Athalie, Jean Racine (1691) : Acte I, 4 (332-370)

Fin de l’acte I : les Filles de Levi « troupe jeune et fidèle » obéissent à Josabet qui leur demande de « chanter et de louer » Dieu : on va donc entendre un cantique à la gloire de la magnificence de Dieu. Forte imprégnation des psaumes (qui eux-mêmes souvent reprennent des passages de l’Exode)

Ce passage s’intègre donc parfaitement à la pièce, de façon externe d’abord puisque ce chant permet à Josabet de sortir puis de rentrer en scène, mais nous allons montrer qu’il s’intègre aussi parfaitement à la pièce par les thèmes qui y figurent.

Un chant

C’est d’abord un passage lyrique, c’est-à-dire chanté, formé d’une alternance entre chœur et voix seule. Le chœur dit un refrain qui célèbre la loi et la voix -toujours différente à une exception près qu’on commentera) – plus narrative qui raconte les principaux épisodes de l’Exode. Les « strophes » sont d’inégale longueur

332- 342 : onze vers hétéromètres avec

  • une strophe de 5 vers abbba (-oire/-é)
  • un distique cc (-air)
  • un quatrain embrassé deed (-ère/-ents)

On remarque l’extrême parenté phonétique de trois rimes sur cinq (OIR/ERE/AIR).

343- 346 : un quatrain croisé hétéromètre abab (-eux/-elle)
347- 350 un refrain hétérométrique abba (et 8-8-10-12) (-oi/ -ème) (il y a toujours cette note continue de –è )
351 – 354 rimes suivies -ieux /-aime (donc retour du même son), et
355 reprise en écho d’une troisième rime en –ême
356 – 359 : mêmes rimes suivies -eaux/ -aime : retour de ce même son « é »
360- 363 : même schéma du refrain en –oi/ème
363 – 370 : deux strophes abab en –ile/-er et ccdd en –age/-è : ces rimes très différentes du reste correspondent à un changement de sujet ou de visée plutôt mais le « è » qui avait sonné dès le début est encore une fois entendu.


Plan
Le refrain célèbre donc le don de la loi, ce qui est tout à fait attendu dans la mesure où Josabet est en train de préparer la procession de Pentecôte, qui est justement la célébration de ce don, que fit Dieu à Moïse sur le mont Sinaï. Et par là-même, les jeunes israélites affirment leur attachement indéfectible au principe même de la religion : la loi. Les strophes rappellent tous les miracles faits par Dieu en faveur de son peuple. Ainsi le « dialogue » entre les des voix permet d’énumérer les raisons pour respecter la loi de Dieu, des raisons qui justifient de la part des hommes un amour sans réserve.

Première strophe

Elle rappelle donc de don de la loi, l’alliance fondamentale qui entraîne toute la suite, à savoir l’amour de Dieu pour le peuple porteur de son Messie.
La première phrase s’étend sur toute la strophe, commence par une invocation lyrique, dont l’amplitude apparaît dans le contre-rejet (« la mémoire ») tandis que les accents multiples donnent du poids aux vers (Jour/Jamais/sommet/renommé/enflammé/Mémoire) et que les variations rythmiques apportent cette émotion devant le miracle : « fit luire » un son différent de la série « m/é ». Nous sommes toujours dans la thématique poétique de l’ombre et de la lumière, et une traduction libre de l’épisode : Dieu entouré de brouillard ; idée que Dieu se cache parce qu’il est trop lumineux –le nuage, (cf. la poésie baroque) permet de laisser passer un peu de lumière).

Ce souvenir de la révélation apocalyptique suscite une animation inquiète cf. les tournures interrogatives, la succession presque libre de ces compléments qui définissent les conditions de l’apparition divine (feux, éclairs, torrents de fumée, etc...), tandis que le « Dis-nous » et le deictique permettent de supprimer la dimension passée pour en refaire une scène revécue dans le frisson sacré. Et ici, c’est le [r) qu’on entend sonner.

Enfin les 3 derniers vers sont une question deux fois répétée : est-ce un dieu méchant ? (cf. les termes violents « renverser, ébranler »).
La réponse : le don de la loi : cette manifestation si terrifiante était une Révélation « il venait révéler... » et une action providentielle : Dieu aime ses créatures et leur veut du bien.

La métaphore de la lumière se poursuit (« de ses préceptes saints la lumière immortelle »), et la loi est interprétée comme une loi d’amour : ce que Dieu ordonne c’est qu’on l’aime. Inflexion dans un sens chrétien de cet épisode : le « soyez fidèles à ma loi » demandé aux Hébreux est remplacé par le « aimez-moi ».

Le chœur lyrique : série d’exclamations sur la loi divine, où est soulignée cette alliance miraculeuse du commandement et de l’amour : Dieu veut qu’on lui obéisse, mais comme sa loi est une loi d’amour, le commandement devient « charme » : la Toute-Puissance est « attirance » cf. les séries parallèles : Divine- Justice- Raison// Charmante- Bonté- Douceur. Donc la soumission à Dieu est due aussi à la douceur de se soumettre.

Ici le Dieu en question n’est plus vraiment janséniste, on verse presque dans le quiétisme (c’est une des raisons qui justifiera la dernière strophe). Noter la place du mot Dieu à la césure.

