Former l'esprit critique des élèves

C'est dans l'objectif de former l'esprit critique des élèves, que le ministère engage, à destination des professeurs, un travail d'étayage scientifique, didactique, pédagogique sur cette question et sa mise en œuvre pédagogique.

Mis à jour : mai 2023

Comment définir l'esprit critique ?

 

Esprit critique - Jérôme Grondeux par eduscol

Approche globale de l'esprit critique

Le développement de l'esprit critique est au centre de la mission assignée au système éducatif français. Présent dans de nombreux programmes d'enseignement, renforcé par l'attention désormais portée à l'éducation aux médias et à l'information, le travail de formation des élèves au décryptage du réel et à la construction, progressive, d'un esprit éclairé, autonome, et critique est une ambition majeure de l'École.

Préciser ce que l'on entend par « esprit critique » est donc un enjeu central, à l'heure de réflexions nombreuses sur le complotisme, mais plus largement encore, sur les dangers d'embrigadements des consciences de natures variées. Il convient de distinguer alors les attitudes fondamentales qui le caractérise et la manière dont l'esprit critique est mis en œuvre. Le lien entre ces deux aspects est crucial dans l'éducation, puisque ce sont les pratiques qui nourrissent les attitudes ; et que ces attitudes, ainsi nourries et fortifiées, se traduisent plus aisément dans la pratique.

Transcription :

L’esprit critique est à la fois un état d’esprit et un ensemble de pratiques qui se nourrissent mutuellement. En effet, l’esprit critique n’est jamais acquis, il est une exigence, toujours à actualiser. Il naît et se renforce par des pratiques, dans un progrès continuel : on ne peut jamais prétendre le posséder parfaitement et en tous domaines, mais on doit toujours chercher à l’accroître.

S’informer correspond à prendre le temps de s’informer et comprendre avant de juger.

La curiosité correspond à avoir envie de connaître et développer son ouverture d’esprit.

Évaluer l’information correspond à en chercher la source et à comprendre qu’une connaissance est construite et comment elle se construit.

L’autonomie correspond à chercher à penser par soi-même et se méfier de ses préjugés.

Distinguer les faits et les interprétations correspond à différencier les faits de l’interprétation qui les relie et les explique.

La lucidité correspond à savoir ce que l’on sait avec certitude, ce que l’on suppose et ce que l’on ignore.

Confronter les interprétations correspond à prendre acte des débats entre les interprétations et de la nécessité du pluralisme en ne s’arrêtant pas à la première explication présentée.

La modestie correspond à avoir conscience de la complexité du réel et à accepter de s’être trompé.

Évaluer les interprétations correspond à distinguer les interprétations validées par l’expériences, les hypothèses et les opinions liées à nos croyances.

L’écoute correspond à s’intéresser à ce que pensent et savent les autres, à accepter le débat.

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L'esprit critique est une dynamique. Ce n'est jamais un acquis définitif, et il peut toujours nous arriver d'en manquer, d'être entraîné par nos opinions, par nos préjugés, de laisser de côté des aspects de la réalité qui nous gênent ou nous remettent en question. Le sociologue Max Weber, dans un ouvrage célèbre, Le savant et le politique, écrit : « La tâche primordiale d'un professeur capable est d'apprendre à ses élèves à reconnaître qu'il y a des faits inconfortables, j'entends par là des faits qui sont désagréables à l'opinion personnelle d'un individu ; en effet il existe des faits extrêmement désagréables pour chaque opinion, y compris la mienne » (Max Weber, Le Savant et le politique). On ne peut donc pas se prévaloir purement et simplement de l'esprit critique : on s'efforce d'en avoir, et cela se traduit par des pratiques. C'est à cet effort incessant que l'enseignant initie progressivement ses élèves.

L'éveil de la curiosité est à la fois indispensable et très difficile. L'habitude de chercher à s'informer, au sens le plus large du terme, à acquérir des connaissances, est le premier pas vers l'autonomie intellectuelle. La curiosité induit toutes les autres attitudes, car elle seule peut faire prendre conscience de la multiplicité des informations (et donc de la nécessité de les trier) et de l'immensité des champs du savoir. L'éveil de la curiosité renvoie d'autre part au rapport global de l'élève et de l'école, lieu de transmission et de valorisation du savoir. Enfin, l'Education aux Médias et à l'Information nécessite de communiquer aux élèves l'habitude de s'informer régulièrement et à des sources variées. La variété des sources d'information est un vaccin assez efficace contre une approche simpliste du réel, à l'œuvre, par exemple, avec le complotisme.

