capitale du Comté de Barcelone, la Catalogne actuelle. En 856, la cité fut à nouveau occupée par les Arabes puis pillée, en 859, par les Vikings. Peu à peu, le Comté acquit une indépendance certaine face à la dynastie carolingienne. En 985, la ville passa sous la domination du calife de Cordoue puis le Comté de Barcelone devint ensuite indépendant au Xèmesiècle.

L’architecture de la cité

plan

Plan de Barcino superposé sur le tracé urbain contemporain, © Wikimedia commons

La ville était de forme octogonale, architecture romaine typique, et structurée, à l’intérieur d’une muraille de 4 m d’épaisseur en certains endroits, en blocs rectangulaires caractéristiques d’un castrum.

Comme pour toute cité romaine, son plan était organisé selon deux axes principaux :

  • Le cardo maximus, axe Nord-Sud, long de 825 m, qui traversait la cité depuis la Porta Praetoria, qui donnait accès à la colonie, jusqu’à la Porta Decumana dont des soubassements ont été mis au jour récemment. Cet axe était doublé de voies secondaires, les cardines minores.
  • Le decumanus maximus, axe Est-Ouest, long de 550 m, qui unissait la Porta principalis sinistra et la Porta principalis dextra. Cet axe était aussi doublé de voies secondaires, les decumani minores.

Entre les espaces délimités par ces rues, étaient construites des domus (maisons), des insulae, petits immeubles composés de quatre étages maximum, abritant quelques logements et fait dans des matériaux peu résistants ainsi que des bâtiments publics : forum, temple, thermes.

Le forum de Barcino était situé à l'intersection du cardo maximus et du decumanus maximus mais légèrement au Nord de la cité, en fonction de la topographie de la zone. Il fut construit entre la fin du Ier siècle avant J.-C. et le début du Ier siècle après J.-C. Sur une partie proéminente du forum, se situait le temple dit d’Auguste. Il reste aujourd’hui seulement quatre colonnes corinthiennes du temple mais son plan, sa taille imposante et son orientation Nord-Ouest / Sud-Est sont aujourd’hui bien déterminés. On sait aussi que son matériau de construction était une pierre calcaire extraite de la colline de Montjuïc. Longtemps, on a cru que le temple avait une origine carthaginoise et était dédié à Hercule ou Jupiter puis il a été démontré, à tort, qu'il était dédié à Auguste mais cela est impossible car le culte impérial n'était pas autorisé dans les provinces occidentales avant Tibère. Cette fonction aurait plutôt été remplie, à un stade ultérieur, par la construction d'un collegium Augusteum situé près du temple et ouvert sur la place du forum.

Autour du forum, deux domus ont été découvertes : la domus Saint Honorat et la domus Saint Iu.

La domus Saint Honorat, située à l’Ouest du forum, date du IVè siècle après J.-C. Elle était construite autour d’une cour à péristyle et munie de tabernae (boutiques) ouvrant sur l’un des decumani minores donnant sur le forum, ce qui exclut l’hypothèse de bâtiments ayant des fonctions politiques ou civiles à cette extrémité du forum.

La domus Sant Iu, située au Nord du forum, a été construite au IIè siècle après J.-C. et a été utilisée jusqu’au IVè siècle après J.-C. Elle était aussi construite autour d’une cour à péristyle ouverte sur son côté Sud-Ouest. Une cour avec un nymphée comprenant une fontaine, plusieurs bassins et de riches mosaïques sont également préservés. A la suite d’une analyse architecturale, la domus Sant Iu a été récemment réinterprétée comme un collegium Augusteum, bâtiment public où se réunissaient certainement des flamines, prêtres préposés au culte d’Auguste.

Le forum était donc divisé en deux zones, placées à des hauteurs différentes, probablement au moyen d'un cryptoportique : celle du temple et celle du collegium associé à d'autres bâtiments publics, représentatifs et politiques. L'élévation du temple renforçait sa domination visuelle sur la ville, lui conférant une forte dimension symbolique.

Ainsi, la ville ayant été planifiée ex novo, la grande taille du temple et du forum par rapport à celle de la colonie fournissent des indications sur les fonctions de la colonie en tant que centre de représentation politique, administratif et religieux, plutôt qu'en tant que centre d’habitations ou centre colonial. Barcino était donc une ville conçue à l’effigie de Rome, où la conception augustéenne du nouvel Empire était reflétée et clairement annoncée.

Dans l'ancien suburbium, le faubourg de la ville, on a retrouvé la domus Avinyó : elle était située où des habitats et des zones de production, destinés à la métallurgie, la poterie, la salaison, coexistaient avec des villae, essentiellement dédiées à la vigne et à la production de vin. Mais on n’a retrouvé jusqu’à ce jour aucune villa, riche maison de campagne aux grandes dimensions à l’extérieur des murailles. La domus Avinyó date du Ier siècle avant J.-C. et a été rénovée jusqu’au IVè siècle après J.-C. Elle était particulièrement impressionnante par le luxe de ses thermes privés, par la beauté de ses mosaïques polychromes dans le triclinium (salle à manger) et la magnificence de ses fresques dans le cubiculum (chambre à coucher) : sur un plafond était peint l’enlèvement de Ganymède; sur les murs, on pouvait voir une représentation d’Eros et un portrait de la Muse Terpsichore, préposée au chant, à la poésie lyrique et à la danse. La maison a été agrandie au IIIè siècle après J.-C. et dotée d’un four à pain ainsi que de boutiques permettant de commercialiser la production obtenue.