Strophe suivante

Nouveaux miracles de l’Exode dits par la même voix : tous unis par la thématique de l’eau : l’orage d’abord, puis les eaux entr’ouvertes, les ruisseaux du rocher. L’eau comme don de Dieu, qui fait naître la vie : cf. déjà aux vers 140-41 (Le ciel même peut-il réparer les ruines/ De cet arbre séché jusque dans ses racines ? ») ou 286-7 (Qu’il soit comme le fruit en naissant arraché/ ou qu’un souffle ennemi dans sa fleur a séché) L’eau, contre la sécheresse mortelle cf. les psaumes.

Le chœur répond ainsi à l’inquiétude de Joad : Dieu ne peut laisser sans l’eau – de la grâce- sa créature ; Joas sera rétabli sur le trône.
Le rappel de ces miracles a donc pour but de célébrer le don de la loi en ce jour de Pentecôte, et de célébrer la Bonté de Dieu, donc l’espérance dans la chute d’Athalie.

Dernière strophe

Après la reprise du refrain ; l’adresse change : « Vous qui ne connaissez qu’une crainte servile... » Le chœur s’adresse à ceux qui doutent de Dieu, donc à tous les juifs comme Abner, abattus, et incapables d’obéir au commandement d’amour donc du don de soi, dans cette loi de réciprocité : je me donne à vous. Donnez-vous à moi. Cette crainte servile (= digne d’un esclave) concerne aussi bien celle d’un dieu auquel on n’obéit que par crainte (Justice sans amour), par peur être puni, que celle d’ un souverain à qui on n’obéit aussi que par crainte. Donc le chœur s’adresse à tous les juifs qui comme Abner ne croient plus en la Providence. (cf. 94 « Et sa miséricorde à la fin s’est lassée... ») et l’apostrophe d’ « ingrats » reprend celle de Joad en 106 : « Auras-tu toujours des yeux pour ne point voir,/ Peuple ingrat ? ».

La véhémence du reproche est compensée par les deux vers qui suivent, d’une grande fluidité aussi bien rythmique que syntaxique : « Est-il donc à vos cœurs, est-il si difficile/ Et si pénible de l’aimer ? » (le son –ile de la rime déjà deux fois récurrents au vers 364 revient ici 6 fois en 635 et 3 fois en 366, tandis que la fluidité du groupe –il revient aussi 6 fois : le rythme, la syntaxe, les sons, tout montre justement comme il est facile de l’aimer ; tout, en lui, invite à la douceur.

Ce qui est reproché, c’est l’absence d’amour, et que la loi soit devenue une loi de commandement, et non plus une loi d’Amour ; reproche que font les Chrétiens aux Juifs. De fait il y a bien trois camps dans la pièce : les Purs et les fidèles (les chrétiens) Abner et les Juifs (loi de commandement) et les idolâtres.

Les deux vers suivants sont fondés sur l’opposition implicite entre le tyran et le Père (respect de crainte/respect d’amour : le propre d’un esclave est de craindre le Puissant qui lui fait du mal ; donc une crainte de ce genre envers Dieu est particulièrement mal adaptée, puisque le vrai rapport est celui qui existe entre un père et ses enfants, qui naturellement aiment leurs parents (« mais des enfants l’amour est le partage... »).

Les deux derniers vers ont été rajoutés dans la troisième édition. On a voulu voir dans leurs accents polémiques une profession de foi janséniste, à l’encontre des jésuites qui affirment qu’on n’est pas forcé d’aimer Dieu (s.e. Dieu pardonne à tous etc) peut-être est-ce pour compenser l’aspect peu janséniste de la célébration d’un dieu d’amour dans les strophes précédentes que cette question (rhétorique) est ici posée, qui sous-entend que si Dieu cesse de dispenser ses bienfaits, c’est qu’il n’est plus aimé, donc la faute en revient à la créature.

Conclusion

Ce chant conclut donc l’acte de façon particulièrement heureuse :

  • Parce qu’il célèbre l’alliance du Sinaï opportunément en ce jour de Pentecôte, (don de la loi+ bénédiction divine + Révélation) (ce qui annonce la prophétie de Joad)
  • Parce qu’il récapitule ensuite l’essentiel d’une opposition qui parcourt tout l’acte I entre les deux catégories de Juifs, les Fidèles, qui savent que Dieu continue à veiller sur son peuple, et qui lui obéissent par amour, et les juifs plus tièdes et plus légalistes, dont le prototype est Abner qui précisément est obéissant à la loi mais n’a pas assez d’amour pour croire aux miracles (en l’occurrence penser qu’il soit possible de renverser Athalie) cf. 83 sq.

Je crains Dieu dites-vous, sa vérité me touche
Voici comme ce Dieu vous répond par ma bouche :
Du zèle de ma foi que sert de vous parer ?
Par de stériles vœux pensez-vous m’honorer ? .....


Parce que, enfin, sur le plan poétique, il reprend les thèmes de l’eau et de la
lumière, qui parcourent l’acte dans des vers qui s’inspirent de l’épopée biblique, ce qui ainsi rend possible l’articulation entre passé et futur : Ce Dieu d’amour veut de l’amour. Il nous a montré comme il nous aimait. Son commandement est de l’aimer (non de le craindre) Il se manifestera donc si nous l’aimons.

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