L'autonomie semble un terme préférable à l'indépendance, dans la mesure où nous connaissons toujours en nous appuyant sur des savoirs déjà établis. Cette autonomie se nourrit de notre information, mais aussi de notre capacité à avoir du recul par rapport à celle-ci. Ce recul se traduit d'abord par une temporalité. On prend le temps de s'informer, et on ne « saute » pas sur la première information pour juger et conclure. Le jugement (au sens large de conclusion), quand il est possible, ne doit intervenir qu'après un temps consacré à prendre connaissance des faits. La pratique de la suspension de jugement est d'autant plus importante que les questions sont sensibles et peuvent toucher de près les élèves ; elle nécessite un effort et permet de mettre à distance ses préjugés. Ce recul permet aussi d'évaluer l'information sur un plan qualitatif. La critique des sources en histoire, la connaissance du raisonnement scientifique en sciences, rentrent en jeu dans cette vérification. Evaluer une information suppose de comprendre comment les connaissances sont construites. Enfin, une condition essentielle de l'autonomie intellectuelle est la distinction des faits et des interprétations. Que s'est-il passé ? Comment peut-on l'expliquer ? La distinction entre ces deux questions est fondamentale. Le complotisme présuppose l'explication, et cherche ensuite les indices qui la confirment. Et si les faits dérangent, on en nie l'existence, ce qui ne permet pas à l'individu de remettre en question la théorie présentée.

La lucidité renvoie ici à une attitude réflexive de chacun sur ses connaissances et sur leur degré de certitude. Connaître ses ignorances est considéré depuis l'Antiquité comme une des bases de la sagesse. Cette lucidité alimente une prise de conscience : celle de la nécessité de prendre le temps de s'informer et de ne pas précipiter son jugement, mais aussi pour vérifier une hypothèse. Elle nourrit et se nourrit de l'exercice de la distinction entre les faits et les interprétations : tant que l'on n'a des faits qu'une connaissance très incomplète, on ne peut que faire des hypothèses ou émettre des jugements franchement erronés. La lucidité aide donc à une progression prudente dans l'élaboration d'une interprétation, en acceptant le risque de l'erreur et en étant prêt à rectifier son interprétation lorsque l'on est mieux informé. Enfin, cette lucidité est indispensable lorsque l'on se trouve face à plusieurs interprétations en conflit : peut-on trancher entre différentes interprétations sur un sujet dont on ignore tout ? La lucidité conduit parfois à s'abstenir d'avoir une opinion sur tout, et la confrontation des interprétations ne nous conduit pas toujours à conclure.

Ce dernier point renvoie à ce que faute de mieux il convient d'appeler la modestie, et au lien fort de cette dernière avec la reconnaissance de la nécessité du pluralisme. Une interprétation qui se donne comme définitive et exclusive suscite la défiance quand on a conscience de la complexité du réel. La confrontation des interprétations naît de la nécessité du débat, qui existe dans tous les secteurs de la connaissance, y compris le secteur scientifique. Le débat savant a ses règles et comporte ses procédures de vérification, mais il est décisif pour le progrès des sciences et l'élaboration de théories toujours plus complètes et affinées. De manière plus générale, le pluralisme nous sert à avoir une vision la plus complète possible des choses. L'un des objectifs du débat à visée philosophique, qui est un outil essentiel de l'Enseignement Moral et Civique, montre aussi que dans beaucoup de questions essentielles, une pluralité d'opinions est envisageable et doit être respectée, en particulier dans le domaine des croyances qui sont par essence non vérifiables.

Une attitude d'écoute est ainsi une composante importante de l'esprit critique. Quand bien même on cherche à penser de manière autonome, on ne pense jamais seul. L'effort de l'humanité vers la connaissance est collectif. Un seul individu ne peut réédifier tout ce que nous savons dans les différentes disciplines enseignées à l'école, un seul individu ne peut s'informer directement, à un moment donné, de la marche du monde. Le complotisme repose sur un déni du savoir accumulé en tout domaine et sur une récusation systématique des « experts ». Cependant, l'écoute prônée ici n'est ni passive ni naïve, elle conduit, attentive et informée, à ce que la confrontation des interprétations aboutisse à une classification pragmatique, permettant une première évaluation des interprétations : suis-je en présence d'une interprétation validée par l'expérience (à l'image des théories scientifique), d'hypothèses (dont la qualité peut être très variables) ou de simples opinions, qui peuvent être respectables, mais l'informeront plus sur ceux qui les émettent que sur le monde qui m'entoure ?

Identifier une démarche intellectuelle

À l'école de l'esprit critique est un document qui a pour objectif d'expliciter le sens général qu'il est possible d'assigner à la notion d'esprit critique et de mettre en avant ses enjeux spécifiques en milieu scolaire.

La construction de l'esprit critique ne relève pas d'un champ particulier du savoir mais est l'affaire de toutes les disciplines comme l'illustre le site Esprit scientifique, Esprit critique de l'association La main à la pâte.

Elle trouve un levier supplémentaire dans deux enseignements :

  • L'ÉMI (éducation aux médias et à l'information), qui vise une lecture critique et distanciée des contenus et des formes médiatiques. Notamment via le développement des usages du numérique.
  • l'EMC (enseignement moral et civique), qui s'appuie sur des méthodes et des pratiques pédagogiques spécifiques, de nature à faire travailler l'esprit critique : débat réglé, discussion à visée philosophique, dilemme moral, conseil d'élèves ...

Quel apports du numériques ?