Étant une petite ville à la population réduite, Barcino n’était certainement pas équipée d’un amphithéâtre ou d’un cirque à l’intérieur des murailles. On suppose qu’il y avait cependant un amphithéâtre situé hors des murailles de la ville. En revanche, il n’est pas certain que la ville fût dotée d’un théâtre.

Par ailleurs, la cité était équipée de thermes publics construits entre le milieu du Ier siècle et le début du IIè siècle après J.-C. On en compte deux à Barcino ; les uns, situés près du vieux port, étaient peut-être dédiés plus spécifiquement aux femmes et occupaient une superficie d’environ 1500 m2 ; les autres, à l’intérieur de la cité, construits en 125 après J.-C., furent donnés à la ville par une riche famille aristocratique et étaient probablement réservés aux hommes. Deux aqueducs amenaient l’eau d’une rivière voisine, le Rec, qui fut détournée de son cours afin de créer un réseau de canalisations.

A côté des thermes se trouvaient d'autres bâtiments qui correspondaient probablement à un horreum, un grand entrepôt souterrain relié au port. La Porta de Mar était la plus importante des quatre portes que possédait la ville : c’est par cet endroit qu’entraient les marchands arrivant de toute la Méditerranée. Un garde y percevait les portoria, taxes payées sur le transport terrestre ou maritime de marchandises et de personnes, passant par certains ports ou frontières. La cité jouissait donc d’un niveau économique très élevé, grâce à l’importante superficie cultivée et à la zone portuaire où se faisait le commerce du vin, des céréales et du poisson.

Ce qu’en dit Avienus :

Inde Tarraco oppidum / et Barcilonum amoena sedes ditium. / Nam pandit illic tuta portus brachia, / uvetque semper dulcibus tellus aquis.

Viennent ensuite Tarragone, et le charmant séjour des Barcinons opulents. Là un port ouvre aux vaisseaux un asile assuré, et la terre est toujours arrosée par des sources d'eau douce.

Avienus, Ora maritima, ν. 513-520, trad. par MM. E. Despois et Ed. Saviot, 1843.

 

  • Le nom de la ville Barcino est lié à deux légendes :
    • L’une grecque : Jason et les Argonautes, à la recherche de la Toison d’or, s’embarquèrent sur neuf navires. Au cours de l’expédition, les bateaux essuyèrent une violente tempête qui aurait causé le naufrage de huit navires ; la neuvième embarcation aurait réussi à atteindre la côte et aurait échoué au pied du Montjuïc. Héraclès aurait alors décidé de fonder une ville qui aurait été peuplée par les survivants de la barca nona (neuvième barque) et lui aurait donné le nom de Barcanona.
    •  L’autre carthaginoise : la cité aurait été fondée par le père d’Hannibal Barca (247-183 ou 181 ?), Hamilcar (290-228), général carthaginois qui mena les expéditions militaires en Hispanie, lors des Guerres Puniques entre Rome et Carthage. Cependant, il est attesté qu’Hamilcar n’est jamais venu jusqu’à Barcino.
  • On a longtemps pensé que l’emplacement originel de la cité de Barcino correspondait à l’installation au VIè siècle avant J.-C.d’une colonie de Phéniciens, les fondateurs de Carthage qui se seraient installés en Ibérie. En Phénicien, le nom de Barcino vient de Bàrkeno, qui signifie "la place des Plaines" (Barrke signifiant "plaines / terrasse"). Cependant, l’archéologie a démontré récemment que Barcino n’a certainement été habitée par des Ibères que depuis le IVè avant J.-C. ou plus probablement le IIIè siècle avant J.-C. De plus, le nom même de Barcino n’est pas attesté avant le début du Ier siècle après J.-C. par Pomponius Mela.
  • Le nom entier de la colonie romaine Barcino est Iulia Augusta Faventia Paterna Barcino. Cela indique que la colonie a été érigée sous la de la famille impériale des Julia Augusta, c’est-à-dire la dynastie Julio-Claudienne (27 avant J.-C. – 68 après J.-C.).
  • L’emplacement de la colonie romaine Barcino fut choisi en raison de ses atouts géographiques : proche de la mer et s’élevant sur un promontoire appelé Mont Taber, haut de 16 mètres au-dessus de la mer, ce qui permettait de contrôler la plaine où étaient construites de nombreuses villas romaines.
  • La cité s’étendait sur une superficie d’un kilomètre carré environ au début et comptait seulement une petite centaine d’habitants au début. Au fur à mesure de son développement, elle s’agrandit jusqu’à occuper une superficie de 10 hectares, et sa population atteignit 2 000 habitants.

Pistes de recherche 

  • L’Empire romain
  • La Pax romana
  • Les provinces romaines
  • Les Barbares
  • La fondation d’une cité
  • Les monuments romains

 

Besoin d'aide ?
sur