Approcher une pédagogie de l'esprit critique

Des exemples de travaux de terrain

Le ministère a mis en place un système de remontée des exemples de travaux de terrain sur le développement de l'esprit critique des élèves et plusieurs exemples illustrent une dynamique de cette pédagogie.

Le site "Les valeurs de la République" de Réseau-Canopé propose des ressources sur l'Esprit critique afin d'apprendre aux élèves à penser par eux-mêmes et avec les autres, à pouvoir argumenter leurs positions et leurs choix, à décrypter l'information, à se forger une opinion, aiguiser leur esprit critique.

9 outils d'auto-défense intellectuelle

Dans sa classe Sophie Mazet a travaillé à un ensemble d'outils qui permettent de développer le regard critique des élèves.

 

Esprit critique - Sophie Mazet par eduscol

Le cadrage

La question du point de vue (échantillonnage, suppression des données pertinentes) et la réflexion sur les outils statistiques, la construction des sondages notamment, constituent un moment essentiel de la construction intellectuelle. Cette réflexion permet d'éviter les paralogismes, (i.e. un raisonnement faux perçu rigoureux par le producteur comme le récepteur de bonne foi tous les deux, en raison du fait qu'il s'appuierait sur des statistiques).

La reconnaissance des faux dilemmes

L'actualité, les débats sociaux, les réseaux sociaux nous imposent fréquemment des réactions binaires (être « pour » ou « contre »). Cela pose deux problèmes : comment exprimer une position nuancée ? Comment revendiquer le droit de ne pas avoir la possibilité, ni l'envie, de trancher, ou de ne pas se sentir autorisé à le faire ?

La rhétorique visuelle

Dans les sociétés d'informations, la capacité à décoder les images relève d'un apprentissage nécessaire. Apprendre pour permettre aux élèves de découvrir la diversité des médias d'information, pour comprendre leur construction, leur réalisation, pour en déjouer les logiques et faire des élèves des citoyens critiques et responsables médias. Une image se lit et se décode, elle est manipulable. Il est important de faire comprendre aux élèves comment une information par l'image se construit, et aussi de les initier à ne pas s'en tenir à l'image, mais à faire appel à l'ensemble des médias pour s'informer sur un point précis, afin qu'ils deviennent des utilisateurs avertis des médias. C'est notamment le rôle de l'éducation aux médias et à l'information.

Le retour aux faits contre l'appel à l'émotion

Les discours, les images, dans les échanges de points de vue ou d'arguments, font appel, souvent à l'émotion. Contre le pathos-roi qui ne répond pas au sujet traité, tout en faisant semblant de s'y intéresser, il s'agit de comprendre comment et pourquoi l'émotion peut être utilisée et comment elle peut permettre de toucher et ainsi de crédibiliser un propos lui-même pas nécessairement crédible rationnellement. L'approche compassionnelle en lieu et place d'une approche factuelle et critique.

La question de la légitimité ou contre l'argument d'autorité

Le syndrome de la blouse blanche ; celui qui veut qu'un titre universitaire, scientifique, ou même une simple notoriété médiatique (chanteurs, acteurs, sportifs) permette aux personnes qui en disposent de dire et d'écrire sur tous les sujets, y compris en dehors de leurs champs d'expertise initiale.

La prise en compte du complexe, contre la généralisation abusive

La généralisation repose sur l'idée qu'à partir d'un cas singulier du réel, du social, l'on puisse extrapoler les caractéristiques repérées à l'ensemble, alors qu'elles ne sont liées qu'à cet exemple. « Les hommes politiques sont tous corrompus : regardez X, Y, Z. » ; « Les professeurs sont des paresseux. Moi, je vois, mon beau-frère, il ne fait rien. »

La décentration contre l'isolement égotique

Se décentrer, c'est apprendre à changer de perspective, de point de vue. C'est accepter d'endosser le point de vue de l'autre, y compris quand, spontanément, on ne partage rien avec lui. C'est accepter de ressentir à la place de l'autre (empathie). La non-décentration empêche le développement du sentiment de fraternité et isole dans la certitude d'avoir raison en tout.

La suspension du jugement

Accepter de suspendre son jugement, accepter de ne pas juger trop vite, sans être sûr d'avoir tous les éléments en main. C'est aussi accepter du prendre du recul, et de ne pas avoir de jugement sur une question soulevée, faute de maîtriser un sujet, et faute d'être en capacité d'en avoir tous les tenants et les aboutissants. C'est adopter une posture de prudence : soit indéfiniment au risque d'être sceptique, soit pour un temps et c'est alors le moment qui précède la construction d'un raisonnement.

Le questionnement sur le monde

Le questionnement du monde qui est le nôtre constitue le socle indépassable de l'activité intellectuelle contre ceux qui préfèrent les certitudes et les réponses à ce qui est problématique. On peut développer un art du questionnement authentique, en écartant les fausses questions qui déterminent d'avance les réponses et restreignent notre liberté de jugement, et en questionnant également les formulations de questions perçues comme évidentes.

Pour aller plus loin